Vous dérangez pas pour nous !

Pour attirer l’attention de leurs parents qui passent leur temps à se disputer pour des broutilles, Justine et Jérôme, aidés de leur grand-père Georges, vont s’inventer des problèmes “sur mesure” et semer une jolie pagaille dans la vie bien organisée de leurs parents. Justine se déclare enceinte et annonce que Polycarpe (chômeur, voleur…) pourrait être le père parmi les quinze prétendants possible ; Jérôme raconte qu’il s’est fait virer de son école mais qu’il a trouvé du travail chez les parents de sa “fausse” petite amie qui sont notaires et qui doivent venir se présenter cet après-midi. Pour la circonstance, et afin d’être à la hauteur, il a transformé son père, vendeur de vélos chez Décaroulon, en chef d’orchestre philharmonique. Voilà donc notre Gérard aux prises avec Mozart, lui qui ne connaît que l’intégrale d’Adamo ! Quant à Georges, il a bouclé sa valise et s’apprête à rejoindre Philomène, une adhérente du club du troisième âge qui veut, soit disant, l’accueillir sous son toit. Excellente partenaire de belote mais collante comme un boisseau de puces ! Et ça marche ! Panique à bord ! Mais voilà que Papy, l’instigateur de cette mise en scène ne maîtrise plus la situation. Tout dérape et plus rien ne se passe comme prévu. Philomène arrive sans prévenir; le faux notaire interprété par le “très légèrement amnésique” Raymond, ami de Georges, a oublié la moitié de son texte; sa femme Clotilde accumule les bourdes et sa pseudo-fille, Marie-Sophie, n’est autre que la petite amie du jeune plombier que tout le monde prend pour Polycarpe.

L’auteur de “Mauvaises pioches” et de “Larguez les amarres” signe là une nouvelle comédie de la même veine que les précédentes. Succès et rires assurés !

ACTE I

 

Un vendredi soir. Un salon-salle à manger, simple, propre, avec tout le confort, mais sans luxe particulier. À l’ouverture du rideau, Georges est assis dans un fauteuil dans la partie salon et regarde la télévision. Jérôme, son petit-fils, est assis près de lui, dans un autre fauteuil.

On entend, dans le hall de l’entrée, la porte s’ouvrir et se refermer violemment. Gérard, son gendre, entre, visiblement de très mauvaise humeur.

Georges (se retournant) - ’Soir !

Jérôme (même jeu) - ’Soir p’pa !

Gérard (accrochant sa veste au portemanteau de l’entrée, bougon) - Bonsoir ! (Il se dirige, sans les regarder, vers la table que sa femme Martine a dressée.)

Georges (blagueur, en confidence à son petit-fils) - M’est avis que ton père tient la grande forme ce soir, fiston ! S’il continue de rigoler comme ça, il va se bloquer les zygomatiques !

Martine (qui arrive de la cuisine, un plat à la main) - Bonsoir mon chéri ! Alors, ta journée s’est bien passée ?

Georges (amusé, à Jérôme) - Elle a vraiment le chic pour poser les bonnes questions ta mère !

Gérard (de plus en plus bougon) - Qu’est-ce qu’on mange ce soir ?

Martine (gentiment) - Ton plat préféré, mon trésor : des paupiettes de veau !

Gérard (planté devant elle, mains dans les poches, râleur) - Encore !

Martine (réagissant) - Comment ça, encore ?

Gérard (commençant à lâcher sa mauvaise humeur) - Tu en as déjà fait deux fois la semaine dernière ! Tu ne pourrais pas faire autre chose histoire de nous changer un peu ? Fais preuve d’imagination, bon sang ! J’en ai ras-le-bol, moi, de manger des paupiettes de veau !

Martine (dont la colère monte) - Ah ! monsieur en a ras-le-bol de mes paupiettes de veau ? Eh bien, si monsieur n’est pas content de ma cuisine, il peut toujours aller manger ailleurs ! À la cantine de sa société, par exemple… Ou chez sa mère, tiens ! (Moqueuse.) C’est sa maman qui serait contente de retrouver son grand garçon !

Georges - Et puis alors là, pour manger varié, pas de problème ! C’est mogette de Vendée six jours sur sept et des flageolets le dimanche.

Gérard (à Georges) - Vous, l’ancêtre, ne vous mêlez pas de ça !

Martine (encore plus en colère) - Gérard, laisse papa en dehors de tout ça s’il te plaît !

Gérard (avec évidence) - Eh voilà ! Eh voilà ! On ne peut plus rien dire dans cette maison sans que madame monte sur ses grands chevaux. Et tout ça parce qu’on lui dit gentiment qu’on en a marre de ses paupiettes de veau !

Martine (excédée) - Gérard, arrête s’il te plaît !

Gérard (tenant tête) - J’arrêterai si je veux ! Non mais c’est vrai, c’est un peu trop facile !

Martine (réagissant fermement) - Ah ! c’est comme ça ?

Gérard (tenant tête lui aussi) - Oui, c’est comme ça !

Martine (ouvrant la fenêtre et jetant son plat) - Eh ben, voilà… hop ! (Elle se frotte les mains et les retourne comme un prestidigitateur.) Rien dans les mains, rien dans les poches ! Parties, disparues, volatilisées les vilaines paupiettes qui ne font qu’exciter et faire plein de misères à ce pauvre Gégé.

Gérard (un peu dépité) - Alors là, c’est malin ça, tiens !

Jérôme (à son papy) - Oh ! papy, qu’est-ce qu’elle a jeté par la fenêtre ?

Georges - À mon avis, c’était le repas de ce soir, fiston ! (À Gérard.) Mais qu’est-ce que vous avez contre les paupiettes de veau ? C’est drôlement bon…

Gérard - Alors vous, le vieux débris, occupez-vous de vos oignons !

Martine - Gérard, je te défends d’insulter papa !

Gérard - Il se permet bien d’insulter ma mère en insinuant qu’elle est mauvaise cuisinière !

Georges - Moi, je n’insinue rien, je confirme, c’est complètement différent ! Donc ce n’est pas une insulte puisque c’est vrai qu’elle fait de la mauvaise tambouille vot’mère. Tandis que moi… vieux débris… alors que j’ai encore plein de beaux restes… Ça frise la diffamation !

Gérard - Écoute-le ! Non mais écoute-le ! Il croit utile d’en rajouter une couche !

Georges (à Jérôme) - Si t’avais vu ton père quand ta mère l’a rencontré ! Ça valait son pesant de nougat. Il devait bien peser dans les trente-cinq ou quarante kilos. Une grosse brute, quoi !

Gérard (se rebiffant) - Je sortais de maladie…

Georges - Taratata ! Il était maigre, et tellement maigre que les jours de tempête il sortait encordé avec ta mère de peur que le vent ne l’embarque.

Jérôme rigole.

Gérard - Ah ! c’est malin ! C’est sans doute la dernière plaisanterie du club ?

Martine (à son fils) - Ne te crois pas obligé de rire des âneries de ton grand-père.

Jérôme - J’imagine p’pa en cerf-volant et toi tirant sur la ficelle pour le ramener à terre !

Gérard (pour Georges qui se tord de rire) - Martine, fais-le taire ou je l’étrangle.

Martine (menaçante) - Tu te tais papa, sinon dès demain je t’envoie à…

Georges - … à la maison de retraite ? Comme une vieille bête ? (À Jérôme.) C’est qu’ils seraient contents de se débarrasser de moi. (Attrapant le bras de son petit-fils.) Tu ne laisseras pas ton vieux pépé partir en déportation, dis, fiston ?

Gérard - Vous avez terminé votre cinéma ?

Georges (à son gendre) - N’empêche qu’elle vous a bien nourri, ma fille, pendant toutes ces années, et qu’elle a même doublé la mise. Vous avez été bien content de les trouver ses paupiettes de veau pour arriver aujourd’hui à vos quatre-vingts kilos.

Martine (très fort) - Papa, pour la dernière fois, tais-toi !

Gérard (à sa femme) - Eh ben, on sait de qui tu tiens, toi ! Les chiens ne font pas des chats.

Martine (nez à nez avec lui) - Qu’est-ce que tu veux dire par là, Gérard ? Je ne suis pas sûre d’avoir bien compris. Tu peux répéter ?

Gérard (hautain) - Tu m’as parfaitement compris. On n’échappe pas à ses gènes !

Jérôme - Arrêtez de vous chamailler, vous n’êtes pas drôles ! Et puis je crève de faim, moi !

Gérard - Ça, mon garçon, faut voir avec ta mère ! Parce que voilà maintenant qu’elle jette les aliments par la fenêtre. (Dramaturge.) Qu’est-ce que ça peut lui fiche que ses propres enfants, en pleine croissance, piaillent à manger comme des petits oisillons affamés au bord de leur nid ?

Georges (regardant son petit-fils en riant) - Ah bon ! T’es un p’tit z’oisillon, toi ? (À Gérard.) Et le grand-père, qu’est un gros z’oisillon, il piaille aussi au bord de son nid…

Gérard (mauvais) - Il est en pleine décroissance et compte tenu de l’état de sa dentition…

Georges - Approchez donc un peu vos guiboles, j’vais vous faire une démonstration gratuite sur la solidité de mes crocs.

Gérard (reprenant sa critique dramaturge) - Madame s’en moque et préfère jeter le dîner à la rue. Et tout ça parce que son pauvre mari arrive crevé à la fin de sa semaine, harassé, croulant sous les emmerdes et qu’il a… osé… faire une très légère réflexion sur les paupiettes de veau de madame !

Jérôme - Bon ben déconnez pas, quoi ! Qu’est-ce qu’on mange ?

Martine (partant en pleurant vers sa chambre, après avoir désigné Gérard) - Demande à Bocuse !

Gérard la suit et essaie d’ouvrir la porte qu’elle a fermée à clé.

Gérard (en colère) - Martine, ouvre cette porte tout de suite, j’te dis !

Martine (off) - Nan !

Georges (le regardant faire, moqueur, à Jérôme) - Quelle autorité ! C’est impressionnant !

Gérard (se reculant) - Ouvre cette porte tout de suite ou je la défonce d’un coup d’épaule !

Georges (de plus en plus moqueur) - Faut pas le laisser faire, il va nous embarquer le mur de soutien. C’est qu’un gamin élevé toute sa vie aux fayots, ça vous fait un adulte qui pète la forme !

Jérôme - Laisse tomber p’pa. C’est pas la solution et tu risques de te faire mal.

Martine pleure.

Gérard (venant coller son oreille à la porte, tout penaud) - Martine… (Elle pleure.)

Dépité et tout penaud, Gérard redescend et sort en claquant la porte, sans un regard vers les autres.

Georges - Fais pas cette tête, fiston ! C’est ce qu’on appelle une scène de ménage !

Jérôme (un peu inquiet) - Je sais bien, oui, mais ce n’est pas la première !

Georges - Et je peux t’assurer que c’est pas la dernière non plus, crois-moi.

Jérôme - Ça t’est arrivé souvent avec grand-mère ?

Georges (souriant, se remémorant des souvenirs) - Ouh là là ! Et plus souvent qu’à mon tour.

Jérôme - Ça me fout les jetons, papy ! Tu crois que ça m’arrivera aussi d’avoir des scènes de ménage quand je serai marié ? Ça ne donne vraiment pas envie de se passer la bague au doigt.

Georges - Sûr et certain que ça t’arrivera, fiston. C’est presque incontournable… et nécessaire. Mais là, tes parents, ils poussent un peu loin le bouchon, quand même.

Jérôme - On y a droit tous les deux jours à leurs scènes de ménage, ça devient pénible.

Georges - Surtout qu’ils s’engueulent pour des broutilles. Ça vaut le coup de se mettre dans des états pareils pour des paupiettes de veau, hein ? Je te le demande ?

Jérôme (inquiet) - Ça a chauffé dur, quand même ! Et maman qui pleure dans sa chambre…

Georges (rassurant) - T’inquiète pas, fiston, les pleurs, chez les femmes, c’est comme la soupape de sécurité d’une cocotte minute : ça fait baisser la pression et ça t’évite des projections à la figure. Et puis, je le connais bien ton père. Tu vas voir qu’il ne va pas tarder à rappliquer tout penaud… (On entend la porte du hall d’entrée se refermer brutalement.) Tiens, qu’est-ce que je te disais ?

Gérard entre, tout penaud, essayant de cacher un petit bouquet de fleurs dans son dos.

Gérard - Vous ne pouvez pas regarder votre émission au lieu de me surveiller sans arrêt ?

Georges (riant, plié en quatre et se tapant sur les cuisses) - Ouaaahhh ! Vous êtes allé faire la cueillette dans le square d’à côté, histoire de prendre l’air ? On dirait un amoureux de Peynet, un jour de Saint Valentin ! (Il en rajoute.) Vous avez croisé vos paupiettes sur le bord de la route ?

Gérard - Si vous vous étiez occupé de vos affaires, tout ça ne serait jamais arrivé.

Georges (outré) - Alors ça c’est trop fort ! Dès qu’il y a un pet de travers dans cette maison c’est toujours sur moi que ça retombe.

Jérôme (prenant la défense de son grand-père) - Papy n’y est pour rien dans votre querelle.

Gérard - C’est ça, vas-y, prends la défense de ton grand-père, toi !

Georges (faussement triste) - Laisse, fiston, laisse ! J’ai l’habitude… Et c’est tellement facile de s’en prendre à un vieillard sans défense…

Gérard (à Jérôme) - Tu pourrais au moins avoir un peu de considération pour moi. Je suis ton père, tout de même…

Georges (insidieusement) - Sait-on jamais ?

Gérard (se jetant sur lui) - Alors vous le brouilleur de ménage…

Georges (se renfonçant dans son fauteuil) - Si on ne peut plus rire…

Gérard (tout timide, frappant à la porte de la chambre) - Martiiine… Ouvre-moi chériiiie…

Martine (off) - Bououououhhh ! Nan !

Gérard (se faisant tout tendre) - Ouvre, s’il te plaît ! Je ne pensais pas ce que je disais !

Martine (off) - Va-t’en ! Menteur !

Gérard (même jeu) - J’étais un peu énervé, pardonne-moi !

Martine (tout attendrie, ouvrant la porte) - Oh !… Tu es allé m’acheter des fleurs ?

Gérard (tout timide, tendant le bouquet de fleurs) - Ouiiiii !

Georges (à Jérôme) - À sa place, j’aurais rapporté des sandwiches avec quelques feuilles...

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