Boeing Boeing

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Tous les avantages de la polygamie, sans aucun de ses inconvénients : Bernard a trouvé la solution. Ses maîtresses-fiancées sont trois hôtesses de l’air, de trois pays et de trois compagnies différentes. Le tout est d’harmoniser les horaires. Cette belle mécanique se déroule sous la houlette bougonne mi-réprobative, mi-admirative de Berthe, la, très bonne, bonne et devant l’ami d’enfance, Robert, qui rêvaient de mariage-pépère ! Le grain de sable vient du Progrès : un nouveau Boeing, plus grand, plus puissant… et plus rapide. Ce qui devait arriver arriva : les horaires se télescopent…




Boeing Boeing

Chez Bernard. Un grand living-room.
Au premier plan jardin, une table avec une grosse mappemonde et le livre des fuseaux horaires. Au deuxième plan jardin, la porte de la chambre de Bernard.
Au troisième plan jardin, un secrétaire, ouvert, avec une lampe, verres, bouteilles (scotch et cognac), papiers en vrac et le téléphone. Au-dessus du secrétaire, une glace. Au quatrième plan jardin, la porte de la salle à manger.
Un praticable parallèle à la rampe. Sur le praticable, porte à double battant, qui donne sur l’entrée de l’appartement. En face de la porte de la cuisine et toujours sur le praticable, la porte de la salle de bains. L’ensemble du praticable et des trois portes qui y sont forment une espèce de grande niche servant de fond au living-room. La plate-forme du praticable est assez large pour que l’on puisse y faire évoluer les acteurs. Deux appliques électriques, en face l’une de l’autre de chaque côté des portes cuisine et salle de bains. Au premier plan cour, la porte de la chambre « d’ami ». Au deuxième plan, une console avec lampes. Au troisième plan, la porte de la chambre, dite « sur la cour ».
Côté cour, au « théâtre » un grand fauteuil. Une table basse à côté, et à côté de la table, une chaise. Une chaise devant le secrétaire.
Tableau, fleurs. Pas de fenêtre.
Au premier acte, ambiance jour, plein feu.
Au deux et au trois, toutes les lampes allumées, et plein feu.

ACTE PREMIER

Bernard et Janet (en jupe et blouse) sont en train de prendre leur petit déjeuner sur la table face cour.

Janet. – Tu crois, Bernard darling, que j’ai le temps de remanger un yaourt ?

Bernard, regardant sa montre. – Mais oui, mon chéri… sûrement, en te dépêchant ! (Appelant après s’être levé, et ouvrant la porte fond jardin.) Berthe !…

Janet. – J’adore le yaourt au petit déjeuner. Pas toi ?

Bernard. – Pas spécialement, non.

Janet. – Tu verras, Bernard darling, que tu y viendras à la cuisine américaine et aux régimes diététiques qui font une peau jolie.

Bernard. – C’est le contraire !

Janet. – Comment, le contraire ? Ça fait une peau vilaine ?

Bernard. – Mais non. Le contraire, je veux dire : on dit : « une jolie peau », pas « une peau jolie ».

Janet. – Ah ! oui ? Pourquoi ?

Bernard. – Je n’en sais rien. C’est comme ça !

Berthe, entrant. – Monsieur m’a appelée ?

Bernard. – Oui. Vous apporterez un autre yaourt pour Mlle Janet.

Berthe. – Et aussi d’autres cornichons pour tremper dedans ?

Janet. – Ah ! oui ! Ça ! Et plus qu’on ne croit !…

Berthe. – Enfin, chacun vit comme il l’entend. Je ne suis pas là pour réformer le monde.

Bernard. – Mais oui, on le sait… Allez !

Berthe. – Bon. (Prenant le pot vide.) Alors encore un pot comme ça ?

Janet. – Oui, Bertie.

Berthe. – Mais vous allez vous rendre malade à manger ça !

Bernard. – Ah ! On vous demande deux yaourts pour le petit déjeuner, donnez-les sans discuter. Ce n’est pas vous qui les mangez, alors…

Berthe. – Heureusement !

Bernard. – Bon ! Dépêchez-vous ! Mademoiselle est pressée !

Janet. – Oui, Bertie, sans ça je vais rater mon avion.

Berthe. – On y va, on y va. Mais ce n’est pas une vie pour une bonne, ici !

Bernard. – Quoi ? Qu’est-ce qu’il y a encore ?

Berthe. – Rien… Rien… (Elle sort, cuisine.)

Janet. – Elle est toujours de mauvaise humeur.

Bernard. – Oui, tu le sais !

Janet. – C’est ennuyeux.

Bernard. – Oh ! non, c’est son caractère. Elle est comme ça.

Janet. – J’ai l’impression qu’elle ne m’aime pas.

Bernard. – Mais si. Seulement elle est toujours un peu étonnée de ce que tu manges, voilà tout. (Janet lui tend une cuillère de yaourt.) Non, non, merci.

Janet, en continuant de déjeuner. – Quelle heure est-il, chéri ?

Bernard. – Moins vingt-cinq.

Janet. – Alors ça ira… tout juste. Quand je suis avec toi, je ne vois pas passer le temps.

Bernard. – C’est gentil, ça.

Janet. – Tu es sage quand je ne suis pas là ?

Bernard. – Moi ? Oh ! là là ! Et comment !

Janet. – Très, très sage ?

Bernard. – Très, très sage !

Berthe, entrant. – Voilà le laitage de Mademoiselle.

Janet. – Merci, Bertie.

Berthe. – Ça sera tout ?

Bernard. – Non. Vous me redonnerez du café et de la limonade pour Mademoiselle.

Janet. – Non, merci chéri. J’ai assez bu.

Berthe. – Encore une chance ! (Elle sort.)

Janet. – Elle n’est vraiment pas très aimable.

Bernard. – Mais non.

Janet. – Si, je t’assure. Quand j’arrive, elle paraît toujours affolée. Quand je suis là, elle se calme un peu, et puis quand je vais partir, elle devient désagréable.

Bernard. – Eh bien ! c’est parce qu’elle est triste que tu partes !

Janet. – Ah ! Il est bien certain que si j’étais tout le temps là, ce serait différent, n’est-ce pas, darling ?

Bernard. – Ah ! ça ! Tout à fait différent. Le jour et la nuit ! Au fait, quand est-ce que tu rentres ?

Janet. – Eh bien !… c’est samedi aujourd’hui… Je serai à New York à 17 heures 08… En principe je dois aller jusqu’à Los Angeles, mais juste aller et retour.

Bernard. – Oui, mais ça nous met à quand alors ?

Janet. – De toute façon, je serai de nouveau ici lundi et je repartirai mercredi soir.

Bernard, sortant un carnet. – Ah ! bon, c’est ça… Alors tu dis… lundi ? À quelle heure ?

Janet. – Oh ! comme le lundi, chéri. 18 h 30, heure locale.

Bernard. – Bien, bien, bien ! Bien, bien !

Janet. – Mais pourquoi est-ce que tu notes ça ?

Bernard. – Pour savoir, pour ne pas confondre.

Janet. – Pas confondre ?

Bernard. – Oui… enfin de manière à m’arranger… pour mes affaires ! À être libre quand tu es là. (Regardant sa montre.) Tu sais que tu vas finir par le rater ?

Janet. – Tu me chasses ?

Bernard, au-dessus du ton. – Mais non. Mais à bavarder, le temps passe et les avions s’envolent.

Berthe, entrant. – Voilà le café.

Bernard. – Merci.

Janet. – Ah ! Bertie. Vous prendrez bien soin de Monsieur, n’est-ce pas, pendant mon absence ?

Berthe. – Comment donc ! Mademoiselle peut compter sur moi. Mais de toute façon, Monsieur n’a pas besoin de moi pour prendre soin de lui. Monsieur est assez grand.

Janet. – Il est assez grand, oui, bien sûr, mais tous les hommes sont des enfants.

Bernard. – Oui, enfin, de grands enfants.

Janet. – C’est ça, oui !

Berthe. – Ça, je ne sais pas, mais des grands enfants comme Monsieur, il n’y en a sûrement pas beaucoup ! Monsieur est du genre rarissime !

Bernard. – Bon, bon. Merci, ça va bien ! Mêlez-vous de ce qui vous regarde.

Berthe. – Mais Mademoiselle me demande. Alors je réponds, n’est-ce pas, et je dis que j’apprécie Monsieur à sa juste valeur.

Bernard. – Oui ! Eh bien ! allez m’apprécier ailleurs.

Janet. – Tu vois comme elle t’admire, chéri.

Berthe. – Ah ! ça pour admirer, j’admire ! C’est bien simple, je passe ma vie à admirer Monsieur !

Janet. – Ah ! ne l’admirez pas trop. Vous finiriez par devenir amoureuse de votre patron, et je serais jalouse… très jalouse.

Berthe. – Oh ! ça, je n’en suis pas là.

Bernard. – C’est encore heureux !

Janet. – Je vais m’habiller, chéri.

Bernard. – Oui. Dépêche-toi. (Janet sort face jardin.) Qu’est-ce que vous avez prévu pour déjeuner ?

Berthe. – L’Amérique se sera envolée ?

Bernard. – Oui. Alors ?

Berthe. – Alors ? Alors comme d’habitude ! J’attends ! J’attends les ordres ! Monsieur a ses horaires, n’est-ce pas, et les menus changent avec les horaires. Avec ces changements tout le temps !

Bernard. – À midi et demi, Jacqueline arrive…

Berthe. – Jacqueline ?

Bernard. – Eh bien ! oui !

Berthe. – Ah ! bon ! C’est que j’ai du mal à ne pas m’y perdre ! Je ne sais pas comment vous faites pour vous y retrouver, mais en tout cas, pour une bonne, ça n’est pas une vie !

Bernard. – Oh ! ne passez pas votre temps à me répéter ça. Je sais que ce n’est pas une vie pour une bonne… Je le sais !

Berthe. – Si vous le savez, c’est le principal ! Bon. Alors, qu’est-ce que je prépare ?

Bernard. – Je ne sais pas, moi… ce que vous voulez !

Berthe. – Je l’aime bien, moi, Jacqueline ! Qu’est-ce que vous diriez d’un bon petit cassoulet, vite fait ?

Bernard. – Ah ! non ! On en a eu il y a une semaine !

Berthe. – Forcément ! Jacqueline était là il y a une semaine !

Bernard. – Eh bien ! faites de la viande rouge.

Berthe. – Bon. Et pour dîner ? Un rôti de veau, peut-être ?

Bernard. – Ah ! oui, c’est ça, un rôti de veau, c’est une bonne idée.

Berthe. – Avec des petits oignons !

Bernard. – Ah ! mais non !

Berthe. – Pas d’oignons ?

Bernard, sortant son carnet. – Mais non…

Berthe. – Pourtant, Monsieur les aime bien…

Bernard. – Pas d’oignons et pas de rôti de veau. Ce soir ce n’est pas Jacqueline, c’est Judith qui sera là, à… 19 h 06 !

Berthe, ricanant. – Ah ! bon… Il fallait le dire ! Alors pour ce soir : choucroute et huit paires de Francfort.

Bernard. – C’est ça.

Janet, entre, elle est en hôtesse de l’air de la Victory Air Lines et porte le petit sac de toile avec les grosses initiales de la compagnie V.A.L. – Voilà ! Tu sais, chéri, j’y pensais en m’habillant : heureusement que tu t’es réveillé, sans ça je dormirais encore.

Bernard. – Eh bien ! tu vois, comme ça, c’est parfait !

Berthe, sortant avec le plateau. – Ah ! ça parfait ! Vraiment ! Je suis très contente ! (Elle est sortie.)

Janet. – Je te plais, chéri ?

Bernard. – Beaucoup, beaucoup. Tu es vraiment ce qui peut s’appeler une belle hôtesse. Mais maintenant c’est l’heure !

Janet, coup d’œil à sa montre. – Oh ! j’ai encore deux minutes ! Le temps de me faire les ongles.

Bernard. – Tu crois ? Ça n’est pas prudent ! Tu décolles à 11 heures !

Janet. – Il est neuf heures moins cinq, chéri.

Bernard. – Et s’il y a des embouteillages… À ta place, moi je me méfierais.

Janet, a sorti de son sac un flacon de rouge et se fait les ongles. – Juste un peu de vernis. Je suis très contente, tu sais, chéri.

Bernard. – Ah ! oui ? De partir ?

Janet. – Non ! Tu es bête ! Mais je crois que je vais être mutée sur un nouvel appareil. Beaucoup mieux, le Super-Boeing ! Un Jumbo ! Merveilleux ! Avec quatre réacteurs de 17 000 kilos de poussée ! Une puissance ascensionnelle fantastique !

Bernard. – Tiens ! C’est intéressant ça.

Janet. – Très intéressant ! Surtout pour nous, chéri !

Bernard. – Ah ! oui ? Je ne vois pas ce que ces 17 000 kilos peuvent nous faire à nous !

Janet. – Mais c’est un appareil bien plus rapide, chéri ! Alors, je serai là beaucoup plus souvent.

Bernard. – Ah ! bon.

Janet. – Ça n’a pas l’air de te faire plaisir !

Bernard. – Oh ! si… si ! Très plaisir. Mais il ne faut pas se réjouir trop tôt. Ça n’est pas pour demain.

On sonne.

Janet. – Pour bientôt, chéri, sûrement bientôt.

Berthe entre pour aller ouvrir.

Bernard. – Oui, enfin, en attendant moi à ta place pour y être à 11 heures, je filerais à Roissy tout de suite.

Berthe. – Ça c’est un bon conseil que Monsieur vous donne ! Un conseil de sécurité, n’est-ce pas, Monsieur ?

Bernard. – Et comment !

Berthe est sortie.

Janet. – Vous êtes très gentils tous les deux, et je vous adore. Toi plus qu’elle !

Bernard. – Merci !

Berthe, entre. – Il y a un M. Castin qui vient pour vous voir.

Bernard. – Castin ? Voyons, Castin… Ah ! mais oui ! Faites-le entrer. (Berthe ressort.) C’est un vieux copain de lycée. J’ai été avec lui de la 5e jusqu’à la 1re B. Il n’a pas été reçu d’ailleurs !

Janet. – Ah ! oui ?

Berthe entre avec Robert.

Robert, dans la joie avec serviette et parapluie. – Ah ! ah ! ah ! ah !…

Bernard. – Mais ce n’est pas possible ! Toi ? Ici ? Comment vas-tu ?

Robert, hilare et dans une joie expansive. – Et toi ?

Bernard. – Pas mal, tu vois !

Robert. – Eh bien moi non plus !

Bernard. – Sacré Robert, va !

Robert. – Sacré Bernard !

Berthe sort en emportant la serviette et le parapluie de Robert.

Janet. – Bernard !

Bernard. – Hein ? Oh ! pardon. Je te présente Robert Castin.

Janet. – Enchantée, monsieur.

Robert. – Moi de même, mademoiselle.

Bernard. – Janet Hawkins. Américaine de son état et hôtesse de l’air de son métier, à la Victory Air Lines, comme tu peux voir !

Robert. – Je vous félicite, mademoiselle.

Janet. – Chéri, tu as oublié de dire le principal à ton ami.

Bernard. – Ah ! oui ? Quoi donc ?

Janet. – Mais que je suis ta fiancée, Bernard darling !

Bernard. – Ah ! mais oui, voyons, bien sûr. C’est ma fiancée.

Robert. – Ah ! Alors toutes mes félicitations… et tous mes vœux, et toi… Bravo ! Tu as un goût !…

Bernard. – N’est-ce pas qu’elle est ravissante ?

Robert. – Ravissante !

Janet. – Vous n’avez pas de fiancée, monsieur ?

Robert. – Hé ! non mademoiselle… non ! Je n’ai personne, moi. Je suis tout seul. J’arrive d’Aix.

Bernard. – Oui, oui… Ça ! On le sait !

Janet. – Mais il y a des belles filles dans le Midi…

Robert. – Oui, bien sûr, mais je n’en ai pas trouvé. Alors, il faudra que je me rabatte sur une Parisienne. Mais je vous raconte ma vie. Je vous dérange. Je reviendrai…

Janet. – Mais pas du tout ! Je dois m’envoler…

Robert, sans comprendre. – Ah ! bon ? Tiens, tiens !…

Bernard, mimant. – Hôtesse de l’air.

Robert. – Ah ! oui… Parfaitement… Vous allez vous envoler…

Janet. – C’est ça, oui ! Je vous confie mon trésor jusqu’à mon retour.

Bernard. – Mais oui, naturellement… Mais va, mon chéri, tu vas le rater !

Janet. – Non, il faut que je t’embrasse encore.

Bernard, à Robert. –  Tu permets ?

Robert. – Mais je vous en prie.

Il se tourne et regarde le miroir. Bernard et Janet s’embrassent, puis Robert toussote.

Janet, se dégageant. – Je t’adore !

Bernard. – Moi aussi.

Janet. – Au revoir, monsieur.

Robert, dans le miroir. – Au revoir, mademoiselle.

Janet, à Bernard. – Tu es un amour.

Bernard. – Mais oui, mais oui… Toi aussi.

Janet. – À lundi.

Bernard. – C’est ça, à lundi.

Janet lui envoie encore un baiser de la main et sort.

Robert. – Eh bien ! mon vieux… Mes compliments ! Ça, c’est de la belle fille ou je ne m’y connais pas.

Bernard. – Ah ! ça ! Elle est très bien…

Robert. – Mieux que ça ! Et si j’en trouvais une pareille, je m’en contenterais.

Bernard. – Je te comprends ! Tu bois quelque chose ?

Robert. – Oui. Ce que tu veux ! (S’avançant vers la rampe et regardant la salle.) Oh ! mais dis-moi… Tu as une vue superbe ! On voit tout Paris !

Bernard. – Oui… oui.

Robert. – Alors ? Toujours dans l’architecture ?

Bernard. – Mais oui… toujours ! Ça me fait plaisir de te voir, mon vieux ! Alors qu’est-ce qui t’amène ?

Robert. – Eh bien, voilà : quand tu as quitté Aix pour t’installer ici tu m’as dit : « Viens me voir quand tu monteras ! »

Bernard. – Oui. Alors ?

Robert. – Alors… me voilà ! Et comme je cherche un appartement, je voudrais que tu me donnes l’adresse de l’agence qui t’a trouvé le tien.

Bernard. – C’est bien facile…

Robert. – Je veux absolument un appartement, parce que je vais me marier !

Bernard. – Non ?

Robert. – Si !

Bernard. – Mais alors… tu es fiancé ?

Robert. – Oui… Enfin, non ! C’est-à-dire que je connais vaguement une fille charmante, alors celle-là ou une autre, je me dis qu’il faut bien que je fasse une fin.

Bernard. – Déjà ? Tu as l’air en pleine forme, pourtant.

Robert. – Eh bien ! oui. Tu es en pleine forme toi aussi, et tu fais une fin, toi aussi !

Bernard. – Non.

Robert. – Pourtant… j’ai cru comprendre qu’avec cette Américaine, enfin… vous êtes fiancés ?

Bernard. – Ah ! ça ! Oui !… Nous sommes fiancés.

Robert. – Alors, tu vas te marier !

Bernard. – Non !

Robert. – Enfin, si vous êtes fiancés, c’est bien pour vous marier. Ça paraît logique… Non ?

Bernard. – Non ! Et d’abord, tu l’aimes, cette fille que tu connais vaguement !?

Robert. – Oh ! Je n’en suis pas fou, mais comme un jour ou l’autre il faut bien avoir un foyer, un intérieur… Alors je me résigne ! Et puis il y a les avantages sociaux.

Bernard. – Oh ! les avantages sociaux ! Si tu veux te marier, marie-toi comme moi alors !

Robert. – Comment ?

Bernard. – Plusieurs fois. Sois polygame. Ça c’est la reine des vies ! Agréable, changeante, l’idéal, quoi !

Robert. – Je ne te dis pas le contraire, seulement c’est très risqué d’avoir plusieurs femmes…

Bernard. – Mais il n’est pas question d’avoir plusieurs femmes ! Des fiancées seulement ! Et ça revient au même. Tu as tous les avantages du mariage sans aucun des inconvénients ! À condition de savoir se limiter, bien entendu ! Moi j’ai trois fiancées !

Robert. – Trois ?

Bernard. – Oui… Trois, c’est parfait ! Moins, c’est monotone ; davantage, ce serait fatigant… Trois, c’est le rêve !

Robert. – Enfin… c’est immoral !…

Bernard. – Immoral ? Pour qui ? Pourquoi ? Aucune ne sait qu’il y en a deux autres et chacune croit qu’elle est la seule ! C’est la reine des vies ! Les avantages du harem en plein Paris, et sans être musulman !

Robert. – Que tu dis ! Une seule femme ça procure déjà des ennuis, mais alors trois !

Bernard. – Pas avec moi !

Robert. – Avec toi comme avec les autres.

Bernard. – Mais tu es buté ! Je t’en parle en connaissance de cause. J’ai trouvé le truc !

Robert. – Il n’y a pas de « truc ». Il ne peut pas y avoir de truc ! S’il y avait un truc, depuis le temps, ça se saurait ! Une femme c’est des ennuis… deux femmes…

Bernard. – Sauf si tu t’organises comme moi, et que tu n’as pas de femme légitime. Rien que des fiancées illégitimes !

Robert. – Pour mieux courir au désastre !

Bernard. – Impossible ! À cause des fuseaux horaires.

Robert. – Hein ?

Bernard. – Les fuseaux horaires.

Robert. – Ah ! oui ?!

Bernard. – Tu as compris ?

Robert. – Non.

Bernard. – C’est pourtant d’une simplicité enfantine. Seulement il suffisait d’y penser. Mes trois fiancées sont des hôtesses de l’air !

Robert. – Quelle l’idée !

Bernard. – C’est là qu’est le truc. Et puis ce sont des filles épatantes. Celle que tu viens de voir…

Robert. – Ah ! ça, épatante !

Bernard. – Et les deux autres sont aussi bien ! Forcément ! Elles sont triées sur le volet dans les concours d’admission des différentes compagnies. Et sur tous les plans ! Physique, moral,...

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