Sœur Anne… Je vous vois venir

La proximité d’une banque va procurer quelques heures mouvementées à l’institution Saint-Gabriel, maison d’éducation huppée, tenue par des religieuses. Deux gangsters “en cavale” viennent, en effet, s’y réfugier, en attendant leur complice. La Mère supérieure, la sur tourière ainsi que M. et Mme ROSIER, parents d’élèves convoqués ce jour-là, deviennent leurs prisonniers ligotés. Ils se feront finalement piéger grâce à l’astuce de Sur Anne et à l’habileté du commissaire. Des gangsters au couvent ! Il fallait y penser. Cette idée originale constitue l’armature d’une éblouissante comédie moderne, visible par tous et vouée, sans aucun doute, à une très longue carrière.

ACTE 1

 

La scène se passe dans le parloir d’une institution religieuse. Décor sobre mais n’évoquant pas la pauvreté. Sur un mur du fond, un grand crucifix moderne. Une longue table est installée, au centre, avec quelques chaises. Dans un coin, une horloge. Un téléphone sur un petit meuble d’angle. Une grande armoire occupe un pan de mur. Deux fenêtres, avec tentures tombant jusqu’au sol. Dans un autre angle: un piano. Au lever du rideau, Mme Rosier attend calmement, assise sur une chaise. M. Rosier fait les cent pas, consulte sa montre, repart d’un pas accéléré.

 

Mme ROSIER - Emile ! cesse de tournicoter ! Tu m’agaces !

  1. ROSIER (s’arrêtant pile) - Moi ? Je tournicote ?

Mme ROSIER - Depuis un quart d’heure c’est lassant !

Mme ROSIER - Je n’ai pas l’intention de passer le reste de ma vie dans ce fichu couvent de bonnes sœurs ! Tout cela à cause de l’idiotie de « ta » fille…

Mme ROSIER - Alice est aussi la « tienne » de fille…

  1. ROSIER - La tienne ou la mienne… ou la nôtre… qu’importe ! Elle a commis la sottise de ridiculiser publiquement Mademoiselle de Vastogne !

Mme ROSIER - Une belle pimbêche, celle-là !

  1. ROSIER - Ce n’est pas à toi d’en juger. Elle est la fille d’un homme politique dans le vent, et, à ce titre, à droit à tous nos égards.

Mme ROSIER - Ça… c’est ton point de vue…

  1. ROSIER - Le seul qui soit valable. Je raisonne, moi !

Mme ROSIER - Comme un tambour !

  1. ROSIER - En usant d’un peu d’adresse et de diplomatie, elle aurait pu s’en faire une amie… dans notre intérêt, bien entendu ! C’est ce que j’aurais fait, à sa place…

Mme ROSIER - Dieu merci ! « Ma » fille ne te ressemble pas. Elle est plus spontanée qu’opportuniste…

  1. ROSIER - C’est justement ce que je lui reproche.

La porte du fond s’ouvre brusquement. Une jeune soeur d’une petite trentaine d’années entre, elle porte une jupe gris clair et un chemisier rose, sur ce chemisier, une petite croix. Elle est jolie et d’allure sportive.

SŒUR ANNE - Oh ! pardon… je ne savais pas que le parloir était occupé.

Mme ROSIER (se levant) - Mais, je vous en prie, mademoiselle…

SŒUR ANNE - Je suis Sœur Anne. Bonjour madame !

  1. ROSIER (d’un ton désagréable) - Votre Supérieure a l’intention de nous faire poireauter longtemps encore ?

Mme ROSIER - Emile ! Je t’en prie…

La Sœur semble à la fois agacée et embarrassée.

Mme ROSIER - C’est nous qui sommes en avance, ma  Sœur…

SŒUR ANNE - Vous avez rendez-vous à quelle heure ?

Mme ROSIER - A quinze heures trente.

SŒUR ANNE - Oui, bien sûr: à cette heure-là Mère Supérieure a terminé son cours de français.

  1. ROSIER (toujours désagréable) - Eh ! bien, moi, ce sont les cours de la bourse qui m’intéressent. Il faut que je sois à mon bureau au plus tôt.

La Sœur s’apprête à sortir, puis, au dernier moment s’adresse à Mme  Rosier.

SŒUR ANNE - Vous êtes la maman d’Alice ?

Mme ROSIER (un peu surprise) - Oui.

SŒUR ANNE - Mère Supérieure n’accorde un rendez-vous en pleine semaine que pour des choses importantes…             Or, comme Alice vient d’être mise à pied, j’en déduis que vous êtes ses parents ?

  1. ROSIER (ironique) - Vos conclusions sont rapides, ma  Sœur !

SŒUR ANNE (de plus en plus agacée ignore M. Rosier et se tourne vers Madame) - Alice vous ressemble beaucoup, madame…

  1. ROSIER (sarcastique) - L’enquête continue !

SŒUR ANNE (sèchement) - Excusez-moi, monsieur, si je parais indiscrète, mais Alice parle si souvent de sa mère… Je suis très heureuse de la connaître enfin.

Mme ROSIER - Ah ! elle parle de moi… ? Que dit-elle ?

SŒUR ANNE - Une expression un peu enfantine revient souvent sur ses lèvres, « J’ai la plus gentille des mamans », me dit-elle…

  1. ROSIER (même jeu) - Et vous voudriez savoir si c’est vrai ? Ma parole ! ma Sœur… au lieu d’entrer au couvent vous auriez pu entrer à la P.J. Vous aviez des dispositions !

SŒUR ANNE - Pourquoi pas, cher monsieur ? D’autant plus que de sûrs appuis m’étaient d’avance assurés.

  1. ROSIER (surpris) - Des appuis ?

SŒUR ANNE - Mais oui… Mon père est l’un des principaux Commissaires Divisionnaires de Paris…

  1. ROSIER (semble vivement intéressé. Il s’approche de Sœur Anne et s’adresse à elle d’un ton doucereux contrastant avec le ton précédent) - Non ? Ce n’est pas possible ? J’ai peut-être déjà eu le privilège de le rencontrer ? Quel est son nom ?

SŒUR ANNE - Commissaire Dachan.

  1. ROSIER (après une courte hésitation) - Ah ! très très bien ! Je l’ai rencontré, en effet… Vous devez être fière de lui. Il a réalisé plusieurs coups de filets sensationnels. Je connais quelques-uns de ses collaborateurs. Ils m’ont dit souvent quel homme charmant il était…

Il accompagne servilement Sœur Anne qui se dirige vers la porte.

SŒUR ANNE (s’arrêtant sur le seuil, lui décoche d’un ton malicieux) - Vraiment ? Vous m’étonnez, monsieur… A la P.J. mon père a un surnom. On l’appelle « La Vache Bougonnante » ! Au revoir… Madame Rosier… (Elle sort.)

Quelques instants de silence. M. Rosier vient s’asseoir auprès de sa femme et réfléchit.

Mme ROSIER - Tu viens de te rendre ridicule, mon ami.

  1. ROSIER - Pouvais-je deviner que cette péronnelle de bonne sœur est la fille du commissaire Dachan… (Pensif.) Curieuse coïncidence…

Mme ROSIER - Comment ça… une coïncidence ?

  1. ROSIER (préoccupé) - Oh ! rien… rien…

Mme ROSIER - Elle est quand même bien gentille, cette petite sœur !

  1. ROSIER - Gentille ou non, elle m’agace !

La porte s’ouvre. Paraît une soeur grande et mince, l’air imposant. Corsage gris, voile, croix sur la poitrine, bas fins, souliers noirs élégants, tailleur gris de très bonne coupe, petit voile.

  1. ROSIER - Ah ! Enfin…

LA SUPERIEURE - Bonjour madame, bonjour, monsieur…

Elle lui serre la main. Ils s’assoient tous les trois.

LA SUPERIEURE - La Sœur portière m’apprend que vous êtes là depuis une demi-heure… Me serais-je trompée, vous aurais-je indiqué quinze heures au lieu de quinze heures trente ?

M.Rosier s’apprête à répondre, mais Mme Rosier est plus rapide que lui.

Mme ROSIER - Non, non, Mère Supérieure… nous nous sommes trompés… (M. Rosier semble ne pas être de cet avis.)

LA SUPERIEURE - Je vous ai fait venir car je voulais vous parler sérieusement de votre fille…

  1. ROSIER (sèchement) - Il eut été préférable de nous consulter avant de prendre la décision de la mettre à pied. Savez-vous qui je suis, Mère Supérieure ?

LA SUPERIEURE (un peu ironique) - Evidemment… J’ai votre dossier. (Appuyant sur le titre.) Monsieur le Président Directeur Général de la Société Supersol…

  1. ROSIER - Ah ! bon…

LA SUPERIEURE - Mon intention première était de vous aviser. J’ai tenté, en vain, de prendre contact avec vous, hier, toute la journée, par téléphone… Mais votre secrétaire a fait barrage…

  1. ROSIER - Elle appliquait strictement mes instructions. Certains jours, il m’est indispensable d’avoir le calme le plus absolu pour travailler…

LA SUPERIEURE - Alors, ne m’en veuillez pas si j’ai pris sans plus attendre la décision qui s’imposait.

  1. Rosier se tait, l’air bougon.

Mme ROSIER - Que s’est-il passé, Mère Supérieure ?     Est-ce donc si grave ?

LA SUPERIEURE - Depuis quelques temps, chère Madame, votre fille a une conduite incompréhensible. Bien des jeunes, de nos jours, ont des attitudes contestataires, mais Alice semble avoir des méthodes bien à elle…

  1. ROSIER - Ma fille ? contestataire ! Vous me surprenez, ma Mère ! A la maison, elle est on ne peut plus docile. C’est dans son intérêt, d’ailleurs, car je suis le maître chez moi. Une gamine de seize ans doit obéir et se taire !

Mme ROSIER - Mon mari est très sévère, en effet… trop sans doute. Alice éprouve peut-être le besoin de s’affirmer ici… ce qui expliquerait son attitude.

LA SUPERIEURE - Je suis en général fort indulgente envers les jeunes… mais Alice a mis à rude épreuve les nerfs de tous les professeurs. La nature l’a dotée d’un sens de l’humour parfois difficile à supporter… Jamais elle n’élève la voix et jamais on ne peut lui reprocher quelque impolitesse. Mais…       elle choisit adroitement ses cibles, puis, à coups de langue, elle les abat.

Mme ROSIER - Oh ! mais… ça ne lui ressemble pas !

LA SUPERIEURE - Voici ce qui a motivé ma décision: Alice a été chargée par son professeur d’histoire d’une étude sur la descendance de Napoléon.

  1. ROSIER - Drôle d’idée !

LA SUPERIEURE - Son exposé fut précis et non dépourvu de talent.Mais elle eut, pour conclure la fâcheuse idée de mettre en doute la légitimité des descendants de la famille Vastogne.

  1. ROSIER - C’est inouï ! Chacun sait que la noblesse des Vastogne remonte au moins… euh… à St-Louis !

LA SUPERIEURE (avec un sourire) - Oui… si vous voulez. Mais, par malice, votre fille, qui n’a guère de sympathie pour mademoiselle de Vastogne, a prétendu avoir découvert des documents inconnus de l’époque Napoléonienne, prouvant que les Vastogne d’aujourd’hui n’étaient que des usurpateurs.

  1. ROSIER - Mais… ces documents existent-ils ?

LA SUPERIEURE - Non, bien entendu ! Alice n’en étant pas à sa première supercherie pseudo-historique du même genre, j’ai du sévir… à mon grand regret…

  1. ROSIER - Quelle idiote ! non, mais… quelle idiote ! Pas un seul instant elle n’a pensé au bénéfice qu’elle pouvait tirer de la fréquentation de cette demoiselle de Vastogne… Moi, à sa place…

Mme ROSIER - A sa place, dis-tu ? Justement ! Cela ne te frappe pas qu’elle adopte une attitude diamétralement opposée à la tienne ? Son comportement devrait t’éclairer sur la façon dont elle te juge !

  1. ROSIER - Une fille ne doit pas juger son père… Moi, à son âge…

Mme ROSIER - Oh ! toi… tu retardes d’une époque.       De nos jours, une fille de seize ans juge ses parents…

  1. ROSIER - Je lui ferai passer cette envie. Je te le jure ! Comment ? Je travaille comme un dingue pour lui donner tout ce qu’elle désire… Je la mets dans l’une des institution des plus huppées de la Capitale - une institutions religieuse, qui plus est, alors que, moi, je ne crois ni à Dieu ni à diable… Elle aura une dot qui lui permettra d’envisager le plus beau des mariages… Et, pour me récompenser, mademoiselle se met à dos l’une des plus riches héritières… Ah ! elle va me payer ça !

LA SUPERIEURE - Calmez-vous, monsieur, je vous en prie. Cet incident mis à part, Alice nous a donné satisfaction entière pendant de nombreuses années.

  1. ROSIER - Oh ! vous, je vous retiens. Si vous aviez eu deux sous de jugeote vous auriez passé cet incident sous silence. Désormais, Mademoiselle de Vastogne et sa famille vont nous écraser de toute leur hauteur.

Un coup de pied violent est donné dans la porte du fond. Elle s’ouvre toute grande livrant passage à une soeur d’un certain âge, les bras en l’air, complètement affolée. C’est Soeur Thérèse. Elle est habillée en gris foncé - mi-long - porte un voile assez long, des bas noirs ou gris, des souliers noirs.

SŒUR THERESE - Ma mère… Ma mère ! Oh ! Ma Bonne Mère !

Elle se précipite vers la Supérieure: deux hommes imposants la suivent. Ils portent un foulard sur le visage et brandissent tous deux un revolver. La Supérieure s’est levée, sans perdre son calme. Mme Rosier semble soudée à sa chaise. Quant à M. Rosier, il recule lentement vers les tentures. Les deux bandits ôtent leurs foulards.

LA SUPERIEURE - Mais enfin, Sœur Thérèse, que se passe-t-il donc ?

SŒUR THERESE (que Mère Supérieure fait asseoir avec beaucoup de gentillesse) - Je ne sais pas, ma Mère… On a sonné… j’ai ouvert… et j’ai vu… j’ai vu… ces deux individus… Ils me tenaient en joue avec leurs… avec leurs instruments…

ALBERT - Avec nos flingues, quoi…

SŒUR THERESE - Leurs… mais non !

ROMUALD (beaucoup plus courtois) - Nos revolvers…

SŒUR THERESE - Oui, c’est ça… leurs revolvers…               (A Romuald, innocemment.) Merci monsieur ! Ils m’ont dit « Cachez-nous en vitesse et surtout pas un mot, pas un cri… ou gare ! » Alors je leur ai dit que je ne pouvais pas prendre une telle décision et que je devais en référer à Mère Supérieure… Oh ! ma mère ! Ils ont répondu… Non ! je n’ose pas le répéter…

ALBERT - Ben quoi… on a dit…

ROMUALD (rectifiant) - Pardon: « tu as dit » !

ALBERT - Ouais… J’ai dit qu’on s’en...

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