Acte I
Un décor. L’action se passe dans un salon avec un petit canapé, une ou deux chaises et un guéridon. Côté fond jardin, un couloir donnant sur la porte d’entrée de la maison. Accrochés près de cette sortie, un interphone et un miroir. Côté avant jardin, une porte bleue donnant dans une chambre. Côté fond cour, un couloir donnant dans la cuisine et côté avant cour, une porte rose donnant dans une chambre. Au fond, un bar et un meuble où il y aura des revues, quelques livres, le téléphone, l’annuaire, etc. Au début, la scène doit être très bien rangée et personne n’est sur scène. Le rideau s’ouvre et le téléphone sonne.
Claire (entrant par la porte rose côté cour en peignoir et allant décrocher le téléphone) - Allô !… Oui, c’est bien moi… C’est vrai ?… Et il est discret comme je vous l’ai demandé ?… Mieux que cela ?… Je vous remercie infiniment… Au revoir madame. (Aussitôt après avoir raccroché le téléphone, elle s’active en rangeant les revues et autres livres, sets de table qui sont déjà très bien rangés. Elle va faire un tour dans la chambre bleue, revient et reprend le téléphone, compose un numéro.) Allô ! Zora, c’est moi… C’est moi Claire… Oui, figure-toi que l’agence vient de m’appeler, ils m’ont trouvé un colocataire très bien… Oui, un, pas une… Tu as bien entendu… Il est en route… Mais non, je peux très bien me débrouiller toute seule… Bien sûr que je te raconterai… Écoute, je ne tarde pas, il faut que je me fasse belle… Promis… Oui, bisous. (Elle raccroche et rentre dans sa chambre, porte rose. L’interphone sonne. Claire sort avec un masque sur les joues et le tube de crème dans les mains. Elle décroche l’interphone.) Allô !… Qui ?… Tom qui ?… Ah oui ! Le colocataire ! Déjà ! Patientez un instant… (Elle court dans la chambre, enlève le masque mais il reste des traces et revient en courant. Elle reprend l’interphone.) Je vous demande deux petites secondes… Comment ?… Elles sont déjà passées ? Très spirituel ! J’arrive tout de suite… (Elle court de nouveau dans la chambre, se change très rapidement et revient en tenant ses chaussures à la main. Elle reprend l’interphone.) Allô ! Je vous ouvre tout de suite… Comment ça vous reviendrez plus tard ?… Mais non, mais non, je suis prête… Ne bougez pas, j’arrive. (Elle enfile ses chaussures et va ouvrir la porte d’entrée.)
Tom (en jean délavé et une veste de treillis ; un baroudeur) - J’ai failli attendre. Dites-moi, vous faites partie de la légion ?
Claire - Pourquoi cette question stupide ?
Tom - Vous avez des traces de camouflage sur vos joues.
Claire - Pardon ?
Tom - Regardez-vous dans le miroir.
Claire (se précipite devant le miroir) - Oh ! merde ! Donnez-moi deux secondes. (Elle court dans sa chambre, porte rose, qu’elle laisse entrouverte.)
Tom - Waouh, c’est coquet chez vous.
Claire (voix off) - Chez nous !
Tom - Ouais, chez nous. Dites-moi, c’est super clean chez vous.
Claire (voix off) - Chez nous ! Vous voulez une tasse de thé ?
Tom - Du thé, non merci, par contre une petite mousse je veux bien.
Claire (revenant de sa chambre démaquillée) - Je n’en ai pas.
Tom - Ce n’est pas grave, j’irai en acheter tout à l’heure.
Claire - Rien ne vaut celle que l’on fait soi-même, je vous en ferai pour ce soir.
Tom - Vous faites votre bière vous-même ?
Claire - Je parlais de mousse au chocolat.
Tom - D’accord… (En aparté.) Je suis mal barré, moi.
Claire - Et si je vous faisais visiter avant que vous vous installiez ? Ce serait plus convenable. Donc, ici, vous avez le salon, vous pouvez y inviter vos amis, pas plus de trois à la fois. C’est une question d’espace vital pour chacun d’entre nous. Vous pouvez utiliser le téléphone mais de façon modérée. Si vous prenez une revue, vous êtes prié de la remettre dans le porte-revues. Chacun de nous fera sa cuisine. Je vous ai laissé la moitié de la place dans le frigo. Le ménage se fera à tour de rôle le samedi matin. Maintenant, suivez-moi dans la cuisine… (Elle part dans la cuisine sans se retourner.)
Tom (au public) - Je crois que ça ne va pas être possible d’habiter avec ce dragon. Je sors juste d’une histoire avec une emmerdeuse, maintenant il faut que je me coltine un dragon. Ça ne va pas le faire…
Claire (dans la cuisine, voix off) - Alors, vous venez ?
Tom - Je vais péter un câble ou je vais l’étrangler. (Il va dans la cuisine.)
Claire (dans la cuisine, voix off) - Enfin, donc là, vous avez un four électrique et là c’est une plaque à induction. (Elle ressort seule de la cuisine.) Il ne faut surtout pas mettre n’importe quelle poêle ou casserole dessus. Enfin, je suppose qu’un grand garçon comme vous sait toutes ces choses évidentes. (Elle se retourne et voit qu’il ne suit pas.) Alors, vous venez ? (Elle entre dans sa chambre à lui, porte bleue.)
Tom (sortant de la cuisine en traînant les pieds et dépité) - J’arrive. (Au public.) Je crois qu’incompatibilité d’humeur est le terme qui convient. Si elle ne la ferme pas je ne réponds plus de moi.
Claire (voix off) - Voilà votre chambre qui, je l’espère, vous conviendra. Vous ne pouvez pas vous tromper, la porte est peinte en bleu. (Elle ressort et va vers la chambre rose, ouvre la porte sans entrer.) Quand à celle-ci, porte rose, c’est la mienne. Personne n’y entre sans mon autorisation, est-ce clair ?
Tom - Pardon ?
Claire - Je dis que cette pièce est ma chambre et que je ne vous autorise pas à y entrer. Voilà, je crois que je vous ai tout dit. Si vous avez des questions à me poser, n’hésitez surtout pas. Pour le moment je dois vous laisser, je suis en retard. J’ai mis votre clef sur la commode dans votre chambre. (Elle entre dans sa chambre et revient.) Ah si ! Je ne vous ai pas dit : moi, c’est Claire. (Elle referme la porte.)
Tom - Pour moi, rien n’est clair dans ma tête. (Il se précipite sur le téléphone et fait le numéro de l’agence.) Allô ! Tom Hawack à l’appareil… Oui, je suis désolé, mais je ne vais pas pouvoir rester dans cette location… Je sais que c’est dur à trouver mais là, si je reste, je vais péter un câble… Oui, j’ai déjà beaucoup pris sur moi… C’est ça, je patiente, mais faites vite, je vous en prie… Merci. Au revoir madame Desloco.
Il ramasse son sac et entre dans la chambre bleue. Sonnerie du téléphone. Claire et Tom sortent de leur chambre respective. Claire avec son manteau et son sac sous le bras.
Claire et Tom - C’est pour moi.
Claire - C’est pour moi. Allô ! Claire Voyant, bonjour…
Tom - Claire Voyant, j’y crois pas…
Claire - J’arrive tout de suite… Je suis en retard parce que mon colocataire est arrivé en retard… Je te raconterai… Mais non, il n’est pas beau…
Tom (en aparté) - Elle se croit belle la Carabosse !
Claire - Pas du tout… Mais non ce n’est pas mon style. Je te laisse, à plus. (Elle raccroche.) Vous êtes encore là, vous ?
Tom - A priori, je suis un peu chez moi, non ?
Claire - Je rentre pour dîner. Soyez sage ! (Elle sort, porte d’entrée.)
Tom - Soyez sage ! Je n’ai plus dix ans. Je croirais entendre ma mère. (Il prend le téléphone et compose un numéro.) Allô ! Oui, c’est moi… Comment ça, moi ? Bien moi, Tom… Je vis un cauchemar… Non, l’agence m’a trouvé une colocation sympa… Oui mais pas la colocataire… Une horreur, je te dis… (On sonne à la porte d’entrée.) Il faut que je te laisse, on sonne à l’entrée… Oui, rappelle-moi quand tu veux au 02 41 28 35 43… Merci, à plus. (On sonne de nouveau.) J’arrive, j’arrive. (Il sort couloir porte d’entrée et revient avec ses invités chargés de sacs appartenant à Tom.) C’est sympa d’être venus me voir.
Lola - On est tellement contents pour nous ! Tu n’as pas eu le temps de foutre ta zone ou tu as changé ? C’est super bien entretenu. (Elle lâche les sacs à l’endroit où elle est.)
Fred - C’est qui la fée du logis ? (Il lâche les sacs à l’endroit où il est.)
Tom - Je ne suis ici que depuis quelques minutes mais je crois que je vais y rester très peu de temps parce que la fée du logis comme vous dites, c’est plutôt le genre pitbull.
Lola - Pire que Meredith ?
Tom - Meredith, c’était une sainte à côté d’elle.
Fred - Tu n’as pas toujours dit ça.
Tom - Je sais, mais on voit bien que vous ne connaissez pas celle-ci. Merci d’avoir rapporté mes affaires.
Lola - De rien, on est contents de s’en débarrasser.
Fred - Ça fait de la place à la maison. On te les met où ?
Tom - Laisse tomber pour l’instant. Vous voulez boire un coup ?
Lola - Non merci, on a rendez-vous.
Fred - Ah bon ?
Lola - Oui, j’ai oublié de te le dire mais on doit passer à l’agence immobilière.
Tom - Si vous prenez une maison plus grande, je veux bien vous sous-louer une chambre…
Lola et Fred - Non !
Lola - On t’a déjà supporté…
Fred - … accepté.
Lola - Oui, on t’a déjà accepté parce qu’on ne pouvait pas faire…
Fred - … parce qu’on le voulait bien. Je crois néanmoins que le temps est venu de nous…
Lola - … de nous séparer.
Fred - Bien sûr, si tu as des problèmes, n’hésite surtout pas…
Lola - … à nous oublier.
Tom - Ça va, j’ai compris. Il faut que je me débrouille tout seul.
Lola - C’est ça. Il faut que tu grandisses enfin.
Tom - Vous seriez d’accord pour dîner avec moi ce soir ?
Fred - O.K. Où ça ?
Tom - Ben… chez vous, j’apporte les cacahuètes et…
Lola - C’est hors de question ! Ça fait six mois que tu nous pourris la vie…
Fred - Non chérie, qu’il nous fait l’amitié de partager.
Lola - Partager, tu parles ! Je n’en peux plus de te voir glander autour de moi.
Tom - J’avais pourtant l’impression que l’on s’entendait bien tous les trois !
Lola - C’était une impression.
Fred - C’était bien, mais nous avons besoin aussi d’intimité.
Lola - Fred, tu sais bien que le mot intimité ne fait pas partie de son vocabulaire.
Fred - Comment s’appelle ton pitbull ?
Tom - Claire Voyant.
Lola et Fred - Non !
Tom - Si je vous le dis. Ce n’est pas une blague et, sur ce coup-là, je crois que c’est moi qui n’ai pas été clairvoyant.
Lola - Tu ne l’as jamais été. Bon, il faut qu’on s’en aille, hein Fred ? Je ne te fais pas la bise et je ne te dis pas à bientôt. (Elle sort, porte d’entrée.)
Fred - Tu la connais, il vaut mieux que je file. Allez gringo, sois fort. Si t’as besoin…
Tom et Fred - … On se SMS, on se maile, on se bigophone…
Tom - Je vais la mettre au pas, la Claire Voyant.
Fred - Voila une bonne parole. Sois fort !
Lola (revient sur le seuil dans la porte) - Alors, tu viens ?
Fred - Ciao ! (Ils sortent, porte d’entrée.)
Tom va ranger un seul sac dans sa chambre. On sonne à l’interphone. Il décroche le téléphone.
Tom - Allô ! Allô ! Allô ! Merde, c’est l’interphone. (On sonne à nouveau à l’interphone. Fred raccroche et se rapproche de l’interphone.) Allô !
Claire (voix off) - Enfin, mais qu’est-ce que vous foutez ?
Tom - Je pensais que c’était le téléphone alors je suis allé décrocher…
Claire (voix off) - Qui sont ces gens qui...