Prologue
Ève
Adam ?
Adam
Ève ?
Ève
Je m’ennuie.
Adam
C’est normal.
Ève
Oui. Mais aujourd’hui je m’ennuie particulièrement.
Adam
Pourquoi tu n’irais pas jouer avec les animaux ?
Ève
J’en ai assez de jouer et eux aussi. Même le serpent s’ennuie à mourir : on dirait un boyau mort.
Ils s’attardent sur le serpent, dépités.
Adam
Va cueillir des fruits !
Ève
J’ai mal au ventre à force de manger des fruits.
Temps.
Adam
Tu nous couverais pas un petit cafard du dimanche soir, toi ?
Ève
Notre solitude me pèse.
Adam
Je ne te suffis plus ?
Ève
Si, mais…
Adam
Tu ne te réjouis plus, à ton réveil, de voir la rosée mouiller nos hibiscus ?
Ève
Si, si…
Adam
Tu ne ris plus de la danse des singes quand ils se pendent aux baobabs par la queue ?
Ève
Si…
Adam
Tu ne t’émeus plus du piaillement des chatons quand ils…
Ève
Je les tuerais. (Temps.) Je ne comprends pas pourquoi on nous condamne à vivre l’un avec l’autre.
Il l’embrasse.
Adam
Essaie de ne plus penser.
Ève
C’est trop difficile.
Adam
Allonge-toi. Laisse-moi baiser ton front… tes angoisses…
Ève
Je voudrais m’épanouir intellectuellement.
Adam
Pour quoi faire ? Profite ! J’aime l’écorchure de tes genoux, tes hanches de luthier, l’horizon de tes cuisses…
Ève
Ça va, j’ai compris… Décolle ta feuille.
Adam
Embrasse-moi.
Ève
Enfile la mue de serpent.
Adam
Ah non.
Ève
Je ne transigerai pas.
Adam
Pas la mue ! Ève ! Nous devons nous reproduire…
Ève
Pour quoi faire ?
Adam
Pour assurer notre descendance.
Ève
Hors de question. Si nous nous reproduisons, nos enfants n’auront pas d’autre choix que de se reproduire entre eux. Et leurs enfants après eux…
Adam
Et alors ?
Ève
Et alors ?! Adam… Ils vont dégénérer !
Adam
Ils vont dégénérer ?
Ils se tournent vers le public et observent longuement le spectacle de la dégénérescence future.
Ève
Ils vont dégénérer, oui.
1
Lui
Jure-moi que tes mains, tes bras, tes seins, tes tétons, ton dos, tes reins, ton ventre, ton nombril, tes jambes, tes pieds, tes hanches, tes talons, tes ongles, ta nuque, ton menton, tes yeux, tes lobes, ta glotte, tes enclumes, tes cils, tes cheveux, tes sourcils, tes joues, tes pommettes, jure-moi que ta langue, ta gorge, tes dents, tes gencives, tes fesses, tes lèvres, tes cuisses, ton pubis, tes muscles, ton cœur, ton foie, tes poumons, ton sang, ta rate, ton larynx, tes os, ta bile et ton sexe, jure-moi que tu ne les laisseras pas vieillir pendant tout le temps que durera notre histoire.
Elle
Je te jure que ta mère, ta sœur, ton père, tes frères, tes oncles, tes nièces, ton filleul, ton chat, ton patron, tes amis, tes ennemis, tes maîtresses, tes voisins, tes stagiaires, tes collègues, Pablo, Norah, Karim, Elizabeth, je te jure que ton ostéopathe, ton concierge, ton avocate, ta fleuriste, ton psychanalyste et sa femme, je te jure que je les séduirai mille fois plus que toi pour que chacun te crache dessus le jour où tu me quitteras.
2
Piste de danse. Il s’approche d’elle, terriblement nerveux.
Lui
Excusez-moi, ça va vous paraître un peu bizarre mais… est-ce que vous pourriez m’inviter à danser ? Comme je danse très mal, je préfère que ça vienne de vous. Sinon ça fait le type très sûr de lui alors que… Vous comprenez…
Elle
Non, je comprends pas, non.
Lui
Pitié, ne me laissez pas m’enfoncer… Je vous demande juste de dire : « Est-ce que je peux vous inviter à danser ? » (Il jette un œil vers le public.) Je vous en supplie.
Elle
Bon. (Elle soupire.) Est-ce que je peux vous inviter à danser ?
Lui
Merci. Vous faites ça très bien. Juste… si vous pouviez le dire un peu plus fort ?
Elle
Est-ce que je peux vous inviter à danser ?
Lui, joue la surprise.
Ooooh ! Wahouuu ! Vous m’invitez ? Alors ça, si je m’attendais ! Après tout, hé, hé, why not ?
Elle est consternée. Ils dansent.
Elle
Vous êtes de quel côté, vous ? De la mariée ou…
Lui
Famille du marié. Cousin germain. (Il regarde en direction du public.) Ça se danse comment, ce qu’on entend ? C’est du trois temps ? Quatre temps ?
Elle
Euh… trois temps, je crois.
Lui
Mais qui dirige ? C’est vous ou c’est moi ?
Elle
On fait au feeling, non ?
Lui
Ah non, au feeling, quel enfer !
Elle
Vous êtes tendu.
Lui
J’ai un gros déficit de confiance en moi ce soir… Vous voyez la petite blonde à droite de la pièce montée ? Celle qui danse avec le grand con en costume bleu ? Vous la voyez ?
Elle
Oui, elle est très jolie.
Lui
Je sais. Est-ce que vous pouvez voir comment elle réagit… l’air de rien ?
Elle
Elle vient juste de tourner la tête. Elle fait semblant de ne pas s’intéresser, mais je peux vous jurer qu’elle n’en perd pas une miette.
Lui
Oh ! je suis content ! Vous êtes fantastique, merci. Vous pouvez faire semblant de me dire des choses agréables, s’il vous plaît ?
Elle
Agréables… sur vous ?
Lui
Oui, des compliments… n’importe quoi.
Elle
Je vais essayer. Euh… c’est pas évident… Qu’est-ce que je peux dire ?…
Lui
C’est si difficile à trouver ?!
Elle
Non, non ! Vous êtes drôle, horriblement maladroit aussi, c’est adorable… Et puis vos mains, elles sont très belles… (Elle jette un œil vers le public, lui prend une main.) D’ailleurs, si ça ne vous dérange pas, posez-la ici, sur ma hanche.
Lui
Ah bon ? Vous êtes sûre ?
Elle
Oui, oui, n’ayez pas peur. Posez franchement.
Lui
Mais… ça ne va pas trop loin pour vous ? Je ne voudrais pas…
Elle
C’est parfait. Je peux vous demander un petit service ?
Lui
Tout ce que vous voulez.
Elle
Vous avez Camille dans votre champ de vision ?
Lui
Camille…