ACTE I
Le rideau s’ouvre sur un couple qui se dispute. L’homme pose sa valise sur un lit.
Christian - Je refuse ! C’est non !
Odile - Sois raisonnable ! Sans cette greffe du foie, tes jours sont comptés.
Christian - Peut-être ! Mais je ne veux pas que l’on tue Lola !
Odile - Nous l’avons élevée pour ça. Souviens-toi, quand je t’en ai parlé, tu ne voulais pas d’elle à la maison. Heureusement que j’ai insisté.
Christian - Elle vient tout juste d’avoir cinq ans.
Odile - Justement ! Le Professeur m’a dit que c’était l’âge idéal pour prélever des organes.
Christian prend dans sa valise des photos qu’il montre à sa femme.
Christian - Regarde ! C’est le jour où nous l’avons adoptée.
Odile - Adoptée bien sûr mais moyennant finance. Elle nous a coûté assez cher entre le transport et les vaccins.
Christian - Ne sois pas bassement matérialiste. Le principal est de l’avoir accueillie au sein de notre famille.
Odile - Parlons-en ! Notre fils a fait une drôle de tête lorsqu’il l’a vue arriver.
Christian - Effectivement lors du premier contact il a été surpris, mais reconnais qu’il l’a prise rapidement en affection.
Odile - Tel père, tel fils ! Il est aussi bête que toi.
Christian - Je t’en prie !
Odile - Qui se levait la nuit pour la surveiller ? Qui lui donnait ses premiers biberons ?
Christian - Veux-tu que je te décerne une médaille ?
Odile - Ce n’est pas une médaille que je veux, c’est son foie !
Christian (montre une autre photo) - Sur cette photo, c’est le jour de son premier anniversaire…
Odile - Ne cherche pas à m’attendrir ! L’opération est prévue pour demain et tu ne pourras rien changer !
Christian - Avant, je téléphone à mon avocat.
Odile - Pour quoi faire ?
Christian - Je demande le divorce et la garde de Lola !
Odile - Fais bien le malin ! Sans la greffe, tu vas tout droit au cimetière et ce n’est pas elle qui viendra pleurer sur ta tombe.
Ingrid entre dans la chambre.
Ingrid - Un peu de silence s’il vous plaît ! Vous êtes dans une clinique, pas au café du Commerce.
Odile - Excusez-nous, mais mon mari est un peu nerveux à la veille de son opération.
Ingrid - Ouais, je comprends, mais il n’est pas le seul.
Odile - Vous ne savez pas si le Professeur doit passer ?
Ingrid - Elle ne devrait pas tarder !
Ingrid sort de la chambre.
Odile - Je te préviens : si tu refuses l’opération, je tue Lola de mes propres mains et elle finira avec toi dans le cercueil.
Christian - C’est du chantage !
Le Professeur entre dans la chambre.
Le Professeur - Bonjour ! Comment se porte notre futur greffé ?
Odile - Professeur, ne m’en parlez pas ! Il ne veut plus se faire opérer.
Le Professeur - Alors monsieur Badioux ! Vous faites votre mauvaise tête ?
Christian - Je veux signer une décharge et partir d’ici !
Le Professeur - L’état de votre foie ne vous permettra pas d’aller bien loin. Si la transplantation ne se fait pas rapidement, je vous donne au maximum un mois à vivre.
Ingrid entre dans la chambre.
Ingrid - Je viens chercher M. Badioux pour le scanner.
Christian - Je n’irai pas !
Odile - Mon Cri-Cri, sois gentil avec l’infirmière.
Christian - Je ne suis plus ton Cri-Cri ! Et l’infirmière peut retourner d’où elle vient !
Le Professeur (autoritaire) - Monsieur fait la forte tête ! Ingrid, allez chercher Josette.
Ingrid, sur le pas de la porte, hurle.
Ingrid - Josette ! Viens me donner un coup de main, j’ai un patient qui fait un caprice.
Josette entre dans la chambre.
Josette - C’est lui ?
Ingrid - Oui !
Josette - On l’emmène où ?
Ingrid - Au scanner.
Elles le prennent de force, chacune par un bras, et le font sortir de la chambre.
Christian - Lâchez-moi ! Vous me faites mal !
Le Professeur (à Odile) - Excusez les manières un peu cavalières du personnel, mais sa vie est en jeu.
Odile - J’espère pour vous que tous les malades ne sont pas comme mon mari.
Le Professeur - Quelques-uns, mais cela reste des cas rarissimes.
Odile - Je ne pensais pas qu’il allait se prendre d’affection à ce point pour Lola. Ils ne se quittent plus.
Le Professeur - Elle a cinq ans, je crois !
Odile - Nous les avons fêtés le mois dernier.
Le Professeur - Nous manquons cruellement de dons d’organes et votre mari ne se rend pas compte de la chance qu’il a d’avoir la possibilité de faire prélever les organes qui lui sont nécessaires sur Lola.
Odile - Le gouvernement a eu une riche idée de faire voter cette loi.
Le Professeur - Cela n’a pas été sans mal. Autoriser les personnes possédant une maison avec terrain à élever un cochon en vue d’éventuelles greffes sur des humains, croyez-moi, il a fallu se battre.
Odile - Rassurez-moi Professeur : j’ai cru comprendre qu’il n’y avait plus de problème de rejet ?
Le Professeur - Vous touchez un point sensible. Au début les chercheurs ont utilisé des d’organes de primates.
Odile - Les primates ?
Le Professeur - Les singes si vous préférez. Mais de nombreuses études ont démontré que l’animal le plus proche de l’homme est le porc.
Odile - C’est vrai ! On dit bien que dans chaque homme il y a un cochon qui sommeille.
Le Professeur - Je ne vous le fais pas dire.
Odile - Et maintenant ?
Le Professeur - Un biologiste est arrivé à rendre compatible l’homme et le porc et maintenant ils ne font plus qu’un, supprimant ainsi tous les problèmes de rejet.
Le chirurgien Jean Bon entre dans la chambre.
Jean - Professeur ! Il faut que je vous parle.
Le Professeur - Madame Badioux, je ne vous retiens pas plus longtemps, votre mari est entre de bonnes mains, vous pourrez lui rendre visite demain après-midi.
Odile - Merci Professeur, à demain !
Odile sort de la chambre.
Le Professeur - Tu es bien nerveux, mon petit Jean ! Ferme la porte à clé, je vais calmer tes angoisses.
Jean - Je ne refuse jamais tes avances, mais pas aujourd’hui, j’ai un problème avec Badioux.
Le Professeur - Bravo ! Les malades ont plus d’importance que moi maintenant !
Jean - Mais non !
Le Professeur - Alors viens ! Donne-moi un baiser !
Jean - Quand tu auras entendu ce que j’ai à te dire sur Badioux, je te garantis que cela va calmer tes ardeurs.
Le Professeur (vexée) - Je t’écoute, mais sois bref !
Jean - Je viens de prendre connaissance de son scanner…
Le Professeur - Ne me dis pas que c’est trop tard et qu’il ne va pas passer la nuit ?
Jean - Des nuits, il va en avoir encore beaucoup.
Le Professeur - Explique-toi !
Jean - Je ne comprends pas. Entre sa dernière visite et le scanner d’aujourd’hui, en un mois, son foie s’est régénéré, il n’y a plus aucune trace de tumeur cancéreuse.
Le Professeur - C’est impossible. Tu as certainement fait une erreur de diagnostic.
Jean - Je t’assure que non ! Le radiologue m’a confirmé le bon état de santé de M. Badioux.
Le Professeur - Si les malades guérissent tout seuls à présent, où va-t-on ? C’est une clinique ici, pas une annexe de Lourdes !
Jean - Je te laisse le soin de lui annoncer la bonne nouvelle.
Le Professeur - C’est hors de question ! Je ne lui dis rien et tu l’opères comme prévu demain matin.
Jean - Tu n’as pas compris ce que je viens de te dire : il est guéri ! La greffe est inutile.
Le Professeur - Je te rappelle que le directeur nous a imposé de générer un chiffre d’affaires supérieur à l’an passé, mon petit Jean ! Alors oublie le foie de Badioux. Par contre, fais-lui une belle cicatrice et nous facturerons nos honoraires au maximum.
Jean - Pour résumer, tu me demandes de faire une fausse opération ?
Le Professeur - Je te demande si peu, tu ouvres et tu refermes.
Jean - Je ne suis pas contre, techniquement c’est facile.
Ingrid et Josette entrent dans la...