Week-end à Deauville

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Mettez dans une même maison un professeur de chant amoureux de la femme de son ami, un chien allergique, une myope nymphomane, un couteau électrique, un culturiste efféminé, des problèmes de bicyclette, un cartable en peau de castor, un souvenir du Touquet, agitez le tout, faites claquer les portes et les quiproquos s’enchaîneront à une cadence infernale.

 

Acte 1

 

Mélanie est seule en scène, installée derrière un pupitre sur lequel il y a des partitions.

Elle chante “L'Ave Maria” de Schubert.

Au bout de plusieurs secondes on entend le bruit d'une chasse d'eau et Simon sort des toilettes.

Simon - C'est très bien Mélanie ! J'ai tout entendu, c'était très bien !

Mélanie - Moi aussi, j'ai tout entendu. C'était moins bien.

Simon - Oh, Mélanie, je suis désolé. J'aurais dû vous faire travailler Verdi, ou Berlioz, enfin quelque chose de plus sonore.

Mélanie - Pourquoi pas la Marseillaise, pendant que vous y êtes ?

Simon - Mélanie, ne soyez pas fâchée. Quand vous êtes fâchée, vous plissez votre si joli front.

Mélanie (ravie) - Flatteur ! Il n'est pas si joli que ça.

Simon - C'est le plus joli front que je n'ai jamais vu au monde.

Mélanie - Peut-être... mais pour combien de temps encore ? Regardez, il a une petite ride, là.

Elle indique un endroit.

Simon - Où ?

Mélanie - Là. Je mets mon doigt.

Simon - Je ne la vois pas du tout.

Mélanie - Parce que j'ai mis mon doigt mais... sous mon doigt.

Simon - Oh mais elle est toute petit alors ? C'est un bébé ride. Et quand c'est si petit, on n'appelle pas ça une ride mais une risette. Votre front fait une risette.

Mélanie - Oh, Simon, vous êtes un amour !

Elle lui envoie un baiser qu'elle a posé sur le bout de ses doigts.

Simon - J'aimerais bien ! Car alors vous ne m'enverriez pas vos baisers par la poste mais directement du producteur au consommateur.

Mélanie (fâchée) - Oh, Simon !

Simon - Quoi ? Qu'est-ce que j'ai dit ?

Mélanie - Vous parlez de mes baisers comme d'une laitue.

Simon - C'est que j'ai aussi faim de l'un que de l'autre.

Il s'approche d'un pas, Mélanie recule d'autant.

Mélanie - Simon, reprenons mon cours de chant.

Simon - Mélanie, j'ai des fourmis dans les bras.

Mélanie - ça m'étonnerait, j'ai mis du produit ce matin, il n'y a plus une seule fourmi dans la maison.

Il fait encore un pas en avant, pas que Mélanie fait aussitôt en arrière.

Simon - J'ai envie de vous serrer sur ma poitrine, Mélanie.

Mélanie - Mais non, voyons, ce n'est pas du tout pratique pour chanter.

A chaque échange de réplique, ils vont ainsi se déplacer autour de la table, de façon de plus en plus rapide, jusqu'à atteindre une légère course-poursuite.

Simon - Ça fait des jours et des jours que je pense à vous, Mélanie.

Mélanie - Au travail ? C'est sérieux !

Simon - Et les nuits j'étreins mon oreiller en l'appelant par votre nom : Psitt ! Psitt !

Mélanie - C'est le nom de mon mari, nuance.

Simon - Quel nom ridicule, on dirait un éternuement. Alors je hurle votre prénom : Mélanie !!

Mélanie - Mais je vous l'interdis ! Que doivent penser les voisins ?

Simon - Mélanie, laissez-moi poser mes lèvres n'importe où, disons sur vos lèvres.

Mélanie - Je ne peux pas, Simon, j'ai mis un rouge qui déteint horriblement.

Simon - Ça m'est égal. J'aime tout en vous. Un baiser !

Mélanie - Non. Calmez-vous. Simon !

Simon - Un baiser ! Votre bouche ! Un baiser !

Mélanie - Non Simon, non ! Vous êtes fou !

Ils sont en pleine course-poursuite, Simon tentant de prendre Mélanie par la taille et Mélanie donnant des claques sur les bras de Simon  pour le repousser.

Simon - Si ! Si ! Si !

Mélanie - Non ! Non ! Non !

Soudain Clément apparaît en haut de l'escalier, il n'a qu'une pantoufle.

Aussitôt Mélanie et Simon se figent dans une attitude théâtrale et se mettent à chanter leur dialogue.

Simon (chantant) - Si ! Si ! Siiiiiii...

Mélanie (chantant) - Non ! Non ! Nooooooon...

Clément - Hé bien, qu'est-ce qui vous prend ?

Simon - Je fais travailler une scène d'opérette à ta femme. Elle est douée, tu sais.

Mélanie - Oh, pas tant que ça.

Simon - Si, si, si !

Mélanie - Non, non, non !

Clément - Oui, je reconnais les paroles. C'est dans quelle opérette, déjà ?

Simon - Quoi ?

Clément - Ce que vous chantez, là... (Fredonnant) “Si, si, siii... Non, non, nooon...”

Mélanie - Euh...

Simon - Je ne sais pas...

Clément - C'est bête, je l'ai là... (Il montre ses lèvres.)

Simon (vivement) - Hé bien justement ça s'appelle “Un baiser”.

Mélanie (précisant) - “...en copains !” “Un baiser en copains”.

Clément - “Un baiser en copains” ? Je ne connais pas.

Simon (en regardant Mélanie) - Ça ne m'étonne pas, c'est nul.

Clément - Ah bon ? Mais alors tu fais travailler des œuvres nulles à ma femme ?

Simon - Ce serait trop long à t'expliquer. C'est une technique tibétaine proche du yoga. Tu chantes mal des œuvres nulles en faisant des gestes idiots pour te dépouiller de ton emprisonnement occidental et atteindre le nirvana. C'est scientifique.

Clément - Oh ben alors, si c'est scientifique. Dis-donc, tes tibétains, ils ne connaîtraient pas une technique pour dépouiller Melba de son agressivité et lui faire accepter son remède. ça fait un quart d'heure que je joue à cache-cache avec lui.

Mélanie - Oh, le pauvre Melba ! Et qui est-ce qui gagne ?

Clément - C'est lui. Il est vautré sous la commode de la chambre avec ma pantoufle et dès que j'avance la main, soit il me mord soit il déchire un bout de ma pantoufle.

Simon (à part) - Il a la pêche Melba !

Mélanie - Quel pauvre chou ! Il est comme sa maîtresse.

Clément - Excuse-moi chérie mais tu ne m'as encore jamais saccagé de pantoufle.

Simon - Et sous la commode, vous vous y cachez régulièrement ?

Mélanie - Vous êtes bête, Simon ! Non, je veux dire qu'il ne supporte pas les médicaments, comme moi.

Simon - Et il est important, ce médicament, pour lui ?

Clément - Je veux, oui ! Tous les mois c'est la corvée. Si on oublie, 24 heures plus tard il se met à éternuer sans arrêt. Il peut en mourir.

Mélanie (éternuant) - Atchoum ! Excusez-moi mais, rien que d'en parler, je fais pareil.

Clément - Ils sont tellement proches. Dis-donc chérie, tu ne veux pas t'en occuper, toi ?

Mélanie - Moi ? Oh non, quelle horreur ! J'aurais trop de peine.

Clément - Mais puisque c'est pour son bien !

Mélanie - Brad, ne me parle pas de ça, c'est au-dessus de mes forces.

Simon - Allons puisque c'est pour son bien ?

Mélanie - Non, non, non !

Simon - Si, si, si !

Clément - Dites-donc, vous n'allez pas recommencer à répéter cette chanson ridicule ?

Simon - Donne-moi ce comprimé, je vais lui faire avaler, moi, à ton chien.

Clément - Ah mais ce n'est pas un comprimé.

Simon - Ah bon ?

Clément - Mais non ! Sinon il y aurait belle lurette que je lui aurais administré.

Simon - Mais alors c'est sous quelle forme ?

Mélanie - C'est affreux !

Simon - J'ai compris. Quand une femme dit “c'est affreux” c'est que c'est une piqûre.

Clément - Non, tu n'y es pas. Tiens !

Il lui tend une poire à lavement.

Simon - Aaaaaaaah !... En effet, je ne suis plus tellement sûr d'être qualifié.

Clément - Ah non, je vous jure, quelle comédie ! Et moi qui suis déjà en retard. (Il commence à monter l'escalier) J'y retourne. (A Mélanie) Viens m'aider !

Mélanie - J'arrive, Brad.

Clément (s'adressant à son chien) - Petit, petit, petit, vient voir papa, il a un jouet pour toi.

Mélanie va refermer la partition pendant que Clément disparaît.

Simon - Pourquoi l'appelez-vous Brad ? C'est Clément son prénom.

Mélanie - C'est pas moi, c'est tout le monde.

Simon - Mais pourquoi Brad ?

Mélanie - Parce que c'est Clément.

Simon - Je ne comprends rien.

Mélanie - Clément Psitt donc Brad.

Simon - Quoi ? Quoi ? Clément Psitt donc Brad.

Mélanie - Brad Psitt ! C'est un jeu de mots.

Simon (comprenant) - Ah ! Brad Pitt !... C'est très mauvais.

Mélanie - Vous n'aimez jamais rien.

Simon - Si, vous ! Fermez les yeux il va vous arriver quelque chose de merveilleux.

Mélanie - Quoi ?

Simon - Fermez les yeux d'abord.

Elle ferme les yeux, Simon s'approche pour l'embrasser mais au dernier moment Mélanie se penche vers le sol.

Mélanie - Oh, il reste une fourmi ! Vous avez failli l'écraser.

Elle prend la fourmi sur le bout de son doigt et la porte au jardin. Quand elle revient, Simon lui barre l'accès de l'escalier.

Simon - Embrassez-moi.

Mélanie - Encore !

Simon - Comment “encore” ? Mais vous ne m'avez jamais embrassé.

Mélanie (ironique) - Ah bon ? Je croyais.

Simon - Pas même en copain.

Elle lui attrape une main et l'embrasse.

Mélanie - Hé bien voilà qui est fait.

Elle écarte Simon et monte à l'étage.

Simon - Vous faites le baisemain à vos copains, vous ? ça fait un peu vieille France.

Mélanie lui fait une grimace coquine et disparaît.

Simon (pour lui-même) - Je deviens fou. Ah cette Mélanie ! Je suis sûr qu'elle a un faible pour moi, seulement voilà, c'est une épouse fidèle et elle n'acceptera jamais d'avoir une aventure. Elle me l'a dit, d'ailleurs. “Non, non, non”... c'est sa formule favorite, “Clément est votre ami, je ne peux pas lui faire ça. Encore, si je ne vous connaissais pas...” Quel idiot ! Pourquoi a-t-il fallu que je le rencontre, lui, avant elle ?

Il a pris les partitions et le lutrin pour les ranger quand il se retrouve  nez à nez avec une jeune femme sortie de la salle de bains. Elle est très myope, porte des lunettes à gros verres. Elle se tient raide, face à Simon et lui tend exagérément les lèvres.

Ursule - Allez-y. Moi je suis d'accord.

Simon - Quoi ?

Ursule - Allez-y, embrassez-moi, je veux bien.

Simon - Voyons Ursule, qu'est-ce qui vous prend ?

Ursule - J'étais dans la salle de bains et j'ai tout entendu. Mais je ne dirai rien.

Simon - C'est très gentil mais... on ne faisait rien de mal.

Ursule - Ma sœur est un peu coincée, moi pas du tout. Sur deux sœurs y'en a toujours une de ratée. Vous pouvez tout me demander, moi, je ne dirai jamais non.

Simon - Mais enfin, je ne vous demande rien.

Ursule - Je le sais. C'est par timidité. Vous n'osez pas. C'est pourquoi je fais le premier pas. Vous voulez que je me déshabille ?

Simon - Non, non Ursule. Pas la peine. Cette robe est très jolie sur vous, elle vous va bien.

Ursule - Ce n'est pas une robe c'est un chemisier. Regardez, il y a juste deux boutons. Si je les enlève, je suis toute nue.

Elle commence à se déboutonner mais Simon l'en empêche.

Simon - Ce ne serait pas raisonnable, Ursule. Il y a un courant d'air qui vient de par-là.

Ursule - Et ma jupe, regardez. Une fermeture-éclair, zip et... plus rien.

Elle baisse la fermeture-éclair que Simon remonte aussitôt.

Simon - Formidable, ça marche dans les deux sens. C'est beau le progrès.

Ursule - Je vous aime depuis que je vous ai vu, Simon.

Simon - Mais vous me voyez si peu, Ursule.

Ursule - Avec mes lunettes, je vous vois très bien.

Simon s'approche d'Ursule et, très rapidement, repousse les lunettes sur le dessus de sa tête.

Simon - Oui mais sans, je ressemble à n'importe qui.

Ursule - Simon ! Allez-y, je veux bien. Embrassez-moi.

Elle tend les bras à l'aveuglette, Simon lui tend le pupitre et Ursule referme amoureusement ses bras autour.

Simon - D'accord, allez-y.

Ursule embrasse amoureusement le pupitre.

Ursule - Oh Simon, ce que vous embrassez bien.

Simon - N'est-ce pas ?

Elle embrasse encore le pupitre, ce qui amuse énormément Simon.

Clément revient avec un petit panier pour chien. Il voit Ursule.

Clément - Qu'est-ce qu'elle a ?

Simon - Elle est tombée amoureuse de la musique.

Clément - Je vois.

Simon pousse Ursule dans la cuisine.

Clément - Melba ne veut rien savoir. Avec Mélanie on a réussi à l'enfermer dans son panier mais pour le lavement, rien à faire. Il bloque tous ses muscles.

Simon - Et tu as essayé avec une perceuse ?

Clément - C'est malin. Oh lala, et moi qui dois prendre le train. Je vais être en retard.

Mélanie descend avec une valise.

Simon - Tu pars ?

Mélanie - Oui Clément va à Deauville pour deux jours.

Clément - Un congrès international de dentistes. Une rencontre Nord/Sud.

Simon - Les dents du haut qui rencontrent les dents du bas.

Clément - Tu es bête avec tes jeux de mots ! Comment je fais, moi, avec Melba ?

Simon - Dépose-le chez le vétérinaire en passant. Il lui fera une piqûre pour détendre ses muscles.

Clément - Tu ne veux pas l'emmener à ma place ?

Simon - Merci bien, pour qu'il se détende dans ma voiture et me laboure les banquettes avec ses griffes. Il ne m'a jamais aimé ce chien. Non, non.

Mélanie - Si j'avais mon permis, je te rendrais ce service, mon chéri, mais avec deux leçons.

Clément - Je sais bien. Avec deux leçons on apprend tout...

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