La Triste mine d’Hubert de Chouillac

Paris 1935.
Hubert de Chouillac, riche rentier parisien, voit sa fortune disparaître d’un coup. Dans le même temps, Maxime et Célestine, ses domestiques, gagnent une très grosse somme d’argent. Vont-ils aider leurs maîtres ou plutôt profiter de la situation pour réveiller la lutte des classes ?
Pendant ce temps, Irène, la fille Chouillac, a l’intention de se marier à un jeune artiste. Mais son père préférerait arranger un mariage plus avantageux avec Antonin, jeune inventeur, farfelu et crétin, mais riche…
Cette comédie, remplie de personnages aussi burlesques les uns que les autres, nous replonge dans l’univers parisien des années 1930.

ACTE I

 

Scène 1

Maxime, Célestine, Pauline.

Au lever du rideau, on voit Célestine, de dos, qui fait la poussière avec un plumeau dans la pièce. Derrière le bureau, caché par son journal, un homme parle des cours de la bourse.

Maxime. – Les mines d’or d’Afrique du Sud ont encore fait un bond de 24%. Ça, c’est très très bien ! J’ai fait là un très bon placement Célestine!

Célestine, au public. – Pour ce que j’y comprends à la bourse !

Maxime. – Le gaz russe augmente aussi de 17,5%, quant aux gisements pétrolifères d’Alaska, ils grimpent également en flèche. Rien qu’en une semaine, ils ont pris 29% !

Célestine. – Cela a l’air d’être une bonne nouvelle pour « monsieur » !

Maxime, replie le haut de son journal, on ne voit que sa tête. – Excellente nouvelle! Rends-toi compte, Célestine, qu’en 1 mois, la hausse atteint 47% !

Célestine. – Et alors ? C’est beaucoup ?

Maxime, se remet derrière son journal. – Tu parles si c’est beaucoup ! Mais c’est énorme ! J’ai bien fait de suivre les conseils que l’on m’a donnés !

Célestine. – Oui, mais faudrait voir « monsieur » à ne pas prendre la grosse tête, parce que ça va finir comme le crapaud qui veut devenir plus gros que la vache !

Maxime. – Non, Célestine! C’est la grenouille qui veut devenir plus grosse que le bœuf !

Célestine. – Oui eh ben c’est pareil ! Mais en attendant, il faut m’aider à finir le ménage!

Maxime, replie le haut de son journal, on ne voit que sa tête. – Non, mais dis donc ! Tu oublies à qui tu parles !

Célestine. – Non ! Je parle à mon petit mari, et il ne faudrait pas que Monsieur de Chouillac te surprenne assis à son bureau !

Maxime, replie le journal. On découvre alors Maxime avec un gilet de domestique rayé noir et jaune. – Cela ne risque rien, il est sorti avec madame à l’heure qu’il est !

Célestine. – Ce n’est pas une raison pour lire son journal avant lui !

Maxime. – Cela fait des années que je le fais et il ne s’en est jamais rendu compte!

Célestine. – Et si je lui disais ? (Elle lui tend un vase.) Tiens !

Aide-moi!

Maxime. – Tu ne ferais pas ça ?

Célestine. – Je dis surtout que tu prends tes aises ces derniers temps, et j’ai l’impression que tu dilapides notre argent !

Maxime. – Bien au contraire ma chérie, je le fais fructifier !

Célestine. – Ah oui ! Et ce billet gagnant de la loterie nationale que nous avons remporté il y a 6 mois ! 3 millions de francs, ce n’est pas rien ! Nous n’avions jamais eu autant d’argent ! Eh bien, tu as tout dépensé, je n’en ai jamais vu 1 centime!

Maxime. – J’ai placé ces 3 millions à la bourse !

Célestine. – C’est plutôt notre bourse que tu as vidée de 3 millions, et tout ça pour jouer les grands financiers !

Maxime. – J’ai suivi les conseils de « monsieur » : la bourse, c’est son rayon !

Célestine. – Oui ! Et ce n’est pas le tien ! Mais je croyais que tu n’avais pas parlé à Monsieur de Chouillac de cet argent !

Maxime. – En effet, je ne lui en ai pas dit un mot !

Célestine. – Alors, comment a-t-il pu te donner des conseils ?

Maxime. – Eh bien, tu vois, quand Monsieur de Chouillac a envie de s’exprimer, au lieu de se parler à lui-même, comme le font certains, il me sonne et me fait des confidences financières !

Célestine. – Voyez-vous ça !

Maxime. – Il m’informe sur ce qu’il faut faire ou bien éviter en matière de placements boursiers ! Pour lui, il parle à son domestique qui n’y connaît rien, cela lui permet d’extérioriser ses craintes, au lieu d’en parler à sa femme, que ça barbe royalement!

Célestine. – Ça me rassure, je ne suis pas la seule !

Maxime. – Je suis sûr qu’il pense que sa conversation ne m’intéresse pas ! Il faut dire que je réponds par des : « Monsieur s’y connaît mieux que moi en affaires », ou bien encore : « Vous avez sûrement bien fait, vous savez moi la bourse ! ». Tant et si bien que, depuis des années, sans éveiller ses soupçons, je suis devenu un expert !

Célestine. – Un expert ? Rien que ça !

Maxime. – Oui, par exemple il m’a souvent dit : « Maxime, il ne faut jamais mettre tous ces œufs dans le même panier !

Célestine. – Depuis quand c’est toi qui vas faire le marché?

Maxime. – Mais non, grande bête ! Cela signifie qu’il ne faut pas placer tout son argent au même endroit. Il faut le disperser, tu comprends ?

Célestine. – C’est bien ce que je disais, tu as dispersé nos économies!

Maxime. – Bon, je ne discute plus avec toi, tu ne comprends décidément rien à l’argent !

Célestine. – Pour l’instant, aide-moi! J’ai encore le grand salon à faire avant l’arrivée de madame! Et tu la connais, elle est toujours mal lunée !

Maxime. – Il est vrai que je préfère le caractère de monsieur !

Célestine. – Ce matin, elle m’a encore reproché de lui faire mal en la peignant : « Ce que vous pouvez être maladroite ma pauvre fille ! Comment peut-on être aussi gourde ? ».

Maxime, ironique. – Pour une fois qu’elle dit une parole censée!

Célestine. – Non, ce n’est pas drôle Maxime, tu ne vas pas t’y mettre toi aussi ! Je t’assure : j’en ai marre de Madame de Chouillac et sa mauvaise humeur !

Maxime. – Patience, ma chérie, laisse faire l’expert ! Bon ! Je t’aide un peu et puis après il faut que j’aille faire briller les chromes de la voiture de monsieur !

Célestine. – Tu la bichonnes plus que ta petite femme cette automobile!

Maxime. – C’est une belle machine ! Une Delahaye 135 carrossée par Joseph Figoni ! Rends-toi compte, le même modèle va être au départ des 24 heures du Mans en juin !

Pauline, entre. – Ah, vous êtes là tous les deux !

Célestine. – Oui Pauline, qu’y a-t-il ?

Pauline. – Maxime ! Tu peux venir m’aider?

Maxime. – Pourquoi !

Pauline. – J’arrive pas à faire partir la cuisinière !

Maxime. – Toi, tu as oublié de remettre du bois dedans ?

Pauline. – Eh ben, le feu était étouffé, alors j’ai essayé de souffler sur les braises et puis au bout de 10 minutes, j’ai arrêté, à cause que ça m’fait tourner la tête !

Maxime. – Pauline, quand on n’a pas de tête, il faut avoir du souffle ! (Il rit.)

Célestine. – Allez, sois gentil, vas-y Maxime !

Maxime. – Je t’ai déjà dit Pauline, il faut remettre du papier journal, bien froissé, et puis retirer les cendres qui empêchent l’air de circuler ! Et quand tu attises le feu, il faut souffler doucement, mais longuement!

Pauline. – Oui eh ben, j’ai eu beau souffler, souffler, j’ai pas réussi à faire partir la cuisinière ! Et moi, mon ragoût pour midi y va jamais être cuit si je le mets pas à chauffer à l’avance! (Elle est devant la porte, les mains sur les hanches.)

Maxime, se met devant elle et lui souffle sur le visage. À Célestine. – Chérie ! Tu peux venir m’aider?

Célestine. – Pourquoi ?

Maxime. – J’arrive pas à faire partir la cuisinière !

Célestine. – Qu’est-ce que tu racontes ?

Maxime, recommence à souffler sur Pauline. – Oui ! J’ai eu beau souffler, souffler, j’ai pas réussi à faire partir la cuisinière !

Célestine. – Idiot, va !

Pauline. – Ah ! C’est malin! (Elle se retourne et sort.)

Maxime. – Ah, mais si, ça marche, elle est partie! (Il sort et croise Irène qui entre dans la pièce.) Bonjour Mademoiselle Irène!

 

 

 

Scène 2

Célestine, Irène

Irène. – Bonjour, Maxime, bonjour Célestine! (Elle va lui faire la bise.)

Célestine. – Bonjour ma petite Irène. Tu m’as l’air toute joyeuse aujourd’hui !

Irène. – Oui, la vie est belle, non ?

Célestine. – Oh, toi tu as des choses à me raconter!

Irène. – Non ! Pourquoi dis-tu ça ?

Célestine. – Parce que je te vois toute sautillante dès le matin!

Irène. – Et alors, je n’ai pas le droit d’être heureuse ?

Célestine. – Bien sûr que si ! Mais moi je sais ce que signifie un enthousiasme pareil !

Irène. – Ah bon ? Et que vas-tu en déduire, madame la policière ?

Célestine. – Il est beau ?

Irène. – Pardon ?

Célestine. – Je te demande s’il est beau.

Irène, faisant celle qui ne comprend pas. – Mais de qui tu parles !

Célestine. – De lui !

Irène. – Qui ça, lui ?

Célestine. – Mais celui qui fait que tu sautilles dès le réveil, celui qui fait que tu ne quittes plus ce sourire depuis ce matin, celui qui te fait briller les yeux de cette façon !

Irène. – Mais alors là, Célestine, je ne vois pas du tout de quoi tu parles !

Célestine. – Bien sûr ma petite chérie ! Mais je te connais par cœur, Irène ! Je suis au service de tes parents depuis plus de 20 ans !

Je t’ai vue naître, je t’ai vue grandir, et je sais très bien quand tu fais ta petite innocente! Mais là, je vois que tu meurs d’envie de te confier, alors je t’écoute : comment s’appelle-t-il ?

Irène, elle hésite un moment puis se confie. – Arnold !

Célestine. – Arnold ! Et où l’as-tu rencontré?

Irène. – Aux beaux-arts ! Il est en dernière année de cours de peinture!

Célestine. – Ah un artiste ! Et tu le connais depuis quand ?

Irène. – Cela fait plusieurs semaines déjà, et je sentais des sentiments monter en moi de jour en jour...

Célestine. – Et ?...

Irène. – Et hier, il s’est déclaré!

Célestine. – Tu veux dire qu’il t’a exprimé ses sentiments!

Irène, avec enthousiasme. – Oui ! Il m’aime Célestine! C’est formidable, je ne sais pas comment te dire comme cela est fort !

Célestine. – En tout cas, ça m’a l’air sérieux ! Et toi, que lui as- tu répondu ?

Irène. – Que ses sentiments étaient réciproques! Alors nous avons longuement parlé de notre vision de la vie, de l’avenir, et je ne te cache pas qu’hier soir, j’ai eu bien du mal à m’endormir!

Célestine. – Pas de doute Irène, tu as trouvé le bon numéro !

Irène. – Maintenant, il veut rencontrer les parents, mais je lui ai dit que c’était trop tôt ! J’ai peur de la réaction de maman ! Il n’a pas encore de situation !

Célestine. – Et il va passer un diplôme à la fin de ses études ?

Irène. – Oui, il termine dans 4 mois !

Célestine. – Alors en effet, il est préférable d’attendre un peu !

Irène. – C’est ce que je me suis efforcée de lui dire, mais il a l’air très empressé !

Célestine. – L’amour demande de la patience Irène ! Explique- lui qu’il vaut mieux avoir fini ses études pour pouvoir être présenté à ta famille ! Cela éviterait qu’il ne se fasse reconduire à la porte 5 minutes après avoir fait la connaissance de tes parents !

Irène. – Ah non ! Ça, je ne pourrais pas le supporter. Si les parents m’interdisent de le voir, je quitterai la maison ! Je lui demanderai de m’enlever!

Célestine. – Ne dis donc pas de sottises, petite fille que tu es !

Irène. – C’est vrai, Célestine je le ferai !

Célestine. – Mais non, tu ne le feras pas ! Attendez donc tous les deux le moment opportun pour faire connaître vos intentions à tes parents !

Irène. – Tu as raison, Célestine, comme toujours ! Merci !

Elle lui fait la bise et sort.

 

 

 

Scène 3

Célestine, Edwige, Hubert, Maxime.

Maxime ouvre la porte pour laisser entrer Edwige et son mari Hubert de Chouillac.

Hubert. – Tenez Maxime, débarrassez-moi de tout cela! (Il prend le chapeau et le manteau de Hubert et éventuellement sa canne.)

Maxime. – Bien, monsieur !

Hubert. – Mon journal ?

Maxime. – Il est sur votre bureau monsieur !

Hubert. – Quelles sont les nouvelles de la bourse ?

Maxime. – Je ne sais pas monsieur ! Je ne me serais pas permis de lire le journal de monsieur !

Hubert. – Très bien ! Laissez-nous, je vous prie !

Maxime sort, Hubert va déplier son journal.

Edwige. – Dites donc Célestine, vous n’avez toujours pas fini de faire la poussière dans le bureau de monsieur !

Célestine. – Je finis à l’instant, madame!

Edwige. – Mais, que vous êtes lente, ma pauvre fille ! Et le grand salon ?

Célestine. – J’y vais juste après madame!

Edwige. – Comment? Ce n’est pas fait non plus ! Mais vous faites la sieste, ce n’est pas possible! Allez ! Dépêchez-vous!

Célestine. – Bien sûr, madame, j’y vais tout de suite !

Edwige. – Mais quelle empotée vous faites ! Vous n’êtes pas une bonne à tout faire, vous êtes une bonne à rien ! Je ne sais pas pourquoi on vous garde !

Célestine sort.

Hubert, lisant son journal. – Encore 24% pour les mines d’or d’Afrique du Sud ! C’est bête que j’aie tout cédé la semaine dernière!

Edwige. – Ah non ! Hubert, par pitié, tu ne vas pas me reparler encore de ta bourse, tu sais très bien que ça m’exaspère!

Hubert. – D’accord Edwige, parlons d’autre chose ! Tu sais que je vais sûrement m’associer avec Edmond de La Flotte ! Il veut racheter une grosse affaire de textile à Roubaix, j’ai étudié l’affaire, il y a de très bonnes perspectives, j’y serai de 50% !

là ! Edwige. – Je croyais que tu ne pouvais pas le sentir cet homme-

Hubert. – C’est vrai, je t’en ai déjà parlé, il est arrogant, moqueur ! C’est un ignoble personnage ! Ah ça, tu as intérêt d’être de sa condition et dans ses petits souliers sinon il te taille une réputation !

Edwige. – Alors pourquoi veux-tu t’associer avec cet ignoble individu ?

Hubert. – Eh bien, cette affaire de textile est une très très bonne affaire, une usine en pleine expansion, des bénéfices qui ne font que croître, je pense que sa valeur peut tripler d’ici 1 an !

Edwige. – Eh bien pourquoi me parles-tu de tout cela si ta décision est déjà prise ?

Hubert. – Eh bien, c’est à cause d’Irène !

Edwige. – Mais que vient faire notre...

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