20 Ans

SCÈNE 1

Les lumières sont éteintes, les volets fermés mais on sent que le jour est déjà bien avancé.

Sonnerie lugubre d’un téléphone portable.

Au fond de la pièce, dans un lit que l’on n’a pas soupçonné, un jeune garçon sursaute.

Il décroche, la voix ensommeillée.

Bonjour maman… Oui je suis réveillé, maintenant oui… Merci maman… Oui j’ai prévu une petite soirée avec les potes. Mais non ne t’inquiète pas on fera attention... Oui c’est chez Damien il n’y a que chez lui qu’il y a de la place... Oui il vient me chercher... Oui maman je sais… Oui maman je dors chez lui. Oui maman. Non maman. Oui maman. Non maman. Oui maman ne t’inquiète pas. Non maman ce n’est pas la peine… Bonjour papa. Oui, ça va. Merci. Oui moi aussi je t’embrasse. Oui nous fêterons ça dignement dimanche tous ensemble. Oui, juste après l’office. Oui au revoir papa… Oui maman à 11 h 37 à la gare … Oui moi aussi je vous embrasse, à dimanche. Merci maman. Au revoir maman. Oui, bisous. Ciao

Il raccroche, soupire et lance son téléphone sur le lit, téléphone qui refait une sonnerie, plus joyeuse cette fois. Le garçon se précipite pour voir, il regarde son téléphone, lit et sourit.

Ça va être la journée des sonneries (le téléphone émet un nouveau bip, le garçon lit de nouveau et sourit). Qu’est-ce que je disais. (Une sonnerie encore différente.) Je vais le mettre en silencieux sinon ça va être un enfer.

(S’adressant à la salle) Il faut avouer que ce n’est pas tous les jours mon anniversaire. Et surtout ce n’est pas tous les jours que j’ai 20 ANS.

 20 ans ! 20 ans ! Putain ! Rien que de le dire ça me donne la chair de poule. On ne s’en rend pas compte mais comment ça passe hyper vite c’est une dinguerie.

Entre nous ça fait un mois que je déconne sur mon anniv’ avec mes potes, mais 20 ans c’est là, 20 ans c’est maintenant, 20 ans c’est aujourd’hui, 20 ans, c’est chaud quand même !! Genre aujourd’hui, je ne suis plus un gamin. Je suis un adulte maintenant. Fini les conneries. Je ne sais pas vraiment comment je vais faire parce que “conneries” c’est un peu mon deuxième prénom.

SCÈNE 2

Ah oui je ne me suis pas présenté, moi c’est Pierre. Pierre, Daniel, Marie, Voisenlin. Fils unique. Né le 21 juin 2002 à Versailles. Dans les Yvelines : Oui Mesdames et Messieurs, en banlieue.  Dans le 7.8. Terrible. Je suis né à 3 h 26 du matin. J’ai fait chier ma mère toute la nuit. Elle aurait dû se douter dès ce moment-là que je serais un vrai casse-couil… un vrai casse-pieds. Mais non, pour elle j’étais sa merveille. Allez comprendre. Après, il parait que pour toutes les mamans on est la vingt-cinquième merveille du monde, pourtant je n’étais ni Zeus ni le Colosse de Rhodes. Fallait voir, trente trois centimètres, deux kilos trois cent. Une vraie petite crevette. Mais maintenant… Maintenant voilà, j’ai 20 ans huit heures sept minutes et quarante trois secondes. Quarante-quatre. Quarante-cinq.

En tout cas ça me fait grave plaisir que vous soyez là pour fêter mes 20 ans de conneries.

Oh attendez on va faire une story. Ne vous inquiétez pas, je ne tague personne. (Il prend une photo.)

Qu’est-ce que je vais mettre ?

Un truc qui claque bien : Picture of the day… Today is my Day… About tonight… P day ! Non non : D day !  Ouais c’est cool ça. D. Day.

SCÈNE 3 

C’est un délire les réseaux sociaux vous ne trouvez pas ? Moi je suis tout le temps dessus.

Sur Facebook j’ai même atteint le max d’amis. Cinq milles, t’as vu. Bon d’accord, sur cinq mille j’en connais combien vraiment, physiquement parlant je veux dire. 70, ouais 70 c'est bien le grand max.

Maintenant on a tous un compte Facebook. Même ma mère elle en a un, bon elle, elle en a même trois. Elle ne se souvient jamais de son mot de passe et allez lui expliquer comment le récupérer. J'ai essayé une fois de l’aider, j’ai cru que j’allais balancer son ordi par la fenêtre, et elle avec. Du coup elle se  crée un nouveau compte à chaque fois que je lui dis que j’ai posté un nouveau truc. L’enfer. 

Moi je suis plus sur insta, mais attention, quand tu postes sur Insta tu as intérêt à faire mieux que Selena Gomez ou Cristiano Ronaldo. Sur Insta tu dois faire gaffe à tout. Devant, derrière, l’éclairage, les ombres, le soleil, il faut faire gaffe à tout. Le bonus c’est quand tu cases une photo digne d’une couverture de Vogue. Sans filtre. Et la tu lache le # nofilter. Sur Insta tu donnes la vision parfaite de la vie que tu veux faire croire que tu vis.

Et là vous avez Twitter. Twitter, là où ta vie parfaite se transforme en cauchemar. C’est simple, tu dis un truc et tout de suite ça part en vrille. Ton tweet est amplifié, retweeté, transformé, déformé. Tu ne peux pas dire un truc sans que ça parte en couille, c’est un truc de ouf. Plus tu réponds, plus ça dérape. Jusqu’à ce qu’il y en ait un autre qui te jette une fake news et c’est reparti pour un tour. 

Après y’a Snapchat. Bon là c’est plus pour le délire entre potes. Tu ne le donnes pas à tout le monde, faut que ça reste dans la team. Le principe c’est que dès que tu partages un truc et que l’autre l’a vu, ça disparaît à jamais. Remarquez des fois vaut mieux parce qu'entre nous faut on va pas se mytho mais y’en a ils ne font que d'envoyer des photos de…

Le dernier vrai réseau en vogue c’est TikTok, mais c’est dangereux TikTok, tu regardes une vidéo il est 22h30, tu as à peine tourné la tête que direct il est 3h00 du mat. C’est hyper trompeur ce truc. Par exemple, tu mates un challenge de danse, une compét de chant, comment te maquiller comme Kim Kardashian ou te couper les veuchs au cutter en plein confinement, tu mates, tu mates, tu mates et bim, 3h00 du mat ! 

 En vrai, sur les réseaux tu montres toute ta vie. Surtout tu partages tes putains d’états d'âme. Genre, t’es vénère tu postes, tu prends un verre t’es bien, tu postes ; ton prof t’as mis 2 en math tu postes ; t’es au théâtre, tu postes. Vous pouvez y aller : #20ans.

SCÈNE 4

Pendant qu’il continue de parler,...