Tais-toi et parle moi !

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En une succession de tableaux, “Tais-toi et parle-moi” montre sept personnages aux prises avec leurs sentiments, leurs désirs, leurs difficultés à s’entendre. Trois couples comme trois moments de la vie amoureuse : la rencontre, la crise, l’abnégation. Et une femme seule, écho du désir incontrôlé, encombrant. Dans cette pièce drôle et grinçante de David Thomas, on peine à exprimer ce que l’on ressent vraiment parce que “les mots n’en font qu’à notre tête”, nous échappent… Il faut donc les prendre au pied de la lettre, cesser de s’interpréter. Ici, une femme autorise un homme à la rencontrer mais elle précise bien qu’elle ne le rencontre pas, un homme perd sa libido comme on perd ses clés, un autre est un malade sans maladie, une femme traîne littéralement son ennui derrière elle et malgré toute leur bonne volonté pour y parvenir, un couple n’arrive pas à se disputer… Au pied de la lettre vous dit-on

 

Scène 1

 

Un lieu public. Soltera semble perdue dans ses pensées.

Monsieur Sens passe devant elle.

Soltera - Parlez-moi.

Monsieur Sens - Pardon ?

Soltera - Parlez-moi, monsieur.

Monsieur Sens - Euh… mais qu’est-ce que vous voulez que je vous dise ?

Soltera - Parlez-moi, s’il vous plaît, parlez-moi.

Monsieur Sens - Oui. Vous habitez dans le quartier ?

Soltera - Parlez-moi…

Monsieur Sens - Mais c’est ce que je fais, mademoiselle.

Soltera - Parlez-moi. J’ai besoin qu’on me parle.

Monsieur Sens - D’accord, je vais vous parler, on va aller s’asseoir et je vais vous parler.

Soltera - Parlez-moi.

Monsieur Sens - Oui… Comment vous appelez-vous ?

Soltera - On s’en fout, parlez-moi.

Monsieur Sens - Vous êtes sûre que ça va ?

Soltera - Parlez-moi, tout ce que je veux c’est que vous me parliez.

Monsieur Sens - Vous voulez que je vous raconte une histoire, une histoire drôle, vous aimez ça les histoires drôles ?

Soltera - Mais non, parlez-moi je vous dis. Je veux qu’on me parle, j’ai besoin qu’on me parle.

Monsieur Sens - Mais vous ne préférez pas parler, vous ? Je peux vous écouter si vous voulez.

Soltera - Non, je veux qu’on me parle, qu’on m’adresse la parole, je veux qu’on s’adresse à moi. Vous pouvez comprendre ça ? Je voudrais qu’on s’adresse à moi.

Monsieur Sens - Oui, oui, je comprends.

Soltera - Etre là, comme ça, par hasard, et que par hasard aussi un type s’adresse à moi.

Monsieur Sens - Ah ! d’accord ! Je vois. Qu’on vous demande l’heure ou qu’on vous demande une rue.

Soltera - Peu importe, je m’en fous, ce que je veux c’est qu’on me parle.

Monsieur Sens - Moi, je veux bien vous demander l’heure, mais là, du coup, ça fait moins spontané.

Soltera - L’heure ou autre chose, je vous dis, c’est pas le problème, le problème c’est de me parler.

Monsieur Sens - Bon, ben… Alors voilà, je voulais juste vous dire, mademoiselle, que je vous trouvais très jolie.

Soltera - Vous me prenez pour une conne, c’est ça ? Vous croyez que je le sais pas que je suis moche ?

Monsieur Sens - Mais vous n’êtes pas moche du tout, au contraire, vous êtes jolie.

Soltera - C’est comme ça que vous abordez les femmes dans la rue, vous ?

Monsieur Sens - Ben, c’est-à-dire que… j’ai pas l’habitude d’aborder les femmes dans la rue, je sais jamais quoi leur dire.

Soltera - Ça se voit que vous savez pas quoi leur dire.

Monsieur Sens - Vous voulez qu’on aille boire un café ?

Soltera - Oh non ! Pitié, pas le coup du café.

Monsieur Sens - Ne le prenez pas mal, c’est pas du tout…

Soltera - C’est pas du tout quoi ?

Monsieur Sens - C’est pas… Enfin, c’était comme ça, gentiment, enfin, sans…

Soltera - Sans penser à mal, je sais. Mais enfin c’est si dur que ça de se parler ?

Monsieur Sens - Ça dépend, il faut laisser un peu de temps, que les choses se fassent doucement…

Soltera - Tu parles ! Mais enfin pourquoi, nom de Dieu, pourquoi c’est si compliqué, pourquoi ça passe pas ? Ça passe pas, vous comprenez ça ? Ça passe pas, ça passe pas, ça passe pas.

Monsieur Sens - Mais attendez, soyez patiente, et puis il faut se connaître un peu, avoir des choses à se dire.

Soltera - Pas besoin de choses à se dire pour se parler, c’est pas vrai, on peut très bien se parler sans avoir des choses à se dire.

Monsieur Sens - Mais alors on se dit quoi si on n’a pas besoin de se dire des choses pour parler ?

Soltera - On se parle, point. On se parle et c’est tout.

Monsieur Sens - Eh bien, on parle, là, non ?

Soltera - On parle peut-être mais on se comprend pas, c’est pire.

Un temps.

Monsieur Sens - Excusez-moi, mais là, du coup, je sais plus quoi dire.

Soltera - Eh ben, dites rien… Allez, laissez-moi… Foutez-moi la paix.

Monsieur Sens - Bien, alors au revoir mademoiselle.

Soltera - C’est ça, au revoir, au revoir. (Un temps.) Pff… et après on s’étonne que je parle toute seule.

 

 

 

Scène 2

 

Mademoiselle Elle fait les cent pas dans son appartement. Comme pour se convaincre, elle pense tout haut ce qu’elle ne semble pas parvenir à mettre en pratique.

Mademoiselle Elle - Non, c’est pas ça, ce que je veux, c’est ça ! Pas ça, ça ! Ça, non. Ça ! J’y peux rien si je suis précise. On a le droit d’être précis ? Bon ! Alors moi c’est ça que je veux. Ça ! Pas la peine de me proposer ça ou ça ou ça ou ça, c’est ça que je veux. Ça ! On n’arrête pas de me proposer un peu de ça ou à côté de ça, parfois même juste à côté, bon, d’accord, c’est sûr, c’est pas loin, mais moi c’est pas un peu ou presque ou presque ou presque ou presque, ce que je veux, moi, c’est ça. Voilà, ça, et rien d’autre. C’est tout de même incroyable que quand on sait ce qu’on veut on ne puisse pas l’obtenir. Quand on sait pas ce qu’on veut on l’obtient et quand on sait ce qu’on veut on l’obtient pas !? Après on nous dit « tu sais pas ce que tu veux », mais moi je sais très bien ce que je veux. Ce que je veux c’est ça ! Et rien d’autre. Si c’est juste un peu à côté de ça, j’ai remarqué, ça prend pas, ça fonctionne pas. ça ! Et rien d’autre. Je sais très bien ce que je veux.

 

 

 

Scène 3

 

Chez Monsieur Lui. Monsieur Lui et Madame Torve viennent de faire l’amour. Ils se rhabillent.

Monsieur Lui - Quitte-le.

Madame Torve - Non. Quitte-moi si tu veux mais je ne le quitterai pas.

Monsieur Lui - Mais j’ai aucune envie de te quitter.

Madame Torve - Bon, alors je te quitte si tu veux.

Monsieur Lui - Comment ça tu me quittes ?

Madame Torve - Ben oui, je ne veux pas quitter mon mari, tu ne veux pas me quitter, alors le mieux c’est que je te quitte.

Monsieur Lui - Mais tu veux me quitter ?

Madame Torve - Pas spécialement.

Monsieur Lui - Alors pourquoi tu me quittes ?

Madame Torve - Pour trouver une solution.

Monsieur Lui - Mais qu’est-ce que tu racontes ? C’est pas ça la solution.

Madame Torve - Alors, c’est quoi la solution ?

Monsieur Lui - Eh bien, c’est que tu le quittes.

Madame Torve - Mais puisque je te dis qu’il n’en est pas question. Cette situation me va très bien comme ça.

Monsieur Lui - Peut-être, mais pas moi.

Madame Torve - Alors quitte-moi.

Monsieur Lui - Mais j’ai aucune envie de te quitter.

Madame Torve - Bon, alors je te quitte.

Monsieur Lui - Tu dis ça comme si tu t’en foutais.

Madame Torve - Mais non, mais s’il n’y a que ça comme solution…

Monsieur Lui - Mais tu l’aimes plus.

Madame Torve - Si, je l’aime.

Monsieur Lui - Il y a deux semaines tu m’as dit que tu l’aimais plus.

Madame Torve - Oui, c’était il y a deux semaines. Maintenant je l’aime à nouveau.

Monsieur Lui - Tu l’aimes à nouveau ?

Madame Torve - Oui, je l’aime toujours !

Monsieur Lui - Quelle salope tu fais !

Madame Torve - Ah ! ça y est, les insultes !

Monsieur Lui - Tu as eu combien d’amants depuis que tu es avec lui ?

Madame Torve - Je sais pas, tu dois être le septième, le huitième…

Monsieur Lui - Et tu les as tous quittés comme ça ?

Madame Torve - Mais vous ne m’en laissez pas le choix. Vous voulez tous que je le quitte. Moi ce que je veux c’est rester avec lui et avoir des amants.

Monsieur Lui - Mais t’es pas heureuse avec lui.

Madame Torve - Non, mais je l’aime et je veux qu’il reste mon mari.

Monsieur Lui - Eh ben, reste avec lui ! Allez, ciao !

Madame Torve - Quoi ? Tu me quittes ?

Monsieur Lui - Oui, je te quitte, parce que tu ne m’en laisses pas le choix.

Madame Torve - Ça alors, j’en reviens pas ! Tu oses me quitter. Alors que les choses soient claires entre nous : c’est pas toi qui me quittes, c’est moi qui te quitte.

Monsieur Lui - Non, c’est moi qui te quitte, c’est moi qui l’ai dit en premier.

Madame Torve - Non, c’est moi.

Monsieur Lui - Non, c’est moi.

Madame Torve - Pas du tout, c’est moi.

Elle sort.

 

 

 

Scène 4

 

Monsieur Torve est chez lui, seul. Il est pensif devant un jus d’abricot.

Monsieur Torve - Je serais curieux de savoir où ils se retrouvent, si c’est chez lui ou à l’hôtel. J’aimerais savoir si elle retire sa culotte dans l’ascenseur, si elle le suce dans les parkings, si elle prononce les mêmes mots qu’elle prononçait au début de notre histoire et qu’elle ne me dit plus. Si elle a pour son sexe la même affection qu’elle avait pour le mien. Je serais curieux de savoir si elle lui réclame des choses qu’elle n’a jamais osé me réclamer. J’aimerais savoir si elle pense à moi quand ils font l’amour, si elle ferme les yeux ou si au contraire elle le regarde et le trouve...

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