Pilote de guigne

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Stanislas de la Bretèche, pilote de ligne volage, est obligé de vendre sa belle maison de campagne située près d’un aérodrome. Sans le dire à Ariane, sa femme, il organise la vente avec l’aide de James, son fidèle et rusé domestique apiculteur. Malheureusement, il est dit de cette maison qu’elle porte malheur à cause de son puits. Ivan, un agent immobilier original, a trouvé deux acheteurs potentiels : une Diane très superstitieuse et Fidèle, son hypocondriaque de mari. Une hôtesse de l’air qui semble bien connaître Stanislas arrive sans prévenir. Tout ce petit monde est épié quotidiennement par Arlette Chombier, la voisine gaffeuse dont il est très difficile de se débarrasser.

Avec des rôles bien équilibrés et un décor original, une comédie supersonique très agréable à jouer où l’on va, sans temps mort, de découvertes en gags visuels avec, en prime, une fin inattendue.




Pilote de guigne

Acte premier

Le rideau s’ouvre sur l’arrière d’une luxueuse maison de province et son jardin richement coloré. On comprend que c’est l’été. On est au début de l’après-midi, il fait chaud et on entend quelques insectes farceurs virevolter dans le jardin.

Ariane, en très belle robe de soirée, des gants de ménage aux mains et portant un grand pinceau et un pot de peinture, entre dans le jardin.

Ariane. — James ?… James !… Enfin, où êtes-vous ?

James donne un coup d’épaule dans la porte et sort de l’abri de jardin comme un diable d’une boîte, un marteau à la main.

James. — Je suis là, Madame !

Ariane, sursautant. Ah ! vous m’avez fait diablement peur !

James. — Désolé, Madame.

Ariane. — Mais que faites-vous avec un marteau ?

James. — Je répare le verrou, Madame.

Ariane. — Avec un marteau ?

James, tapant sur le verrou. Exactement ! Un petit coup derrière les oreilles, comme ceci, et ça repart !

Ariane. — Il était cassé ? Ça ne m’a pas frappée !

James. — Lui, si ! Quant à moi, si j’avais un marteau, je cognerais le jour, je cognerais la nuit !

Ariane. — Paroles de Georges Marchais ou de Maurice Thorez, peut-être ?

James. — Non ! Paroles de Claude François, Madame.

Ariane. — En tout cas, je tiens à vous remercier, James. Cette maison est si grande ! Vous m’êtes d’une aide précieuse. Vous savez vraiment tout faire.

James. — Je sais, Madame. Si je n’étais pas aussi modeste, je serais parfait.

Ariane. — Je suis invitée chez les Haudebourg-Duval. Ils font une petite cocktail party cet après-midi pour les 100 ans de Mme Haudebourg-Duval mère.

James. — Elle a déjà 100 ans, la vieille ?

Ariane. — James, ne soyez pas trivial ! Certes, les Haudebourg-Duval sont exécrables, avares et méprisants, mais ils ont des relations. Ça peut toujours servir… Cela dit, je suis comme vous : je ne peux pas les voir en peinture.

James, montrant le pot de peinture. Madame ne croit pas si bien dire !

Ariane. — C’est vrai ! Où ai-je la tête ? (Elle lui tend le pinceau et le pot.) Tenez !

James. — Madame est encore en rénovation ?

Ariane, remuant le visage. Vous trouvez que j’en ai besoin ?

James. — Je ne parlais pas de Madame, mais des travaux dans la maison. (Il range le pot et le pinceau.)

Ariane. — J’adore cette maison ! Je serais très peinée si je devais m’en séparer un jour… Et puis, vous connaissez mon goût pour la décoration intérieure !

James, visant la statue. Et extérieure !

Ariane. — À votre air, je devine que vous n’appréciez pas tellement ma dernière création… Ça symbolise des fleurs sauvages.

James. — Imhotep n’a qu’à bien se tenir !

Ariane. — Me comparer à cet architecte égyptien qui fut chargé d’édifier le complexe funéraire du roi Djoser sur le plateau de Saqqarah me touche beaucoup.

James. — Madame est trop modeste et si cultivée !

Ariane. — Ah ! il est vrai que j’aime beaucoup l’histoire ! J’aurais aimé être professeur.

James. — M’asseoir sur un banc cinq minutes avec toi et regarder les dates tant qu’il y en a !

Ariane. — Pardon ? Petite allusion à Alain, le philosophe ?

James. — Non, Madame. Petite allusion à Renaud, le chanteur !

Ariane. — En parlant de banc, j’ai passé une fine couche de peinture marron sur les bancs du séjour. Veillez à ce que personne ne s’asseye dessus avant ce soir. Bon, maintenant, je file !

James. — Sans être flagorneur, je dirai à Madame que la robe de Madame est splendide.

Ariane. — Merci. Ce n’est qu’une petite robe d’été sans importance…

James. — Et les gants ?

Ariane. — Merci. C’est élégant, en effet !

James, montrant les gants de ménage. Non, je disais : et les gants ?

Ariane. — Oh ! décidément, j’ai vraiment la tête dans les nuages ! (Elle ôte ses gants.)

James. — C’est normal, avec un mari pilote de ligne !

Ariane, riant. Ce que vous êtes drôle ! Autre chose : Stan, enfin Monsieur, doit rentrer de Mexico cet après-midi. Dites-lui, quand il rentrera, que je suis chez les Haudebourg-Duval.

James. — Bien, Madame. (Pensif.) Mexico ? Tiens, tiens !

Ariane. — Savez-vous, mon petit James, que la ville de Mexico a été fondée par les Aztèques en 1325 et détruite par Cortés en 1521 ?

James. — C’est intéressant, Madame, mais rappelez-vous que la vieille chouette vous attend avec ses 100 ans. Dépêchez-vous si vous voulez la voir encore vivante !

Ariane. — James, vous êtes incorrigible ! Ce soir, je ne pense pas rentrer de bonne heure.

James. — Il est sûr que si vous attendez que la vieille taupe souffle ses cent bougies, vous n’êtes pas près de manger le gâteau !

Ariane, sortant. Je prends la Jaguar. N’en parlez pas à Monsieur… Bon après-midi, James !

James. — Merci, Madame. (Il prend conscience de ce qu’elle vient de dire.) La Jaguar ? Lui qui ne veut pas qu’on touche à sa nouvelle voiture ! Il y a des moments où je me demande s’il n’aime pas plus sa voiture que sa femme. (Il teste la porte de l’abri de jardin.) Si j’avais à choisir, moi, je sais bien ce que je prendrais… parce que même si Madame n’est pas une première main, elle doit avoir de la reprise… Pauvre Madame ! Si elle savait que je sais, elle me mettrait à la porte… Bon, en attendant d’être mis à la porte, celle-là fonctionne bien. Ça m’a donné chaud, tout ça… (Un petit regard soudain lubrique pour vérifier qu’il est bien tout seul.) Avec cette chaleur, à partir d’un certain âge, il paraît qu’il ne faut pas se déshydrater. (Il se dirige vers le puits et remonte avec la corde un seau où se trouvent plusieurs bouteilles bien fraîches et quelques verres.) Et je n’ai pas l’intention de me déshydrater ! (Il se sert un verre de vin et redescend le seau.) Rien ne vaut un bon petit coup derrière le nœud papillon ! Quel nectar, le meursault blanc ! Cher… mais bon ! (Il sirote son élixir et s’installe sur une chaise.)

Pendant ce temps-là, la voisine a ouvert sa fenêtre et pointé le bout de son museau. Elle est pratiquement avachie sur sa rambarde et est habillée d’une tenue très décontractée et multicolore.

Arlette. — Eh bien, mon cher, il y en a qui ne s’embêtent pas ! C’est le cas de le dire : quand les syndicats ne sont pas là, les patrons en profitent… Vous voulez peut-être qu’Arlette Chombier vienne boire un coup avec vous avant qu’elle aille faire son sport ?

James. — Non, madame Chombier, je vous remercie. J’y arriverai bien tout seul.

Arlette. — Oh ! il fait bien le fiérot avec son costume de pingouin ! Vous savez, monsieur James… (Elle prononce « Jame ».) boire tout seul, ça a un nom : alcoolo, ça s’appelle !

James. — C’est chaudron qui appelle marmite : cul noir !

Arlette. — Remarquez, ça tombe bien, je commence à avoir la cloison qui se dessèche. Bon, puisque vous me le proposez, je descends. Préparez la bibine ! (Elle ferme la fenêtre et disparaît.)

James, se levant. Écoutez, madame Chombier, je suis désolé mais… Et voilà ! Elle va encore s’inviter et rester là pendant une heure à essayer de tout savoir. (Il regarde sa montre.) Bon sang ! Il faut qu’elle reparte avant que Monsieur revienne. La fouine, il l’appelle. Il ne peut pas la sentir ! (Sonneries de téléphone. Il décroche.) Allô !… Bonjour, Mademoiselle… Non, M. de la Bretèche n’est pas encore rentré. Si je peux lui laisser un message… C’est personnel ? Très bien, mais dans la mesure où c’est la cinquième fois que vous appelez aujourd’hui, ça finit par ne plus être tout à fait personnel… Ah ! vous avez changé d’avis ? Très bien… Que je dise à Monsieur de la part d’Alice que c’est un beau salaud ?… Bien, Mademoiselle. Mais si je peux me… Elle a raccroché ! (Il raccroche.) Sacrée nature !

Arlette arrive par la grille, un walkman aux oreilles et portant un sac à provisions multicolore. Elle se met à danser sur une musique dynamique et branchée. Regard langoureux d’Arlette tout en dansant et regard livide de James.

Arlette. — Alors, ce n’est pas chouette, ça ? Vous avez vu ? J’ai la musique dans le sang !

James, pour lui. Dommage qu’elle ait une mauvaise circulation !

Arlette. — Ça balance un max, non ? C’est quand même mieux que les tubes de l’été !

James. — C’est normal : un tube, c’est souvent creux.

Arlette. — Qui c’était, au téléphone ?

James. — Je ne pense pas que ça vous regarde, madame Chombier.

Arlette. — Pas grave ! Je le saurai bien un jour… Je voulais faire du jogging… (Elle prononce « jogginge ».) mais il fait trop chaud aujourd’hui. Ils l’avaient bien dit à la météo. Tout ça, c’est à cause du réchauffement de la planète… Dites donc, vous n’avez pas chaud, vous, dans votre sarcophage à loufiat ?

James, pour lui. Je préfère avoir un sarcophage à loufiat plutôt que d’avoir une tête de momie !

Arlette. — Bon ! Si on se le tapait, ce petit coup de blanc, monsieur Jame ? Quant à moi, je vous ai apporté un petit cinq-étoiles dont vous me direz des nouvelles… On va boire le vôtre d’abord et le mien après.

James. — On verra ça !

Arlette prend son verre et avale son contenu d’un trait sous le regard surpris de James.

Arlette, chantant. « Ah ! le petit vin blanc qu’on boit sur la margelle ! » Je nous ai apporté un petit maroilles. (Elle le sort du sac.) C’est un peu fort pour la saison, mais qu’est-ce que c’est bon ! (Elle ouvre la boîte et s’en coupe un morceau.) Sentez-moi ça ! (James se bouche le nez.) Vous n’en voulez pas ? Vous avez tort ! (Elle boit.) Il est bon, votre pinard ! Ça fait du bien, de cette chaleur… À mon avis, ça ne doit pas dépasser les 30 degrés.

James. — Ce vin-là ? Non, pas plus de 13 degrés.

Arlette. — Je ne vous parle pas de la chaleur de votre pinard ! Je vous parle de la chaleur de cet après-midi… Pour moi, on ne doit pas dépasser les 30 degrés parce que quand on dépasse les 30 degrés, je sens en dessous des bras. (Mine déconfite de James.) Si, si ! Et là, je ne sens pas ! Ce matin, j’ai mis du parfum au citron. Vous voulez sentir ? (Elle s’approche de James.)

James, dégoûté. Non, merci. (Pour lui.) Je préfère encore le fromage !

Arlette. — Mais si ! Allez-y ! (Elle lève son bras.) Sentez-moi ça. Ça sent bon le citron, non ?

James, sentant de très loin et pour lui. Apparemment, il y a longtemps qu’elle n’a pas senti de citrons ! (Pour faire diversion.) Encore un petit verre, madame Chombier ?

Arlette. — Le vin blanc, c’est comme les billets de banque : ça ne se refuse pas ! (Elle boit à nouveau d’une seule lampée.) C’est quand même une belle baraque ici. Par contre, quelle idée d’avoir planté des affreux bouts de machins comme ça ! On dirait les guiboles de ma grand-mère !

James. — Ce sont les dernières créations de Madame. Ça symbolise des fleurs sauvages.

Arlette. — Eh ben, pour être sauvage, c’est sauvage ! (Elle pose le fromage au pied du puits.) Je vais mettre le fromage à l’ombre sinon il va cocoter, le copain… Pour en revenir aux maisons, c’est dommage que les nôtres soient si près d’un aérodrome.

James. — Petit aérodrome !

Arlette. — Petit aérodrome mais aérodrome quand même, ma foi !

James. — Vous êtes de mauvaise foi ! Des avions, il en passe rarement.

On entend un avion qui passe au-dessus de la maison. Ils lèvent la tête.

Arlette. — Et ça, c’est quoi ? Des corbeaux à hélices ?

James. — Écoutez, il fallait bien vous attendre à voir passer quelques avions au-dessus de votre tête en habitant à côté d’un aérodrome…

Arlette, tout près de James. Peut-être, mais ça pollue l’atmosphère. Ils l’ont dit à la télé.

James. — Ne croyez pas ce qu’on vous oblige à croire dans cette sacro-sainte télévision. (Sentant Arlette.) Et si on devait supprimer tout ce qui pollue l’atmosphère, il y en a qui devraient arrêter de parler !

Arlette. — Et c’est dangereux ! On dit souvent qu’un avion n’est pas dangereux ; j’ai des doutes.

James. — Un avion, même si le moteur s’arrête, il fait comme vos doutes : il plane !

Arlette. — Forcément, je n’aurai pas raison avec vous ! Avec un pilote de ligne comme patron… Quand même, cette maison, je ne l’aurais jamais achetée. Je ne suis pas curieuse, mais j’écoute, et ça se dit comme ça dans le pays que depuis qu’un des proprios s’est suicidé en se jetant dans ce puits-là, votre maison, elle porte malheur !

James. — Balivernes de comptoir ! Vous êtes superstitieuse, peut-être ?

Arlette. — Certainement pas ! Ce sont les imbéciles qui sont superstitieux. (Telle une maxime.) Les superstitieux, ce sont des gens qui anticipent sur le malheur sans même savoir s’il existe.

James, admiratif et au public. Alors là ! Nous pouvons remarquer que dans certains petits cerveaux obscurs, de temps à autre, une main divine allume la lumière ! (Bruit d’une voiture qui arrive.) Voilà Monsieur qui arrive ! Madame Chombier, je vais devoir vous abandonner.

Arlette. — Et ma bouteille ?

James, ravi d’y échapper. Je vous la rends. Nous la boirons une autre fois.

Arlette. — Quel dommage ! Un aussi bon millésine !

Par la porte-fenêtre, entre Stanislas vêtu d’un costume de pilote de ligne et arborant un vaste sombrero.

Stanislas, chantant. « Mexico ! Mexiiiiiico ! Sous ton soleil qui chanteiiiiii ! » Bonjour, James ! (Il lui met le chapeau sur la tête.) Una sangria, por favor !

James. — Sí, señor ! Monsieur a l’air content ! (Il prend la bouteille de sangria dans le seau du puits.)

Stanislas. — Non, James ! Monsieur est dans les emmerdes ! Et quand Monsieur est dans les emmerdes, Monsieur chante !

Arlette. — Monsieur reviendrait du Mexique que ça ne...

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