Poker pour l’Australie

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Michel joue depuis plusieurs mois au poker en cachette de sa femme. Mais cette fois-ci il a perdu douze mille euros face à un Sicilien peu commode. Ce dernier vient réclamer son argent et Michel le fait passer, devant sa femme, pour un ami de régiment. Cette dernière l’invite à dîner et il va s’ensuivre une soirée très mouvementée pleine de mensonges et de quiproquos.

ACTE I

Scène 1

Michel

 

La scène se passe le matin.

Michel est seul en scène, en robe de chambre. Il est très agité, il marche de long en large.

Michel - Comment je vais faire, mais comment je vais faire… Douze mille euros ! Il a fallu que je perde douze mille euros au poker hier soir. Pourtant j’étais bien parti, à onze heures avec un carré de rois, à ce moment de la soirée c’est moi qui empochais huit mille euros. Mais je ne sais pas m’arrêter. J’étais certain d’avoir la baraka. Et puis ce Sicilien, là, Calderone, il m’énervait avec son air sûr de lui. Oui, eh bien en attendant, c’est à lui que je les dois les douze mille euros, et il avait l’air pressé que je lui règle ma dette. (Il fouille dans ses poches de robe de chambre.) Mais où je vais trouver douze mille euros, moi ? (Puis il fouille dans les poches de sa veste suspendue au portemanteau et trouve son porte-monnaie.) Ah ! voilà ! (Il compte.) Oui, alors évidemment sept euros cinquante-quatre, je ne vais pas aller bien loin avec ça ! Mais où je vais trouver douze mille euros ? Il veut me faire la peau si je ne le rembourse pas avant la fin de la semaine. Et bien sûr, Yolande n’en sait rien, et non seulement elle n’en sait rien mais je ne vais surtout pas lui en parler. Elle qui a horreur des jeux d’argent, il ne manquerait plus qu’elle le sache, alors là ce serait la catastrophe. C’est même sûr : elle divorcerait. (Il fouille dans les tiroirs du secrétaire.) Alors évidemment pour hier soir je lui ai dit que j’avais une conférence. (Il rigole nerveusement.) Tu parles d’une conférence ! Quatre heures et demie du matin je suis rentré. Heureusement qu’elle ne m’a pas entendu… Ah oui ! D’ailleurs, si elle me demande, je suis rentré à… disons à… onze heures trente, oui, c’est bien, ça, onze heures trente. Ah ! mais je sais ! Depuis cinq ans qu’on économise pour partir en Australie, il doit y avoir une sacrée somme sur ce compte. Combien a-t-on mis de côté en cinq ans ? (Il recherche de nouveau dans le secrétaire avec empressement.) On a ouvert un compte spécialement pour ce voyage à la banque de l’Ouest. Mais où a-t-elle rangé ces papiers de la banque ? Ah ! je vous promets, les femmes quand elles rangent on ne retrouve jamais rien !… Ah ! si, voilà ! Banque de l’Ouest… (Il cherche dans différents feuillets.) Alors mars, avril, mai… Tiens, voilà le dernier. Crédit : dix mille neuf cent soixante-quatorze euros. Eh bien, voilà ! Plus qu’à rajouter… mille vingt-six euros et le tour est joué. Sauf que cela va être dur de sortir la totalité de la somme. Yolande ne va jamais vouloir annuler notre projet pour l’Australie. Il faut que je trouve une solution. (Il brandit les feuillets tout en cherchant une solution.) Je dois…

 

 

 

Scène 2

Michel, Yolande

Entre Yolande, en train de boutonner son chemisier.

Michel - Zut ! La voilà !

Michel se sent pris en faute avec ses feuillets à la main. Il les cache derrière son dos, coincés dans la ceinture de sa robe de chambre, mais toutes les feuilles dépassent. Yolande ne l’a pas vu faire. Pendant toute la scène qui va suivre, il va se tenir face à Yolande, quels que soient ses déplacements, de façon à ce qu’elle ne puisse voir derrière lui.

Yolande - Ah ! te voilà ! Je croyais que tu étais déjà parti au lycée.

Michel (très gêné) - Non, je n’ai pas de cours le mardi matin, tu sais bien.

Elle s’approche pour l’embrasser et l’enlacer, lui se contente de l’esquiver.

Yolande - Eh bien, tu ne m’embrasses pas ?

Michel - Si, si ! (Il s’approche, laissant ses fesses en arrière, de manière à ce qu’elle ne le touche pas, et se contente d’un petit bisou du bout des lèvres.)

Yolande - Eh bien, qu’est-ce que tu as ? Tu es tout bizarre ce matin !

Michel (de plus en plus gêné) - Non, non, je n’ai rien, je t’assure.

Elle lui tourne autour en essayant de deviner ce qui se passe, et plus elle tourne, plus il lui fait face.

Yolande - Tu as des petits yeux, toi. Tu es rentré à quelle heure de ta conférence ?

Michel - Hein ? À quelle heure je suis rentré de ma conférence ? Eh ben, à la demie… à quatre heures et demie… (Se reprenant très vite.)… à dix, à onze heures et demie, oui c’est ça, à onze heures et demie.

Yolande - Parce que je me suis levée pour boire un verre d’eau à minuit et quart et tu n’étais toujours pas là.

Michel - Ah oui ! À minuit et quart, bon, j’ai dû me tromper, il devait être minuit et demi quand je suis rentré. Ah ! ben ça y est ça me revient ! Il était minuit et demi.

Yolande - Tu es sûr ? Parce que j’ai entendu du bruit, j’ai d’abord cru que c’était toi qui rentrais, finalement c’était le chat qui jouait dans la cuisine. J’ai regardé notre réveil, il était une heure zéro sept et tu n’étais toujours pas là !

Michel - Une heure zéro sept, alors ça c’est précis. Ah ! mais oui ! Je sais pourquoi ! J’ai entendu la petite pendule de l’entrée sonner la demie, alors je me suis persuadé qu’il devait être minuit et demi, alors qu’il était finalement une heure et demie. (Il fait un grand soupir côté public, soulagé de s’être sorti de son mensonge.)

Yolande - Mais chéri, ça fait deux mois que la pendule de l’entrée ne marche plus !

Michel (faisant mine de s’énerver pour essayer de sauver les apparences) - Non mais c’est un comble ça ! Être obligé de se justifier, chez soi, de l’heure à laquelle on est rentré. Mais je n’ai pas quinze ans ma chérie, je peux quand même rentrer à l’heure qui me plaît ! Tu n’es pas ma mère.

Yolande - Oh ! ça va ! Ça va ! Ne t’énerve pas comme ça.

 

 

 

Scène 3

Michel, Yolande, Elsa

Entre Elsa en trombe, prête à partir au lycée, sac sur l’épaule.

Elsa - Bonjour maman !

Yolande - Bonjour Elsa. (Bisou à sa fille, puis regardant sa montre.) Tu n’es pas en retard, toi ?

Michel profite de cet instant pour replacer les feuillets de la banque dans le tiroir du secrétaire.

Elsa - Non, non, je commence plus tard ce matin. (Allant vers son père.) Bonjour papa.

Michel - Bonjour ma puce.

Elsa - Maman, je t’ai déjà parlé de Kevin…

Yolande - À peu près deux cent soixante-quatorze fois ce mois-ci ma chérie.

Elsa - Tu m’avais promis que je pourrais vous le présenter, et à chaque fois tu repousses le moment.

Michel - Qui est ce Kevin ?

Elsa - Papa ! Tu le fais exprès, tu sais bien ! « Mon » Kevin.

Michel - Ah oui ! Celui qui fait de la moto !

Elsa - Ouais ! Même que nous avons déjà fait quelques balades très romantiques tous les deux.

Michel - Je n’aime pas trop cela ! Te savoir sur une moto, ça me fait peur. On entend parler de tellement d’accidents avec les deux-roues…

Elsa - T’inquiète pas papa, Kevin est très prudent, il ne dépasse pas le deux cent cinquante !… Non, je rigole ! En tout cas il ne fait pas le fou, je lui ai dit que sinon je ne montais plus derrière.

Yolande - Mais j’espère bien ma fille ! Au fait, ma chérie, tu ne connais pas la dernière idée de ton père ? Il veut devenir traducteur. Comme s’il n’avait pas assez de travail en tant que professeur de français !

Elsa - Toi, traducteur ! Mais quand j’étais petite, tu étais incapable de me faire réviser mon anglais. Tu ne connais pas trois mots dans la langue de Shakespeare.

Michel - Alors là tu exagères ! Je connais tout de même… (Avec l’accent américain, en comptant les mots sur ses doigts.)… un cheeseburger, un Pepsi-Cola et un milk-shake… please. Ça fait quatre !

Elsa - Oui, tu as appris l’anglais avec un certain « McDonald » c’est ça ? Tu parles peut-être mieux l’italien ?

Michel - Mais couramment ma fille. (Avec l’accent italien.) Signore ! Trois pizzas : une calzone, une minestrone et une vesuvio. Et après nous prendrons une bouteille de Chianti avec des Panzani, des Buitoni, des tortellinis et des coquillettes. (Puis sans accent.) Euh… non, pas des coquillettes !

Elsa (se moquant de lui) - Mon père a appris l’italien à la pizzeria d’en bas… Ça y est ! Je sais ! Tu traduis l’espagnol ?

Michel (avec l’accent espagnol) - Pour la corrida : Olé toro ! Chorizo ! Votre paella est excellente Signorina !

Elsa - Décidément tout pour la bouffe. Alors à part l’allemand je ne vois pas ce qu’il te reste.

Michel (avec l’accent allemand) - Schnell ! Komandantour, sabotache ! Monsieur Bouvette, monsieur Lefort, vous êtes des Grosses Filous !

Elsa - De mieux en mieux ! La « Grande Vadrouille » maintenant ! Non, allez, papa, sois sérieux ! En quelle langue pourrais-tu être traducteur ?

Michel - Eh bien, en français pardi !

Elsa - Je me doute bien que c’est en français ! Mais quelle langue veux-tu traduire ?

Michel - Eh bien, le français !

Elsa - Tu veux traduire le français en français ? Mais c’est complètement débile !

Michel - Oh non ! Mon enfant, c’est loin d’être « débile » comme tu dis. As-tu déjà remarqué comme notre langue est complexe ? D’une région à l’autre, déjà, les accents sont plus ou moins colorés. Je ne parle pas des différents patois qui ont quasiment disparu, mais de la langue française à proprement parler…

Yolande - Tu ne vas pas nous refaire ta conférence d’hier soir ?

Michel (oubliant son mensonge) - Quelle conférence ? (Se reprenant.) Ah ! ma conférence d’hier soir ! Oh non ! Penses-tu, ce serait trop long ! Tu as vu à quelle heure je suis rentré ? (Se rendant compte de son erreur.) Ah ! ben non justement t’as pas vu ! (Reprenant vite son sujet.) La langue française, disais-je, est très complexe. Chacun a son jargon, propre à son métier, propre à sa région, à son quartier ou à son niveau social. Si tu dis à un jeune des cités : « Excusez-moi de vous importuner, jeune Maghrébin, mais vous serait-il possible de m’indiquer un commerce de proximité encore ouvert dans cette charmante bourgade à une heure aussi tardive ? » Je doute fort qu’il te comprenne, je pense même qu’il sera persuadé que tu viens de l’agresser, ne serait-ce que verbalement. Il vaut mieux faire beaucoup plus sobre : « Salut man, c’est encore ouvert chez Momo ? » Et là, tu as été compris immédiatement. Si après un accident, un expert automobile te dit : « Vu la valeur vénale de votre véhicule et les préjudices subits lors de la collision, notre compagnie est aux regrets de déclarer votre véhicule inapte à la circulation routière », eh bien une traduction réduite donnera à peu près ceci : « Votre voiture ne valant déjà pas grand-chose et l’accident ayant été très violent, on va transformer votre voiture en petit cube. » Ou bien encore plus court et plus familier : « Ta poubelle, elle a cartonné grave, tu l’as dans l’os, on ne va pas te donner une tune. »

Yolande - Oui, eh bien moi je soutiens que cette idée est ridicule et que personne ne fera appel à tes services.

Michel - Détrompe-toi ma chérie ! Un autre exemple : un prévenu ne suivant pas le dialogue entre son avocat et le juge d’application des peines. (Jouant tour à tour les différents rôles, l’avocat deboutjeu avec sa robe de chambre comme une robe d’avocat – le prévenuassis mimant les menottes aux poignets lui assis à côté du prévenu.) L’avocat : « Mon client, monsieur le président, malgré une jeunesse scabreuse et des géniteurs peu scrupuleux : son père biologique se livrant chaque soir à une discipline de...

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