Le salon des Ventroux. Au fond, au milieu de la scène porte à deux vantaux, ouvrant sur l’intérieur (battant droit fixé par une ferrure extérieure.). Cette porte donne sur le vestibule, au fond duquel, juste en face, on aperçoit la porte d’entrée ouvrant elle-même sur le palier (battant droit fixe.). À droite de la porte du salon sur vestibule, également face au public, porte à un vantail ouvrant sur la coulisse, et menant à la chambre de Clarisse.

À gauche de la scène, premier plan, un pan de mur contre lequel un meuble d’appui quelconque. Au deuxième plan, formant pan coupé, porte à caisson, à deux vantaux, conduisant dans le cabinet de travail de Ventroux. À droite de la scène, premier plan, la cheminée avec sa garniture et sa glace : deuxième plan, grande fenêtre avec imposte. Entre rideaux et fenêtre, grand store de guipure descendant jusqu’en bas, et glissant sur tringle de l’avant-scène au lointain. Cordon de tirage, pour la manœuvre dudit store, côté gauche de la fenêtre. En scène, face au public, un grand canapé à dossier élevé, le côté droit du fauteuil touchant presque la cheminée côté lointain. Devant le canapé, à droite sur un petit guéridon bas, une tasse à café, une petite cafetière, un sucrier, le tout sur un petit plateau. À l’avant-scène, près de la cheminée, dos au public, un fauteuil bergère à dossier bas. À gauche de la scène, une grande table de salon, placée perpendiculairement au spectateur. Une chaise de salon de chaque côté. Chaise à droite et à gauche de la porte du fond. Bouton de sonnette électrique au coin de la cheminée, côté de la fenêtre. Sur la table, un bloc-notes. Lustre, écran de foyer, chenets, etc. Le reste du mobilier ad libitum.

 

SCENE I

 

Victor, puis Ventroux

 

Au lever du rideau, Victor sur un escabeau, arrange le cordon de tirage du store de la fenêtre. (Le battant gauche de la porte sur vestibule est ouvert.). À la cantonade, dans la chambre de Clarisse, on entend des bribes de conversation où domine la voix de Ventroux et de son fils, la voix de Clarisse étant plus lointaine, comme venant d’une pièce plus éloignée. Au bout d’un moment, on distingue ceci :

VOIX DE VENTROUX - Comment ? Qu’est-ce que tu dis, Clarisse ?

VOIX DE CLARISSE (trop lointaine pour qu’on comprenne ce qu’elle dit.) - ????

VOIX DE VENTROUX - Oh ! bien, je ne sais pas ; aussitôt la fin de la session, nous partirons pour Cabourg.

VOIX DU FILS DE VENTROUX - Oh ! C’est ça, papa ! Oh ! Oui, pour Cabourg !

VOIX DE VENTROUX - Oh ! Ben, quoi ! Attends que la chambre soit en vacances !

VOIX DE CLARISSE (au même diapason que les autres.) - Attendez, mes enfants que je prenne ma chemise de nuit !

VOIX INDIGNÉE DE VENTROUX - Oh ! Clarisse ! Clarisse ! Voyons, tu perds la tête !

VOIX DE CLARISSE - Pourquoi ?

VOIX DE VENTROUX - Mais je t’en prie ! Voyons, regarde-toi ! Il y a ton fils !

VOIX DE CLARISSE - Eh ! Ben, oui ! Ben oui ! Le temps de prendre ma chemise de nuit, et...

VOIX DE VENTROUX - Mais non ! Mais non ! Je t’en prie, voyons, tu es folle ! On te voit. Va-t’en !

VOIX DE CLARISSE - Ah ! Et puis, tu m’ennuies ! Si tu dois faire des scènes !...

VOIX DE VENTROUX - Ah ! Non, tiens ! J’aime mieux m’en aller ! Plutôt que de voir des choses !... Et puis, toi, Auguste, qu’est-ce que tu as besoin de traîner dans la chambre de ta mère ?

VICTOR (qui depuis un moment, s’est arrêté de son travail pour prêter l’oreille, avec un hochement de tête.) - Ils se bouffent !

VOIX DE VENTROUX - Allez, fiche-moi le camp !

VOIX DU FILS DE VENTROUX - Oui, papa.

VENTROUX (paraissant en scène et faisant claquer la porte sur lui.) - Non ! Ce manque de pudeur !... (À Victor.) Et puis, qu’est-ce que vous faites là, vous ?

VICTOR (toujours sur son escabeau.) - J’arrange les cordons de tirage.

VENTROUX - Vous ne pouvez pas vous en aller quand vous entendez que je... que je cause avec madame ?

VICTOR - Je voulais finir, monsieur.

VENTROUX - Oui ! Pour mieux écouter aux portes ?

VICTOR - Aux portes !... Je suis à la fenêtre.

VENTROUX - C’est bon ! Allez-vous en !

VICTOR (abandonnant son store, qu’il laisse tiré grand ouvert, descendant de son escabeau.) - Oui, monsieur.

Il fait basculer les marches inférieures de l’escabeau, façon à le replier.

VENTROUX - Et emportez votre escabeau !

VICTOR - Oui, monsieur.

Il sort en emportant l’escabeau.

VENTROUX (lui refermant avec humeur le battant de la porte sur le dos.) - Il faut toujours qu’on l’ait dans les jambes, celui-là !

Il descend et, maussade, va s’asseoir à droite de la table.

 

 

 

 

 

SCENE II

 

Ventroux, Clarisse

 

CLARISSE (surgissant en coup de vent de sa chambre. Elle est en chemise et ses bottines. Descendant vers son mari.) - Ah ça ! Veux-tu me dire ce qui t’a pris ? Après qui tu en as ?

VENTROUX (le coude droit sur la table, le menton sur la paume de la main, sans se retourner.) - Apparemment après qui le demande ! (Se retournant vers sa femme et apercevant sa tenue.) Ah ! Non ! Non ! Tu ne vas pas aussi te promener dans l’appartement en chemise de nuit !... avec ton chapeau sur la tête !

CLARISSE - Oui, eh ! bien, d’abord, je te prie de m’expliquer... J’enlèverai mon chapeau tout à l’heure.

VENTROUX - Eh ! Ton chapeau ! Je m’en fiche pas mal, de ton chapeau ! C’est pas après lui que j’en ai !

CLARISSE - Enfin, qu’est-ce quej’ai encore fait ?

VENTROUX - Oh ! Rien ! Rien ! Tu n’as jamais rien fait !

CLARISSE (remontant vers le canapé.) - Je ne vois pas !...

VENTROUX (se levant.) - Tant pis, alors ! Car c’est encore plus grave, si tu n’as même plus conscience de la portée de tes actes.

CLARISSE (s’asseyant sur le canapé.) - Quand tu voudras m’ expliquer !...

VENTROUX - Alors, tu trouves que c’est une tenue pour une mère d’aller changer de chemise devant son fils ?

CLARISSE - C’est pour ça que tu fais cette sortie ?

VENTROUX - Evidemment, c’est pour ça !

CLARISSE - Eh ! bien, vrai ! J’ai cru que j’avais commis un crime, moi.

VENTROUX - Alors, tu trouves ça naturel ?

CLARISSE (avec insouciance.) - Pffeu ! Quelle importance ça a-t-il ? Auguste est un enfant... Si tu crois seulement qu’il regarde, le pauvre petit ! Mais, une mère, ça ne compte pas.

VENTROUX (tranchant.) - Il n’y a pas à savoir si ça compte ; ça ne se fait pas.

Il remonte au-dessus du canapé.

CLARISSE - Un gamin de douze ans !

VENTROUX (derrière elle.) - Non, pardon, treize !

CLARISSE - Non, douze !

VENTROUX - Treize, je te dis ! Il les a depuis trois jours.

CLARISSE - Eh ! bien oui, trois jours ! Ça ne compte pas.

VENTROUX (redescendant au milieu de la scène.) - Oui, oh ! Rien ne compte avec toi.

CLARISSE - Si tu crois qu’il sait seulement ce que c’est qu’une femme !

VENTROUX - En tout cas, ce n’est pas à toi à le lui apprendre ! Mais, enfin, qu’est-ce que c’est que cette manie que tu as de te promener toujours toute nue ?

CLARISSE - Où ça, toute nue ! J’avais ma chemise de jour.

VENTROUX - C’est encore plus indécent ! On te voit au travers comme dans du papier calque.

CLARISSE (se levant et allant à lui.) - Ah ! Voilà ! Voilà, dis-le donc ! Voilà où tu veux en venir : tu voudrais que j’aie des chemises en calicot !

VENTROUX (abasourdi.) - Quoi ? Quoi des chemises en
calicot ? Qui est-ce qui te parle d’avoir des chemises en calicot ?

CLARISSE - Je suis désolée, mon cher ! mais toutes les femmes de ma condition ont des chemises en linon, je ne vois pas pourquoi j’aurai les miennes en madapolam.

En parlant elle passe no1.

VENTROUX (descendant à droite.) - Ah ! Bon ! Les voilà en madapolam, à présent.

CLARISSE - Ah, ben, merci ! Qu’est-ce que diraient les gens !

VENTROUX (se retournant à ce mot.) - Les gens ! Quels gens ? Tu vas donc montrer tes chemises aux gens ?

CLARISSE (faisant brusquement volte-face et marchant sur son mari.) - Moi !... Moi, je vais montrer mes chemises aux gens ! Voilà où tu en arrives !

VENTROUX (appuyant sur chaque « non ».) - Mais non ! Mais non ! Ne fais donc pas toujours dévier la conversation pour prendre l’offensive ! Je ne t’accuse de rien du tout ! Je ne te demande pas d’avoir des chemises en calicot, ni en madapolam ! Je te demande simplement, quand ton fils est dans ta chambre, d’avoir la pudeur de ne pas te déshabiller devant lui !

CLARISSE (avec un calme...

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