Vous y viendrez…

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« Vous y viendrez… » Où ? À quoi ? Cette prémonition de Clémence à son majordome, Paul, va les engager dans une conversation pleine de surprises. Et puis, il y a la présence du cadavre de monsieur, un obstacle compliqué à franchir. Qui l’a tué ? Un duel feutré, mais sans merci, où cynisme et manipulation auront la part belle, va les opposer. La prémonition de Clémence finira-t-elle par se réaliser ?

Cette pièce, de Hugues de Rosamel, a été publiée conjointement à une autre de ses œuvres : “Entre le jour et la nuit… ” .
N’hésitez pas à en lire un extrait !

Au lever de rideau une femme ébouriffée se recoiffe, réajuste sa jupe. Un homme à l’opposé remet sa chemise dans son pantalon. La femme prend du bout des doigts des gants de vaisselle et va les mettre en coulisse. Elle revient. S’assoit sur le canapé.

Clémence. – Vous y viendrez…

Paul. – Madame n’y pense pas.

Clémence. – Je vous le dis.

Paul. – C’est impossible, et…

Clémence. – … à l’impossible, nul n’est tenu.

Paul. – Exactement.

Clémence. – Mais pour vous ce sera possible.

Paul. – Impossible.

Clémence. – Vous n’avez pas idée des ressources de l’homme.

Paul. – Oui mais là tout de même…

Clémence. – Vous y viendrez, Paul.

Paul. – Je n’ai aucune raison.

Clémence. – Ah ! l’idée commence à faire son chemin.

Paul. – Pas du tout.

Clémence. – Dire « je n’ai aucune raison » laisse entendre qu’il pourrait y en avoir une, ou plusieurs.

Paul. – Je vous assure que non.

Clémence. – Je vous assure que oui.

Paul. – J’ai dit « je n’ai aucune raison », comme j’aurais dit « je ne vois pas pourquoi ».

Clémence. – C’est pire !

Paul. – Ah…

Clémence. – Vous êtes mal à l’aise ?

Paul. – Oui.

Clémence. – Le remords ?

Paul. – Quel remords ?

Clémence. – D’en avoir eu l’idée.

Paul. – Mais je n’en ai pas eu l’idée.

Clémence. – Ce n’est pas ce que vous avez laissé
entendre.

Paul. – C’est votre interprétation. Si je puis me
permettre…

Clémence. – Agacé ?

Paul. – Du tout.

Clémence. – Un peu ?

Paul. – Pas le moins du monde. (Devant l’air circonspect de Clémence.) Je vous assure que non.

Clémence. – Vous m’assurez de beaucoup de choses.

Paul. – De ma bonne foi.

Clémence. – Bon, supposons que vous ayez raison.

Paul. – Ah !

Clémence. – Supposons. Tôt ou tard vous y viendrez.

Paul. – Madame y tient.

Clémence. – Pas plus que ça.

Paul. – Un peu quand même ?

Clémence. – Pas même un peu.

Paul. – Je vous comprends. Mais alors pourquoi madame insiste-t-elle ?

Clémence. – Je n’insiste pas. J’exprime une conviction.

Paul. – Puis-je poser une question à madame ?

Clémence. – Faites.

Paul. – Puisque madame en est convaincue, madame aurait-elle une idée de la façon dont je m’y prendrais ?

Clémence. – Cela vous intéresse ?

Paul. – Disons que je suis curieux.

Clémence. – Attention ! La curiosité est le premier pas vers la préméditation.

Paul. – Je vous ass… Je vous assure que je ne prémédite rien.

Clémence. – Si vous le dites.

Paul. – Madame ne me croit pas ?

Clémence. – À l’inévitable, nul n’est tenu.

Paul. – Je l’éviterai.

Clémence. – L’inévitable ne s’évite pas.

Paul. – Madame pourrait-elle faire le ménage, l’argenterie, la cuisine ?

Clémence. – Impossible.

Paul. – Pourtant je fais tout cela.

Clémence. – Et ?

Paul. – Ce qui est impossible pour madame ne l’est pas pour moi. Ce qui est inévitable à vos yeux est évitable aux miens.

Clémence. – Sous l’émotion et la colère, aucune logique ne résiste.

Paul. – Je sais me maîtriser.

Clémence. – En toute circonstance ?

Paul. – En toute circonstance.

Clémence. – Vous avez la naïveté du jeune marié, Paul. Celle qui pousse à s’engager pour le meilleur et pour le pire, sans avoir la moindre idée du pire.

Paul. – Mais convaincu qu’il peut y faire face.

Clémence. – Et finit par le prendre en pleine face ! Affronter une situation théorique, c’est simple. Quand elle devient réelle… Combien de convaincus vaincus ?

Paul. – Je suis célibataire et pour rien au monde je ne changerai de statut.

Clémence. – L’instinct de reproduction prendra le dessus.

Paul. – Je n’ai pas l’intention de me reproduire.

Clémence. – Je vous en remercie.

Paul. – De rien… (Prenant sur lui pour ne pas relever la pique de Clémence.) Et puis donner la vie, c’est offrir la mort ; j’aime trop les gosses pour leur faire ce cadeau.

Clémence. – Vu comme ça…

Paul. – Sans compter que pour se reproduire, il faut aimer et je ne suis pas amoureux.

Clémence. – L’instinct de reproduction se passe très bien du sentiment amoureux.

Paul. – Il faut bien s’aimer pour avoir des enfants.

Clémence. – Votre candeur vous honore, Paul.

Paul. – Vous ne croyez pas ?

Clémence. – Je crois surtout en la perversité de l’instinct de reproduction, au cynisme du désir de maternité, et à l’arrogance du désir de paternité.

Paul. – Fichtre !

Clémence. – Je crois que ces trois-là copulent sournoisement pour accoucher d’un faux-semblant d’amour. C’est pourquoi je crois que lorsque l’enfant paraît, le couple disparaît.

Paul. – Vu comme ça… Madame ne croit donc pas au grand amour ?

Clémence. – Pas plus qu’au petit. (Devant l’étonnement de Paul.) Graduer l’amour est absurde.

Paul. – On aime plus ou moins.

Clémence. – Des choses, des gens ! Pas la personne pour laquelle on a choisi de donner sa vie.

Paul. – Partager.

Clémence. – Donner. L’amour est avant tout un don. Le don de soi.

Paul. – Sans doute.

Clémence. – Il n’y a pas de doute à avoir.

Paul. – S’il n’y a pas de doute, il peut y avoir des hauts et des bas.

Clémence. – Certes. Mais pas dans le choix. Une erreur de casting en amour est tragique !

Paul. – Si je ne connaissais pas madame, je penserais que madame ne croit pas en l’amour.

Clémence. – Je n’y crois plus.

Paul. – À cause de monsieur ?

Clémence. – Même pas… A-t-il bougé ?

Paul. – Avec ce qu’il a pris…

Clémence. – On ne sait jamais.

Paul, sans se déplacer, il regarde derrière le canapé. – Pas d’un pouce.

Clémence. – Ah… Et vous, croyez-vous en l’amour ?

Paul. – Le jour où une femme voudra de moi, peut-être.

Clémence. – Sur la masse.

Paul. – C’est le problème. Il y a trop d’offres.

Clémence. – Dois-je comprendre que vous avez l’embarras du choix ?

Paul. – Cela étonne madame ?

Clémence. – Je n’y croyais pas....

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