Au lever du rideau dans un salon, Jean, qui est guérisseur de son état, est assis et lit. Entre Fernand, brave gars de la campagne pas très propre sur lui avec un fort accent du pays. Jean et Fernand sont amis et ne se sont pas vus depuis un bon moment. Six semaines en fait ou alors un mois et demi !
Jean est seul en scène quelques secondes avant l’entrée de Fernand. Un bruit à la porte, puis Fernand entre.
Jean - Ah ! Fernand, c’est toi ! Cela fait une paye que je ne t’ai pas vu, je suis bien content que tu sois passé à la maison.
Fernand - Ah ! ouaille ! Ça fait un bon moment dis donc, Jean, mais avec mon accident accidentel qui m’est arrivé…
Jean - Tu as eu un accident et je ne l’ai pas su ! C’était quoi comme accident ? Un accident de voiture ?
Fernand - Non, ce n’est pas de voiture.
Jean - Un accident de vélo, alors ?
Fernand - Non, pas de vélo.
Jean - Un accident de moto, dans ce cas ?
Fernand - Non, pas de moto.
Jean - Un accident de tracteur ?
Fernand (qui commence à être quelque peu agacé) - Non, pas de tracteur.
Jean - Un accident d’avion ?
Fernand - Si tu les énumères tous, peut-être que tu finiras par trouver, mais ça irait plus vite si tu me laissais te le dire.
Jean - Oui, excuse-moi, vas-y, je t’écoute Fernand.
Fernand - En fait c’était un accident de à pied.
Jean - Un accident de à pied ? C’est quoi ça ?
Fernand - Eh bien c’est un accident qui arrive à pied !
Jean - Mais bien sûr, quelle logique ! Et qu’est-ce qui t’est arrivé à pied ?
Fernand - Je m’en va te raconter mon accident de à pied…
Jean - Oui, vas-y, vas-y, raconte.
Fernand - Donc voilà : il y a six semaines environ… Hein, oh oui, c’est ça, à peu près six semaines !
Jean - Oui, un mois et demi on va dire.
Fernand - Oh ! eh ! Non, pas tant que cela, non, non, pas plus de six semaines que j’te dis.
Jean - Bon, bon, d’accord, six semaines. Et qu’est-ce qui s’est passé il y a six semaines ?
Fernand - Voilà, c’était un dimanche, je revenais d’être parti me promener et v’là que j’passe devant le bistrot d’la mère Gérard, et là, saisi par la soif, j’ai été obligé de m’arrêter pour boire un canon.
Jean - Y a des choses dans ton histoire que tu as pas besoin de raconter, on les devine ; le jour où tu t’arrêtes pas chez la mère Gérard là tu le diras, ce sera pas normal, mais le fait que tu t’y arrêtes, t’as pas besoin de la dire, je le sais.
Fernand - Oui, eh bien j’avais soif, voilà tout. Et quand j’ai soif, je bois.
Jean - Le problème avec toi Fernand c’est que tu as toujours soif.
Fernand - C’est bien pour cela que je bois.
Jean - Oui, bien allez, raconte la suite.
Fernand - Donc je suis chez la mère Gérard, je bois un petit ballon et pis j’en reprends un, et pis y a le Léon qui m’en offre un, alors j’en offre un au Léon et pis y a Paul qui nous en offre un alors j’en offre de nouveau un à Paul et pis un à Léon, et pis…
Jean (qui lui coupe la parole) - Oui, c’est bon, on sait comment ça finit tes beuveries. Viens-en au fait.
Fernand - Oui, bon, donc après avoir assouvi ma soif, je sors de chez la mère Gérard.
Jean (qui rit dans ses moustaches) - Et là tu tombes et tu es dans le coma ?
Fernand - Mais non, attends, va pas si vite. Je continue mon chemin tranquillement, le ciel était d’un bleu transparent où la lueur du jour croise à la tombée de la nuit ces feux étincelants qui comme par magie de la nature illuminent les cieux d’aurores boréales.
Jean - V’là qu’tu fais de la poésie ? Eh bien, qu’est-ce qui t’ont fait à l’hôpital ?
Fernand - Arrête de m’interrompre tout le temps...