Acte 1
Scène 1 : Jérémy, Nicolas.
Lorsque le rideau se lève, Jérémy, seul en scène, est en train de ranger son appartement. On sonne.
Jérémy. — Ça y est, la voilà !
Il ouvre la porte, c’est son ami Nicolas.
Nicolas. — Salut, vieux !
Ils se font la bise.
Jérémy. — Ah ! Merde, c’est toi ! Qu’est-ce que tu fous là ?
Nicolas, déçu. — Sympa, l’accueil !
Jérémy. — Excuse-moi, mais je ne t’attendais pas !
Il jette un œil sur le palier avant de refermer.
Nicolas, souriant. — Tu regardes si j’ai été suivi.
Jérémy. — Ben non ! T’es nul !
Il regarde de nouveau sur le palier à droite et à gauche.
Nicolas. — T’as peur des voleurs ?
Jérémy, refermant la porte. — Hein ! Mais non ! En fait, j’attends quelqu’un d’autre !
Nicolas. — Qui ça ? Agathe ?
Jérémy. — Ah non ! Parle pas de malheur ! Elle est remontée chez elle !
Nicolas enlève son blouson et le pose sur une chaise.
Nicolas. — T’as un truc à boire, là ?
Il s’installe sur le canapé.
Jérémy. — Non, non, j’ai plus rien ! (Trouvant un prétexte.) Il faut que je fasse des courses ! Écoute, je suis désolé, Nico, tu ne peux pas rester !
Il lui rend son blouson.
Nicolas. — Ah ! Oui, d’accord ! Tu me jettes, c’est ça ?
Jérémy. — Mais non Nico, j’ai rencard dans un instant, puisque tu veux tout savoir !
Nicolas. — Une nana ?
Jérémy. — Oui !
Nicolas, complice. — Jolie ?
Jérémy. — Je n’en sais rien !
Nicolas, étonné. — Comment ça, tu n’en sais rien ! (Il pense avoir trouvé.) Ah, oui ! Ça y est ! C’est un plan sur internet ! Genre : site de rencontre. (Il rigole.) Oh, oh ! J’le crois pas ! Toi, sur Meetic ! Trop drôle ! Je l’aurai jamais cru !
Jérémy, fronçant les sourcils. — Mais non ! Arrête tes conneries ! J’ai un plan pour me débarrasser d’Agathe !
Nicolas. — Ah carrément ! Et quand tu dis débarrasser, tu veux dire supprimer ton ex ? Tu veux faire comment ? La découper en morceaux ? La dissoudre dans de l’acide ?
Jérémy. — Ben non, quand même pas ! Il est con, lui !
Nicolas. — C’est surtout très bête quand ton ex, Agathe, habite deux étages au-dessus de chez toi !
Jérémy. — Ne m’en parle pas ! Ce que je veux surtout, c’est qu’elle m’oublie, qu’elle me laisse tranquille ! Ça fait deux ans qu’elle me gave : (Imitant Agathe.) « Mon amour, ce serait bien si on se mariait ! » Non, mais, tu me vois, moi, la bague au doigt ! Quand c’est pas ça, c’est : « Chéri, fais-moi un enfant ! » Tu me vois avec un gosse ! Moi, le fils unique qui a horreur des gamins ! Au secours ! Le mariage, les mômes, elle ne parle que de ça ! J’arrive plus à m’en dépatouiller de cette nénette ! (Suppliant.) Tu veux pas me la prendre, dit Nico ?
Nicolas. — Tu te rends compte de ce que tu me demandes, Jérémy ?
Jérémy. — Quoi ?
Nicolas. — Alors monsieur ne veut plus de sa gonzesse, alors il me la refile comme on se débarrasse d’un vieux sweat troué ! Merci du cadeau !
Jérémy. — C’est chiant les filles, en fait. J’aurais dû prendre un chien ! Au moins, on peut l’abandonner quand on n’en veut plus !
Nicolas, outré. — T’es ignoble, Jérémy !
Jérémy. — Bon, c’est pas que tu m’ennuies, mais elle va arriver, là !
Nicolas, réalisant. — J’ai compris ! Tordu comme tu es : tu veux qu’Agathe te surprenne en flagrant délit, couché avec une belle blonde pulpeuse !
Jérémy. — Ça ne suffirait même pas ! Il faut que je le fasse beaucoup plus élaboré que ça mon plan !
Nicolas. — Vas-y ! Explique !
Jérémy. — J’ai pas le temps Nico, si ça se trouve, elle…
On sonne.
Nicolas. — Aaaah ! Voilà miss internet ! Une princesse ! J’imagine : un mannequin, un mètre quatre-vingts, une longue chevelure blonde, des talons aiguilles, une taille de guêpe et des seins énormes. (Il mime avec ses mains.) Blanche-Neige, mais en plus sexy !
Jérémy. — Chut ! Tais-toi ! Elle va t’entendre ! Elle est juste derrière la porte !
Nicolas, moqueur. — Et ben ! Tu ne vas pas t’embêter mon cochon ! Méfie-toi, si ça se trouve, c’est un travelo. (Il prend une voix très grave.) Salut ! Je m’appelle Robert ! (Il rit.) Ah ah ah !
Jérémy. — Chut ! J’ouvre la porte, mais tu ne fais pas de gaffes ! Tu t’en vas bien gentiment !
Nicolas. — Laisse-moi d’abord voir la princesse aux gros roploplos !
On sonne à nouveau.
Scène 2 : Jérémy, Nicolas,
Mlle Pigaufray, Sandrine.
Jérémy ouvre la porte et se retrouve derrière, caché par le battant. Sur le palier, une petite femme à grosses lunettes et imperméable. Pas attrayante du tout. Genre vieille fille aigrie. Elle tient une sacoche et une valise.
Mlle Pigaufray, à Nicolas. — Bonjour ! Je suis bien chez monsieur
Jérémy Dodin ?
Nicolas. — Oui ! Je vais voir s’il est là ! (Il referme la porte sur le nez de Mlle Pigaufray.) Jérémy, tu attendais Blanche-Neige : ils t’ont envoyé la sorcière !
Jérémy, fronçant les sourcils. — Mais qu’est-ce que tu racontes ?
Nicolas, moqueur. — Va falloir être courageux, mon vieux ! C’est un défi, mais tu vas y arriver !
Jérémy. — Pousse-toi ! Laisse-moi ouvrir !
Nicolas. — C’est toi qui l’auras voulu !
Il se pousse, Jérémy ouvre la porte. Voyant l’allure de Mlle Pigaufray, il fait un pas en arrière.
Jérémy. — Je suis Jérémy Dodin ! Bonjour madame !
Mlle Pigaufray, les lèvres pincées. — Mademoiselle ! J’y tiens !
Jérémy regarde Nicolas.
Nicolas, moqueur. — C’est le problème avec internet, mon vieux ! Des fois, c’est une bonne surprise, des fois non !
Jérémy, excédé. — Bon, ça va Nico ! (L’incitant à partir.) Tu ne devais pas y aller, là !
Nicolas. — Oui, oui ! Je me sauve ! Tu me raconteras ! Promis ! Courage ! (Il sort et on l’entend en voix off.) Bonjour mademoiselle !
Mlle Pigaufray. — Je me présente : mademoiselle Angélique Pigaufray, responsable de l’agence des jeunes mères en difficulté !
Jérémy, devant Mlle Pigaufray, prenant un ton très gentil et très doux. — Enchanté,
mademoiselle !
Mlle Pigaufray. — C’est bien vous qui vous êtes proposé pour héberger une future maman dans le besoin ?
Jérémy. — Tout à fait ! Quand on peut aider son prochain… Mais vous n’avez pas l’air d’être enceinte depuis longtemps, dites-moi.
Mlle Pigaufray, levant les yeux au ciel. — Il ne s’agit pas de moi, monsieur !
Jérémy, la toisant de haut en bas. — Ah oui ! Je me disais aussi !
Mlle Pigaufray, se retournant vers le palier dont la porte est restée ouverte. — Entrez, mademoiselle Delattre !
Sandrine entre. Elle pousse un landau qu’elle laisse à côté de la porte d’entrée. Elle est manifestement enceinte. Elle se tient les yeux baissés, l’air malheureux.
Sandrine. — Bonjour, monsieur !
Jérémy. — Bonjour, mademoiselle ! Il faut m’appeler Jérémy, vu que nous allons partager mon modeste logement pendant un certain temps ! Et vous vous prénommez ?
Sandrine. — Sandrine ! Alors, c’est vrai : vous me logez gratuitement ?
Jérémy. — C’est ce qui est convenu !
Sandrine. — Merci beaucoup, c’est très gentil à vous !
Mlle Pigaufray, posant la valise qu’elle tenait à côté du landau. — J’accompagne mademoiselle Delattre pour vérifier les conditions d’hébergement dans lesquelles elle va être reçue !
Jérémy, mielleux. — Mais c’est tout à fait normal, mademoiselle Angélique !
Mlle Pigaufray, autoritaire. — Ce sera mademoiselle Pigaufray, pas de familiarité, s’il vous plaît ! (Inquiète.) Je ne vous cache pas qu’une jeune fille seule et désemparée chez un homme solitaire, j’ai quelques réticences !
Jérémy. — Mais pourquoi cela ?
Mlle Pigaufray. — Vous comprenez, mademoiselle Sandrine Delattre fréquentait un homme qui ne pensait qu’à une chose…
Jérémy. — Ah oui ? Laquelle ?
Mlle Pigaufray. — Pas la peine que je vous explique, vous m’avez comprise ! Vous êtes bien tous les mêmes !
Jérémy. — Il y a les gentlemen, et il y a les autres !
Mlle Pigaufray. — Moui ! Eh bien cet homme, ce goujat, devrais-je dire, a obtenu ce qu’il voulait, mais quand il a fallu assurer une paternité, bien sûr, il s’est débiné !
Jérémy. — Quel odieux personnage !
Mlle Pigaufray. — Voilà pourquoi je reviendrai régulièrement m’assurer que tout va bien pour ma petite protégée !
Jérémy. — Mais la porte vous est grande ouverte, mademoiselle Pique-gaufrette !
Mlle Pigaufray. — Pigaufray, monsieur ! Pigaufray ! Alors, ne vous avisez pas de tourner autour d’elle avec des intentions malhonnêtes, monsieur Dodin, ou vous aurez affaire à moi !
Jérémy. — Mais il n’y aura aucun problème, mademoiselle ! (Plus féminin.) Vous savez, moi, les filles…
Mlle Pigaufray. — Oui, oui ! On dit ça, et un jour, le naturel reprend le dessus !
Sandrine. — Je sais me défendre, mademoiselle Pigaufray !
Mlle Pigaufray, aigre, en regardant son ventre. — Non ! Si vous saviez vraiment vous défendre, mademoiselle, vous ne seriez pas dans l’état où vous en êtes aujourd’hui !
Jérémy. — Si je vous dis qu’il n’y a aucun risque, c’est que j’ai quelqu’un dans ma vie !
Mlle Pigaufray, étonnée. — Ah bon ! Je croyais que vous viviez seul !
Jérémy. — Oui, c’est vrai ! Mais cette personne pour qui mon cœur chavire n’habite pas avec moi !
Mlle Pigaufray. — Vous allez donc fonder un foyer avec cette femme, un jour !
Jérémy, feignant l’étonnement. — Quelle femme ?
Mlle Pigaufray. — Cette femme dont vous me parliez à l’instant !
Jérémy, très maniéré. — Une femme ! Quelle horreur ! Non, il s’agit de mon amour de toujours, vous l’avez croisé il y a deux minutes. Il sortait d’ici quand vous arriviez !
Mlle Pigaufray. — Mais je ne comprends pas ! Il n’y avait qu’un monsieur qui était là tout à l’heure ?
Jérémy. — Oui ! Nicolas !
Mlle Pigaufray, comprenant que Jérémy est gay. — Oh ! Mon Dieu !
Jérémy, prenant un air encore plus efféminé. — Quoi ? Vous trouvez que l’on ne va pas ensemble ?
Mlle Pigaufray. — Ce n’est pas ce que je voulais dire ! Je ne m’attendais pas… ! (Outrée, elle se tourne vers Sandrine.) Mademoiselle, réunissez vos affaires, nous repartons immédiatement !
Sandrine. — Mais pourquoi ?
Mlle Pigaufray. — Et vous osez me demander pourquoi ! Je ne peux vous laisser chez un… comment dire un… homme aux penchants malsains !
Sandrine. — Mais, mademoiselle Pigaufray, il faut vivre avec votre temps ! Monsieur Dodin est homosexuel, et alors, il fait ce qu’il veut ! Cela devrait vous rassurer, au contraire ! Il ne va pas me tourner autour comme vous en aviez peur il y a quelques minutes !
Mlle Pigaufray. — C’est vrai ! Sur ce point, vous avez raison !
Jérémy. — Venez voir par ici la chambre que j’ai prévue pour Sandrine ! (Il ouvre la porte de la chambre.) Je peux vous appeler Sandrine ?
Sandrine. — Oui, bien sûr !
Mlle Pigaufray, jetant un œil par la porte ouverte de la chambre. — Ça va, c’est assez grand ! Et pour la salle de bains ?
Jérémy. — Venez voir, c’est par ici ! Il n’y en a qu’une, mais on s’arrangera à tour de rôle ! Je mettrai mes produits de beauté dans la porte de gauche et ceux de Sandrine dans la porte de droite !
Mlle Pigaufray. — Tout cela me paraît être correct !
Sandrine. — Oui, c’est super !
Jérémy, efféminé. — Vous verrez, Sandrine, j’ai une nouvelle crème de jour sensationnelle ! Je vous la prêterai si vous voulez !
Sandrine. — C’est sympa, merci ! (Elle soutient son ventre et fait la grimace.) Ouh !
Jérémy. — Ça va ?
Sandrine. — Oui ! Je crois qu’il a bougé ! À mon avis, il vient de me dire qu’il est d’accord !
Jérémy. — C’est pour quand ?
Sandrine. — Je viens d’entamer mon septième mois !
Jérémy. — Et ce sera… un garçon… une fille ?
Sandrine. — Hein ?… (Elle cherche.) Heu !… Un garçon !
Jérémy. — Une idée de prénom ?
Sandrine. — En fait… je cherche encore !
Mlle Pigaufray. — Bien sûr, cette situation n’est que provisoire. Toutefois, si nous n’avions pas trouvé de meilleure solution après l’accouchement, accepteriez-vous de continuer à loger mademoiselle ?
Jérémy. — Aucun problème ! Moi, les enfants, j’adore ! Si vous saviez : j’ai élevé mes cinq frères et sœurs pendant des années alors, pensez, j’ai l’habitude !
Mlle Pigaufray. — Eh bien, écoutez, je vais vous laisser vous installer ! Mais je repasserai vous voir régulièrement ! Au revoir monsieur Dodin !
Jérémy. — Au revoir, mademoiselle !
Mlle Pigaufray. — À bientôt, mademoiselle Delattre ! Vous m’appelez s’il y a le moindre problème !
Sandrine. — Ne vous inquiétez pas mademoiselle Pigaufray, cela va bien se passer ! Au revoir !
Mlle Pigaufray sort.
Scène 3 : Jérémy, Sandrine.
Jérémy, soupirant un grand coup. — Eh bien ! L’ambiance va être plus détendue maintenant qu’elle est partie !
Sandrine. — C’est vrai qu’elle est pesante, la miss Pique-gaufrette !
Ils rient.
Jérémy. — Oh ! La pauvre, on a dû lui faire le coup depuis la maternelle !
Sandrine. — Vu qu’on ne se connaît pas, je propose qu’on se la joue speed dating version collocation. Déjà, on se tutoie !
Jérémy. — Ok. Je commence : je m’appelle Jérémy, j’ai 38 ans ! Je suis un mec sensible, enfin, je crois ! J’aime les enfants, les animaux, la nature ! Je suis fidèle en amour, j’ai horreur du mensonge et j’aime aider les gens qui en ont besoin. C’est pourquoi, depuis des années, je propose mes services à diverses associations ! Voilà !
Sandrine. — Tu oublies une chose importante !
Jérémy. — Ah oui ! Laquelle ?
Sandrine. — Tu es gay et ton copain s’appelle Nicolas !
Jérémy. — Ah ! Et bah oui ! Bien sûr ! Alors à toi maintenant !
Sandrine. — Je m’appelle Sandrine. J’ai un âge qui ne te concerne pas ! J’ai un peu galéré toute ma vie. Mon père était violent et ma mère jamais à la maison. Ils m’ont foutue dehors dès mes 18 ans ! J’ai bossé de petits boulots en petits boulots. Et puis je me suis mise avec un type, Tony, la grande classe ! Et puis il m’a fait croire que je pourrais faire du cinéma. Moi j’y ai cru ! Il a profité de la situation et puis il m’a plaquée ! Voilà !
Jérémy. — Oh là là ! Ma pauvre ! C’est Zola ton histoire, là ! Et toi aussi tu as oublié une chose importante !
Sandrine. — Ah oui !
Jérémy, mimant un gros ventre devant lui. — Tu es enceinte de sept mois d’un petit garçon !
Sandrine. — Ah oui ! Bien sûr !
Scène 4 : Jérémy, Sandrine,
Mme Do Santos.
On sonne. Jérémy va ouvrir. C’est la voisine espagnole, Mme Do Santos, en tablier. Elle a un fort accent espagnol, elle roule les « r ».
Mme Do Santos. — Bonyour, monsieur Yérémy !
Jérémy. — Madame Do Santos ! Qu’est-ce qui vous arrive ?
Mme Do Santos. — Y’ai oune fouite dans les cabinets !
Jérémy. — Vous avez quoi ?
Mme Do Santos. — Y’ai les cabinets qui dégoulinent dé l’eau partout !
Jérémy. — Ah oui ! Que voulez-vous que j’y fasse ? (Vers Sandrine.) Non, mais c’est vrai !
Sandrine. — Bonjour madame ! Ne vous inquiétez pas, Jérémy est toujours prêt à aider son prochain ! N’est-ce pas Jérémy ?
Jérémy. — Oui, bien sûr ! Mais là, je ne vois pas ce que je peux...