PREMIER ACTE
Le rideau s’ouvre sur le salon d’un hôtel particulier. Delphine 1, une feuille à la main, inspecte ce salon et paraît quelque peu perplexe.
Delphine 1 - Bizarre, pas un chat. Étrange, étrange, personne. Pourtant, il est bien vingt heures. Bon, je suis à peine en avance, admettons. On est bien le 18, puisque hier on était le 17. Je lis le message : « Rendez-vous à vingt heures, le 18 de ce mois, au numéro 22 de la rue des Brumes, hôtel du “Clair-Obscur”, premier étage, salon de l’hôtel. » Avec tous ces numéros, je vais pouvoir jouer au loto, moi. Annoncez-vous par ce mot de passe : « Je vais au lac avec Albert. » (Puis sur un ton différent.) « Je vais au lac avec Albert. » C’est plutôt une phrase de passe. J’ai comme l’impression d’être arrivée la première. Après il y a marqué : « Par sécurité, faites une photocopie et détruisez l’original. » Ce que j’ai fait. « Venez incognito, seul et non accompagné… Assurez-vous de n’être pas suivi… » Assurément que je n’ai pas été suivie, puisque je ne suis pas accompagnée. « Signé Huguette. »
Derrière la porte.
Delphine 2 - Y’a quelqu’un ?
Delphine 1 - Qui c’est ?
Delphine 2 - Y’a quelqu’un ?
Delphine 1 - C’est pas le plombier quand même. Auriez-vous par le plus grand des hasards, un mot de passe à clamer haut et fort ?
Delphine 2 - C’est vrai, où avais-je la tête. Je vais quelque part avec quelqu’un.
Delphine 1 - Pourriez-vous être un peu plus précise ?
Delphine 2 - Attendez, je lis le papier. Ah oui ! Je vais au lac avec Albert.
Delphine 1 - C’est bon, pouvez rentrer.
Delphine 2 - C’est ici ?
Delphine 1 - Apparemment oui. Bonsoir quand même, moi c’est Delphine.
Delphine 2 - Ravie de faire votre connaissance, moi aussi c’est Delphine.
Delphine 1 - Quelle coïncidence, c’est comme un fait exprès.
Delphine 2 - Peut-être que quelqu’un veut monter un club de Delphine.
Delphine 1 - On n’a pas quatre roues quand même.
Delphine 2 - Ça dépend après quoi.
Delphine 1 - Je pensais à la Dauphine… La voiture…
Delphine 2 - Pourquoi vous êtes habillée comme moi, vous ?
Delphine 1 - J’allais vous demander la même question que j’allais vous poser.
Delphine 2 - Et le parfum ?… On dirait…
Delphine 1 - C’est le même aussi, du colibri, première pression, c’est plus raffiné.
Delphine 2 - Vous chaussez du combien ?
Delphine 1 - 38 fillette.
Delphine 2 - Identiquement pareil à moi. (Se rapprochant.) Dites-moi, vous aimez les hommes ? Ou bien… ?
Delphine 1 - Hé là ! Les hommes, ça suffira !
Delphine 2 - Vous n’avez jamais pensé d’essayer avec quelqu’un qui chausse du… 38 fillette, comme moi ?
Delphine 1 - Ça va pas non ! Peu importe la pointure, pourvu que ça reste un homme. Vous seriez pas un peu à voile et vapeur vous ?
Delphine 2 - Alors là ma petite, quand on est en pleine tornade, qu’on a hissé la grand-voile, et qu’on rame à toute vapeur, on ne regarde même plus qui c’est qui naufrage avec vous, alors.
Delphine 1 - C’est un point de vue. En tout cas, moi, j’aime bien voir avec qui je rame.
Delphine 2 - Quand je pense que j’ai une pizza aux moules-crevettes qui m’attend dans le four… J’espère que ça va pas durer jusqu’à pas d’heure.
Delphine 1 - Au moins, vous, il y a quelqu’un qui vous attend. Mais je dois dire que j’aime bien aussi la pizza moules-crevettes.
Delphine 2 - Eh ben, vous voyez, on a aussi les mêmes goûts de c… culinaires, évidemment. À propos, vous êtes mariée ?
Delphine 1 - J’étais, mais il y a eu rupture. Et vous ?
Delphine 2 - Aussi, tout à fait comme vous ! Quand on vit avec un rugbyman, qui n’a aucun penchant pour les rondeurs, et qui fait toujours joujou avec un ballon ovale, vous comprendrez qu’on ne puisse pas transformer l’essai !
Delphine 1 - Bof ! Pour un gars qui joue au rugby, il doit avoir l’habitude d’être plaqué.
Delphine 2 - Donc, nous voilà toutes les deux à briguer de nouvelles pistes, nous sommes en quête de futures conquêtes ! C’est bien dit, hein ?
Delphine 1 - Oh oui ! Unissons nous dans nos recherches ; à nous deux, on doit bien pouvoir dénicher quelques beaux pigeons à plumer.
Delphine 2 - Au cas où on se déplumerait toutes les deux, faut peut-être déjà songer à se tutoyer.
Delphine 1 - Pour se tutoyer, d’accord ; pour le plumage, vaut mieux un pigeon. Au fait, quel est ton job dans la vie ?
Delphine 2 - Je suis assistante de casting.
Delphine 1 - Ouah ! T’es dans le show-biz alors ! Les beaux mecs que tu dois rencontrer !
Delphine 2 - Des belles nénettes aussi, tu peux pas savoir.
Delphine 1 - Je comprends… Mais en quoi consiste ton travail ?
Delphine 2 - Eh bien tu vois, les beaux mecs et les belles nénettes, j’essaie… après, je les propose.
Delphine 1 - Compris… cinq sur cinq… Finalement, c’est un peu comme moi, sauf que c’est le contraire : on me propose… après, j’essaie.
Delphine 2 - Ah bon ?
Delphine 1 - Mais c’est juste pour arrondir les fins de mois.
Delphine 2 - Tandis que moi, les fins de mois, c’est tous les jours.
Delphine 1 - Eh bien moi, les fins de mois, c’est pour arrondir les angles.
Delphine 2 - Ah ! les angles, la géométrie sur canapé, les mathématiques dans l’plumard, les bissex-trices, les perpendiculaires qui vont de travers, les parallèles qui mènent nulle part…
Delphine 1 - Au fait, tu sais pourquoi l’angle aigu est plus petit que l’angle droit ?
Delphine 2 - Non.
Delphine 1 - Et pourquoi l’angle obtus est plus grand que l’angle droit ?
Delphine 2 - Non.
Delphine 1 - Parce que, entre les deux, il y a l’angle du milieu… et c’est tout droit pour y arriver.
Delphine 2 - Oui mais, faire quelques détours pour y parvenir, c’est pas mal non plus. Et puis, si c’est tout droit, pourquoi l’aigu est plus...