Au lever du rideau, Yoann bricole un aspirateur en panne.
Yoann - Quel bordel ! Pourquoi il marche pas ce foutu machin ? (Il appuie sur un bouton, le balai de l’aspirateur tombe au sol. Il remet le balai, le fil revient précipitamment dans le coffre.) Putain de putain de putain !
On sonne à la porte. Yoann va ouvrir. Solange apparaît.
Solange - Tiens, une tête que je ne connais pas ! (Avançant dans la pièce.) Vous êtes qui ?
Yoann - ’Jour ! Je suis Yoann.
Solange (désignant l’aspirateur) - Vous êtes diplômé des arts ménagers ?
Yoann - Elle est excellente ! Je suis musicien. Mais comme à partir du dix du mois je crie famine, je bosse à côté.
Solange - Comme il est attendrissant, ce beau garçon !
Yoann - Hé ! ho ! La mère couguar, faudrait pas se tromper d’objectif ! Je donne pas dans le point de croix !
Solange - Il veut s’en prendre une celui-là, on dirait ! Il est présent le grand chef ?
Yoann - Il vient de se réveiller, il prend sa douche.
Solange - À midi et demi ? Il fait la grasse matinée ou il enchaîne les trois-huit ? Tu peux aller le trouver et lui dire que son ex-belle-mère souhaite lui parler ?
Yoann - Vous êtes Solange Vernon ? C’est pas vrai ! Oh ! la cata ! (Il prend Solange par le bras et la ramène vers l’entrée.) Je suis pas sûr que je peux vous laisser entrer.
Solange (se dégageant) - On se calme, le gorille ! (Solange revient au centre de la pièce, pose son cabas contre le canapé.) Je vois qu’on a fait ma pub ici.
Yoann - Vous pourriez pas patienter sur le palier, le temps que je prévienne Julien ?
Solange - Et quoi encore ! Il y fait un froid de canard ! (Examinant le séjour.) Le chéri a totalement refait la déco.
Yoann - C’est top ! Vous aimez ?
Solange - Pas du tout !
Yoann (essayant de refaire démarrer l’aspirateur) - Quelle merde, cet appareil. Il a pas six mois.
Solange - Tu as dû lui envoyer de mauvaises ondes. Faut lui parler avec douceur, comme avec une femme…
Yoann - Ah oui ! C’est peut-être pour ça que je sais pas y faire…
Solange - Ah ! d’accord ! Tu es gay… (Soudain, déboussolée.) Mais alors… euh… dis-moi pour Julien, tu le… tu le fréquentes depuis longtemps ?
Yoann - Six mois. On est tout de suite devenus très proches.
Solange - C’est pas possible !
Yoann - On partage plein de choses, on se raconte toutes nos histoires…
Solange - Jamais j’aurais cru… Quel choc !
Yoann - On kiffe super ! On s’éclate un max quand on sort ensemble.
Solange - C’est fou une telle métamorphose. Tu es beau mec mais tout de même !
Yoann - Ah non ! Vous emballez pas. Julien et moi, on fusionne pas. Il aime les nanas passionnément. Hélas !
Solange - J’ai frôlé l’infarctus avec toi. Je veux bien tous les autres mais pas lui !
Yoann - Je suis un bon pote, c’est tout.
Solange (se détendant) - Avoue ! Avoue que tu fantasmes sur lui !
Yoann - Je tire la langue, oui ! Moi je vous le dis, toujours retourner son lit et jamais l’essayer, c’est très frustrant !
Solange (passant un doigt sur un meuble pour voir la poussière, narquoise) - Mon pauvre chou ! Et comme homme de ménage, tu donnes toute satisfaction ?
Yoann - Pourquoi ? Vous voulez m’embaucher ? Je vous préviens, je suis très exigeant sur le choix de mes employeurs. Les chieurs, les maniaques, les pingres, j’envoie paître ! Non, je crois pas qu’on pourrait s’entendre…
Solange - Moi non plus. Et puis j’ai déjà une personne très efficace. Et au moins quand elle me fixe, je ne sens pas d’arrière-pensée !
Yoann - On la comprend ! (Tête de Solange.) Je rigole !
Solange - Bon ! Qu’est-ce qu’il fabrique ? Tu ne veux pas aller lui demander d’accélérer ? (Tout sourires.) Tu pourrais en profiter pour lui passer le savon dans le dos…
Yoann - C’est ça ! Et je me ramasse un pain ! (À son aspirateur.) Toi le vilain, au placard ! Je viens de passer du café, je vous en apporte une tasse ?
Solange - Volontiers.
Yoann saisit l’aspirateur. Julien entre, en caleçon. Il ne remarque pas Solange.
Julien - Yoann, tu charries ! C’est le chantier dans le dressing !
Yoann (fixant Solange) - Vous avez vu la bête ? Je souffre le martyre !
Yoann sort. Julien tourne la tête, découvre la présence de Solange.
Julien - Solange ! (Bas.) Oh ! la chienlit ! (Ton normal.) Une minute ! J’enfile un peignoir !
Julien sort précipitamment.
Solange - Non mais c’était pas un problème !… Je ne te dérange pas, j’espère ?
Julien (voix off) - Devinez !
Solange - Ta gardienne, c’est plus Mme Hernandez ?
Julien (voix off) - Elle a pris sa retraite ! Pendant deux ans, on a eu Mme Rodriguez, sa nièce. Et depuis quelques mois, on a Mme De Suza, une cousine.
Solange - C’est plus une loge, c’est une succursale de l’ambassade du Portugal ! (Julien revient, vêtu d’un peignoir chic. Solange se rapproche de lui.) Ça fait combien de temps qu’on ne s’est pas vus ? Deux ans ?
Julien - Je tiens pas les comptes.
Solange - Je t’ai observé. Les plaques de chocolat ont remplacé la brioche. Tu es tout en muscles ! Bravo !
Yoann réapparaît avec un plateau et une tasse de café.
Yoann - Alors mon gars, on est heureux de revoir belle-maman ?
Julien - Quand je pense que tu m’as balancé que j’avais un super horoscope aujourd’hui !
Yoann - Le café de Madame est avancé.
Solange (buvant une gorgée et recrachant aussitôt dans la tasse) - Il est imbuvable ! Immonde !
Julien - On vous propose un thermos à emporter ?
Yoann - J’y arrive jamais, je suis un vrai blaireau ! Mais je capitule pas ! Bon ! Je me casse ou je vais être à la bourre ! Tchao !
Yoann sort.
Julien - Bien. Je vous écoute. Vous êtes venue me trouver pour une raison précise, je suppose ?
Solange - Une minute ! Je dois chasser le goût de ce breuvage infect.
Solange fouille dans son cabas et en sort une bouteille de champagne.
Julien - J’avais oublié : vous sortez jamais sans munition !
Solange - Oh ! tu oublies que je suis la digne descendante d’une illustre famille de viticulteurs ! Mes grands-parents soignaient tous leurs maux dans le raisin. Mémé, c’était château Margaux ! Pépé, c’était château Thierry !
Julien - Et vous ?
Solange - Moi, je suis un mauvais cru. Château Solange ! Un euro quatre-vingt-dix chez Leader Price ! Alors, tu le fais sauter ce bouchon ?
Julien - Je bois pas, vous le savez bien.
Solange - T’es pas normal ! Tu sais quel jour nous sommes, aujourd’hui ?
Julien - Le 21 décembre. Comment je pourrais oublier votre anniversaire ? Ils m’ont suffisamment coûté bonbon !
Solange - Justement, tu ne peux rien me refuser ! Allez !
Julien - Je bois un verre, je suis cassé ! Je supporte pas l’alcool.
Solange - Dis, je vais pas trinquer toute seule !… Ah ! je vois que tu t’es enfin décidé à installer le téléphone chez toi ! C’est pas trop tôt.
Julien - Moi, je bosse qu’avec mes portables mais ma mère a tellement insisté… J’ai fini par céder tout récemment. (Il récupère deux coupes dans un meuble. Il fait sauter le bouchon et remplit les verres.) Alors ! Qu’est-ce qui vous arrive ?
Solange - Moi, rien. C’est ma Zoé qui va très mal. Elle fait une grosse déprime.
Julien - C’est tout ?
Solange - C’est sérieux. Elle m’inquiète vraiment. Tu vois qu’elle commette une énorme bêtise ?
Julien - L’énorme bêtise, elle l’a faite en quittant un homme comme moi !
Solange - Oui ! Non ! Sans doute ! Santé ! (Julien trempe à peine ses lèvres ; elle vide sa coupe, savoure.) Que ça fait du bien !… Tu verrais ma Zoé, elle a fondu ! Elle ne s’alimente plus qu’avec des yaourts.
Julien - Natures ou aux fruits ?
Solange - Je t’en prie ! Elle a perdu onze kilos. Pour te dire, elle refuse même de faire les boutiques de Noël !
Julien - Alors là, vous avez raison : elle est très perturbée. Une accro au shopping et à la carte bleue comme elle !
Solange - Il faut absolument que tu la revoies pour lui remonter le moral.
Julien - Écoutez Solange, elle serait à l’agonie, je bougerais pas le petit doigt. C’est clair ?
Solange - Mais tu es un monstre !
Julien - Stop ! Vous semblez oublier que votre fille m’a plaqué sans aucun état d’âme. J’ai mis plusieurs mois pour refaire surface. Alors elle mange, elle mange pas, c’est plus ma préoccupation ! Je l’ai définitivement rayée de ma mémoire !
Solange - Chaton, la vie t’a vengé. Greg a plaqué mon petit ange.
Julien - Ah ! je comprends mieux le coup de blues de Zoé !
Solange - En vérité, ce type c’est pas une grosse perte. Un toquard ! Un primaire ! Une bête de sexe qui épuisait mon trésor. Au moins avec toi, elle pouvait respirer…
Julien - Euh… ça veut dire quoi exactement ?
Solange - Je veux dire qu’avec toi, Zoé avait une sexualité normale, équilibrée.
Julien (rieur) - Pas plus de cinq fois par jour !
Solange (stupéfaite) - Nom d’un chien !… Tu sais pourquoi ce crétin l’a plaquée ? À cause d’une vieille toquée pleine d’oseille ! Elle possède une écurie.
Julien - Un étalon dans un haras. Logique ! (Il rit.) Et vous le traitez d’abruti ? Il prouve au moins qu’il a le sens des affaires !
Solange - Quel gâchis tout ça ! Ma petite Zoé a beaucoup de remords, tu sais ? Allez ! Ressers-nous et que l’on lève notre coupe à vos retrouvailles !
Solange fait un geste à Julien pour qu’il remplisse les coupes.
Julien - Même si je bois pas, à une époque, j’avais envisagé d’ouvrir un magasin Nicolas.
Solange - Et tu y as renoncé en pensant que je pourrais prendre pension ! Saligaud !… Hé, tu t’es oublié !
Julien - Vous voulez m’achever ?
Solange - Du jus de fruits, des bulles, que du naturel !
Solange saisit la bouteille et remplit la coupe de Julien.
Julien - Déconnez pas ! Je vais être malade !
Solange - Arrête ton cinoche ! (Solange et Julien cognent leurs coupes et boivent.) Ton « Matisse », il est authentique ?
Julien - Comme moi !
Solange - La peinture, tu sais que c’est ma grande passion. Figure-toi que je suis folle de rage. Samedi prochain, à Drouot, ils vendent un Chagall ! Il s’agit d’une petite toile lumineuse et envoûtante. Je n’ai pas d’argent mais je la veux absolument. Je suis capable de tout pour l’acquérir ! Tu m’entends ? De tout !
Julien - De tout ? De tout quoi ?
Solange - Je n’ai aucune limite, mon lapin !
Julien - Vous m’inquiétez, là. Et je suis pas votre lapin !
Solange (se rapprochant de Julien sur le canapé, langoureuse) - Tu vois mon Julien, je suis persuadée que tu peux m’aider…
Julien (se levant d’un bond) - Mais qu’est-ce qui vous arrive la mère et la fille ? C’est quoi cette embrouille ? Vous me prenez pour une assistante sociale ? Un mécène ? Les deux à la fois ?
Solange - Pourquoi tu t’énerves ? Détends-toi. Reste zen ! Et bois donc ! C’est un bonheur ce champagne !
Julien - Je suis pas certain qu’il vous réussisse.
Solange - Tu sais que Zoé et moi, nous avons suivi toute ton actualité ? Le journaliste radio a pris une sacrée assurance. Tu es devenu fort populaire, très médiatique grâce à ton émission de jeu à dix-neuf heures, « Tournez ménages » !
Julien - Ma carrière décolle enfin ! Sans doute parce que je suis libéré de toutes contraintes. Merci Zoé de m’avoir balancé !
Solange - Quel rapport ? Ça n’a rien à voir !
Julien - Passé la période de malaise, j’ai tout optimisé. J’ai su rebondir. Dans tous les domaines, je dois dire…
Solange - J’imagine facilement.
Julien - La jungle ! Je sais plus où donner de la… Enfin, je veux dire… Tiens, un jour, j’ai même rencontré la fille de votre amie Clémentine. Vous vous souvenez d’elle ?
Solange - Cette grande gourde ?
Julien - Je vois que vous gardez un souvenir ému d’elle. Une gourde extrêmement bien gaulée. (Il jongle avec les mains.) La sœur d’Adriana Karembeu ! Rien à jeter !
Solange - Dans sa boîte, elle s’est envoyé toute la gent masculine ! Douze ! Ils sont douze ! Pas un n’a été oublié ! J’admire sa conscience professionnelle !
Julien - Je pense qu’elle a dû toucher des primes à l’effort… Et puis tant qu’on a la santé !
On sonne à la porte.
Solange - Ah non ! Non ! Je ne suis là pour personne.
Julien - Solange, vous êtes chez moi.
Solange - Ah bon ? (Regardant autour d’elle.) C’est certain…
Julien va ouvrir. Yoann...