En scène, M. et Mme Daumesnil se disputent.
Stéphanie (en colère) - Si tu crois que je vais accepter de recevoir ton P.-D.G. ce midi, alors qu'il est onze heures, que je n'ai rien dans le frigo, que je ne suis pas allée chez le coiffeur... tu rêves !
Gilles - Ecoute, ce n'est pas de ma faute ! J'ai décidé mon P.-D.G. hier soir et lorsque je suis rentré, assez tard, tu dormais.
Stéphanie - Et ce matin tu m'annonces que ce monsieur accepte de passer son dimanche chez nous, dans notre campagne à Dourdan... Tu te fous du monde, moi je n'en ai rien à foutre de ton P.-D.G. !
Gilles - Essaie de comprendre, j'ai eu assez de mal à le décider, je ne suis que son sous-directeur. Le directeur général va prendre sa retraite et de plus, lui, le grand patron, va aussi prendre sa retraite dans deux ans, alors il y a des places à prendre... et crois-moi, il y a de la concurrence, ça se bouscule au portillon.
Stéphanie - Je ne suis pas si bête, j'ai compris ! Mais aujourd'hui je ne suis pas prête, je n'ai même pas de robe convenable ici, alors ton grand patron... tu lui téléphones et tu lui dis que j'ai la grippe... et que je suis très contagieuse.
Gilles - Il ne me croira pas : hier soir, je lui ai dit que tu étais en pleine forme et que tu serais ravie de le recevoir.
Stéphanie - C'est ton erreur fondamentale : je ne suis pas du tout ravie, je n'en ai rien à fiche de ce monsieur ! Reste sous-directeur, moi je trouve cela très bien, je n'attends pas après tes revenus. Tu sais très bien que mes parents m'ont laissé, en Suisse, suffisamment pour vivre cinquante ans sans rien faire.
Gilles - Oui, je sais, mais moi j'aime ce que je fais...
Stéphanie - Eh bien, tant mieux pour toi ! En réalité tu n'es qu'un larbin, qu'un lèche-bottes.
Gilles - Tu es dure ! Moi, à t'entendre je n'ai que des défauts.
Stéphanie - C'est presque ça et si tu veux le savoir je ne te supporte plus... Va coucher avec ton P.-D.G. si tu veux.
Gilles - Je vais à mon tour te faire une confidence.
Stéphanie - Sois franc et direct pour une fois et... ne mens pas.
Gilles - Je vais être franc : moi non plus je ne te supporte plus. J'ai peut-être des défauts, mais toi tu es en surdosage, tu pourrais être dans le livre des records !
Stéphanie - Quel salaud tu fais, tu ne m'as jamais parlé comme ça !
Gilles - Il y a un début à tout. Pour tes défauts, tu veux une liste ?
Stéphanie - Inutile, je me connais très bien.
Gilles - Pas sûr... Sais-tu que tu brailles tout le temps ? Tu n'es qu'une mégère non apprivoisée !
Stéphanie - Bravo... toi tu n'es qu'un bon à rien asservi à son P.-D.G., j'ai honte de toi !
Gilles - Arrête, laisse-moi parler et surtout ne crie pas.
Stéphanie - Moi, je ne dis rien, je te réponds, c'est tout.
Gilles - Encore une fois, veux-tu m'écouter sans passion ni colère ?
Stéphanie - Je vais essayer.
Gilles - J'ai une proposition à te faire.
Stéphanie - Je t'écoute.
Gilles - Ça me surprend.
Stéphanie - Allez, vas-y.
Gilles - Ça ne peut plus durer, il faut nous séparer.
Stéphanie - Pour une fois, je suis d'accord avec toi.
Gilles - Alors on partage tout en deux.
Stéphanie - Tu rigoles, ici tout est à moi !
Gilles - C'est vrai, mais j'ai fait ce que j'ai pu pour te rendre heureuse.
Stéphanie - Eh bien, c'est loupé.
Sonnerie de la porte d'entrée.
Gilles sursaute et se précipite, affolé, vers la fenêtre.
Gilles - C'est lui ! Ça ne m'étonne pas qu'il soit déjà là, il a sorti sa Ferrari... Fais un dernier effort pour moi Stéphanie, avant notre séparation pense à mon avenir... Directeur général et peut-être un jour P.-D.G., ça vaut quand même un sourire et l'ouverture d'une boîte de cassoulet !
Stéphanie (ironique) - Il y a aussi, de la semaine dernière, un peu de fromage blanc allégé ; il est complètement aigre, le chien n'en a pas voulu, tu peux lui en donner si tu veux à ton big-boss, mais sans moi. Monsieur invite, eh bien monsieur reçoit !
Elle sort en claquant la porte du parc.
Gilles - Stéphanie ! Stéphanie !
Immédiatement, d'une porte de la mezzanine, apparaît Henriette, la fidèle employée de maison, un peu bourrue et sans gêne. Elle est très endimanchée.
Henriette - Bonjour Monsieur... faut pas claquer la porte comme ça, ça me fait sursauter et ça m'angoisse.
Gilles - Vous le direz à Madame.
Henriette - Bien sûr que je vais lui dire... où est-ce qu'elle est ?
Gilles - Madame est sortie.
Henriette - C'est pas une raison pour claquer les portes.
Nouvelle sonnerie.
Gilles - J'ai des invités, voulez-vous aller ouvrir ?
Henriette - Stop ! Aujourd'hui vous m'avez donné congé, faut bien que je me détende un peu, j'ai besoin de distractions... alors je vais à la messe.
Elle sort.
On entend des bruits du vestibule. Henriette a ouvert la porte et fait entrer M. Bernard de Montgallet, P.-D.G. de Gilles. Celui-ci pense avoir affaire à Mme Daumesnil. Il entre en scène avec un énorme bouquet précédé de Henriette qui entre à reculons complètement dépassée. Après les politesses d'usage, Bernard colle son gros bouquet de fleurs dans les bras d'Henriette.
Henriette - Fallait pas monsieur, j'en ai de plus belles dans le jardin...
Gilles - Mon cher Président bonjour, ravi de vous rencontrer en dehors du bureau.
Bernard - Je suis peut-être en avance, mais vous savez, avec ma Ferrari, il faudrait que je reste en première vitesse.
Gilles - Vous êtes le bienvenu, nous ferons un tour du parc avant le déjeuner parce que ce n'est pas encore tout à fait cuit.
Henriette - Ça c'est vrai, c'est même pas cuit du tout, vous allez vous débrouiller, moi je vais à la messe.
Bernard - Ah ! chère madame, quelle joie de vous rencontrer et d'enfin vous connaître.
Henriette - Oui, mais il y a vraiment pas de quoi tirer un feu d'artifice. Je vous quitte, je vais à la messe.
Bernard - Madame, je m'en voudrais de vous empêcher de faire vos dévotions. Nous nous retrouverons tout à l'heure, je vous consacre ma journée.
Henriette - Ah ! mais moi je suis de sortie, je ne vous consacre rien du tout.
Gilles (embarrassé) - Bien sûr ''chérie'', tu es de sortie avec M. de Montgallet, tu nous consacres ton après-midi pour la visite du château. (Il lui fait à la dérobade des gestes et des œillades.)
Henriette - Ça va pas ! ''Chérie'' ! (En aparté.) Il m'appelle ''chérie'' maintenant !
Gilles (autoritaire) - Mais si, Stéphanie !
Henriette - Stéphanie ? (En aparté.) Il a dû passer une nuit difficile.
Bernard - Oh ! ce qu'elle est drôle votre femme ! Elle manie l'humour avec une grande élégance.
Henriette - Ah non, ne vous moquez pas de moi monsieur... c'est comment votre nom déjà ?
Bernard - Bernard de Montgallet.
Henriette - Bon d'accord, vous êtes sympa, moi c'est Henriette et sans "de'' devant.
Gilles - Henriette ! Mais pourquoi puisque tu t'appelles Stéphanie ?
Henriette - Stop ! Bon, O.K... c'est bon, c'est vrai, je m'appelle Stéphanie... j'ai tout compris, je suis Stéphanie, ça te va comme ça ''mon chéri'' ! Je pige vite, hein ?
Gilles - Parfait, tu es un ange, tu vas laisser ta messe de côté, tu vas nous préparer un bon petit repas comme tu sais si bien les faire.
Henriette - Gilles, tu peux compter sur ta chérie, Henriette n'existe plus, je suis Stéphanie. Tu me connais, j'aime bien changer de nom, mais maintenant j'ai tout compris, je suis Stéphanie et je vais ouvrir une boîte de couscous Garbi "comme chez nous". Vous aimez ça, Bernard ?
Bernard - C'est à dire que... mais préparé par vous ça ne peut être que succulent.
Henriette - O.K., c'est parti, d'ailleurs il n'y a pas autre chose. Vous, les hommes, vous allez cueillir des radis dans le jardin. Donne-moi les clefs de la cave... (Elle se reprend.)... c'est pas la peine, je me suis fait faire un double, je monte trois bouteilles de Gevray, c'est celui que je préfère... T'es d'accord Gilles ?... Allez, O.K. ! On y va, on va bien se marrer tous les trois.
Elle entre dans la chambre des Daumesnil.
Bernard - Quel tempérament... Ah ! comme je vous envie, vous avez une femme très vivante. La mienne est morte, je suis veuf... mais, même vivante, elle était un peu morte. La vôtre c'est de la dynamite ou plutôt du champagne ! Et quelle simplicité!
Gilles - Ah ! ça, pour la simplicité, elle ne craint personne... un peu familière peut-être ? Parfois...