Le jardin secret d’Anémone et Violette

Quel est donc ce fameux jardin secret qu’Anémone ou Violette ne peuvent dévoiler ? Tout commence le jour où Anémone Bréval, charmante vieille dame de quatre vingt deux ans, entre dans la chambre de Julien, son petit fils. Elle sait que celui-ci fait des expériences sur le rajeunissement des cellules, mais elle est loin d’imaginer les conséquences de cette intrusion. Lorsqu’elle ressort de la chambre, Mamie Anémone a rajeuni dune cinquantaine d’années. Cette transformation, qui n’est pas du tout du goût de l’intéressée, ne s’annonce pas facilement à ses proches, et surtout pas à Francine, la vieille employée au cur fragile, depuis toujours au service de la famille. Dès lors, afin de ménager l’émotivité de Francine, Anémone va se transformer, avec la complicité de certains, en Violette, sous les yeux de sa propre fille qui ne la reconnaîtra pas. Cette situation, déjà bien compliquée, deviendra rapidement infernale lorsqu’un célèbre artiste peintre « déjanté » voudra la prendre comme modèle et que deux soupirants éperdument amoureux viendront soupirer de plus en plus bruyamment.
De nombreux rôles variés, beaucoup de rythme et des dialogues percutants dans cette nouvelle comédie de l’auteur d« un réveillon à la montagne ».

ACTE 1

Un salon bourgeois. Côté jardin, une porte donnant sur la chambre de Julien. Côté cour, une porte qui mène vers l'office et l'entrée. En fond de scène, une porte menant aux appartements. Sur scène, Francine et Philippe. Philippe a un téléphone portable à la main.

Philippe -  Ecoutez Francine, faites donc comme il vous plaira, rôti de veau ou caille farcie, personnellement, ça m'est complètement égal… Voyez cela avec Madame… (Reprenant le téléphone.) Allô, Monsieur Bourdin ? Alors vous me disiez que votre femme s'était évanouie ? Dans la nature ? Non, dans son lit ? Ah ! Eh bien, c'est déjà ça, au moins vous ne l'avez pas perdue… Mais non, Monsieur Bourdin, ce n'est pas ce que je veux dire, tout de suite vous dramatisez. Ecoutez, de toute façon, je commencerai mes visites par votre domicile, dans un quart d'heure je suis chez vous, d'accord ? Allez ! A tout de suite Monsieur Bourdin.

Francine - ça, je n'ai jamais compris, ça se moque d'eux à longueur de temps, et ça a toujours autant de clients.

Philippe -  Ma bonne Francine, mes chers patients savent faire la différence entre la moquerie et la plaisanterie, voilà tout.

Francine - Eh bien, je les trouve très patients, vos patients, moi, je n'aimerais pas qu'on rigole de ma santé. On ne plaisante pas avec ces choses-là.

Philippe -  Et pourquoi pas ?

Francine - Parce que c'est comme ça. A force de rire du malheur des autres, vous allez finir par l'attirer sur vous et sur nous aussi par la même occasion.

Philippe -  Ma chère Francine, ne seriez-vous pas quelque peu superstitieuse ?

Francine - Superstitieuse, moi ? Pas du tout !

Philippe -  A la bonne heure, je suis ravi de constater que vous ne croyez pas à ce genre de sornettes… D'ailleurs Francine, je vais vous faire une confidence, ne soyez pas superstitieuse, ça porte malheur.

Pendant que Francine reste dubitative, le téléphone portable se remet à sonner.

Philippe -  Docteur Bréval j'écoute… Ah ! c'est vous Madame Denis ? Qu'est-ce que vous me dites ? Votre fils a des boutons ? Mais c'est bien Madame Denis, vous allez pouvoir ouvrir une mercerie, oui une mercerie, à cause des boutons…vous ne voyez pas ? Non, laissez tomber Madame Denis, ce n'est pas grave, dans une petite heure je suis chez vous…C'est cela, à tout à l'heure Madame Denis. (Il s'apprête à sortir.)

Francine - Alors Monsieur, veau ou caille ?

Philippe -  Caille ? Vous avez raison Francine il ne fait pas chaud, je vais prendre un manteau. Voyez donc avec Madame…Allez, à plus tard.

Francine - Oh là là ! c'est comme d'habitude, tout le monde s'en contrefiche dans cette maison… Voyez donc avec Madame… Comme si Madame pouvait avoir un avis sur la question… Pauvre Madame Anne-Sophie, elle plane tellement celle-là qu'elle n'est pas prête d'atterrir. On lui donnerait des cailloux à manger qu'elle ne s'en rendrait même pas compte.

Entrée d'Anne-Sophie.

Anne-Sophie - Ah ! Francine, vous êtes là ! Vous n'auriez pas vu une chemise jaune ? C'est incroyable, j'ai l'impression que les objets prennent un malin plaisir à se cacher lorsque je les cherche. Ah ! les diablotins ! Où donc peut-elle être ? (Elle cherche partout.)

Francine - Madame Anne-Sophie, si vous cherchez une chemise, vous avez plus de chance de la trouver dans l'armoire de votre chambre ou dans la buanderie, mais pas dans ce salon.

Anne-Sophie - Ah bon ? Et pourquoi donc ? Dans la buanderie ? Quelle drôle d'idée ! Ecoutez Francine, ce dossier est pour moi d'une importance capitale, il me faut à tout prix le retrouver.

Francine - C'est un dossier où une chemise que vous cherchez, faudrait savoir !

Anne-Sophie (l'ignorant) - Non, ce n'est pas cela…Oh là là et moi qui suis déjà affreusement en retard.

Francine - Je n'ai peut-être pas été aux écoles comme vous tous, mais faudrait voir à pas me prendre pour une andouille, tout de même. Je sais bien faire la différence entre une chemise et un dossier. Faudrait voir à pas la rouler dans la farine, la Francine !

Anne-Sophie (exhibant la chemise d'un air triomphal) - La voilà ! Sauvée, je suis sauvée ! Vous disiez, ma chère Francine ?

Francine - Non, rien…Fallait me le dire que vous cherchiez de la paperasse, on aurait gagné du temps.

Anne-Sophie - Francine, ces paperasses, comme vous dites, c'est le discours que je vais prononcer à l'ouverture de l'exposition Dalinoski. Je ne sais pas si vous mesurez la portée de l'événement, Dalinoski, ici, dans ma galerie, lui qui n'a pas quitté New York depuis au moins une décennie. Non mais vous réalisez Francine, Dalinoski ! N'est-ce pas incroyablement génial !

Francine - Vous savez, moi, ça me fait une belle jambe. comment qu'il s'appelle votre gazier ? Dalinoski ? Connais pas, mais j'imagine très bien le tableau, si j'ose m'exprimer ainsi.

Anne-Sophie - Que voulez-vous dire, Francine ?

Francine - Faut vous faire un dessin ? Remarquez, si je dessinais, j'arriverais toujours à faire aussi bien que vos soi-disant artistes que vous exposez dans votre… galerie, comme vous dites. Vous, dès que vous voyez trois tâches de peinture, tout de suite vous tombez en extase ; votre Dalinoski, à tous les coups, c'est pareil, ça doit être barbouillage et compagnie, pas vrai ?

Anne-Sophie - Ma chère Francine, sachez qu'Eduardo Dalinoski est certainement l'artiste le plus révolutionnaire de ce siècle naissant, il interprète de manière très personnelle sa vision du monde, il propose une œuvre tellement onirique, où se mêlent, à la fois le fantastique, le symbolique, l'allégorique…

Francine - Ce n'est pas le tout de trouver des mots en " iques " et pour le repas, qu'est-ce qu'on fait ? On pique-nique ? Régime diététique ou platée pour boulimiques ?

Anne-Sophie - Pardon ?

Francine - Pour le repas, qu'est-ce qu'on fait ?

Anne-Sophie - Dites-moi Francine, Philippe est-il là ?

Francine - Ah ! non Madame, vous le connaissez, Monsieur Philippe, c'est un vrai courant d'air ; d'ailleurs, si j'étais à votre place, je lui conseillerais de se calmer, parce qu'à force de jouer les courants d'air, il va finir par s'enrhumer.

Anne-Sophie - Francine, vous n'auriez pas vu mes lunettes ?

Francine - Sur votre nez Madame Anne-Sophie, sur votre nez, comme d'habitude.

Anne-Sophie - Ah oui, bien sûr… Bon, eh bien je crois que je vais y aller, à plus tard Francine.

Francine - Madame, pour le dîner, qu'est-ce que je fais ? Rôti de veau ou caille farcie ?

Anne-Sophie - Comme il vous plaira, ma chère Francine.

Francine - Tout de même, vous avez bien un avis ?

Anne-Sophie - Bon ! eh bien disons caille farcie.

Francine - Madame.

Anne-Sophie - Oui ?

Francine - La chasse n'est pas encore ouverte, si vous voulez manger des cailles, il faudrait peut-être me laisser de l'argent.

Anne-Sophie - Ah ! oui de l'argent… (Elle tire son chéquier de sa poche.) Voilà, je vous le signe, vous le compléterez comme d'habitude, allez, à plus tard. (Elle sort.)

Francine - Quelle maison de fous ! Et c'est tous les jours pareil… le feu aux fesses qu'ils ont tous…Il y en a pas un qui se soucierait du repas… y a qu'à laisser Francine se débrouiller… mais ils me prennent vraiment pour la boniche dans cette maison ! Ils sont tellement habitués à ce que je fasse tout à leur place qu'ils ne se rendent même plus compte, mais un de ces jours-là Francine, elle en aura sa claque, la Francine, elle s'en ira. Ah mais !

Arrivée de Mamie.

Mamie - Eh bien Francine, peut-on savoir ce qui vous rend de si mauvaise humeur ?

Francine - Enfin une personne sensée dans cette maison ! Heureusement que vous êtes là madame Anémone, sinon je crois que je " folayerais " ici.

Mamie - Qu'y a-t-il Francine ?

Francine - Il y a que tout le monde se fiche de tout dans cette maison. Moi, si ça continue, un beau jour, je vais m'en aller, et là, ils verront bien la différence.

Mamie - Je sais Francine, vous dites ça tous les matins.

Francine - Dites tout de suite que je radote.

Mamie - Mais non Francine, je n'ai pas dit cela. Si vous partiez, que ferions-nous sans vous ?

Francine - ça c'est certain, je suis persuadée qu'il n'y en a pas un qui sache faire cuire des pâtes dans cette maison. Ils vous chaufferaient ça dans une casserole sans rajouter d'eau ces empotés… Ah ! pour faire de belles phrases et sortir de grands discours, là ils sont imbattables, mais pour ce qui est de tenir une maison, zéro pointé pour tout le monde, la mère, le père, le fils, il n'y en a pas un pour racheter l'autre… C'est moi qui vous le dis, Madame Anémone, si vous n' étiez pas là, il y a belle lurette que j'aurais pris mes cliques et mes claques, mais tant que vous êtes là, je suis obligée de rester, c'est comme qui dirait un devoir humanitaire.

Mamie - C'est gentil à vous Francine, tant de sollicitude m'émeut. Au fait, j'ai entendu Anne-Sophie et Philippe sortir, mais Julien, savez-vous s'il est là ?

Francine - Ah celui-là, il est encore pire que ses parents. Lui, ce n'est pas un courant d'air, c'est un fantôme. Un coup j' te vois, un coup j'te vois pas… Ce qui fait que je ne sais jamais s'il est dehors ou dedans. ça reste des jours entiers enfermé dans son boui-boui et soudainement, ça surgit comme un diable de sa boîte, sans prévenir . Vous verrez, Madame Anémone, un de ces jours, ce démon me fera avoir un infractus.

Mamie - Infarctus, ma bonne Francine, on dit un infarctus.

Francine - Ah non ! Vous n'allez pas vous y mettre vous aussi. Ne commencez pas à me contrarier.

Mamie - Mais non, ma bonne Francine, loin de moi cette intention.

Francine - Et puis arrêtez de m'appeler ma bonne Francine, je sais bien que je suis la bonne, pas la peine de me le seriner toute la journée.

Entrée de Julien qui sort de sa chambre.

Julien - J'ai l'impression que notre chère Francine a le tempérament volcanique ce matin... Oh oui, elle bout de partout, elle commence à fumer, c'est mauvais signe. Elle ne va pas tarder à entrer en éruption. Vite Mamie, tout le monde aux abris, sinon nous sommes morts… Mais non Francine, je plaisante, dites-moi plutôt ce qui vous chagrine, et si je peux faire quelque chose, soyez assurée que…

Francine - Si je peux faire quelque chose ? Mais qu'est-ce que vous voulez qu'il fasse ce pauvre garçon ? Il ne sait rien faire. Si ce n'est pas malheureux, ça a trente ans passés, et ça se dit étudiant. Etudiant, mon œil oui ! Moi j'appelle pas ça étudiant, à trente ans, j'appelle ça fainéant, c'est pas pareil !

Mamie - Alors là, vous êtes injuste Francine, Julien prépare son doctorat. Croyez-moi, cela ne se fait pas en six mois.

Francine - Il prépare son doctorat, où ça ? (Désignant sa chambre.) Dans sa grotte ? Faut pas me prendre pour une andouille, un étudiant, ça étudie aux écoles, Ça reste pas à flemmarder des jours entiers dans sa chambre.

Julien - Ma chère Francine, ce serait trop long à vous expliquer… Je fais de la recherche, alors que ce soit ici ou au labo, ce n'est pas le lieu qui importe.

Francine - ça doit être un sacré nid à poussière dans ce taudis, depuis le temps que vous m'interdisez d'entrer. Un de ces jours, je ne vais pas vous demander votre avis et je vais vous faire le grand ménage là-dedans.

Julien - Francine, si vous faites ça, je vous jure que je vous fais manger votre tablier et vos chaussures avec.

Francine - Mais c'est qu'il le ferait cet animal ! Il n'aurait aucun scrupule à m'étouffer. Quand je pense que je lui ai donné le biberon, que je lui ai torché les fesses, que je lui ai appris à se moucher le nez…ça, il n'a pas dû le retenir, parce qu'il reste toujours aussi morveux, sale gosse !

Julien - Allons Francine, ne vous mettez pas dans cet état, vous me fendez le cœur. Vous savez très bien que je vous adore, mais je ne puis actuellement autoriser l'entrée de ma chambre, un point c'est tout. Ai-je été assez clair ?

Francine - Et pourquoi donc ? C'est quoi votre chambre, c'est la chambre de Barbe-bleue ? Vous avez caché des cadavres dans votre armoire ou quoi ?

Mamie - Mon petit Julien, je dois reconnaître que Francine a des raisons de s'énerver. Tu pourrais peut être, au moins, essayer de lui expliquer.

Francine - Pensez-vous, Môssieur Julien est persuadé que la pauvre Francine est bête comme chou, tout juste bonne à éplucher des patates. Môssieur Julien ne va pas perdre son temps à expliquer quoi que ce soit à la pauvre Francine, de toute façon, elle ne comprendrait rien.

Julien - ça y est Francine, vous avez fini votre numéro ? Je peux parler ? Merci. Je ne vous prends nullement pour une imbécile et vous le savez très bien. Maintenant, si vous insistez, sachez simplement que je suis en train de mettre au point un prototype et comme je n'ai pas fini de le programmer, je tiens absolument à ce que personne n'entre dans cette pièce. Voilà, me suis-je bien fait comprendre ?

Mamie - Dis- moi Julien, ton…prototype, ce n'est pas dangereux au moins ?

Julien - Non, rassure-toi, Mamie, il ne présente aucun danger… pour qui sait s'en servir, mais pour plus de sécurité, j'exige que personne d'autre que moi ne pénètre dans cette chambre.

Francine - Moi je dis qu'un jour cette andouille finira par faire sauter la baraque, et ce ne sera pas la première fois. Vous avez tous la mémoire courte dans cette famille. Vous avez déjà oublié ? A dix ans, son irresponsable de père lui avait offert le coffret du petit chimiste… Du petit chimiste, tu parles ! du petit incendiaire, ouais ! Le gosse avait tout noirci la tapisserie avec ses cochonneries d'expériences.

Julien - C'est comme cela que naissent les vocations, ma chère Francine. Mais rassurez-vous, je vous le redis, vous n'avez rien à craindre, sauf si vous cherchez à franchir cette porte, alors là, je ne répondrais plus de rien.

Francine - Dieu m'en garde ! Restez donc croupir dans vos saletés, après tout, c'est votre crasse, moi je m'en lave les mains… Oh là là, et le temps qui passe ! J'ai encore à faire et puis après, il faudra que j'aille faire mes courses, parce qu'elles ne vont pas se faire sans moi. (Elle sort.)

Julien - Ouf ! la tempête est passée…Eh bien dis donc, avec Francine, on a intérêt à garder le pied marin si on ne veut pas se faire engloutir, pas vrai Mamie ?

Mamie - Tu dis cela, mais tu sais très bien qu'il n'y a pas meilleure personne que Francine, seulement, comme tout le monde, elle souhaiterait parfois que son travail soit un peu plus reconnu.

Julien - Mais, pourquoi faut-il qu'elle me considère toujours comme un gamin ?

Mamie - C'est tout à fait normal. Tu sais bien que c'est elle qui t'a quasiment élevé. Avec son activité professionnelle, ta mère ne pouvait pas être au four et au moulin, il a bien fallu qu'elle se fasse seconder.

Julien - Comme le dit la météo marine, il me faut bien reconnaître que j'ai eu souvent une mère agitée.

Mamie - Que veux-tu, ta mère a un tempérament artistique, c'est sans doute ce qui fait son charme.

Julien - Sacrée Mamie, je te reconnais bien là, tu serais la mère de Jack l'éventreur, tu lui donnerais encore l'absolution.

Mamie - Dis-moi, mon petit Julien, si ce n'est pas trop indiscret, ton prototype, comme tu dis, il va te servir à quoi ?

Julien - Il est encore trop tôt pour tirer des conclusions. Vois-tu, je ne maîtrise pas encore tous les paramètres, mais les expériences que j'ai pu faire sur les souris sont tout à fait prometteuses.

Mamie - Julien, ne me dis pas que tu as introduit des souris dans ta chambre. Oh mon Dieu ! Si Francine l'apprenait…

Julien - En fait, pour plus de fiabilité, je pensais continuer l'expérience avec des chimpanzés…

Mamie - Des chimpanzés ! Julien, dis-moi que tu n'es pas sérieux !

Julien - Mais si Mamie, franchement, ai-je vraiment la tête d'un plaisantin ?

Mamie - Pourquoi t'obstines-tu à mener ce genre d'expériences ici ? Pourquoi pas dans ton laboratoire ? Il me semble que ce serait plus adapté.

Julien - Vois-tu Mamie, je n'en suis qu'aux prémisses. Mes résultats sont actuellement si peu probants, mes méthodes d'expérimentation encore si empiriques, que je n'ose pas, pour le moment, officialiser mes travaux. Dans quelques semaines peut être…

Mamie - Mais enfin Julien, de quoi s'agit-il au juste ?

Julien - Je ne fais que chercher ce que tant d'autres ont vainement cherché avant moi, seulement moi j'espère trouver sans avoir à pactiser avec le diable.

Mamie - Tu m'inquiètes mon garçon, que cherches-tu à la fin ?

Julien - Je cherche l'élixir de jouvence, celui de l'éternelle jeunesse.

Mamie - Que dis-tu mon petit ?

Julien - Non Mamie, je plaisantais, je fais tout simplement une étude sur le vieillissement des cellules, je ne peux guère t'en dire plus, plus tard peut-être… Enfin, en tout cas, tu n'as aucune crainte à avoir, mes expériences n'auront aucune incidence sur la vie familiale, je te l'assure.

Mamie - Mais oui, mais oui, je n'en doute pas.

Entrée de Francine.

Francine - Madame Anémone, Monsieur Ferdinand est à la porte, dois-je le faire entrer ?

Julien - Ah ! voilà le fiancé qui se manifeste.

Mamie - Julien, voyons ne dis donc pas de bêtises. Monsieur Ferdinand est simplement un vieil ami.

Julien - Ne te justifie pas Mamie, tu sais moi je n'ai rien contre, après tout, il n'y a pas de mal à se faire du bien, pas vrai ?

Mamie - Francine, ne faites pas attendre Monsieur Ferdinand plus longtemps.

Francine - Je cours Madame Anémone, je cours, pour Monsieur Ferdinand qu'est-ce qu'on ne ferait pas.

Julien - Oh ! dites donc, quel empressement ! Regardez-moi ça, on dirait des collégiennes à leur premier rendez-vous. Quel séducteur ce Monsieur Ferdinand ! Comment fait-il pour vous émoustiller ainsi ?

Francine - C'est sans doute parce qu'il est plus poli et qu'il a une meilleure éducation que certains, si vous voyez ce que je veux dire, Monsieur Julien. (Elle sort.)

Julien - Bon, moi je retourne à mes expériences... Au fait, dis-moi Mamie, et toi ? Aimerais-tu retrouver ta jeunesse ?

Mamie - Je ne sais pas Julien, je ne sais pas.

Julien retourne dans sa chambre.

Ferdinand (entrant) - Bonjour chère amie, j'espère que je ne vous dérange pas, je me suis permis de vous apporter ce modeste bouquet.

Mamie - Mon ami, vous êtes fou, à chaque visite vous m'offrez des fleurs, je vais finir par vous gronder.

Ferdinand - Pardonnez-moi Anémone, c'est à cause de votre prénom, à chaque fois que je passe devant un fleuriste, je pense à vous et je ne peux m'empêcher d'acquérir un bouquet.

Mamie - C'est une délicate attention, néanmoins sachez que vous êtes nullement obligé…

Ferdinand - Je le sais ma chère amie, mais dois-je vous l'avouer, tant que vous aurez la joie de les recevoir, j'aurai toujours le plaisir de vous les offrir.

Mamie - Ferdinand, je ne devrais pas vous le dire, mais savez-vous que vous êtes vraiment adorable ?

Ferdinand - Anémone, si vous avez de l'estime pour moi, nous pourrions nous voir plus souvent, et pas toujours ici… nous pourrions… chez moi, par exemple…

Mamie - Ferdinand, ce que vous dîtes est insensé, voyons, vous n'y pensez pas !

Ferdinand - Comment ça vous n'y pensez pas ? Et bien si justement, j'y pense, je ne pense même qu'à cela, rendez-vous compte Anémone, cela fait près de cinquante ans qu'on se connaît, cinquante ans que je soupire à vos pieds, et je continuerai à soupirer ainsi jusqu'à mon dernier soupir, alors je vous en conjure laissez donc s'embraser ce feu qui nous habite.

Mamie (soupirant) - Mon pauvre ami.

Ferdinand - Je vois que vous soupirez à votre tour, tout espoir n'est donc pas perdu ?

Mamie - Combien de fois devrais-je vous le dire ? Mon bon Ferdinand, nous sommes trop âgés pour nous lancer dans de pareilles aventures.

Ferdinand - Trop âgés ? Vous plaisantez ! Nous sommes simplement dans la fleur de l'âge, ma chère.

Mamie - Ne nous voilons pas la face, reconnaissez que la fleur de l'âge est tout de même un peu fanée.

Ferdinand - Ah ! si seulement vous aviez fait le bon choix, il y a cinquante ans, plutôt que de vous amouracher de votre bellâtre de mari, nous n'en serions pas là.

Mamie - Ferdinand, je vous prie de respecter la mémoire de mon défunt mari, certes il n'avait peut-être pas que des qualités, mais j'ai toujours su lui rester fidèle.

Ferdinand - ça, on s'en est aperçu.

Mamie - Mon ami, ne soyez pas amer, la vie est ainsi faite, on n’y peut rien.

Ferdinand - Si seulement nous pouvions retrouver notre jeunesse !

Mamie - Allons allons Ferdinand, pas de regrets inutiles, il nous reste l'amitié, ne la ternissons pas voulez-vous ?

Ferdinand - Entendu Anémone, vous avez raison, je ne suis qu'un vieil idiot, j'arrête de vous importuner avec mes projets imbéciles, mais s'il vous plait, laissez-moi continuer à vous faire la cour, si vous saviez, cela me fait tellement plaisir.

Mamie - Mon bon ami, si votre empressement reste dans les limites de la décence, vous m'en verrez flattée.

Entrée de Francine, elle est vêtue de son manteau.

Francine - Madame Anémone, il y a là Madame Dumont et Madame Deschamps qui viennent vous rendre visite. Je leur dis de rentrer ?

Ferdinand - Voilà les sœurs casse-pieds qui débarquent. Anémone je n'ai jamais compris quel plaisir vous pouviez trouver à être en leur compagnie.

Mamie - Vous savez, il faut les comprendre, elles sont veuves toutes les deux…

Ferdinand - ça ne m'étonne pas, vu le caractère qu'elles ont, leurs pauvres maris ont préféré mourir plutôt que de subir. En tous les cas, je n'ai guère envie de les rencontrer ces vieilles rombières. Je préfère m'en aller.

Julien (sortant de sa chambre) - Bonjour Monsieur Ferdinand, comment allez-vous ? Mais de qui diable parlez-vous donc ?

Ferdinand - La mère Dumont et la mère Deschamps, vous connaissez ?

Julien - Ces deux-là ? Ne m'en parlez pas, de vraies plaies.

Francine - Oh ! j' n'ai pas que ça à faire, moi. Alors ? Je les fais entrer ou je botte en touche ?

Mamie - Faites entrer, Francine, bien sûr, faites entrer.

Sortie de Francine.

Julien - Je crois que je ne vais pas tarder à imiter Monsieur Ferdinand. D'une part, je n'ai pas envie de me farcir les vieux fossiles, pardonnez-moi, vous savez bien que je ne dis pas ça pour vous, d'autre part, je dois aller chercher Valérie à la gare.

Mamie - C'est ta nouvelle fiancée ? Incorrigible Julien, quand donc te décideras-tu à choisir pour de bon ?

Julien - Vois-tu Mamie, comme tu le sais, je suis encore...

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