ACTE I

 

Maurice est installé en terrasse. Il regarde attentivement en direction des spectateurs.

Maurice. – Ah ben ça ! C’est pas mal ! Incroyable ! Je ne les avais pas vus en arrivant mais alors là ! Je suis scié… (Il commence à compter.) Un, deux, trois, quatre… Il y en a beaucoup… Tu parles d’un tableau !

Arrivée de Mélanie, un torchon à la main.

Mélanie. – Bonjour Maurice ! Tout va comme tu veux ?

Maurice. – Bonjour Mélanie ! Dis-moi, tu vois ce que je vois ?

Mélanie. – Bien sûr ! Pourquoi ? Tu n’étais pas au courant ?

Maurice. – Ça fait longtemps qu’ils sont là ? Qui les a fait venir ?

Mélanie. – C’est Bouchardeau qui les a livrés. Pour les installer, il s’est fait aider par Pierrot, l’employé communal. Ça te plait ?

Maurice. – Il faut reconnaitre que l’idée est originale. Venir les poser sur ce rond-point, juste en face du café… Ils ne pouvaient pas trouver meilleur emplacement. Tu as vu ? Il y en a qui ont des tronches… Moi, j’aime bien celui-ci… Oh ! Et celui-là… Quand j’étais petit, on avait presque le même… Mais le nôtre était plus beau.

Mélanie, scrutant à son tour les spectateurs. – J’en vois qui ne mériteraient même pas d’être exposés tellement ils ont l’air abimé… Effectivement… Ils n’ont pas mis les plus belles pièces. Ouais… Ils ont dû avoir peur qu’on ne les vole.

Maurice. – N’importe quoi ! Qui aurait l’idée de venir voler des nains de jardin. Je vous le demande !

Mélanie. – Détrompe-toi, Maurice. De nos jours, tu sais, les gens peuvent voler n’importe quoi, même des nains de jardin.

Maurice. – Tu as peut-être raison… En y regardant de plus près, il n’y a pas que des usagés, il y a tout de même de jolies petites naines… Ah oui… De jolies petites naines que j’emporterais bien dans mon jardin.

Mélanie. – Ah non ! Si on commence à retirer les plus belles pièces. On aura l’air de quoi ? De pauvres péquenauds, comme d’habitude ? Alors, on ne touche à rien. C’est bien compris, Maurice… Pas de blagues. Il en va de la réputation de notre village. C’est bien compris ?

Maurice. – Ne te fâche pas Mélanie ! Je plaisantais. « Jeu de nain, jeu de vilain », pas vrai ? Mon père me le disait déjà : « Si tu veux réussir dans la vie, retrousse tes manches et sors les nains de tes poches », alors, tu penses bien que je ne vais pas commencer à en piquer… Maintenant, explique-moi pourquoi il en va de la réputation de notre village et surtout (désignant les spectateurs) qu’est-ce que ça fait là ?

Mélanie. – C’est à cause du jumelage.

Maurice. – Ah ! C’est donc ça ! J’avais oublié.

Mélanie. – C’est aujourd’hui que Bizouillis-les-Oies, notre beau village, reçoit la délégation corse.

Maurice. – Des Corses ! Quelle drôle d’idée ! Ce n’est pourtant pas la porte à côté.

Mélanie. – Justement, c’est bien cela qui a convaincu notre maire. Ce parfum d’exotisme, cette envie de connaitre une culture différente.

Maurice. – Ne me dis pas que c’est Jacqueline qui en a eu l’idée. Tout le monde sait bien que Madame la Maire ne quitte jamais le village. « C’est pour mieux m’occuper de mes administrés » qu’elle nous dit. Tu parles ! C’est surtout qu’elle veut tout régenter et qu’elle n’a jamais su déléguer.

Mélanie. – Le seul à qui elle prête une oreille attentive, c’est Bouchardeau.

Maurice. – Ouais… Y a même des rumeurs qui disent qu’il n’y a pas que l’oreille qu’elle lui prête. Il parait qu’elle aurait tendance à lui confier d’autres parties de son anatomie.

Mélanie. – Elle en a bien le droit, après tout, elle est veuve et peut bien faire ce que bon lui semble.

Maurice. – Ce n’est pas une raison pour prendre des décisions municipales sur l’oreiller. Tu en avais entendu parler toi de ce jumelage ? Tout s’est fait en catimini, le conseil municipal n’a même pas été consulté.

Mélanie. – C’est une idée de Bouchardeau. Il est revenu ébloui de son voyage en Corse, c’est lui qui a suggéré l’idée d’un rapprochement entre Bizouillis-les-Oies et Monicelli, le village où il résidait qui a à peu près le même nombre d’habitants que le nôtre. Je me suis laissé dire que Bouchardeau avait sympathisé avec des Corses. Il est impatient de faire connaitre Bizouillis à ses nouveaux amis.

Maurice. – Et c’est pour cela qu’il a sorti toute sa collection de nains de jardin, c’est pour leur en mettre plein la vue.

Mélanie. – N’oublie pas que Bouchardeau avec sa fabrique de nains de jardin est le premier employeur de la commune, alors s’il peut en vendre quelques-uns aux Corses, on ne va pas s’en plaindre.

Maurice. – C’est sûr qu’il ne perd pas le nord, le Bouchardeau. Il vendrait sa grand-mère et son chien, cette espèce de nanophile.

Mélanie. – De quoi ?

Maurice. – De nanophile. Ne me regarde pas comme ça, je t’explique… Un nanophile, c’est quelqu’un qui aime les personnes de petites tailles. (Désignant le public.) Tiens… Un peu comme ceux qui sont là. Le Bouchardeau, il est toujours fourré avec ses nains, donc c’est un nanophile.

Mélanie. – Maurice, ne commence pas à dire n’importe quoi.

Maurice. – Tiens ! Toi aussi, te voilà contaminée… Tu as dit : nain porte quoi. Ne me prends pas pour un nain bécile, un nain cohérent ou un nain capable… Je te le dis posément, je ne suis pas un nain pulsif mais à force de voir des nains partout, ça commence à me courir sur le haricot, par moment j’y foutrais bien le feu, eh oui… Parfois je rêve d’être un nain cendiaire, je le ferais si je ne craignais pas d’être un nain culpé.

Mélanie. – Arrête Maurice ! Tu me fais peur !

Maurice. – Je rigole Mélanie ! Tu ne vois pas que je plaisante ?

Mélanie. – Ce n’est pas drôle ! Parfois, je ne te comprends pas.

Maurice. – Je sais, je suis un nain compris.

Mélanie. – Ça suffit ! Tu m’agaces ! Tu n’es qu’un gros jaloux. Même si tu ne l’apprécies pas, tu pourrais au moins reconnaitre qu’il a du savoir-faire le Vincent Bouchardeau.

Maurice. – Ah oui ! Un certain savoir-faire dans la vanité et la bêtise. Sais-tu que l’imbécilité, ça se cultive ? Il faut juste avoir quelques prédispositions. Tu peux me croire, le Bouchardeau, il a sacrément la main verte.

Venant du bar, un plateau à la main, entrée de Ninon.

Ninon. – Et voilà, Maurice. Un saucisson. Je l’ai découpé en tranches. J’espère que j’ai bien fait.

Maurice. – Effectivement, c’est plus pratique si on veut en manger. Mais… Tu sais, Ninon… Je t’ai demandé un sauvignon, pas un saucisson.

Ninon. – Tu veux dire que je « m’ai trompée » ?

Mélanie, la corrigeant. – Je me suis trompée.

Ninon. – Ah bon ? Toi aussi ? Décidément, c’est la journée !

Mélanie. – Mais non ! Je ne me suis pas trompée, ce que je veux te dire, c’est qu’on ne dit pas : « Je m’ai trompée », mais : « Je me suis trompée ». (Insistant devant l’air ahuri de Ninon.) Je-me-suis-trompée… Tu  comprends ?

Ninon. – Bien sûr que je comprends… Ne t’en fais pas Mélanie. Ça arrive à tout le monde. Moi aussi, je « m’ai trompée »… Mais ce n’est pas grave. Pour un bout de saucisson, on ne va pas en faire un fromage, pas vrai ?

Mélanie, à Maurice. – C’est toi qui parlais de main verte ? J’ai comme l’impression que la jardinière n’est pas loin.

Ninon, regardant à droite et à gauche. – Où ça ? Il n’y a personne.

Mélanie. – Laisse tomber ! Va plutôt chercher un verre de sauvignon.

Ninon. – Et le saucisson ? Qu’est-ce que j’en fais ?

Maurice. – Ça ira très bien avec le pinard.

Mélanie, à Ninon. – Tu ne le mets pas sur la note, c’est offert par la maison. Mais fais attention, tu vas finir par ruiner le petit commerce. Allez ! Tu fais attendre le client.

Ninon. – D’accord Mélanie ! Je cours !

Mélanie. – Surtout pas, malheureuse ! Maladroite comme tu l’es, tu pourrais bien te casser une patte.

Ninon. – Tu me dis de filer et puis tu me dis de ne pas courir… Finalement, qu’est-ce que je dois faire ? Je ne sais plus, moi.

Mélanie. – Hâte-toi doucement ! Ce n’est pas compliqué à comprendre. (Ninon sort.) Cette fille va finir par me rendre folle. Elle est gentille mais elle ne comprend jamais rien.

Maurice. – Tu exagères ! Ninon, elle est charmante… En tout cas, moi, je l’aime bien.

Mélanie. – Tu parles ! à la façon dont tu la regardes, je vois bien que ce n’est pas sa matière grise qui t’intéresse en premier. Ah ! Les hommes ! Tous les mêmes !

Maurice. – Moi ? Je ne regarde rien du tout.

Mélanie. – Va faire croire ça à d’autres mais pas à moi. Ne mens pas, Pinocchio, tu as ton nez qui s’allonge.

Maurice. – N’importe quoi !

Mélanie. – Je t’ai dit d’arrêter avec tes nains !

Arrivée, côté jardin, de Pierrot. Il a un grand sac et un bâton pointu. La tête baissée, il scrute le sol et pique de temps à autre un papier ou un paquet de cigarettes vide qu’il met ensuite dans son sac.

Maurice, à Pierrot. – Alors Pierrot, la pêche est bonne ?

Pierrot. – Ah ! C’est toi, Maurice. Eh oui, je ramasse les déchets maintenant. à la mairie, ils me prennent pour un éboueur. On aura tout vu… Déjà que ce matin, il a fallu que j’aide à mettre les nains de jardin en place et ensuite j’ai dû accrocher des banderoles et des petits drapeaux, un peu partout… Il faut que tout soit nickel avant l’arrivée de nos invités, qu’elle a dit Madame la Maire… Purée ! Je n’en peux plus ! Ils vont finir par me faire crever avec leur jumelage. Jumelage, jumelage, on n’entend que ça : jumelage ! J’t’en foutrai de leur jumelage, moi !

Mélanie. – à force de trimer, tu risques de travailler au moins trente heures dans ta semaine. Mon pauvre Pierrot ! Je comprends que tu sois fatigué ! C’est vrai que tu n’es pas habitué à travailler autant !

Maurice, désignant Pierrot. – Tu vois, Mélanie, en voilà un qui ne sera pas dépaysé lorsqu’il verra les Corses arriver. (À Pierrot.) Vous pourrez parler boulot et comparer vos heures de travail. C’est sûr qu’entre Corses et fonctionnaire, vous allez vous entendre.

Pierrot. – Tout de suite les clichés ! Comme c’est original ! Et lui, il va encore nous sortir son couplet : je ne suis qu’un pauvre paysan, je bosse plus que tout le monde pour un salaire de misère…

Maurice. – C’est vrai !

Pierrot. – Arrête ! Je pleure ! Tiens, paie-moi plutôt un coup, plutôt que de dire des âneries.

Entrée de Ninon.

Ninon. – Et voilà… Un sauvignon.

Maurice. – Merci ma belle.

Pierrot. – Un sauvignon ? C’est...

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