La Vie chante

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Le vendredi 31 décembre 1999, Michel et sa femme Irène, achèvent les préparatifs du réveillon de la Saint Sylvestre. Comme chaque année, ils reçoivent leurs enfants et leurs amis les plus intimes. Mais, cette année est particulière car, outre la projection rituelle de diapositives, Michel a l’intention de vivre, en direct, avec tous ses proches, le « bug de l’an 2000 », en se connectant à l’ordinateur.

Alors que tous attendent, avec plus ou moins d’appréhension ou d’humour, le fameux « bug », la sonnette de la porte d’entrée retentit, bien que l’on n’attende plus personne. Ce sont Marie et Myosotis, qui débarquent à l’improviste. La discussion nous entraîne alors dans les années 1970 et l’on va comprendre, petit à petit, que Marie, Myosotis et France, toutes trois disparues dans un accident de voiture, le soir du 31 décembre 1969, ne sont présentes qu’à travers la projection de leur image sous forme de diapositives et dans la mémoire de leurs proches.

Avec cette pièce, nous redécouvrons l’importance de l’imaginaire dans toute société.

PÉRIODE I

Le réveillon de la Saint-Sylvestre. 31 décembre 1999.

 

SCÈNE 1

 

La scène se passe dans le grand salon d’un appartement parisien de type haussmannien.

La pièce a été aménagée pour le réveillon de la Saint-Sylvestre, le salon d’un côté, un buffet en préparation de l’autre, quelques décorations, un projecteur de diapositives et un écran.

Irène, arrivant. – Alors, ça marche ?

Michel. – Ça roule, regarde !

On aperçoit une première diapositive.

Irène. – Tu te souviens, Michel, tu avais mis ton polo rouge ?

Michel. – Tu me l’avais offert pour mon anniversaire… C’était bien. (Il continue à faire défiler les diapos.)

Irène. – Regarde, Myosotis, la jeune fille au pair… Elle aussi nous a quittés.

Michel. – Oui, elles étaient tellement proches… Si j’avais su, Irène ! Si seulement j’avais pu savoir qu’en…

Irène. – Ce n’est pas de ta faute, Michel. C’est vrai que vos relations étaient parfois tendues. On est allés un peu loin… Mais là, ça n’était pas de ta faute.

Michel. – Je n’ai peut-être pas été un bon père avec elle… Cette période était trop difficile pour moi, tout m’échappait : mon travail, toi… Je ne l’ai pas assez aimée… Comment lui dire que je l’aime, aujourd’hui ? Si seulement je pouvais…

Irène. – Michel, arrête de culpabiliser, je suis aussi fautive que toi. Je n’ai rien vu venir, tout est allé si vite… Nous étions trop égoïstes, toi, moi, Isabelle. Allez, viens m’aider, les invités vont arriver.

Michel. – J’ai sélectionné les diapos de la campagne et celles de Paris, le fameux réveillon. Tu te souviens de notre premier appartement face à Notre-Dame ?

Irène. – Oui, c’était le bon temps, les années 70 ! (Elle chantonne « Chante la vie chante » de Michel Fugain.) Michel, tu peux mettre de la musique s’il te plaît ?

Michel. – Tu veux écouter quoi ?

Irène. – Ce que tu veux. Viens m’aider. Les enfants et les invités vont arriver d’un instant à l’autre et je ne suis pas prête.

Michel. – Finalement, je mets la radio. J’arrive. (Irène et Michel terminent les préparatifs en musique.) À minuit tapant ce soir, nous changeons de millénaire. Les scientifiques annoncent un bug sans précédent. À minuit moins dix, les trois quarts des habitants de la planète seront plantés devant leur ordinateur. Nous aussi, ce soir, nous serons tous devant, redoutant ce que certains voient déjà comme la fin du monde.

Irène. – Arrête de délirer encore ! Tu as toujours peur que la terre s’arrête de tourner ! O.K., ce soir nous regarderons l’ordinateur, mais ne nous mets pas une ambiance de merde avec ta fin du monde ! (On entend la sonnette de la porte d’entrée.) Allez ouvrir, monsieur le pessimiste, c’est peut-être un huissier…

Michel. – Très drôle. (Il sort.)

 

 

SCÈNE 2

 

On entend Michel et les premiers invités.

Michel, off. – Ça va les enfants ? Vous avez fait bonne route ? Alors Laurent, pas trop fatigué ?

Laurent, off. – Non, avec ma nouvelle Audi et son GPS intégré, tu ne te poses même plus de questions, tu te laisses « driver » comme dans un palace cinq étoiles luxe.

Isabelle, off. – Tu fréquentes les cinq étoiles luxe maintenant ? Pas avec moi en tout cas !

Michel, off. – Isabelle, ma fille chérie, ne commence pas à l’agacer.

Apparaissent en premier Isabelle et Laurent, suivis de Michel.

Isabelle. – Maman ! Ça va ?

Irène embrasse sa fille Isabelle.

Irène. – Ma fille, que je suis heureuse de te voir ! Tu as fait bonne route ?

Isabelle. – Dans le palace cinq étoiles luxe de Monsieur qui coûte la moitié d’un bel appartement à La Baule, je ne vois pas comment j’aurais pu ne pas faire bonne route !

Laurent. – Bonsoir, belle-maman ! Toujours aussi radieuse !

Irène. – Tu as changé ta voiture ?

Laurent. – Oui. En la faisant passer sur le compte de la société, à titre personnel, elle me coûte le prix d’une citadine de base, alors qu’un appartement à La Baule…

Isabelle. – Je plaisantais !

Laurent. – Tu plaisantes, mais dans le fond je me demande s’il n’y a pas un soupçon de… Et puis je n’aime pas La Baule !

Irène. – Champagne ?

Isabelle. – Qui vient ?

Irène. – Ton frère et sa nouvelle amie.

Michel. – Comment tu l’appelles déjà ?

Irène. – Sarah !

Isabelle. – Elle est juive ?

Irène. – Pourquoi ? Je ne sais pas, je ne la connais pas.

Michel. – Laurent, tu peux venir avec moi à la cave pour aller chercher le vin ?

Laurent et Michel sortent.

 

 

SCÈNE 3

 

Isabelle, à Irène. – Ça va ?

Irène. – Oui, ça va. Et toi ? Tu es toujours aussi sympa avec Laurent à ce que je vois.

Isabelle. – Maman, tu ne vas pas recommencer, je ne suis pas venue passer le réveillon ici pour m’entendre dire comment je dois me comporter avec mon mari. Entre Laurent et moi tout va bien, mais il m’agace parfois, c’est tout.

Irène. – Avec ton père c’était la même chose. Juste après le départ de ta sœur Marie, j’étais devenue insupportable. J’ai même failli le quitter… Et puis j’ai réfléchi, je me suis dit que Marie ne reviendrait jamais…

Isabelle. – Maman, s’il te plaît, donne-moi une coupe, tu veux bien ?

Irène sert le champagne, très nostalgique.

Irène. – Tchin-tchin ! On ne saura jamais où elle est partie, non, jamais. Tu te souviens, c’était le soir du réveillon, on est tous partis en soirée… Le lendemain, Marie avait disparu. Comme chaque année, ce soir on va regarder les photos de famille et on va réveillonner comme si elle était là, en pensant à elle. Elle me manque tellement ! Peut-être qu’un jour elle reviendra et m’appellera au secours comme quand elle était petite : « Maman, maman, viens me border, j’ai peur toute seule dans mon lit… »

Isabelle. – S’il te plaît, reprends-toi ! Qu’est-ce qu’on mange ce soir ? Qu’est-ce qu’on boit ?

Irène. – Pas de dîner à table cette année. Tout est servi en bouchées et ton père a sélectionné des vins sublimes. France vient dîner avec nous, elle jouera quelques morceaux de Bach. Ensuite, on regardera des diapos et à minuit pile ton père a décidé d’allumer l’ordinateur, juste avant que tout le monde s’embrasse.

Isabelle. – Pourquoi ?

Irène. – Il veut assister au passage informatique à l’an 2000, il paraît que tout peut se paralyser.

Isabelle. – C’est-à-dire… toute la terre !

Irène. – Il a même parlé de fin du monde…

Isabelle. – La fin du monde ! C’est pour le 21 décembre 2012 selon le calendrier Maya. Les systèmes peuvent bugger, mais la fin du monde c’est énorme. Et la copine de Frédéric, comment tu dis qu’elle s’appelle ?

Irène. – Sarah ! J’ai sa photo, Fred me l’a envoyée… Attends… (Elle cherche sur le bureau.) Ah ! ça y est ! Écoute ce qu’il écrit : « Maman, c’est ma nouvelle amie, je la connais depuis six mois, mais je n’ai rien dit. Qu’elle te plaise ou non, elle viendra avec moi le soir du réveillon. C’est elle et moi, ou personne, à prendre ou à laisser. Je t’embrasse. Fred. » Il ne changera jamais !

Isabelle. – Elle a l’air sympa. Enfin, j’espère qu’elle mange de tout. Bonjour, la dernière ! Je les ai invités un week-end à la maison. Elle ne mangeait rien de cru, ni légumes, ni fruits, rien… Que du poulet, et lorsque je lui ai demandé ce qu’elle prenait habituellement en entrée, elle m’a répondu avec son accent : « du pâté et du saucisson ».

Irène. – Oui, tu as raison, elle a l’air sympa… Mais qu’est-ce qu’ils fabriquent ? Il leur en faut du temps pour aller chercher du vin à la cave !

Isabelle. – Devine ! Depuis que Laurent a pris goût au vin, il en boit de plus en plus. Je crains qu’ils n’aient commencé sur les chapeaux de roues ! (On entend des rires provenant de la cave.) Tiens, qu’est-ce que je disais, les voilà qui arrivent ! Ils ont l’air joyeux !

 

 

 

SCÈNE 4

 

Michel et Laurent arrivent avec un panier rempli de bouteilles.

Michel. – Alors, on boit une petite coupe ?

Irène. – Ça a l’air d’aller vous deux !

Laurent. – Je disais à Michel que, par ma société, j’allais avoir la possibilité de me constituer une cave à moindres frais.

Isabelle. – Comme l’Audi. Et l’appart à La Baule alors ? Tu ne peux pas l’avoir à moitié prix, lui aussi ?

Laurent. – Chérie, à La Baule, on y va un mois par an. Je préfère louer ; acheter, ce serait une source d’emmerdes.

Michel. – Ça, on l’a toujours dit avec ta mère. Avec la campagne, on a déjà pas mal de frais et de soucis, alors un appartement en bord de mer en plus, non !

Laurent. – Tu vois, ton père et moi on est du même avis.

Michel. – Je n’ai pas dit ça, Laurent.

Irène. – Bon, si on allait préparer les toasts ? Tu viens, Isabelle ?

Michel. – Et nous, on va ouvrir les bouteilles pour que le vin s’aère et décante un peu.

Irène et Isabelle sortent côté cuisine.

 

 

 

 

SCÈNE 5

 

Laurent. – Bonjour la solidarité, Michel.

Michel. – N’oublie jamais qu’Isabelle est ma fille. Si vous deviez divorcer, c’est elle que je protégerais, mais je t’aime bien quand même. (Il ouvre une première bouteille.) Sens ce bouquet. Tiens, goûte ! (Il lui sert un verre.) Alors, tu en penses quoi ?

Laurent. – Qu’est-ce que ça veut dire, « si on divorce » ? Qui a parlé de divorce ?

Michel. – C’est une supposition, Laurent, ne va pas te faire des idées !

Laurent. – Annoncé comme ça, il y a de quoi !

Michel. – Alors, ce châteauneuf-du-pape, il est comment ?

Laurent. – Il est bon, il a un goût de revenez-y !

Michel. – C’est comme ton Audi cinq étoiles luxe ! Sauf que celui-là, c’est pas un dernier modèle, c’est un châteauneuf-du-pape millésime 1970, l’année des dix-huit ans de Marie. Je l’avais acheté pour elle.

Laurent. – Pourquoi vous l’ouvrez ?

Michel. – Pour fêter ses trente ans.

Laurent. – Les trente ans de Marie ?

Michel. – Non, du vin ! Marie… je ne sais pas si on la reverra un jour. En tout cas, le vin, il faut le boire. Tiens, Laurent, profitons-en, on ne sait pas ce qui pourrait nous arriver cette nuit.

Laurent. – Cette nuit ?

Michel. – Oui, à minuit tapant tous les habitants de la planète auront les yeux rivés sur les ordinateurs pour le bug de l’an 2000 ! Si ça se trouve, demain, la terre ne sera plus qu’un résidu de cailloux et nous, nous ne serons plus que des fossiles ; alors ce pinard, il vaut mieux le boire ce soir !

Laurent. – Vous êtes sûr que tout va bien, Michel ?

Michel. – Tu crois qu’elle a disparu comment Marie ? Si...

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