Le retour de Richard 3 par le train de 9 h 24

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Pierre-Henri, un riche homme d’affaires en fin de carrière, engage des comédiens pendant une semaine pour jouer sa famille disparue et l’aider à se réconcilier avec les siens. Entre réalité et fiction, cette relecture d’un passé familial mouvementé tourne au règlement de compte où personne ne sait bientôt plus distinguer le vrai du faux.

Une comédie hilarante où quiproquos et malentendus se succèdent avec jubilation !




Le retour de Richard 3 par le train de 9 h 24

La cour d’une maison à la campagne. Tous sont installés autour de la grande table. pH est debout, c’est un homme au ton sec et facilement cassant. Sa famille l’écoute respectueusement.

pH J’ai toujours aimé les repas de famille. C’est une tradition avec laquelle je suis heureux de renouer. Lorsque j’étais enfant, mon grand-père s’installait en bout de table et présidait. Pendant tout le repas il ne disait pas un mot, mais je peux vous dire que tout le monde l’écoutait. Au fond, mon grand-père m’a appris le silence. Mais aujourd’hui et pour les jours qui viennent, on va prendre enfin le temps de se parler et je vous remercie du fond du cœur d’avoir fait le déplacement…

Élisabeth (Jeune femme au regard intense.) C’est normal, Papa…

pH Ce qui m’arrive, ça arrive à plein de gens… Et je vous remercie d’être là, c’est important pour moi et j’espère que ça l’est aussi un peu pour vous…

Mélanie (C’est une femme de plus de cinquante ans, aux formes généreuses et au regard naïf.) Justement, c’est quoi ce qui t’arrive exactement ?

pH Comme je vous l’ai dit à chacun par téléphone, la maladie a progressé… Ça peut arriver d’un moment à l’autre. D’abord, l’aggravation des symptômes, et puis l’issue, qui ne fait plus aucun doute maintenant.

Isa (Émue, se lève et l’entoure de ses bras.) Mon amour…

pH (Embarrassé de la soudaine effusion.) Merci, merci… (Isa se rassoit.) Mais ça me fait du bien d’être entouré de vous tous, aujourd’hui, en cette belle journée d’été, et pour toute la semaine, dans notre maison familiale. Où nous avons connu tant de joies tous ensemble. Des franches rigolades, des engueulades mémorables, des moments d’une complicité bouleversante… Cette maison qui vous a vus grandir, toi ma petite Élisabeth… Et puis toi, mon fils, mon Richard… Toi que je n’avais pas vu depuis si longtemps… Malgré tous nos différends, malgré toutes ces années qui ont passé, tu es pour moi ce qu’il y a de plus cher au monde.

Il se rassoit. Tous applaudissent spontanément son discours.

William se lève. C’est un homme souriant, mais au sourire ambigu qui semble toujours dissimuler une pensée narquoise…

William Si je peux me permettre de dire un petit mot… Mais moi, qui ne fais pas partie de la famille, même si on se connaît toi et moi depuis quoi ? Quarante ans au moins… (pH acquiesce.) Je me sens bien placé pour vous dire que ce que je viens d’entendre, c’est magnifique.

William se rassoit et croit pouvoir lancer les applaudissements à son propre discours. Mais l’assistance ne le suit pas, semblant se demander si ça valait bien la peine de se lever pour ne dire que ça…

Isa se lève à son tour. C’est une jeune femme lumineuse, au regard clair et doux.

Isa Oui, c’est magnifique… Je trouve ça tellement beau que vous puissiez à nouveau vous parler… Excusez-moi, je suis un petit peu émue, mais j’ai tellement souffert de ça… Mais aujourd’hui c’est fini. (Elle pleure.) Excusez-moi. Je vous aime.

Élisabeth (À cette mère plus jeune qu’elle.) Nous aussi on t’aime, Maman.

Isa Merci, ma puce.

Mélanie Moi, ce que j’ai à vous dire, ça tient en deux mots : à table !

Applaudissements d’autant plus nourris…

Élisabeth se lève à nouveau.

Élisabeth Moi aussi, Papa, Maman, je vais dire un petit mot… Je voulais dire que j’aime cette maison, j’aime ces pierres, j’aime ces odeurs, j’aime ce lierre qui monte sur les murs, j’aime ces toits, j’aime cette cour… (Elle cherche comment développer son discours, ne trouve pas mieux que :) J’aime cette table… J’aime cette… chaise…

Elle se rassoit, déçue de son propre discours.

pH Et toi, Richard, tu nous dis un petit mot ?

Richard Tout à l’heure, Papa… Le temps de me mettre dedans…

pH Très bien. En tout cas, n’hésitez pas, si vous avez des reproches à me faire, c’est le moment. Richard, tu n’as vraiment rien à me dire ?

Richard se lève. C’est un homme particulièrement sympathique, dynamique, d’une petite quarantaine.

Richard Papa, des reproches, on a tous aussi à s’en faire à nous-mêmes… Moi par exemple, comme tu l’as dit, j’ai pris un peu de distance mais c’était pas forcément en lien avec toi…

MC Ben si !

Marie-Christine est une femme d’une quarantaine d’années, à l’allure stricte.

Richard Attends, chérie… pas maintenant… (Il poursuit, à pH.) Bien sûr qu’il y a eu des problèmes, mais…

MC (Corrige.) Il y a des problèmes. Tant qu’ils ne sont pas réglés, tu peux parler au présent !

Richard Chérie, s’il te plaît… (Il reprend son discours.) Ça n’a rien à voir avec mon père… C’est mon métier. L’air de rien, travailler dans la police, c’est pas évident au niveau des horaires, des astreintes, tout ça… Déjà pour mes enfants que je vois pas autant que je voudrais… Alors, pour toi, Papa, je me suis laissé déborder et par négligence, par fatigue… c’est vrai que j’ai pris de la distance. Je suis désolé si je t’ai fait de la peine… Je suis désolé…

Il se rassoit. Tous l’applaudissent sauf Marie-Christine, outrée de ce qu’elle vient d’entendre.

pH Merci, mon petit Richard, mon grand Richard… Je comprends. C’est une bonne chose que tu sois venu avec Marie-Christine. (Il se tourne vers elle.) C’est vrai que je suis allé un peu loin avec toi. J’ai eu d’emblée une profonde antipathie pour toi, et aujourd’hui je n’arrive même plus à comprendre pourquoi…

MC Merci, Pierre-Henri. Ça me fait du bien ce que vous dites. Mais pour moi, le plus important ça a toujours été de…

pH (La coupe.) Bref, on va pouvoir se parler. On est là pour ça… Et on a toute la semaine.

Mélanie Maintenant, on mange !

Applaudissements pour Mélanie interrompus par MC.

MC Je veux bien qu’on mange mais on a commencé à se dire des choses importantes et…

pH (La coupe.) Mélanie a raison, tout le monde a très faim, alors à table ! Bon appétit à tous !

MC (Se lève vivement.) Pardon, pH, mais ça fait déjà deux fois aujourd’hui que vous me coupez la parole et ça fait plus de dix ans que vous me faites taire. Alors oui, des reproches on en a à vous faire, et moi personnellement je suis venue pour ça. Alors on arrête les hypocrisies et on se parle vraiment. Qu’est-ce qu’on fait ? On y va ou vous allez encore me couper la parole ?

Richard Calme-toi, ma chérie…

MC Tu veux que je me calme ? Mais tu n’as rien compris à ce qu’on fait là, alors ?

Richard Mais si…

MC Toi d’emblée tu t’écrases avec « pardon, excusez-moi d’exister, tout est de ma faute » !

Richard Je voulais y aller en douceur…

MC Ton père t’a pourri la vie et toi tu y vas en douceur ?

Richard (S’emporte.) Il va bientôt mourir et toi tu l’engueules !

MC Et toi, tu préfères t’en prendre à moi plutôt que de lui parler à lui ?

Richard Mais non !

MC C’est lui, le responsable de tout ! Et moi je n’y suis pour rien !

Richard Arrête !

MC C’est à moi d’arrêter ?

pH Richard, si tu as quelque chose à me dire alors je t’assure qu’on est là pour ça et je t’écoute… Mais d’abord je tiens à te répondre une chose…

MC Bravo ! Il n’a pas encore parlé que vous tenez déjà à lui répondre une chose !

pH (Décontenancé.) William, tu veux pas intervenir, là ?

William (Se lève.) Bien sûr.

MC Tu fais pitié, Richard, à pleurer comme un gamin !

Richard (En larmes.) Arrête, Marie-Christine ! Arrête !

William Moi qui ne fais pas partie de la famille…

MC (À Richard.) Tu me déçois, tu me dégoûtes !

Richard (En larmes.) Arrête ! Arrête !

William Je me sens bien placé pour vous dire que…

MC (À Richard.) Alors vas-y ! Parle ! Dis-lui tout ce que tu as souffert ! C’est maintenant, Richard !

pH Richard, on est là pour ça… Je t’écoute…

Richard Eh bien… Ce que je veux dire… Ce que je veux te dire… Là, devant tout le monde… Devant toute notre famille réunie… Devant toi aussi, Maman, ma petite Maman que j’aime tant… Devant toi aussi, ma petite sœur adorée… Et devant toi aussi, ma Tata…

MC Bon, vas-y, abrège !

Richard Je vais être direct ! Franc, sincère, honnête, droit ! Je vais oser enfin te dire ce qui pèse sur mon cœur depuis tant d’années, ce qui m’a rendu triste et taciturne, ce qui fait que je ne suis pas venu te voir pendant toutes ces années. C’est… C’est… (Petit bruit de sonnerie de portable. C’est le sien. Richard prend soudain un ton très anodin.) Ah ! pardon, excusez-moi… (Il jette un œil sur l’appareil.)

MC Non mais Richard, c’est vraiment pas le moment de répondre au téléphone… Coupe ça ! Coupe ça tout de suite !

Richard C’est pour du boulot…

MC On s’en fout du boulot, Richard ! Ton père te dit qu’il t’écoute. Ça fait des années que tu attends ça ! Alors tu lui parles !

Richard J’en ai juste pour deux minutes…

MC Mais non ! Tu ne réponds pas au téléphone !

Richard (Au téléphone.) Oui, allô ?

MC Mais il se fout du monde ?

Élisabeth C’est peut-être sa brigade pour une intervention…

pH Oui, c’est sûrement une urgence. Dans la police, il faut toujours être prêt à bondir.

MC Richard, bondir ? Mais de quoi vous parlez ? Il bosse derrière un bureau ! Il est adjoint administratif ! Vous connaissez rien de votre fils ! Vous êtes pitoyable à ce point-là ?

Mélanie (Désignant Richard au téléphone.) Ça a l’air important. J’espère qu’il n’y a rien de grave…

Richard (Au téléphone.) Non ?! C’est pas vrai ?… Génial !… Ben oui, bien sûr ! (Il s’éloigne de quelques pas.)

MC Mais tu déconnes complet, Richard, là ! À qui tu parles ?

Richard (Au téléphone.) Et c’est payé combien ?… Non ?… O.K. Tu peux m’envoyer toutes les infos par mail ?… Oui, oui, évidemment, tu confirmes, c’est top… Merci ! (Il raccroche. À pH.) On peut se voir une seconde ?

pH se lève et s’écarte avec Richard, sous le regard étonné de l’assemblée.

pH Qu’est-ce qui se passe ? Y a un problème ?

Richard Oui, mais y a aussi la solution. Je dois rentrer à Paris…

pH Pour le boulot ?

Richard Oui. Et je vais prendre l’avion mercredi pour le Brésil.

pH Le Brésil ?

Richard Oui !

pH Mais tu travailles à Versailles…

Richard Versailles ?

pH Oui, au SRPJ. Qu’est-ce que tu racontes ?

Richard (Comprend soudain.) Ah ! mais non ! Stop ! Je parle de moi, là… Je suis pris sur une pub !

pH Une pub pour la police ?

Richard Pour Mercedes. Ça se tourne au Brésil, et je vais jouer avec Jean Dujardin…

pH Tu te rends compte de ce que tu me fais, Richard ?

Richard Non ! Stop ! Là, c’est plus votre fils qui vous parle. C’est plus Richard.

pH Tu me rejettes une fois de plus… Et au pire moment de ma vie…

Richard Non ! Stop ! Arrêtez de jouer ! C’est fini, Richard !...

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