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ACTE 1
SCENE 1
Cécile - Sergio
Dans la salle à manger, Cécile est occupée à balayer ou épousseter.
CECILE (chantonne « Aux Champs Elysée ») -
Tu m’as dit j’ai rendez-vous dans un sous-sol avec des fous
Qui vivent la guitare à la main du soir au matin,
Alors je t’ai accompagné, on a chanté, on a dansé,
Et l’on n’a même pas pensé…
SERGIO (il hurle depuis les coulisses) - Ah mama mia, qué ça c’est im-possible.
CECILE - Allons bon, qu’est-ce qui lui arrive encore ?
SERGIO - Chérie, où qué tou es ?
CECILE - Je suis au salon.
SERGIO (Il déboule sur la scène) - Tou m’a caché quelqué chose, quelqué chose dé gravement gravissime.
CECILE - Et bien, en voilà des façons de s’énerver. Je t’écoute !
SERGIO - C’est au soujet dé ta soeur …
CECILE - Marlène ?
SERGIO - Non pas Marlène, Jouliette !
CECILE - Juliette ! Ah oui, tiens justement au sujet de Juliette, figure-toi qu’elle vient elle-aussi passer le week-end à la maison.
SERGIO - Ioustément, ié viens dé l’apprendre en écoutant les messages sour ton portable.
CECILE - Ah, parce que tu écoutes les messages sur mon portable maintenant ?
SERGIO - Si ! Enfin ié veux dire non.
CECILE - Mais si !
SERGIO - Ma non. Ié voulais passer oune appel avec ton portable, lé mien n’a plou dé battéries.
CECILE - C’est ça, tu veux passer un appel et tu espionnes mes messages !
SERGIO - Moi j’espionné !
CECILE - Oui tu espionnes, tu m’espionnes parce que tu es jaloux comme, comme…
SERGIO - Ialoux commé quoi ?
CECILE - Jaloux comme un Italien que tu es, voilà !
SERGIO - Ah ça c’est trop forte, ié tombe sour oune message d’hier soir qué m’apprends qué ta sœur arrive cé soir, tou né mé préviens même pas et c’est moi qué ié suis en faute.
CECILE - Oui car tu n’as pas à lire mes messages !
SERGIO - Mais ton nouveau téléphone, c’est ouné véritable gadget pour lilipoutiennes. Avec mes gros doigts ié mé trompe toujours dé boutonnes et en voulant appeler la météo i’ai ouvert tes messages.
CECILE - C’est ça, tu t’intéresses à la météo maintenant.
SERGIO - Si ! Ié mé suis toujours intéréssé à la météo depuis qué j’habite ici.
CECILE - Ah bon parce qu’avant en Italie tu ne t’y intéressais pas ?
SERGIO - Non, parc’qué chez nous, à Reggio di Calabre, pas bésoin de météo, il fait toujours beau. (Il se met à chanter.) Oh sole mio…
CECILE - Ah non, Et après tu t’étonnes que le temps se gâte !
SERGIO - C’est quand même plou beau qué la Marseillaise !
CECILE - De toute façon pour annuler mes sœurs, il n’en est pas question et c’est trop tard !
SERGIO - C’est bien cé qué ié craignais.
CECILE - Marlène doit arriver dans 1h ½, mais Juliette ne devrait plus tarder. Et je ne vois toujours pas ce que ça pose comme problème.
SERGIO - Lé problème, c’est qué ta sœur Marlène est déjà prévoue au programme du week-end et que Jouliette vient se rajouter sans crier gare au dernier momenté.
CECILE - Et alors ?
SERGIO - Alors ? Eh bien, il y a qu’en soupporter dué, ié peux encore faire oune effort, mais tes sœurs et toi ensemblé, jé préfére encore faire la processionne de San Giuseppe à quatré pattes… Et avé la croix du Christ sour les épaules.
CECILE - Tu devrais avoir honte ! Tu parles toujours des Italiens et de leur amour de la famille et voilà que tu ne supportes pas d’avoir tes trois cousines ensemble pour un petit week-end.
SERGIO - Cousines éloignées.
CECILE - Eloignées, éloignées ? (Elle s’approche tout près de lui, provocante.)
SERGIO - Tou sais cé que ié veux dire. Toi ce n’est pas pareille, ié t’aime. Marlène et Joulietta sont charmantes aussi, mais vous trois ensemblé… Ma qué vous êtes pires qué lé diable.
CECILE - Pourtant (Elle se met à tourner, rieuse et provocante autour de lui.) trois belles jeunes femmes, ça devrait flatter la virilité du cousin italien non ?
SERGIO - Vous allez passer votre temps à mé torturer avec vos essayages dé mode, vos commérages sur vos copines, vos rires im-béciles… Et lé pire…
CECILE - Le pire ?
SERGIO - Vous allez mé mettre oune émission débile ce soir sur M6, qué ié pourrais même pas régarder la Lazio contre la Juventus sour Eurosporte.
(La sonnette de l’entrée retentit.)
SERGIO - Tiens, qu’est-ce qué ié disais ? La voilà ta Julietta !
(Cécile se précipite vers l’entrée de l’appartement, invisible du public.)
La pièce prévue, « 3 femmes et 1 cousin », est interrompue. Commence alors une autre pièce…
SCENE 2
Cécile, Sergio, Fred, Chantal, le présentateur, l’agent de police municipal
(Les répliques soulignées sont faites depuis les coulisses)
Cécile ne trouve personne à la porte. Juliette – jouée par l’actrice Nicole Varga – devrait pourtant être là. Cécile tente de meubler. Sergio seul sur scène aussi.
CECILE -: Coucou Juliette ! Tu es là ? (Petit silence.)
SERGIO - C’est Joulietta ?
CECILE - Euh, oui, oui. Elle arrive…
(En aparté en coulisses, on l’entend s’affoler.)
Mais qu’est-ce qu’elle fout ? Allez la chercher !
(Nouveau petit silence.)
SERGIO - Alors ?
CECILE - Oui, oui, elle arrive !
FRED - On ne la trouve pas !
CECILE - Mais allez voir dans sa loge !
SERGIO (au public, gêné) - Ellé va venir, né vous en faites pas, ma cousine est très taquine.
(Long silence, Sergio fait les cent pas, puis exaspéré, il sort en s’exclamant.)
C’est ounsensé !
(La scène reste vide, on entend l’affolement derrière les décors, on court et on parle fort.)
CECILE - Je vous avais tous prévenus. Cette fille n’est pas à la hauteur. ça veut jouer le premier rôle et c’est même pas fichu d’être là pour entrer en scène.
SERGIO - C’est ouné scandale ! Je n’ai jamais vou ça de touté ma carrière !
CHANTAL (cri strident et horrible depuis les coulisses) - Aaaaaaaaaaaaaaahhhhhhhhhhhhhhh !
CECILE - Mon dieu !
SERGIO - Mama mia, qué sé passe-t-il ?
CHANTAL - C’est Juliette, enfin je veux dire Nicole. C’est horrible.
(La scène est toujours vide à cet instant. Il se passe 10 à 15 secondes avec brouhaha en coulisses.)
LE PRESENTATEUR (entre sur scène) - Mesdames, messieurs, je suis désolé. Un drame épouvantable et imprévisible vient de se produire qui nous oblige à interrompre ce spectacle. Je suis dans l’obligation d’appeler la police et je demande à chacun d’entre vous de rester à sa place. Je vous en remercie. Est-ce que le policier municipal est dans cette salle ?
L’AGENT DE POLICE (parmi le public et en uniforme de préférence) - Oui, ici.
LE PRESENTATEUR - Pourriez-vous me rejoindre sur scène ?
(Le policier se lève et monte sur la scène, le présentateur lui parle à l’oreille.)
L’AGENT DE POLICE (après avoir écouté les confidences du présentateur, il prend son téléphone portable) - Allo, le commissariat central ? Bonjour. Je suis Paul Chalnot, policier municipal à… (Ville où a lieu la représentation.) Je vous appelle de… (Salle des fêtes, théâtre…) Une actrice vient d’être assassinée dans la loge pendant un spectacle. Oui, j’ai bien dit assassinée… Comment ? Poignardée… Dans quelques minutes… D’accord…. Une table, quelques chaises… Oui ça ne posera pas de problème… Et une lampe de bureau… Je m’en occupe... Bien entendu, je fais une annonce et je vous attends.
(Il s’adresse alors au présentateur.)
La police arrive dans un instant. Mettez tout de suite quelqu’un de garde devant la loge afin que l’on ne touche plus à rien.
(Il s’adresse ensuite au public.)
Mesdames, messieurs, je demande à chacun d’entre vous de rester calmement à sa place, comme vous l’avez entendu, la police judiciaire doit arriver ici rapidement
En attendant, (à nouveau au présentateur.) pouvez-vous faire installer une table avec quatre chaises au centre de cette scène.
LE PRESENTATEUR - Mais certainement. (Il appelle quelques acteurs qui déplacent vers l’avant-scène la table et les quatre chaises de salle à manger.)
L’AGENT (il regarde l’installation) - Non, je crois qu’il faut enlever la nappe et qu’il vaudrait mieux des chaises plus simples.
(Les acteurs restés sur scène enlèvent la nappe, changent les chaises et sortent de scène, suivis du présentateur.)
Et bien voilà qui est parfait. Il manque juste…
(Il examine les décors et aperçoit une lampe de bureau posée sur un meuble…)
Voilà, je pense que ceci va faire l’affaire.
Seul, sur scène, il installe la lampe sur la table, la branche à l’aide d’une rallonge.
On entend alors les sirènes de police et des portes de voiture qui claquent.
Deux officiers de police, un homme et une femme, celle-ci portant une casquette, entrent énergiquement dans la salle de spectacle par l’entrée du public. Ils traversent la salle – on peut imaginer le générique d’une série policière connue - et montent rejoindre le policier municipal sur la scène.
SCENE 3
Le commissaire, le lieutenant, l’agent de police, Carla
LE COMMISSAIRE - Bonjour, je suis le commissaire Antoine DELFOUR de la police judiciaire de… (Ville.)
LE LIEUTENANT - Lieutenant Julie Verneau.
L’AGENT - Agent Paul Chalnot.
LE COMMISSAIRE - Si vous voulez bien nous expliquer…
(Le lieutenant Verneau sort un carnet et prend des notes.)
L’AGENT - Et bien voilà. J’étais présent à cette représentation de théâtre, comme spectateur, la pièce était commencée depuis 5 minutes à peine quand a eu lieu l’incident.
LE COMMISSAIRE - Un incident ? Mais on nous a parlé d’un meurtre…
L’AGENT - J’y viens. Donc la pièce venait de commencer lorsqu’une actrice qui devait entrer en scène n’est pas apparue. J’ai d’abord cru que ça faisait partie du spectacle et puis il y a eu ce cri, un cri terrible...
LE LIEUTENANT - Le cri de la victime !
L’AGENT - Non, le cri de l’autre actrice, celle qui venait de découvrir le corps. Là je me suis douté que ce n’était plus normal. Le présentateur est apparu affolé sur la scène et m’a fait demander. Ensuite, je vous ai appelé.
LE COMMISSAIRE - Qui est la victime ?
L’AGENT - Une actrice assez connue, Nicole Varga…
LE COMMISSAIRE - Nicole Varga ! Celle qui tient le premier rôle dans « les griffes de la mort », le dernier film de Fred Legoffe ?
L’AGENT - Euh, peut-être. D’ailleurs votre Legoffe, il est là aussi. La pièce qui est jouée, c’est lui qui l’a écrite.
LE LIEUTENANT - Nicole Varga, Fred Legoffe…Et vous avez qui encore au programme ?
L’AGENT - Et bien d’après le programme il y a Cécile Duplessis…
LE COMMISSAIRE - Hum !… La ravissante Cécile Duplessis. J’ai hâte de passer aux interrogatoires moi !
L’AGENT - et Sergio Bordoni…
LE COMMISSAIRE - Il est là aussi celui-là ?
LE LIEUTENANT - C’est cet italien avec cet accent épouvantable ?
LE COMMISSAIRE - Ouais, un accent grave, très grave et qui jacasse comme une concierge.
CARLA BORDONI (spectatrice, elle se lève dans le public, une canne à la main, elle s’exprime haut et fort, menaçante, vers la scène) - Qu’est qué vous dites vous là lé grand escogriffe ? Qué mon fils il a oune accente ? Et qu’il jacasse comme oune concierge ?
LE COMMISSAIRE (à l’agent) - Qui est cette personne ?
L’AGENT - C’est madame Carla BORDONI, la mère de Sergio. Vous ne la connaissez pas ?
LE COMMISSAIRE - Je devrais ?
L’AGENT (en aparté au commissaire) - Elle est presque aussi célèbre que son fils. Elle assiste à toutes les représentations de Sergio, chaque soir sans jamais en manquer une seule. Elle est même passée à la télé il y a 2 ou 3 mois dans l’émission « Parents de stars ».
CARLA - Et qu’est ce qué vous êtes en train dé faire la messe basse là sour la scène ?
LE COMMISSAIRE - Madame, je vous prie de vous asseoir. Si vous avez quelque chose à dire en tant que témoins, vous n’avez qu’à…
CARLA - Ié vous interdis de traiter mon fils de concierge !
LE COMMISSAIRE - Madame, vous parlerez quand on vous interrogera.
CARLA - Ma qué c’ké s’est ça. (Elle commence à se déplacer, bousculant les spectateurs voisins.) On n’est plou sous Moussolini, on parle quand on veut. Et d’abord c’est exact, ié souis avé mon fils depouis lé débout dé la tournée et i’ai des choses à dire, même qué…
LE COMMISSAIRE - C’est noté, madame. Nous vous entendrons… (Voyant Carla se déplacer.) Non, non madame, j’ai dit nous vous entendrons, c’est au futur. Nous vous appellerons quand nous jugerons que c’est votre tour.
CARLA (Elle s’arrête dans sa progression) - Bon et pouisqué vous n’insistez pas, ié m’en retourne à ma place.
(Elle repart en arrière, bousculant à nouveau, s’excusant, s’arrête encore en dressant sa canne ou son parapluie vers la scène.)
Et bien tant pis pour vous, vous n’aurez lé nom dou coupable qué lorsqué vous aurez envie dé m’écouter. C’est in-croyable ça, ié croyais qu’il n’y avait que les carabinieri calabrais pour agir dé la sorte ! Voilà, ié m’assois et ié vous regarde vous enliser !
LE COMMISSAIRE - Merci madame !
CARLA (bougonne) - Pas dè quoi !
LE COMMISSAIRE - Bon ou en étions-nous ?… Ah oui ! La liste des acteurs.
L’AGENT - Je crois n’avoir oublié que mademoiselle Chantal Ferrange…
LE COMMISSAIRE - Connais pas celle-la.
LE LIEUTENANT - Moi non plus.
LE COMMISSAIRE - Et c’est tout ? Rien d’autre à nous signaler ?
L’AGENT – Non, je vous ai tout expliqué.
LE COMMISSAIRE (au lieutenant) - Très bien, c’est noté ? Bon, Julie, tu commences les interrogatoires, je vais examiner le corps.
LE LIEUTENANT - Bien patron… Et pour la casquette ?
(Elle montre la casquette qu’elle a sur la tête.)
LE COMMISSAIRE - Pas tout de suite, lieutenant, vous commencez normalement et on verra pour la casquette quand je vous rejoindrai.
L’AGENT (air dubitatif sur l’histoire de casquette) - Vous avez encore besoin de moi commissaire ?
LE COMMISSAIRE - Pas pour l’instant. Mais veillez aux portes de cette salle (sorties du public.) Personne ne doit en sortir avant que j’en donne l’autorisation.
L’AGENT (en quittant la scène) - Bien m’sieur l’commissaire.
LE COMMISSIARE (se dirigeant vers les loges) - Julie, je vous fais envoyer la personne qui a découvert la victime.
LE LIEUTENANT (une fois seule sur scène) - Et bien, une enquête dans le show-biz, voilà qui va nous changer un peu de la routine.
SCENE 4
Le lieutenant, Chantal
Entrée de Chantal Ferrange sur la scène – tenue totalement excentrique, voire allumée.
LE LIEUTENANT - Bonjour, madame,
CHANTAL - Mademoiselle !
LE LIEUTENANT - Ah, pardonnez-moi. Asseyez-vous, ici mademoiselle, euh mademoiselle … ?
CHANTAL - Ferrange, Chantal Ferrange. Vous ne me reconnaissez pas ?
LE LIEUTENANT - Euh… (Elle la dévisage.) … et bien non.
CHANTAL - Oui, Blandine… Blandine dans « la fille des métayers »…
LE LIEUTENANT - Ah ?
CHANTAL - Le feuilleton à la télé en août dernier…
LE LIEUTENANT - Désolée mademoiselle, mais en août dernier j’étais en stage et sans la télé !
CHANTAL - Comme c’est dommage ! Et bio-line ?
LE LIEUTENANT - Quoi bio-line, c’est quoi bio-line ?
CHANTAL - Les desserts et yaourts, la pub à la télé ?
LE LIEUTENANT - Ah oui, j’ai dû voir ça… Et c’est vous qui…
CHANTAL - Oui, c’est moi qui fait profiter la marque de ma ligne… Les ventes ont augmenté de plus de 30%.
LE LIEUTENANT - Et votre ligne, c’est grâce aux yaourts « bio-line » ?
CHANTAL - Mais non, j’étais déjà comme ça avant la pub. D’ailleurs je ne mange jamais de yaourts, je suis allergique au lait.
LE LIEUTENANT - Bon, venons-en aux faits ! C’est vous qui avez découvert le cadavre…
CHANTAL (horrifiée) - Le cadavre ? Mon dieu le cadavre !
LE LIEUTENANT - La victime, Nicole Varga, c’est vous qui avez trouvé le corps de Nicole Varga ?
CHANTAL - On l’attendait sur la scène, j’ai couru à la loge. J’ai frappé et ça n’a pas répondu. J’ai voulu ouvrir, c’était fermé à clé. Bruno, c’est le régisseur du spectacle… il est arrivé avec la clé et a ouvert, je suis entrée vite la première…. Mon dieu, si j’avais su !… Elle était affalée là, assise devant la glace. J’ai cru qu’elle dormait ou qu’elle avait un malaise. Je l’appelle : rien. J’appelle plus fort : rien ! Alors je pose ma main par dessus son épaule et là je sens ce liquide chaud sur mes doigts. J’ai hurlé, le régisseur était derrière moi, il m’a fait sortir, tout le monde est accouru !… Voilà.
LE LIEUTENANT - Vous dites que la porte était fermée ?
CHANTAL - Ah ça oui, je suis certaine. D’ailleurs j’avais aperçu le régisseur qui fermait la porte dix minutes ou un quart d’heure avant les trois coups. Demandez-lui à Bruno…
LE LIEUTENANT - Je demanderai mademoiselle, je demanderai. Et quand avez-vous vu la victime vivante pour la dernière fois.
CHANTAL - Vivante pour la dernière fois… C’était avant qu’elle ne rentre dans sa loge c’est à dire… disons environ ¾ d’heure avant les trois coups.
LE LIEUTENANT - Et elle entrait seule dans sa loge ?
CHANTAL - A ce moment là oui, elle est entrée seule dans sa loge.
LE LIEUTENANT - Pourquoi dites-vous à ce moment là ?
CHANTAL - Parce que plus tard, en passant devant sa loge, je l’ai entendue qui bavardait enfin je devrais dire qui criait.
LE LIEUTENANT - Elle bavardait, elle criait ? Avec qui ?
CHANTAL - Je ne sais pas moi.
LE LIEUTENANT - L’autre voix, vous ne l’avez pas reconnue ?
CHANTAL - Non, à travers la porte je n’ai pas entendu l’autre voix. Et puis, je n’avais aucune raison de faire particulièrement attention. Je ne savais pas que… que…
LE LIEUTENANT - Essayez de vous souvenir quand-même…
CHANTAL - C’était en passant dans le couloir, ça a duré quelques secondes, mais je me souviens du ton : Nicole avait l’air très en colère. J’ai entendu quelques mots mais je n’ai pas vraiment fait attention.
LE LIEUTENANT - C’est peut-être capital pour l’enquête, mademoiselle, faites un effort !
CHANTAL - … Elle parlait très fort…Il était question d’un cahier jaune ou d’un livre jaune...
LE LIEUTENANT - Un livre ? Un cahier ? Jaune ? … Et ça vous dit quelque chose en rapport avec Nicole Varga ?
CHANTAL - Non absolument rien. Mais j’ai peut-être mal entendu.
LE LIEUTENANT - Et ce dialogue dans la loge c’était à quel moment ?
CHANTAL - Attendez, je suis repassée devant la loge de Nicole... C’était quand Bruno m’a demandé d’aller lui chercher un micro à la régie. Il devait être 20h10… à 2 ou 3 minutes près.
LE LIEUTENANT - Vous n’avez pas une idée de qui était dans la loge avec madame Varga ?
CHANTAL - Non, je vous l’ai dit, je n’ai pas entendu l’autre voix.
LE LIEUTENANT – Avez-vous rencontré des personnes à ce moment là ?
CHANTAL - Des personnes ?
LE LIEUTENANT - Oui des personnes qui par conséquent ne pouvaient pas être dans la loge à se disputer avec la victime.
CHANTAL - Ah je comprends vous voulez procéder par élimination ! Et bien après avoir parlé avec Bruno, le chef technicien, j’ai croisé dans le couloir Corinne, c’est la femme de Fred, enfin je veux dire de monsieur Legoffe. Et puis, et puis, attendez… Je suis aussitôt sortie griller une cigarette dehors et il y avait là, seul sur le parking, monsieur Legoffe en train de fumer lui aussi et de téléphoner avec son portable. C’est tout. Je n’ai pas vu les autres.
LE LIEUTENANT - Donc, ni votre Bruno, ni monsieur Legoffe, ni son épouse, ni vous-mêmes ne pouviez être dans la loge au moment de la dispute.
CHANTAL - C’est absolument certain. Mais vous êtes sûre que c’est l’assassin qui était dans la loge avec Nicole à ce moment là ?
LE LIEUTENANT - Sûre non, mais cela est fort possible et il serait intéressant d’entendre les explications de celui ou de celle, qui avait mailles à partir avec Madame Varga dans sa loge.
Dites-moi, mademoiselle, quelle était l’ambiance au sein de votre troupe ?
CHANTAL (gênée) - L’ambiance ? … Au sein de la troupe ?
LE LIEUTENANT - Oui, les amitiés, les tensions, les conflits, les jalousies… Les amours aussi.
CHANTAL - Eh bien, tout était parfait, tout le monde s’entendait parfaitement bien !
LE LIEUTENANT - Pourtant vous semblez un peu hésitante…
CHANTAL - Mais non, tout était parfait. Une équipe soudée et professionnelle.
(Le commissaire réapparaît à droite.)
LE LIEUTENANT - Bien mademoiselle, nous en resterons là pour l’instant. Mais ne vous éloignez pas nous aurons sans doute à nous revoir durant cette soirée.
CHANTAL - Bien madame…
LE LIEUTENANT - Pas madame… Lieutenant !
CHANTAL - Bien lieutenant.
SCENE 5
Le commissaire, le lieutenant
LE COMMISSAIRE - Eh bien Lieutenant ! Qu’avez-vous appris ?
LE LIEUTENANT - Deux éléments intéressants !
1 – La porte de la loge était fermée lorsque l’on est allé chercher la victime qui tardait à entrer en scène.
2 - La victime s’est disputée avec quelqu’un dans sa loge vers 20h10. Mais le témoin, cette Chantal que vous venez de croiser, n’a distingué que la voix de la victime. Elle a entendu la victime parler de livre ou de cahier jaune.
Autre chose, cette Chantal affirme que l’ambiance est parfaite entre les acteurs. Mais ça je suis certaine du contraire à voir la façon dont elle a hésité avant de répondre. Et vous qu’avez-vous constaté, patron ?
LE COMMISSAIRE - Eh bien, la victime qui était assise devant son miroir a été poignardée en plein cœur, par quelqu’un qui se trouvait derrière elle. Un seul coup, précis, violent et mortel. Quelqu’un qui sait comment tuer en un seul coup.
LE LIEUTENANT - Il y a quelque chose de curieux…
LE COMMISSAIRE - Le miroir ?
LE LIEUTENANT - Oui le miroir !
LE COMMISSAIRE - Curieux en effet. Vous pensez sans doute comme moi : la victime voyait son agresseur dans le miroir, elle a continué à lui tourner le dos. C’est donc qu’il n’était pas menaçant en apparence et qu’il l’a frappée brusquement par surprise.
LE LIEUTENANT - Et pourtant, moi, j’ai une dispute à 20h10 et d’après le témoin une dispute très forte. Si l’assassin est bien celui qui avait une dispute dans la loge, il faut en conclure que la victime piquait une grosse colère, tout en continuant tranquillement à se maquiller devant sa glace… Bizarre non ?
LE COMMISSAIRE - Plutôt Bizarre… Mais pas impossible. Vous êtes une femme lieutenant. Seriez-vous capable de vous maquiller machinalement, tout en exprimant votre colère ?
LE LIEUTENANT - Oui… Non… Finalement si, peut-être. C’est vrai que c’est possible mais le maquillage ne serait pas une réussite.
LE COMMISSAIRE - N’oubliez pas que nous avons à faire à des comédiens. Contrairement au commun des mortels… Oh ! Pardonnez-moi le mot… Ces gens-là ont tellement l’habitude de jouer avec l’amour, la haine, la colère, la peur… qu’ils en maîtrisent beaucoup mieux les effets.
LE LIEUTENANT - Je n’avais pas pensé à cette particularité.
LE COMMISSAIRE - C’est pour ça que je suis commissaire, lieutenant ! Bon détail important : l’arme du crime a disparu. L’assassin a dû penser que l’arme pouvait le désigner…
LE LIEUTENANT - Soit ses empruntes digitales, mais ça s’efface… à condition d’avoir le temps. Soit que l’assassin a utilisé une arme qui lui appartenait et que quelqu’un aurait pu reconnaître.
LE COMMISSAIRE - D’après l’expert, mais il faut attendre confirmation, l’arme serait un poignard à un seul tranchant d’environ 20 cm de long. Une arme comme en utilisent certains chasseurs ou des militaires. Difficile de dire si l’assassin est grand ou petit, la victime était assise et le coup ne pouvait donc être porté que du haut vers le bas. Se trouvant derrière la victime, l’assassin a porté le coup de la droite vers la gauche. On peut affirmer que l’assassin est droitier.
LE LIEUTENANT - L’arme est peut-être encore à proximité ?
LE COMMISSAIRE - C’est aussi mon avis. J’ai donné l’ordre à nos collègues de fouiller les loges et les coulisses.
LE LIEUTENANT - Et si on ne trouve rien ?
LE COMMISSAIRE - Et bien, on devra fouiller le public.
LE LIEUTENANT - Mais il y a au moins… (Regard vers la salle.) 300 personnes (adapter ou exagérer le chiffre.)
LE COMMISSAIRE - Il y en aurait 20 000 qu’il faudrait fouiller tout le monde.
LE LIEUTENANT - Ah bon ? (A l’oreille du commissaire.) Oui mais il y a au premier rang (On peut varier les personnalités à souhait.) le préfet, le chef de cabinet du ministre de la culture, madame l’épouse du député, monsieur le maire et…
LE COMMISSAIRE - Enfin lieutenant, vous ne m’avez quand même pas cru quand j’ai dit qu’il fallait fouiller tout le monde ?
LE LIEUTENANT - Si, enfin peut-être…
LE COMMISSAIRE - Bon nous allons continuer les interrogatoires.
LE LIEUTENANT - Je fais entrer qui maintenant ?
LE COMMISSAIRE - J’ai un faible pour la charmante Cécile Duplessis… Pas vous ?
LE LIEUTENANT - Moi ?
LE COMMISSAIRE - Ah c’est vrai j’oubliais ? Pardonnez-moi Julie ! Mais j’ai travaillé durant 20 ans avec Pignon, j’ai encore du mal à intégrer que mon adjoint soit une femme.
LE LIEUTENANT - J’avais remarqué.
LE COMMISSAIRE - Savez-vous Julie, que je suis devenu flic par hasard ? A 20 ans, je voulais être comédien. Mon rêve c’était de jouer le premier rôle dans un film de Pagnol avec comme partenaire Cécile Duplessis. Ah Cécile… Est-ce que vous l’avez vue dans « La femme du square » ?
LE LIIEUTENANT - Je crois que oui et alors ?
LE COMMISSAIRE - Et alors ? Mais elle y est sublime, féminine, irrésistible…
LE LIEUTENANT - Bon, si vous le dites, c’est vous le patron !
LE COMMISSAIRE - Je crois donc que nous allons commencer par interroger Cécile Duplessis ?
LE LIEUTENANT - Si je peux me permettre, patron, après la personne qui a découvert le corps il serait plus logique d’interroger aussitôt le régisseur du spectacle…
LE COMMISSAIRE - Le régisseur ? Ah… Et pourquoi ça ?
LE LIEUTENANT - Mais parce que c’est vous qui m’avez appris ça. Quand il y a un meurtre dans un immeuble on interroge d’abord la personne qui a découvert la victime, puis ensuite le gardien d’immeuble ou la concierge.
LE COMMISSAIRE - Mais ici, il n’y a pas de gardien d’immeuble ou de concierge.
LE LIEUTENANT - Oui mais il y un régisseur, qui a fermé la loge du crime à clé et c’est tout comme.
LE COMMISSAIRE (résigné) - Bon, vous avez raison, lieutenant. Allez me chercher ce régisseur.
LE LIEUTENANT - Et pour la casquette ? (Elle brandit la casquette dans sa main.)
LE COMMISSAIRE (bourru) - Vous savez-bien que c’est mon tour, donnez-moi ça !
(Il saisit la caquette, le lieutenant Julie Verneau sort.)
M’énerve des fois cette fille ! (Il pose la casquette sur sa tête.)
SCENE 6
Le commissaire, Bruno, le lieutenant
Quelques secondes passent, le lieutenant revient sur scène précédée de Bruno.
LE COMMISSAIRE - Commissaire Delfour, PJ de….
BRUNO - Bruno Marty, je suis responsable de la technique.
(Il commence à faire le tour de la pièce en cherchant visiblement quelque chose.)
LE COMMISSAIRE (très bourru) - Bien monsieur. Dites-nous depuis quand vous travaillez dans ce théâtre.
BRUNO (il regarde sous les meubles, soulève des coussins…) - Depuis… 8 jours, depuis que la troupe joue la pièce de Fred Legoffe ici à ...
LE COMMISSAIRE - Et avant où étiez-vous ?
BRUNO – Avant ? A Clermont, Saint Etienne, Lyon, Dijon… Dans d’autres théâtres, je suis technicien attitré de la tournée.
LE LIEUTENANT - Vous n’êtes pas attaché à ce théâtre en particulier ?
BRUNO (il cherche toujours) - Non ce théâtre est loué par notre troupe pour la semaine, puis la troupe s’en va vers d’autres villes. Quant à moi je m’occupe de la technique des tournées de mon ami Fred Legoffe depuis la toute première.
LE COMMISSAIRE (agacé) - Mais que faites-vous à tourner comme ça ? Vous avez égaré quelque chose ?
BRUNO - Euh, oui, je profite d’être dans cette pièce pour voir si je n’y ai pas oublié un petit manuscrit, avec dedans ma prochaine… Enfin toutes mes listes d’accessoires. Vous ne l’auriez pas vu, il est de format comme ça (Gestes indiquant un format A4.) et de couleur bleue.
LE COMMISSAIRE (autoritaire) - Nous n’avons rien vu et vous chercherez plus tard. Veuillez vous asseoir.
(Il tend à Bruno une chaise placée face à la lampe de bureau, éteinte. Bruno s’assied ;)
Dites-moi, monsieur Marty, quand a commencé votre tournée ?
BRUNO - La tournée a commencé il y a…quatre mois.
LE COMMISSAIRE - Donc vous connaissez bien les membres de cette troupe.
BRUNO - Oui, on se connaît tous bien maintenant. Surtout qu’avec certains acteurs on a déjà fait d’autres pièces avant celle là.
LE LIEUTENANT - C’est quoi cette pièce ?
BRUNO - « Trois femmes et un cousin », une histoire de famille et d’amour entre trois sœurs et leur cousin italien. Une pièce drôle…
LE COMMISSAIRE - Pourtant, on m’a parlé d’une pièce policière.
BRUNO - Policière et drôle. L’une des sœurs s’adonne à la drogue et le gentil cousin est victime d’une tentative de meurtre…
LE COMMISSAIRE (soudain très agressif) - De la drogue, hein, de la drogue ! Ne me dites pas qu’il n’y a pas quelques cachets ou une seringue que vous avez vu traîner dans les loges ?
(Il allume la lampe de bureau en plein visage de Bruno.)
BRUNO (ébloui) - Mais non, non… Qu’allez-vous imaginer, ce n’est pas le Tour de France ici.
LE COMMISSAIRE - Je n’imagine rien, on connaît ça les artistes. Besoin de se donner un genre, de suivre la mode, de vaincre le trac, de se surpasser… et hop une petite dose ! Et puis le scénario a très bien pu donner des idées à quelqu’un de la troupe ? Tiens à vous peut-être !
BRUNO - Moi ? Mais, mais… Enfin pourquoi aurais-je tué cette pauvre Nicole ?
LE COMMISSAIRE - Et bien c’est justement ce que je me demande : pourquoi avez-vous tué Nicole Varga ?
BRUNO - Mais c’est pas moi, je…
LE LIEUTENANT (compréhensive) - Allons, allons commissaire… Monsieur Marty n’est qu’un employé, lui, pas un artiste. Il ne touche pas à la drogue.
LE COMMISSAIRE - ça reste à démontrer, et de toute façon, un employé comme monsieur Marty doit être au courant de tout. Il circule partout, s’occupe du matériel… Donc il sait (Il rapproche la lampe encore plus près du visage de Bruno.) Allez, on va gagner du temps (Il retrousse ses manches, menaçant.)
LE LIEUTENANT - Mais voyons, commissaire ! (Elle s’interpose et s’adresse à Bruno.) Vous disiez tout à l’heure que l’écrivain et metteur en scène, Fred Legoffe est votre ami ? Depuis quand ?
BRUNO - Nous nous sommes connus sur les bancs du lycée…
LE COMMISSAIRE - Où ça ?
BRUNO - Le lycée………………..à………………………..
LE LIEUTENANT - Fred Legoffe, un élève brillant je présume ?
BRUNO (hésitation) - Euh… Et bien en fait… Oui brillant, très brillant, surtout en français. Il m’aidait à faire mes dissertations et nous ne nous sommes jamais perdus de vue. Quand il a connu le succès, il a pensé à m’embaucher.
LE COMMISSAIRE - Un ami comme on aimerait tous en avoir un. Bien, bien… Et la victime c’était sa première tournée avec vous ?
BRUNO - La pauvre Nicole… Non, c’est la deuxième pièce, donc la deuxième tournée de suite qu’elle fait, enfin qu’elle faisait avec nous. Mourir comme ça, mais pourquoi elle ?
LE COMMISSAIRE - C’est ce que j’allais vous demander.
BRUNO - Mais je ne comprends pas, d’ailleurs tout le monde est abasourdi.
LE LIEUTENANT - Quel était l’ambiance dans la troupe ? Y avait-il des conflits, des disputes ?
BRUNO - Euh… Non. Enfin…
LE COMMISSAIRE - Enfin ? (Agressif.) Finissez votre phrase !
BRUNO - Mais je sais rien. Vous cherchez à me faire dire n’importe quoi !
LE COMMISSAIRE - Admettons ! vous ne savez rien… Mais la clé de la loge ? C’est bien vous qui l’avez cette clé ?
BRUNO - Oui, (Il sort le trousseau de clé de sa poche.) Voici la clé de la loge. Nicole m’avait demandé de fermer sa loge durant les représentations.
LE COMMISSAIRE - C’est une pratique fréquente ?
BRUNO - Fréquente non, mais ça arrive, certains artistes ont parfois dans leur loge des objets personnels, des bijoux, des babioles porte-bonheur. Si je vous disais quel grand acteur exige que l’on ferme sa loge par crainte imbécile de se faire dérober son nounours en peluche…
LE COMMISSAIRE - Nicole Varga détenait des objets de valeur dans sa loge, des bijoux ? Y avait-il eu des vols ?
BRUNO – Non, rien à ma connaissance. J’ai fermé la porte comme Nicole me l’avait demandé, c’est tout… Mais… maintenant que vous m’en parlez…
LE LIEUTENANT - Continuez monsieur…
BRUNO - Depuis le temps que je travaille avec Nicole, ça fait deux tournées de suite… C’est seulement depuis une semaine qu’elle me demande de fermer sa loge.
LE COMMISSAIRE – Ah, ah !
BRUNO - Oui d’habitude elle laisse même souvent sa porte ouverte. Mais depuis… depuis notre arrivée ici, elle exige que je ferme la porte de sa loge durant les représentations.
LE LIEUTENANT - Vous rendez-vous compte, monsieur Marty, que tout porte à croire qu’elle était à l’intérieur, et sans doute déjà morte, lorsque vous avez verrouillé sa loge.
BRUNO - C’est ce que je pense aussi avec le recul. Mais je ne pouvais pas le savoir. Le spectacle allait commencer dans 10 minutes, j’ai ouvert sa loge pour vérifier qu’elle était déjà partie vers la scène. Je l’ai quand-même appelée depuis la porte, elle n’a pas répondu. Avec le paravent je ne pouvais pas voir sa chaise, sa coiffeuse…
LE COMMISSAIRE - C’est exact, j’ai vérifié. Le paravent dissimule la victime lorsqu’on est à l’entrée de la loge. Quelqu’un d’autre a la clé des loges ?
BRUNO - Non, j’ai une autre clé dans mon vestiaire et elle n’a pas bougé j’ai vérifié. Mais on peut toujours faire un double, c’est un genre de clé très courant.
LE COMMISSAIRE - On peut… Certes et ça ne va pas nous faciliter le travail...
Bien, monsieur Marty, vous pouvez sortir. Ne vous éloignez pas nous aurons sûrement besoin de vous pour d’autres précisions.
BRUNO - Bien commissaire. Madame, euh … lieutenant.
(Bruno sort.)
SCENE 7
Le commissaire, le lieutenant
LE COMMISSAIRE - Voilà un témoin qui en sait bien plus qu’il ne veut en dire …
LE LIEUTENANT - Oui, en tout cas pas moyen d’en savoir plus sur l’ambiance dans la troupe ! Mais je sens que ça doit être plutôt embrouillé.
LE COMMISSAIRE - C’est bien mon avis, à voir les réticences de cet oiseau qui vient de sortir !
LE LIEUTENANT - Vous qui rêviez de faire du théâtre, vous voilà servi patron ! La réalité dépasse la fiction.
LE COMMISSAIRE - Hélas tout cela est resté pour moi un rêve de jeunesse, lieutenant.
LE LIEUTENANT - Et bien, vous allez pouvoir vous rattraper, vous avez ce soir le premier rôle et si Cécile Duplessis est l’assassin elle va le partager avec vous.
LE COMMISSAIRE - Cécile l’assassin, voyons lieutenant… Une femme de sa classe.
LE LIEUTENANT - Mais les assassins ont souvent de la classe.
LE COMMISSAIRE - Cécile Duplessis avec un poignard, un coup violent, du sang… Non ça ne collerait pas !
LE LIEUTENANT - Je vois surtout que vous êtes tellement entiché de votre Cécile, chef, que vous lui trouverez de toute façon toutes les excuses !
LE COMMISSAIRE - Allez la chercher, lieutenant, et avec diplomatie s’il vous plaît !
LE LIEUTENANT (ironique et en aparté, elle imite) - « Et avec diplomatie s’il vous plaît »…
(Elle commence à se diriger vers la sortie.)
LE COMMISSAIRE (lyrique) - Ah, Cécile Duplessis et Antoine Delfour interprétant magistralement les œuvres de Marcel Pagnol. Je vois déjà les affiches : « La gloire de mon père »…
LE LIEUTENANT (à moitié sortie, elle s’est retournée, on ne voit que son visage. En aparté au public) - « La garde à vue de mon père ! »
LE COMMISSAIRE - « Le château de ma mère »
LE LIEUTENANT - « La cellule de ma mère ! »
LE COMMISSAIRE - « Jean de Florette »
LE LIEUTENANT - « Paulo des Baumettes ! »
LE COMMISSAIRE - Que dites-vous lieutenant ?
LE LIEUTENANT - Je disais que là-haut monsieur Pagnol doit bien regretter d’être passé à côté d’un si grand duo d’acteurs ! (Elle disparaît enfin en coulisses.)
LE COMMISSAIRE (il prend le public à témoin) - A votre avis, elle est sincère ou elle se fout de ma gueule la petite « lieutenante » ?
(Le public répond comme probable : elle se fout…)
LE COMMISSAIRE - C’est bien ce que je pensais.
ACTE 2
SCENE 1
Le commissaire, le lieutenant, Cécile
Le lieutenant revient, précédée de Cécile Duplessis. Aussitôt, le commissaire se précipite saisit une main de Cécile entre les siennes et l’embrasse frénétiquement.
LE COMMISSAIRE - Ah madame, ah madame ! Quel meurtre merveilleux ! Enfin non, je veux dire : quelle chance cette enquête qui me permet de vous rencontrer ! Je suis le commissaire Antoine Delfour de la police judiciaire de……… Mais, voyons lieutenant, donnez un siège à madame Duplessis… Mais non voyons ! Pas cette chaise ordinaire. Allez chercher un siège confortable quelque part dans les coulisses.
(Le lieutenant sort de nouveau, le commissaire continue son flot de compliments.)
Ah, madame, vous n’imaginez pas combien je suis enchanté d’avoir l’occasion de vous interroger !
CECILE - M’interroger, mais…
LE COMMISSAIRE - J’ai dit « interroger », quel goujat je suis ! Mais non, nous allons juste un peu parler ensemble pour la forme, juste pour faire croire à tout le monde que je vous ai interrogée comme les autres. Vous savez ce que c’est : la procédure. Mais n’allez surtout pas croire que je peux imaginer un seul instant que vous ayez, vous madame, quelque chose à voir avec ce crime.
CECILE - Mais vous pouvez faire votre métier, commissaire, je comprendrais…
LE COMMISSAIRE - Remarquer bien, madame, que la présence de mon adjointe va m’obliger à mener un semblant d’interrogatoire. Le lieutenant Julie Verneau n’est pas autant que moi sensible à votre charme…
CECILE - Commissaire vous me gênez.
LE COMMISSAIRE - Si, si, votre charme et je dois ajouter votre inégalable talent.
CECILE - Commissaire…
(Il se met à genoux aux pieds de Cécile, toujours debout.)
LE COMMISSAIRE - Vous avez devant vous, madame, votre admirateur le plus sincère et le plus passionné…
(Le lieutenant revient avec un fauteuil. Il l’offre énergiquement à Cécile, qui s’assied)
LE COMMISSAIRE (toujours à genoux) - Je disais donc que… Je disais… Oui au fait, qu’est ce que je disais ?
LE LIEUTENANT - Vous disiez sans doute à madame Duplessis que décidément vos lacets n’en finissent pas de se dénouer !
LE COMMISSAIRE - Mes… mes lacets ? Ca alors, lieutenant ! (Il fait semblant de relacer ses chaussures.) Comment avez-vous deviné ?
LE LIEUTENANT – Eh ! C’est pour ça que je suis lieutenant… Patron !
Permettez-moi d’ajouter que vous accueillez madame Duplessis avec une casquette, MA casquette sur votre tête !
LE COMMISSAIRE - La casquette ? Ah oui, on a oublié de changer !… Voici votre casquette lieutenant. (Il se tourne vers Cécile.) Pardonnez-moi cette incorrection, madame, de ne pas m’être découvert devant vous pour vous accueillir.
CECILE - C’est sans importance, commissaire, ce genre de détail vu les évènements…
LE LIEUTENANT (ton sec) - Alors parlons des événements. Pourriez-vous nous dire madame, où vous vous trouviez lorsqu’on a découvert la victime.
CECILE - Eh bien c’est simple. J’étais en scène et quand la sonnette a retenti, comme prévu dans le scénario, je suis allé ouvrir la porte à Nicole. A ma grande surprise elle n’était pas là. Les autres se sont mis à la chercher en coulisses pendant que j’attendais sur place derrière les décors, jusqu’au moment où j’ai entendu le cri de Chantal. Voilà c’est tout.
LE COMMISSAIRE - Eh bien je vous remercie, madame. Vous pouvez être tranquille. Je vous reverrai tout à l’heure… Si vous pouviez me signer un autographe ?
CECILE - Un autographe ? Mais certainement. Je peux sortir ?
LE COMMISSAIRE (il commence à l’accompagner, attentionné vers la sortie) - Mais bien sûr.
LE LIEUTENANT - Puis-je me permettre une autre question madame ?
(Cécile et le commissaire interrompent leur marche vers la sortie.)
LE COMMISSAIRE - Une autre question ?
LE LIEUTENANT - Nous aurions besoin de savoir, madame, à quel moment vous avez vu pour la dernière fois la victime, Nicole Varga, vivante.
CECILE - La dernière fois ?… Euh… oui… (Elle réfléchit quelques secondes.)… Eh bien voila, c’était juste avant les trois coups. Nicole a entrouvert la porte de sa loge.
LE LIEUTENANT - Quelqu’un d’autre l’a vue aussi à cet instant ?
CECILE - Je ne pense pas, j’étais un peu en retard, je passais dans le couloir pour aller vers la scène. Les autres étaient déjà à attendre derrière les décors.
LE LIEUTENANT - C’était donc juste avant les 3 coups donc vers 20h30 ?
CECILE - Oui, c’est cela, la séance commence toujours à l’heure précise, Bruno, le régisseur est une personne très rigoureuse.
LE COMMISSAIRE - Voilà qui prouve que Cécile, enfin madame Duplessis, n’a rien à voir avec ce meurtre. La victime était vivante pour les 3 coups et madame Duplessis n’a ensuite jamais été seule jusqu’au moment où l’on découvre le corps.
LE LIEUTENANT - Merci de vos précisions madame.
LE COMMISSAIRE (agacé envers le lieutenant) - Bon nous pouvons libérer Cécile ? (Charmeur envers Cécile.) Permettez que je vous appelle Cécile ?
(Ils reprennent le chemin vers la sortie de scène.)
CECILE (de plus en plus gênée) - Mais, mais… Oui, bon, enfin si vous le souhaitez, pourquoi pas commissaire…
LE COMMISSAIRE - Commissaire, commissaire ! Allons donc ! Si je vous appelle Cécile, vous pouvez bien m’appeler Antoine.
(Cécile est déjà sortie de scène et répond depuis les coulisses.)
CECILE - Mais certainement, mais certainement… Euh commissaire !
SCENE 2
Le lieutenant, le commissaire
LE LIEUTENANT (seule sur scène un instant, elle parle au public) - Je n’ai jamais vu le vieux dans cet état. On dirait Sainte Bernadette devant l’apparition de la Vierge. Ça promet si on doit travailler sous anesthésie mentale !
(Retour sur scène du commissaire.)
LE COMMISSAIRE - Alors… Quelle classe hein !
LE LIEUTENANT - Ouais… Quelle classe pour mentir.
LE COMMISSAIRE - Quoi ? Qu’est ce que vous chantez là lieutenant ?
LE LIEUTENANT - Excusez-moi patron mais il faut que je le dise ! Si vous n’étiez pas, dans cet état… Heu… cet état amoureux, oui amoureux !
LE COMMISSAIRE - Dans cet état amoureux ? Mais n’oubliez pas que lors de cet interrogatoire, c’est vous qui aviez la casquette. Donc moi j’avais le rôle du flic aimable et rassurant.
LE LIEUTENANT - Sauf que là vous en avez fait un peu trop. Enfin patron, on croirait un collégien qui rencontre son premier amour… Et votre Cécile en a profité pour se payer notre tête.
LE COMMISSAIRE - Expliquez-vous lieutenant, et vous avez intérêt à être convaincante !
LE LIEUTENANT - Vous n’avez rien remarqué ? ça confirme votre anesthésie !
LE COMMISSAIRE - Lieutenant, n‘allez pas trop loin.
LE LIEUTENANT - Mais enfin. Cette histoire de la victime qui entrouvre sa porte juste avant les trois coups, vers 20h30…
LE COMMISSAIRE (il réfléchit, hésite) - Ah je vois ! Le régisseur a affirmé avoir appelé la victime vers 20h20 dans sa loge. Elle n’a pas répondu, il n’a pas vu qu’elle était à l’intérieur déjà morte, il a fermé la porte à clé…
LE LIEUTENANT - Donc si Nicole Varga était morte à 20h20, elle n’a pas pu entrouvrir sa loge juste avant 20h30 comme l’affirme Cécile Duplessis. Désolé, patron, mais votre chère grande actrice a menti.
LE COMMISSAIRE - Ou alors il y a une autre explication.
LE LIEUTENANT - C’est ça… Et laquelle ?
LE COMMISSAIRE - Si nous supposons que Nicole Varga était bien vivante un peu avant 20h30, je dis bien supposons…
LE LIEUTENANT - J’ai bien noté.
LE COMMISSAIRE - Alors c’est qu’à 20h20, elle n’était pas dans sa loge lorsque le régisseur l’a appelée avant de fermer la porte.
LE LIEUTENANT - Oui mais elle n’a pas la clé de sa loge et aurait dû faire appel au régisseur pour y entrer plus tard et s’y faire assassiner.
LE COMMISSAIRE - ça ne tient pas !
LE LIEUTENANT - Je ne vous le fais pas dire, patron.
LE COMMISSAIRE - Et si le régisseur avait menti ? S’il n’avait pas fermé la porte vers 20h20 ?
LE LIEUTENANT (elle consulte ses notes) - Sauf que Chantal Ferrange, que j’ai interrogée au début, m’a déclaré … Je vous lis mes notes : « … J’ai aperçu le régisseur qui fermait la porte, c’était dix minutes ou un quart d’heure avant les trois coups …». A moins que cette Chantal et le régisseur ne soient de mèche pour nous monter un scénario de toute pièce…
LE COMMISSAIRE - C’est possible, mais plutôt improbable. Mais si Cécile a menti, pourquoi ?
LE LIEUTENANT - Je la fais revenir ?
LE COMMISSAIRE - Non, pas tout de suite. Nous aurons heureusement l’occasion de la revoir (Soupir attendri à cette idée.)
LE LIEUTENANT (en aparté) - Pour ça on peut lui faire confiance !
LE COMMISSAIRE - Julie, vous êtes encore en train de marmonner dans mon dos !
LE LIEUTENANT - Moi ? Mais non chef !
LE COMMISSAIRE - Donnez-moi plutôt cette casquette. Bon maintenant c’est au tour du célèbre auteur, Fred Legoffe.
(Il se tourne vers les coulisses et prend un ton autoritaire.)
Gardien, faites venir monsieur Legoffe !
L ‘AGENT (depuis la coulisse) - Bien monsieur le commissaire.
LE COMMISSAIRE (au lieutenant) - Et je vous préviens, Julie, à force de m’énerver, ça va décoiffer !
SCENE 3
L’agent, le commissaire, Fred, le lieutenant
L’agent de police entre avec Fred.
L’AGENT (annonce sur un ton très théâtral) - Monsieur Frédéric Legoffe !
LE COMMISSAIRE (surpris et pas content du style pris par l’agent de police) - Merci, vous pouvez disposer.
(L’agent sort.)
FRED - Madame, monsieur.
LE COMMISSAIRE (bourru) - Monsieur Legoffe, voici le Lieutenant Verneau et je suis le commissaire Delfour, responsable de cette enquête.
FRED - C’est une véritable catastrophe. En pleine représentation ! Je vois déjà les titres des journaux, mon dieu, une ca-ta-stro-phe !
LE COMMISSAIRE - Vous devriez plutôt penser à la victime, au lieu de songer à votre spectacle.
FRED - Ah mais oui, bien sûr. Cette pauvre Nicole, si gaie, si agréable, si vivante… Enfin non je voulais dire…
LE COMMISSAIRE - Vous avez dit vivante, monsieur et pour un auteur, le mot est bien mal choisi.
LE LIEUTENANT - Monsieur Legoffe est tout retourné par les événements, c’est normal.
FRED - Oui tout retourné, en effet mademoiselle. Vous savez ça fait deux tournées de suite avec Nicole.
LE COMMISSAIRE - Justement, quels étaient vos liens avec la victime ?
FRED - Des liens professionnels et, et… Et amicaux.
LE COMMISSAIRE - Et c’est tout ?
FRED - Nicole est… enfin était une actrice de talent.
LE COMMISSAIRE - Et une jolie femme.
FRED - Euh, oui, peut-être, sans doute. Mais surtout une excellente actrice.
LE LIEUTENANT - Pouvez-vous nous parler de l’ambiance au sein de votre troupe ?
FRED - L’ambiance ?
LE LIEUTENANT - Oui, et surtout les jalousies, les disputes… Tout ce qui pourrait nous renseigner sur qui pouvait en vouloir à la victime.
FRED - Les jalousies, les disputes… (Hésitation.) C’est que ça me gêne…
LE LIEUTENANT - Allons, monsieur Legoffe, aidez-nous, de toute façon si ce n’est pas vous qui parlez, ce sera un autre.
LE COMMISSAIRE - Et il vaut mieux pour vous que ce soit vous et tout de suite !
FRED - Et bien voilà : c’est au sujet de Cécile.
LE COMMISSAIRE - Cécile ? Cécile Duplessis ?
FRED - Oui.
LE LIEUTENANT - Continuez.
FRED - C’était lundi dernier, le jour de repos avant qu’on arrive ici. Cécile et Nicole se sont engueulées ! C’était pas la première fois, mais ce jour là, il a fallu les séparer.
LE COMMISSAIRE - Vous voulez dire que Cécile Duplessis et Nicole Varga se sont battues ?
FRED - Elles avaient commencé à en venir aux mains, mais Sergio, Bruno et des techniciens se sont interposés.
LE COMMISSAIRE - Et vous voulez me faire croire qu’une actrice telle que Cécile Duplessis se laisserait aller à …
FRED - Vous me demandez de parler, je parle ! Maintenant si ça vous dérange…
LE LIEUTENANT (un peu narquoise) - Mais non. Le problème, monsieur Legoffe, c’est que le commissaire est un grand admirateur de madame Duplessis. Or, ce que vous nous racontez ne colle pas vraiment avec la féminité et la douceur légendaire de la grande actrice.
FRED - Vous savez, il y a ce que racontent les journaux, la télé… Et puis il y a la réalité.
LE COMMISSAIRE (menaçant) - que voulez-vous insinuer ?
FRED - Je n’insinue pas, je dis que d’une façon générale les acteurs ou actrices sont comme vous et moi, ils ont leur caractère, leurs travers… Pour leur image de marque on invente des qualités et une personnalité qu’ils n’ont pas. Ensuite l’acteur rentre dans ce rôle, de la même façon qu’il le fait sur la scène de ce théâtre.
LE LIEUTENANT - Vous voulez dire que Cécile Duplessis n’est pas…
FRED - Non, Cécile est une personne à part dans notre monde du spectacle, en tout point conforme à l’image idéale que le public se fait d’elle.
LE COMMISSAIRE (d’abord surpris, il s’adresse au lieutenant) - Ah, vous entendez ?
FRED - Douce, posée…
LE COMMISSAIRE (radouci) – oui, oui !
FRED - Amicale, sensible, enjouée…
LE COMMISSAIRE (attendri) - Mais encore ?
FRED - Féminine, attentive, charmante…
LE COMMISSAIRE (triomphant) - Bien, bien, poursuivez…
FRED - Euh… (il cherche visiblement les mots pour s’attirer la sympathie du commissaire.) Elégante… sincère…
LE LIEUTENANT - On peut peut-être s’arrêter avant d’avoir épuisé le dictionnaire des adjectifs ?
LE COMMISSAIRE - Bien, je vous remercie cher monsieur Legoffe pour toutes ces précisions de la plus haute importance.
LE LIEUTENANT - Patron ?
LE COMMISSAIRE - Quoi encore ?
LE LIEUTENANT (à l’oreille du commissaire) - Je vous rappelle que c’est vous qui portez la casquette !
LE COMMISSAIRE - D’accord, d’accord. Mais bon, on peut se permettre une petite pause parfois non ?
LE LIEUTENANT (se retournant vers Fred) - Cette dispute entre Cécile Duplessis et la victime, c’était à quel sujet ?
FRED - Le boulot ! C’était un peu ma faute aussi !
LE LIEUTENANT - Votre faute ?
FRED - Oui c’est que cette année j’avais décidé de donner le rôle principal à Nicole.
LE COMMISSAIRE - Vous avez décidé quoi ?
FRED - De donner le premier rôle à Nicole.
LE COMMISSAIRE - Mais, mais… Vous réalisez un peu ? Vous avez Cécile Duplessis dans votre troupe et vous lui confiez un second rôle.
FRED - Ben, c’est à dire que…
LE COMMISSAIRE - Après tout ce que vous avez déballé comme adjectifs élogieux sur elle : douce, féminine, sensible, agréable…
FRED (il tente de se rattraper) - Elégante, enjouée…
LE LIEUTENANT - Stop, on ne va pas recommencer !
LE COMMISSAIRE - C’est incroyable ça. Cécile second rôle ! Et elle a accepté ?
FRED - C’est que depuis quelque temps elle a moins de propositions. Avec l’âge…
LE COMMISSAIRE - L’âge ? Mais enfin monsieur ! Cécile Duplessis n’a pas d’âge ! C’est comme si on décidait de ne plus admirer la Tour Eiffel parce qu’elle est centenaire.
FRED - Ah mais je n’ai jamais dit que Cécile était centenaire !
LE COMMISSAIRE - Encore heureux !
LE LIEUTENANT - Si on laissait parler, monsieur Legoffe ?
FRED - En effet ! Ce que je veux dire c’est que le premier rôle cette année est celui d’une jeune femme de 20 ans. Cécile est une femme mûre, encore merveilleuse certes, mais ne correspondant pas au casting du premier rôle.
LE LIEUTENANT - Il semble qu’elle n’ait pas malgré tout accepté votre décision.
FRED - Et bien non, elle s’est entêtée. Elle prétendait qu’avec un peu de maquillage elle pourrait facilement entrer dans ce rôle.
LE COMMISSAIRE - Bon… Et à part cette dispute entre Cécile et la victime ?
FRED - Euh … Non je ne vois rien d’autre à dire.
LE COMMISSAIRE - Bon et bien ce sera tout, je vous ai assez entendu… Pour le moment, mais ne vous éloignez pas.
FRED - Bien monsieur le commissaire.
(Fred sort.)
LE LIIEUTENANT - Patron, je ne voudrais pas vous contrarier, mais il me semble que nous avions encore d’autres questions à poser à ce Fred Legoffe.
LE COMMISSAIRE - Je sais, mais il m’énerve et de toute façon il n’est pas disposé à nous en dire plus pour le moment. Nous aurons l’occasion de le remettre sur le grill plus tard.
(Il enlève la casquette, la pose d’un geste rageur sur la tête de sa collègue et adresse un ordre pour l’agent qui est en coulisses.)
Gardien, faites entrer maintenant… Euh…
(Il consulte les notes du lieutenant.)
Oui, faites entrer madame Legoffe.
SCENE 4
L’agent, le commissaire, le lieutenant, Corinne
L’agent de police entre suivi de Corinne Legoffe.
L’AGENT (il annonce d’un ton solennel) - Madame Corinne Legoffe !
LE COMMISSAIRE - Mais c’est quoi ça ? (Il imite l’agent.) Madame Corinne Legoffe ! Vous vous croyez où ? Au théâtre ?
L’AGENT (il regarde le public, les décors) - Ben… Oui commissaire.
LE COMMISSAIRE - C’est vrai… J’oubliais que nous sommes au théâtre. Mais ce n’est pas une raison pour vous la jouer sur ce ton !
L’AGENT - Bien monsieur le commissaire.
(Il sort.)
LE COMMISSAIRE (Bourru) - Bien à nous deux ! Bonjour madame, asseyez-vous s’il vous plaît !
CORINNE - Bonjour.
LE COMMISSAIRE - Nom, prénom âge, qualité…
(Julie, placé derrière Corinne, gesticule pour montrer à son chef que c’est elle qui porte la casquette et qui a donc le rôle du policier agressif. Le commissaire s’arrête pour regarder les mimiques de sa collègue au-dessus des épaules de Corinne, qui, intriguée, se retourne. Le commissaire comprend enfin.)
Madame, je vous présente le lieutenant Julie Verneau.
CORINNE - Bonjour lieutenant.
LE LIEUTENANT - Bonjour madame.
LE COMMISSAIRE - Bon, que disions-nous ? Ah oui ! (Il a repris un ton agréable.) Dites-nous ce que vous faites dans la troupe et ce que vous savez sur ce crime, chère madame.
CORINNE - Je suis Corinne Legoffe, l’épouse de Frédéric qui a écrit cette pièce et qui dirige la mise en scène de la troupe. Je m’occupe des costumes et des accessoires. Pour cet horrible crime, je suis désolée, mais je n’ai rien vu, rien remarqué.
LE LIEUTENANT (ton sec) - C’est toujours ce que l’on dit !
LE COMMISSAIRE - Si vous nous disiez quand vous avez vu la victime vivante pour la dernière fois, madame ?
CORINNE - C’était dans les coulisses, chacun arrivait pour se préparer.
LE LIEUTENANT - Quelle heure était-il ?
CORINNE - Je ne sais pas de façon précise… Disons environ 19h30, 19h40…
LE COMMISSAIRE - Et vous n’avez rien remarqué de suspect, un événement, un détail qui vous aurait intrigué au passage ?
CORINNE - Non, rien. Tout s’est passé comme les autres soirs jusqu’à… Jusqu’à ce que…
LE LIEUTENANT (elle s’approche menaçante au-dessus de Corinne et crie) - Jusqu’à ce que vous entriez dans la loge de madame Varga pour la poignarder !
CORINNE (elle a sursauté et s’indigne) - Moi. Mais non, pourquoi dites-vous cela ?
LE LIEUTENANT (elle tente un coup de bluff) - Parce que NOUS SAVONS que vous aviez une excellente raison d’en vouloir à Nicole Varga. N’est-ce pas madame ?
CORINNE - Mais non ! Enfin oui, mais de là à... De la à la tuer !
LE COMMISSAIRE (amical, une main sur son épaule) - Allons, racontez-nous cela, madame.
CORINNE - Comme vous l’avez appris… Mon mari n’est pas particulièrement fidèle. Déjà avant notre mariage… J’ai cru qu’une fois marié, il serait enfin raisonnable. Mais non, il a continué avec ces filles, ces actrices de passage.
LE COMMISSAIRE - Et il a eu une liaison avec Nicole Varga.
LE LIEUTENANT - Mais Nicole Varga, elle, n’était pas de passage, elle fait sa deuxième tournée successive avec vous. Passe encore les petites aventures, mais une liaison qui dure, vous ne pouviez pas le supporter.
CORINNE (elle crie) - Mais si je voulais la tuer, je l’aurais fait avant !
LE LIEUTENANT (agressive) - Pourquoi avant ? Avant quoi, madame Legoffe ?
CORINNE - Avant que mon mari ne laisse justement tomber Nicole. Pourquoi aurais-je attendu pour assassiner une rivale qu’elle ne le soit justement plus ?
LE LIEUTENANT - ça, madame, c’est vous qui le dites !
CORINNE (elle crie encore) - Mais non demandez à tout le monde. Il ne se cachait même pas avec sa nouvelle maîtresse ! Et l’autre petite grue, avec ses tenues sexy à 100 sous, qui se prend pour une actrice et qui me nargue du haut de ses 20 ans !
LE COMMISSAIRE - Chantal Ferrange… N’est-ce pas madame ?
CORINNE - Evidemment Chantal Ferrange !
LE COMMISSAIRE - Et qui d’autre que vous pouvait en vouloir à la victime ?
CORINNE - Mais je ne sais pas moi. Lui en vouloir, tout le monde pouvait lui en vouloir ! C’était une peste prétentieuse et impossible à vivre au sein de la troupe.
LE LIEUTENANT - Qui précisément pouvait la haïr le plus ?
CORINNE - Tout le monde la détestait un peu. Ce genre de personne existe dans tous les milieux et on ne les assassine pas pour autant.
LE LIEUTENANT - Je suis certaine que vous savez qui pouvait lui en vouloir à un point tel que le passage à l’acte était possible.
CORINNE - Non je ne sais plus rien, rien, vous m’entendez ?
LE COMMISSAIRE - Lieutenant, soyons raisonnable, madame Legoffe a déjà beaucoup fait avancer notre enquête, ne la tourmentons pas davantage.
LE LIEUTENANT - Pour l’instant…
CORINNE - Je peux m’en aller ?
LE COMMISSAIRE - Oui vous rejoignez vos petits camarades dans les coulisses sans vous éloigner.
(Corinne sort.)
LE LIEUTENANT - Cette Corinne Legoffe a craqué un moment mais elle a compris que nous l’avions bluffé au début en prétendant connaître sa raison d’en vouloir à la victime, et après…
LE COMMISSAIRE - Après elle s’est méfiée. Et comme elle haïssait Nicole Varga, elle n’a pas forcément envie de nous aider à trouver le coupable.
LE LIEUTENANT - LE ou LA coupable.
LE COMMISSAIRE - Un coup de poignard avec une telle précision, ça ressemble plus à un homme. Mais vous avez raison lieutenant rien de sûr !
(A cet instant l’agent de police revient sur scène.)
SCENE 5
L’agent, le commissaire, le lieutenant
LE COMMISSAIRE - Et bien mon ami, que nous vaut l’honneur de votre visite ?
L’AGENT - C’est que je viens d’avoir des nouvelles de l’opérateur téléphonique. C’est à propos du téléphone portable de la victime.
LE COMMISSAIRE - Je vous écoute.
L’AGENT - La victime a envoyé un SMS à 20h05 et a reçu un appel téléphonique à 20h10 précises.
LE COMMISSAIRE - Un SMS à qui et qui lui a téléphoné ?
L’AGENT - C’est la même personne pour les deux : monsieur Fred Legoffe.
LE LIEUTENANT - Fred Legoffe… Elle a décroché… Donc elle était encore vivante.
L’AGENT - D’après l’opérateur la conversation a duré presque 4 minutes.
LE COMMISSAIRE - Vivante durant ces 4 minutes.
L’AGENT - Vivante… En principe…
LE LIEUTENANT - En principe ? Pourquoi en principe ?
L’AGENT - Parce que l’assassin tue en laissant le téléphone de la victime ouvert pour faire croire qu’elle est encore vivante et donc que le meurtre a eu lieu à un autre moment. Et cela lui permet de se fabriquer un alibi.
LE LIEUTENANT - Et ben, bravo, quelle imagination !
L’AGENT - Je n’ai rien inventé, lieutenant, j’ai vu ça une fois dans Colombo. L’assassin était une femme qui assassinait son patron pour l’empêcher de découvrir les malversations de son adjoint qui se trouvait être son amant. Ensuite l’amant s’arrangeait pour dissimuler…
LE COMMISSAIRE - Gardien ?
L’AGENT - Euh !… Oui monsieur le commissaire ?
LE COMMISSAIRE - Veuillez retourner en coulisses. Ensuite vous appelez les renseignements téléphoniques et vous leur demander le numéro de monsieur Colombo. Quand vous avez celui-ci en ligne, demandez-lui quand il sera libre pour venir ici nous aider à résoudre cette affaire.
L’AGENT - Bien m’sieur l’commissaire ! C’est tout ?
LE COMMISSAIRE - Oui c’est tout. Rompez !
(L’agent se dirige vers la sortie puis s’arrête.)
L’AGENT - Commissaire ?
LE COMMISSAIRE - Quoi encore ?
L’AGENT - Euh... Do you speak english ?
LE COMMISSAIRE - Quoi ? Si je do you… Si je speak english ? Mais non voyons…
L’AGENT - C’est bon à savoir, parce que si monsieur Colombo accepte de venir vous aider, il faut aussi que je trouve un interprète dans les pages jaunes.
(Cette fois, l’agent sort.)
LE COMMISSAIRE - Il est idiot où il se fout de moi ?
LE LIEUTENANT (amusée) - Je penche plutôt pour la seconde solution, ce gardien me semble avoir de l’humour.
LE COMMISSAIRE - De l’humour hein ? Et bien m’en vais l’envoyer faire de l’humour au carrefour de… (Choisir deux artères de la ville où est jouée la pièce), moi, le Sacha Guitry en uniforme !
LE LIEUTENANT - N’empêche qu’il nous apporte là un élément bigrement intéressant.
LE COMMISSAIRE - Ouais ! Un appel à 20h10… ça vous dit quoi à vous 20h10 ?
LE LIEUTENANT - Comme à vous chef ! L’heure à laquelle Chantal Ferrange affirme avoir entendu la victime s’engueuler avec quelqu’un dans sa loge.
LE COMMISSAIRE - Et ce quelqu’un, votre Chantal affirme aussi ne pas en avoir entendu la voix. Et pour cause !
LE LIEUTENANT - Et pour cause : l’engueulade était par téléphone.
LE COMMISSAIRE - Tout juste et l’engueulade c’était avec ce bon vieux Fred Legoffe.
LE LIEUTENANT - Que précisément la même Chantal affirme avoir vu sur le parking, téléphone portable à l’oreille, un moment plus tard.
LE COMMISSAIRE - Donc l’assassinat n’est pas l’œuvre d’une personne qui se disputait avec la victime dans la loge à 20h10. Le meurtre a eu lieu plus tard et ceux qui ont été vus à l’extérieur par Chantal à 20h10 ne sont plus du tout innocentés.
LE LIEUTENANT - Au contraire pour Fred… Il s’engueule avec la victime vers 20h10 et celle-ci est assassinée avant la fermeture de la loge par le régisseur à 20h20. Troublant non ?
LE COMMISSAIRE - Ouais ! Lieutenant, allez voir notre ami le comique en uniforme et dites lui de nous rapporter le téléphone mobile du grand auteur, metteur en scène, Fred Legoffe.
LE LIEUTENANT - Bien patron !
(Elle sort.)
LE COMMISSAIRE - Voilà une affaire qui pourrait se résoudre dès ce soir. Et vu les personnalités du show-biz impliquées, la télé, la radio, les journaux vont rappliquer dare-dare…Bravo commissaire Delfour… Et pourquoi pas enfin commissaire divisionnaire Antoine Delfour.
(Julie revient avec l’agent.)
LE LIEUTENANT - Voilà on s’occupe de trouver le portable de monsieur Legoffe.
L’AGENT - Affirmatif !
SCENE 6
Le commissaire, le lieutenant, Carla, l’agent, Sergio
LE COMMISSAIRE - Bien en attendant qui n’avons-nous pas encore entendu ? Ce qu’il nous faudrait à ce stade de l’enquête, c’est trouver dans cette troupe le maillon faible.
LE LIEUTENANT - Ouais, la pipelette de service. D’habitude, il y a toujours quelqu’un qui sait tout et qui se fait un plaisir de baver sur tout le monde. Mais là on est dans un théâtre. Pas de voisin, pas de facteur, pas de concierge…
LE COMMISSAIRE - Concierge, pas de concierge… Concierge, ça ne vous dit rien Julie ?
LE LIEUTENANT - Vous voulez dire… L’Italien ?
LE COMMISSAIRE - Ouais, je veux dire l’Italien, ces gens-là ça cause énormément et celui-là est connu pour ça… Comment qu’il s’appelle déjà.
CARLA - Il s’appelle Sergio BORDONI, c’est mon fils et ié vous interdis oune nouvelle fois dé lé prendre pour oune concierge ! Mon fils est sorti major dou conservatoire d’art dramatique de Naples.
LE COMMISSAIRE - SILEEEEEENNNNNCE ! Gardien, allez me chercher monsieur Bordoni et je compte sur vous pour nous faire une présentation digne d’un major du conservatoire de Naples.
(L’agent sort. Julie en profite pour déposer la casquette sur la tête du commissaire. L’agent revient un instant plus tard avec Sergio.)
L’AGENT (plus théâtral que jamais) - Monsieur Sergio Bordoni, major du conservatoire d’art dramatique de Naples !
SERGIO (interloqué) – Ma, c’est quoi cetté mise en scène. Comment qué vous savez qué ié souis major dou conserv…
LE COMMISSAIRE - Hé, on est de la police ou on n’est pas !
CARLA (toujours dans le public mais assise cette fois) - T’inquiètes pas mon chéri, il sé prend pour Hercoule Poirotte, mais c’est moi qui loui ai dit.
SERGIO - Mama, tou es là ? Où tu es, ié té vois pas avé les projecteurs ?
CARLA (elle est levée et agite les bras) - ié souis ici et ié veille sur toi mon Sergio.
SERGIO - Commissaire carabinieri, ié vais tout vous dire.
CARLA - Méfie-toi, mon chéri, celoui à la casquette, il déteste les concierges et les Italiens. Parle ploutôt à la démoiselle là et fais très attenzione à cé qué tou vas dire !
SERGIO - Tou mé fais peur, mama.
CARLA - Va-y mon tout pétite, jé surveille.
LE COMMISSAIRE - E finita la comedia ?
SERGIO (il est tourné vers le commissaire) - Monsieur lé général carabinieri autant qué ié lé dise …
CARLA - Non parle pas à céloui à la casquette.
SERGIO (il se tourne vers le lieutenant) - Madame, la camarade colonel des carabinieri, ié vais tout vous dire : ié sais qui c’est lé coupable.
LE LIEUTENANT - Ah ? Vous avez vu quelqu’un entrer dans la loge ?
SERGIO - Ma non. Pas bésoin dé voir, ié sais qui avait oune véritable motif pour touer cetté pauvre Nicole.
LE COMMISSAIRE - Alors parlez et vite.
SERGIO - Vous, mama né veut pas qué ié vous parle… Ié né vous parle pas.
CARLA (assise) - C’est bien mon chéri.
LE LIEUTENANT - Qui a selon vous tué Nicole Varga.
SERGIO - Ma c’est Brouno qué c’est bien soûr.
LE LIEUTENANT - Bruno Marty ? Le régisseur ?
SERGIO - Si !
LE COMMISSAIRE - Et pourquoi Bruno aurait-il tué Nicole Varga ?
(Sergio ne répond pas.)
LE LIEUTENANT - Et pourquoi Bruno aurait-il tué Nicole Varga ?
SERGIO (grimace en direction du commissaire) - Parcé qué ça fait un an qu’elle passe son temps à l’houmilier en poublic, qué c’en est oune honte !
LE LIEUTENANT - Vous savez pourquoi elle se comportait comme cela avec Bruno ?
SERGIO - Elle est in-fecte avec tout lé monde, mais bon… On finit par avoir l’habitoude. Mais avec Bruno, elle avait trouvé ouné…ouné… Comment vous dites déjà vous les Franchezes… Ah oui ! Ouné crane dé Grec.
CARLA - Ouné tête dé Tourc.
SERGIO - Merci mama !
LE COMMISSAIRE - Et vous pensez que c’est suffisant pour assassiner quelqu’un.
(Nouveau silence de Sergio.)
LE LIEUTENANT - Et vous pensez que c’est un motif suffisant pour assassiner quelqu’un ?
SERGIO - Il faut sé méfier des Tourcs !
LE LIEUTENANT - Et à part Bruno, qui pouvait en vouloir à madame Varga ?
SERGIO - Tout lé monde.
LE COMMISSAIRE (excédé d’être tenu à l’écart il empoigne Sergio par le col) - Tout lé monde hein… Alors vous aussi, n’est-ce pas monsieur Bordoni ?
SERGIO - Moi, mais qu’est-ce qué ié viens faire là dédans ?
LE COMMISSAIRE - Je vais vous le dire : vous avez assassiné Nicole Varga parce que c’est votre mère qui vous l’a demandé.
CARLA - Ma qué c’est quoi cé délire.
SERGIO - Mama tou entend ?
CARLA - Ma oui qué i’entends, c’est ouné scandale. On veut ma mort ! Au sécours appelez la police.
SERGIO - Ma non, Mama, elle est déjà ici la police.
LE LIEUTENANT (en aparté au commissaire) - Chef, c’est quoi votre idée ?
LE COMMISSAIRE – Je sais pas lieutenant, j’improvise… Et puis j’ai la casquette sur la tête, c’est à moi d’être le méchant non ? J’ai lancé ça juste pour me soulager !
CARLA - Et pourquoi qué i’aurais voulu la mort dé cette Nicole Varga ?
LE COMMISSAIRE – Je vais vous le dire moi pourquoi ! Il apparaît, chère madame, qu’au concours de la plus chiante, la victime était, selon tous les témoignages unanimes, votre principale rivale pour le podium olympique.
CARLA - Signore, vous êtes oune goujat !
LE LIEUTENANT - Allons, allons, on se calme et on reprend. Monsieur Bordoni, vous disiez que tout le monde avait une raison d’en vouloir à la victime.
SERGIO - Si.
LE LIEUTENANT - Commençons par Cécile Duplessis.
SERGIO - Cécile était meurtrie. Nicole a profité dé sa liaison avec Fredo pour loui ravir lé premier rôle. Un rôle qui lui revenait à elle, la soublime Cécilia Douplessisse !
LE COMMISSAIRE (il s’approche) - Qu’est-ce que vous venez de dire ?
SERGIO (apeuré, il se protège la tête avec ses deux mains) - Né mé touchez pas !
CARLA - Au secours, on va torturer mon fils !
LE COMMISSAIRE - Répétez ce que vous venez de dire, que le lieutenant puisse bien noter.
SERGIO - J’ai dit qué la soublimissima Cécilia Duplessis méritait…
LE COMMISSAIRE (il prend les mains de Sergio dans les siennes) - Merci monsieur… Et puis excusez-moi pour tout à l’heure…
CARLA - Méfie-toi mon chéri, c’est un trouc pour té mettre en confiance. I’ai déjà vou ça dans un film à la télévizione.
LE LIEUTENANT - Continuons voulez-vous. Corinne Legoffe connaissait les liaisons de son mari…
SERGIO - Si bien soûr, mais Corinne n’était même plou jalouse. Il y a des mois qu’elle était dévénoue in-sensible aux aventoures dé son mari. Elle parlait ouvertement dé lé quitter après la tournée. Jé mé demande même s’il n’y a pas oune autre homme dans son cœur…
LE COMMISSAIRE - Un autre homme ? Qui ?
SERGIO - Oun’ homme, jé ne sais pas qui, mais ié l’ai senti… Nous autres Italiens, rien ne nous échappe en amore...
LE LIEUTENANT - Et Chantal Ferrange ?
SERGIO - Oune pétite sotte très affriolante (Gestes évoquant les formes féminines). A moins qu’elle ne cache un autre personnage. Elle détestait Nicole, mais c’est plutôt Nicole qui pourrait lui en vouloir de lui avoir piqué Fredo. Ma qué, on sait jamais, oune dispoute qui tourné mal !
LE LIEUTENANT - Et monsieur Legoffe avait-il lui des raisons de tuer son ex maîtresse ?
SERGIO - Pourquoi l’assassiner ? Il vénait dé la quitter, elle était déjà abattoue en pleine dépressionne… Pourtant, ces derniers jours, Nicole avait répris dou poil dé la bête, agressive avec Fredo. Et loui, il avait l’air soucieux.
LE COMMISSAIRE - Pardonnez-moi, monsieur Bordoni, mais c’est très important : est-ce que vous auriez entendu parler d’une histoire de livre ou de cahier jaune ?
SERGIO - Oune livre iaune… oune cahier iaune ?
LE COMMISSAIRE - Oui un livre qui serait l’objet d’une dispute, d’un contentieux précisément entre la victime et monsieur Legoffe ?
SERGIO – Non, non… Ah si, peut-être… Ié sais pas si c’est en rapport avec cé qué vous cherchez, mai l’autré soir, après la réprésentationne, Nicole a lancé à Fredo dévant tout lé monde oune phrase qui disait à peu près : « Si tou veux récoupérer ton livre, tou peux venir lé chercher à mon hôtel ». Il était ploutôt mal le Fredo, devant sa femme et devant Chantal…
LE COMMISSAIRE - Comment a réagi Fred ?
SERGIO – Blême il était ! Mais personne n’a rien compris à cet incident et n’a osé lé questionner. Il a simplement aiouté ouné trouc du genre « Elle m’emmerde avec cé bouquin, elle peut bien sé lé mettre… Enfin sé lé garder ». Non, jé vous le dis, lé seul qui avait la vraie haine, c’est Brouno. I’ai vou plousieurs fois comment il serrait les dents quand Nicole lé traitait plou bas qué terre. Il avait oune haine terrible… Et ioustifiée d’ailleurs. S’il n’y avait la tournée qui va s’arrêter, ié dirai merci à Brouno d’avoir débarrassé lé monde d’oune si vilaine peste.
LE COMMISSAIRE - Bien, ce sera tout. Vous pouvez rejoindre vos petits camarades monsieur Bordoni.
CARLA - Viens t’asseoir avec moi, mon chéri.
LE COMMISSAIRE - Non, Lieutenant, raccompagnez monsieur Bordoni en coulisses.
CARLA - Qu’est cé qué cé ces façons de séparer une mère dé son enfant ?
LE COMMISSAIRE (hochant la tête d’agacement) - Allez-y lieutenant.
LE LIEUTENANT (invitant du geste Sergio vers la sortie) - Monsieur Bordoni…
(Sergio sort précédé du Lieutenant qui revient quelques secondes plus tard.)
SCENE 7
Le lieutenant, le commissaire, Carla, Chantal
LE LIEUTENANT - Il y a un problème, chef. Monsieur Legoffe ne trouve plus son portable. Les agents ont fouillé tout le monde et partout, les acteurs, les loges, les coulisses… Rien.
LE COMMISSAIRE - C’est ennuyeux ça.
LE LIEUTENANT - Bon, s’ils continuent, ils vont finir par le trouver. Dites patron, maintenant qu’on a vu tous les suspects, on fait quoi ?
LE COMMISSAIRE - Ouais on les a tous vus et je crois qu’ils se sont tous foutus de nous… A part l’Italien !
CARLA (assise) - Ah quand même.
LE COMMISSAIRE - Je dois reconnaître madame que votre fils est le seul qui parle… Mais pour ne rien dire : normal il est votre fils.
CARLA - J’aurais dû mé douter, vous n’aimez pas les Italiens !
LE COMMISSAIRE - Moi ? Mais au contraire. Je les aime comme ils sont, joyeux, exubérants, bavards, inconséquents, fanfarons…
CARLA - Et c’est oune Franchese qui nous traite dé fanfarones ! (Elle s’est levée.)
LE COMMISSAIRE - Asseyez-vous et calmez-vous, madame Bordoni ou je vous fais arrêter pour insulte à officier de police.
CARLA - Voilà, jé m’assois, monsieur le commissaire tortionnaire.
LE LIEUTENANT - Patron, je vous rappelle qu’il est déjà 21h50 (donner l’heure exacte si la pièce est jouée en soirée.) Que faisons-nous ?
LE COMMISSAIRE - Je serais tenté de revoir tout de suite Fred Legoffe… Pourtant…
LE LIEUTENANT - ça tombe sous le sens, chef. Il reçoit un SMS de la victime à 20h05, il lui téléphone pour s’engueuler avec elle à 20h10 et on est quasiment certain qu’elle a été tuée avant 20h20.
LE COMMISSAIRE - Je suis d’accord avec vous, Julie, monsieur Legoffe vient de prendre la tête du concours pour le séjour de 20 ans, pour une personne en pension complète, à… (Prison locale ou Fleury-Mérogis). Mais rien ne prouve qu’il soit allé dans la loge après le coup de fil et d’autre part nous ne comprenons rien à cette histoire de livre jaune, objet de la dispute avec la victime.
Non, nous ne tirerons rien de monsieur Legoffe sans en savoir davantage.
LE LIEUTENANT - J’ai peut-être une idée… J’ai noté un truc intéressant dans le témoignage de la petite Chantal Ferrange. Si vous êtes d’accord, patron, je prends la casquette et on la remet sur le grill ?
LE COMMISSAIRE - Pourquoi pas… C’est elle qui nous a parlé de ce livre jaune qui existe ou pas d’ailleurs et elle semble moins solidaire de la profession et de la troupe que les autres. Prenez la casquette et allez la chercher. Je vous donne le feu vert lieutenant.
(Le lieutenant met la casquette, sort et revient aussitôt avec Chantal.)
LE COMMISSAIRE - Mademoiselle, nous avons appris beaucoup de choses que vous avez oubliées de dire à mon adjointe tout à l’heure.
LE LIEUTENANT (agressive) - en d’autres termes, vous vous êtes foutue de moi.
CHANTAL - Mais non…
LE LIEUTENANT - Mais si ! Vous êtes la maîtresse de monsieur Legoffe n’est-ce pas ?
(Silence de Chantal.)
LE COMMISSAIRE - Allons, mademoiselle, aidez-nous. Vos aventures amoureuses ne tombent pas sous le coup de la loi.
LE LIEUTENANT - Oui, mais la maîtresse du metteur en scène doit en savoir des choses… (Face au silence de Chantal, elle se met à crier.) N’est-ce pas mademoiselle ?
CHANTAL - Oui, non… Enfin je ne sais pas de quelles choses vous voulez parler.
LE COMMISSAIRE - Le lieutenant veut sans doute parler de ce livre jaune dont vous avez entendu parler à travers la porte de la loge.
CHANTAL - Mais c’est tout ce que je sais.
LE LIEUTENANT - Je reprends mes notes (Elle lit son bloc note.) Lorsque je vous ai interrogée la première fois, vous m’avez déclaré, je lis : « … après avoir parlé avec Bruno, le chef technicien, j’ai croisé dans le couloir Corinne, c’est la femme de Fred, enfin je veux dire de monsieur Legoffe. Et puis, et puis, attendez… Je suis aussitôt sortie griller une cigarette dehors et il y avait là, seul sur le parking, monsieur Legoffe en train de fumer lui aussi et de téléphoner avec son portable. »
Vous confirmez ce témoignage, mademoiselle ?
CHANTAL - Eh bien oui, c’est tout à fait ainsi que ça s’est passé.
LE LIEUTENANT - Je vous crois mademoiselle. Mais ensuite… Que s’est-il passé ? Vous êtes sur le parking, non loin de votre amant. Monsieur Legoffe doit parler très fort puisqu’il s’engueule avec Nicole.
CHANTAL - Il ne s’est rien passé.
LE LIEUTENANT - Allons, mademoiselle. Vous avez entendu que c’est avec Nicole, son ex maîtresse et votre rivale, que monsieur Legoffe se disputait. Vous avez compris aussi que Nicole tenait votre amant à la gorge avec ce mystérieux livre jaune.
CHANTAL - Non, non…
LE LIEUTENANT - Alors quand vous avez compris que Nicole Varga allait contraindre Fred à vous quitter, vous avez vu s’envoler votre liaison, votre premier rôle, vos rêves de devenir star…
LE COMMISSAIRE - Et, comme c’est bien compréhensible vous avez décidé, sans réfléchir, de défendre vos intérêts menacés.
LE LIEUTENANT - Vous vous êtes emparée d’un poignard puis vous êtes allée régler son compte à celle qui était un obstacle à tous vos projets.
CHANTAL - Mais non, non.
LE LIEUTENANT - Vous raconterez tout cela à un juré d’assise mademoiselle.
CHANTAL - Mais non, demandez à Fred, il m’a vue après avoir raccroché son portable lorsqu’il est sorti de la cour. Il sait que je ne suis pas partie vers les loges.
LE LIEUTENANT - Nous avons interrogé monsieur Legoffe, il ne nous a rien dit de tel.
CHANTAL - Mais si demandez-lui, il vous le dira : il était nerveux, il a écrasé sa cigarette par terre. Puis, il est allé à sa voiture, il a traversé le parking en passant devant moi, m’a regardée sans rien dire et il est entré dans le bâtiment.
LE COMMISSAIRE - Bien, mademoiselle, nous avons tout noté et monsieur Legoffe va sans doute confirmer tout cela.
CHANTAL - Mais bien sûr, demandez-lui, demandez-lui !
LE LIEUTENANT - C’est ce que nous allons faire tout de suite mademoiselle… Je vous laisse regagner les coulisses.
(Chantal sort déconfite.)
LE COMMISSAIRE - Alors là… Chapeau lieutenant ! L’emploi du temps de monsieur Legoffe se précise.
LE LIEUTENANT - Chapeau ou plutôt casquette patron ! Car c’est vous qui allez la mettre pour recevoir monsieur Legoffe. Car je présume que maintenant, vous êtes disposé à donner priorité à monsieur Legoffe ?
(Elle tend la casquette à son patron.)
LE COMMISSAIRE - Vous présumez bien, Julie. Les allées et venues de notre metteur en scène demandent quelques éclaircissements… (Il ordonne vers les coulisses.) Gardien… Faites venir monsieur Legoffe s’il vous plaît !
.
ACTE 3
SCENE 1
L’agent, le commissaire, le lieutenant, Fred
L’AGENT - Monsieur Frédéric Legoffe !
(Il s’apprête à sortir puis se retourne.)
Je peux pas rester, m’sieur l’commissaire ?
LE COMMISSAIRE - Rester, pour quoi faire ?
L’AGENT - Pour voir. Voir et comparer.
LE COMMISSAIRE - Voir et comparer ? Mais comparer quoi ?
L’AGENT - Mais les méthodes de la police française avec celle du lieutenant Colombo.
LE COMMISSAIRE - Non mais c’est n’importe quoi…
L’AGENT - Ah ben évidemment si on part battu d’avance et qu’on n’ose même pas montrer nos méthodes, se frotter à ceux des States… On n’a plus qu’à enregistrer les Navarro pour se passer les cassettes à l’hospice de la police, une fois en retraite.
LE COMMISSAIRE - Bon, bon, il ne sera pas dit que la police française n’est pas à la hauteur.
L’AGENT - Merci m’sieur l’commissaire. Et puis ça me servira, je prépare le concours de sous-officier dans la police nationale.
LE COMMISSAIRE - Bien, monsieur Legoffe, nous avons quelques détails à éclaircir ensemble.
FRED - Je vous écoute commissaire.
LE COMMISSAIRE - C’est nous qui vous écoutons, monsieur. Vous allez nous raconter la nature de votre coup de fil avec Nicole Varga à 20h10 et votre emploi du temps précis dans les minutes suivantes. Je vous invite à être cohérent avec les témoignages que nous avons déjà recueillis à ce sujet.
LE LIEUTENANT - Suivez le conseil du commissaire, monsieur Legoffe, c’est dans votre intérêt, il commence à se faire tard et je le trouve vraiment très nerveux.
L’AGENT - Moi aussi, il est toujours comme ça ?
LE LIEUTENANT - Seulement quand il porte la casquette.
L’AGENT - La casquette ? Ah ?
LE COMMISSAIRE - Je vous écoute monsieur Legoffe.
FRED - Et bien j’ai appelé Nicole vers 20h10 pour lui dire de cesser de m’importuner.
LE COMMISSAIRE - A quel sujet ?
FRED - Vous avez sans doute appris que j’ai eu une liaison avec elle. Elle ne voulait pas comprendre que c’était terminé.
LE LIEUTENANT - Mais pourquoi l’appeler précisément ce soir à 20h10, alors qu’elle se maquille et s’habille, 20 minutes à peine avant le spectacle ?
FRED - Vous savez, j’ai peu de temps à moi, surtout pour être seul et donner ce genre d’appel en toute discrétion.
LE COMMISSAIRE - Et Nicole Varga vous harcelait, simplement ?
FRED - Qu’entendez-vous par « simplement » ?
LE LIEUTENANT - Le commissaire se demande par exemple si elle n’exerçait pas sur vous des pressions pour se venger ou pour vous contraindre à revenir vers elle.
L’AGENT - Et je crois que le commissaire se demande aussi à quoi ça sert de vous donner des conseils de jouer cartes sur table si vous ne les suivez pas !
LE COMMISSAIRE - Merci gardien !
FRED - Je ne vois pas…
LE COMMISSAIRE (il s’emporte) - Vous ne voyez pas ! Et bien moi je vois ! Je vois et je n’entends pas ce que je voudrais entendre. Par exemple au sujet du SMS que vous a envoyé Nicole Varga cinq minutes avant que vous ne l’appeliez au téléphone.
FRED - Un SMS ? Quel SMS ?
LE COMMISSAIRE - Jouez au con, mon vieux, on va être deux et vous êtes sûr de perdre.
L’AGENT - Très bon ça ! Je prends note… Euh… C’est pour mon concours.
LE COMMISSAIRE - France Telecom nous a communiqué vos échanges sur portable durant la soirée, vous ne pouvez pas nier. Où est votre portable monsieur Legoffe ?
FRED - Je ne le trouve plus. J’ai dû le perdre ou on me l’a volé dans l’affolement qui a suivi le meurtre de Nicole.
L’AGENT - Les collègues ont repris la fouille à zéro, m’sieur l’commissaire, on va l’touver son téléphone.
LE LIEUTENANT - Allons, cela ne sert à rien de vous entêter à tout nier. Si vous n’avez pas tué Nicole Varga, vous n’avez rien à craindre. Dites-nous la vérité.
FRED - Mais je ne l’ai pas tuée.
LE COMMISSAIRE - Soit, alors dites-nous ce que vous avez fait sur le parking après le coup de téléphone et avant de rentrer dans le bâtiment, précisément par le couloir des loges.
FRED - Je suis allé à ma voiture.
LE LIEUTENANT - Quoi faire ?
L’AGENT - J’allais le demander !
FRED - Je ne sais plus moi… Ah si, chercher mes cigarettes.
LE COMMISSAIRE - Vous les aviez déjà sur vous, on vous a vu fumer avant d’aller à votre voiture.
FRED - C’est Chantal qui vous a raconté ça ? Elle ne perd pas son temps pour retourner sa veste celle-la !
LE LIEUTENANT - Qu’importe Chantal ou une autre.
L’AGENT - Tout ça ne nous dit pas ce qu’il est allé faire dans sa voiture.
LE COMMISSAIRE - Peut-être y chercher un couteau ?
L’AGENT - Oh là, il est mal !
FRED - Je n’allais pas tuer Nicole simplement parce qu’elle refusait de croire à la fin de notre liaison.
LE LIEUTENANT - Pour ça non, mais pour récupérer le petit livre jaune ?
L’AGENT - Ah… Alors là je décroche !
LE LIEUTENANT - On vous expliquera après, c’est une méthode pour laquelle notre commissariat est pilote. Si ça marche on vendra le brevet aux américains.
LE COMMISSAIRE - Bon, le livre jaune, ça vous dit quoi ?
FRED - Je sais pas moi, c’est quoi ces devinettes ? Je prends un joker.
LE COMMISSAIRE - D’accord, on la joue comme ça ! Allez méthode traditionnelle : Nom, prénom, lieu de naissance, adresse, profession…
FRED - Legoffe, Frédéric, né le 22 février 1972 à Nancy. 52 avenue de la…
(A cet instant on entend une sonnerie de portable dans la salle côté public.)
SCENE 2
Le commissaire, le lieutenant, l’agent, Fred, Carla
LE COMMISSAIRE - C’est quoi ça ?
LE LIEUTENANT - ça ressemble à une sonnerie de téléphone. (Vers le public.) La personne qui a son téléphone qui sonne peut-elle l’arrêter s’il vous plaît ?
L’AGENT - Attendez lieutenant, je crois plutôt que ça vient de par là, …
(L’agent descend de la scène et se dirige vers la sonnerie, traversant au besoin le public.)
Voilà c’est par ici, c’est là !
(Il saisit un sachet dans une poubelle et y pioche un portable. Il remet le sachet dans la poubelle et revient vers la scène, appareil dans une main, poubelle dans l’autre.)
Allo ? Oui… Vous voulez qui ? Monsieur Legoffe ? Vous êtes ?… Ah ! L’éditeur de monsieur Legoffe. Oui, je comprends bien, je comprends, monsieur De Mesmaeker… (Note de l’auteur : clin d’œil aux albums de Gaston Lagaffe.) Vous appelez le numéro de monsieur Legoffe donc vous voulez parler à monsieur Legoffe, ça semble tout à fait logique… C’est très important ?… Malheureusement, monsieur De Mesmaeker, ce ne sera pas possible de vous passer monsieur Legoffe… Pourquoi, pourquoi… Ben, disons pour résumer qu’il est en train de regarder un policier et qu’il ne veut pas être dérangé avant de connaître le coupable. Voilà, c’est ça désolé… Mes hommages à madame De Mesmaeker. (Il raccroche et pose la poubelle au pied de la table.)
LE LIEUTENANT - Et bien monsieur Legoffe, vous remercierez monsieur De Mesmaeker de nous avoir permis de remettre la main sur votre téléphone.
LE COMMISSAIRE - Un téléphone que vous aviez sans doute négligemment jeté dans cette poubelle ?
CARLA (elle se lève) - Si je peux me permettre, j’ai bien vu monsieur Legoffe venir vers cette poubelle avant le début de la pièce mais monsieur Bruno y est venu aussi.
LE COMMISSAIRE - Je vous remercie de ces précisions madame, nous interrogerons aussi monsieur Bruno Marty.
CARLA - Eh ! Vous voyez quand vous voulez être aimable !
LE COMMISSAIRE - Mais c’est un plaisir d’être aimable avec vous, chère madame… Bon, (Il saisit le téléphone portable.) et bien nous allons voir ensemble les petits secrets qui se cachent à l’intérieur de votre portable monsieur Legoffe. Vous reconnaissez bien votre portable ?
FRED - Euh… Oui.
LE COMMISSAIRE (il tripote le téléphone maladroitement) - Bon, on s’y prend comment avec ça ?
L’AGENT - Si vous permettez commissaire…
(Le commissaire lui tend le portable.)
Et ben on s’emmerde pas, c’est un truc dernier cri avec internet, vidéo et tutti quanti !
LE COMMISSAIRE - Eviter de parler italien ce soir et faites-moi parler ce machin !
L’AGENT - Elémentaire mon cher commissaire…
LE COMMISSAIRE - Quoi ! Ne me dites pas que vous avez vu Colombo déchiffrer ce genre d’appareil ?
L’AGENT - Non, mais, mon fils a le même.
LE COMMISSAIRE - Ah bon ! Vous disiez que c’était un appareil haut de gamme, il a les moyens votre fils… Il fait quoi dans la vie ?
L’AGENT - Mon fils ? Ben il vend des portables, des hi-fi, des autoradios…
LE COMMISSAIRE - Et bien sûr il est honnête salarié ou commerçant, légalement déclaré.
L’AGENT - Oh la la, m’sieur l‘commissaire, on est au 21° siècle ! Faut bien que quelqu’un s’occupe de tous ces appareils qui tombent des camions !
LE COMMISSAIRE - Non mais, je rêve !
LE LIEUTENANT - Voyons patron, l’important c’est de découvrir ce qu’il y a dans ce foutu téléphone.
LE COMMISSAIRE - Bon, d’accord, d’accord…
L’AGENT (il tapote sur les boutons du mobile) - Bon pas d’autre appel donné ou reçu après 20h10.
LE COMMISSAIRE - Zut !
L’AGENT - Attendez, on va aller voir ailleurs…
LE COMMISSAIRE - Ailleurs où ça ?
L’AGENT - Du côté des SMS.
LE COMMISSAIRE - Allons-y !
L’AGENT - Ah, ah…
LE COMMISSAIRE - Quoi ?
L’AGENT - Pas de SMS !
LE COMMISSAIRE - Merde !
L’AGENT - Pas de SMS sauvegardé, mais ce genre d’appareil sophistiqué présente un avantage.
LE LIEUTENANT - Un avantage, lequel ?
L’AGENT - C’est un véritable petit ordinateur, et comme dans tout ordinateur, il y a une corbeille dans laquelle viennent se ranger les messages que l’on veut effacer. (Il continue à manipuler le téléphone tout en parlant.) Mais là ça peut être un inconvénient si l’on ne prend pas le soin, ou si l’on n’a pas le temps de vider la corbeille… Et voilà la corbeille !
LE COMMISSAIRE (il s’est levé impatient) - Et alors ?
L’AGENT - Alors ? et bien regardez là… (Les deux policiers s’approchent de l’écran.)
LE COMMISSAIRE - Où ?
L’AGENT - Ici, un SMS reçu à 20h05.
LE LIEUTENANT - Et il dit quoi ce SMS.
L’AGENT - Attendez… Voilà, je sélectionne et j’envoie….
(Ils sont agglutinés au-dessus du portable.)
LE COMMISSAIRE - Mais c’est quoi ce charabia ?
L’AGENT - C’est écrit en style phonétique. Les utilisateurs de SMS pratiquent ainsi pour abréger la longueur des messages. Je vais vous traduire ça en langage clair…
« Si tu veux récupérer le cahier jaune, viens t’expliquer dans la loge. Sinon, je déballe tout ce soir sur scène lors du final »
LE COMMISSAIRE - Intéressant, très intéressant… N’est-ce pas monsieur Legoffe ?
FRED - ça prouve quoi ? Que j’ai reçu un message… Et alors ?
L’AGENT - Et voilà en appuyant ici j’obtiens le numéro de l’expéditeur du SMS.
LE LIEUTENANT - Celui de Nicole Varga bien sûr.
FRED - C’est exact, Nicole m’a envoyé ce SMS. Ça m’a foutu en rage, je lui ai téléphoné pour qu’elle arrête avec cette histoire de manuscrit jaune.
LE LIEUTENANT - Allons, monsieur Legoffe, parlez-nous de ce manuscrit ?
FRED - Le texte d’une pièce… Euh... En fait c’est la prochaine pièce que j’écris. C’est l’original et je n’ai pas fait de copie. Nicole pensait pouvoir m’attirer de nouveau auprès d’elle au moyen de ce manuscrit qu’elle m’avait subtilisé.
LE COMMISSAIRE - Elle vous invitait à venir en discuter dans sa loge, vous y êtes allé pour la ramener à la raison et la discussion a mal tourné.
FRED - Je ne suis pas allé dans la loge !
LE COMMISSAIRE - Et vous pensez qu’on va vous croire ?
L’AGENT - Ouais, vous pensez qu’on va vous croire ?
(Le commissaire commence à s’énerver sur l’attitude de l’agent.)
LE COMMISSAIRE - D’abord vous niez le SMS et l’appel téléphonique, puis vous ignorez l’existence du cahier jaune et maintenant vous voudriez qu’on vous croît quand vous dites ne pas être allé dans la loge ! Vous y êtes allé, et plus fort encore vous êtes d’abord passé à votre voiture pour prendre votre couteau.
FRED - Non !
LE LIEUTENANT - Voyons, vous n’avez rien à gagner à nier les faits qui de toute façon vont être tôt ou tard démontrés. Votre attitude ne fait qu’aggraver votre situation. Vous dites n’être pas coupable, soit ! Mais vous entravez l’action de la police et pour ça vous risquez de graves ennuis.
LE COMMISSAIRE - Et dans votre métier c’est plutôt une mauvaise pub !
L’AGENT (à la manière de Colombo) - Tiens, ma femme me dit toujours « faute avouée est à moitié pardonnée ».
(Silence. Fred visiblement est inquiet et réfléchit…)
LE COMMISSAIRE - Alors ?
FRED - Bon c’est d’accord, je me suis engueulée avec Nicole au téléphone et j’ai décidé de récupérer mon manuscrit. Comme j’étais sûr qu’elle refuserait de le donner, je suis passé à ma voiture pour prendre le couteau afin de lui foutre la trouille… Mais là, vous n’allez pas me croire…
LE LIEUTENANT - Dites toujours !
FRED - Mon couteau n’était plus dans la voiture. J’ai regardé dans la boîte à gants, là où je le mets d’habitude… J’ai fouillé la voiture… Rien !
LE COMMISSAIRE - Décidément, on vous prend votre manuscrit…
L’AGENT - Jaune le manuscrit !
LE COMMISSAIRE - On vous prend le manuscrit jaune, vous perdez votre portable, votre couteau disparaît…
FRED - Je vous jure que c’est la vérité ! Je suis entré dans la loge et j’ai refermé la porte. Nicole se foutait de moi. Elle prétendait même en riant qu’elle ne m’avait jamais envoyé de SMS. J’ai perdu la tête, je l’ai bousculée et menacée. Et elle qui riait. Vous entendez ? Elle riait… (Silence.)
LE LIEUTENANT (rassurante) - Et ensuite ?
FRED - Je pensais qu’elle gardait le manuscrit dans sa loge. J’ai commencé à fouiller… Mais rien ! Et elle qui continuait à rire ! Je l’ai encore bousculée puis je suis sorti.
LE COMMISSAIRE - Donc le manuscrit et le couteau restent introuvables.
LE LIEUTENANT - Vous avez fait quelques pas intéressants vers la vérité mais vous avez encore quelques progrès à faire.
FRED - Mais que voulez-vous dire ? Je ne l’ai pas tué, je ne l’ai pas tué, je vous dis !
LE COMMISSAIRE - Vos explications sur ce manuscrit ne collent pas. Nicole Varga menace de tout révéler au sujet de ce livre jaune. Si ce livre jaune est votre prochaine pièce, je ne vois pas en quoi le fait de le révéler constituerait une telle menace pour vous.
LE LIEUTENANT - Je crois monsieur Legoffe que vous devriez appeler votre avocat…
LE COMMISSAIRE - A l’heure qu’il est l’avocat de monsieur est au cinéma, au théâtre ou tranquillement chez lui en train de regarder la télé…
L’AGENT - Tiens, il y a justement un épisode de Colombo ce soir et vous savez ce que dit ma femme ? Et bien elle dit : quand…
LE COMMISSAIRE - Ecoutez-moi, gardien, j’ai accepté de vous voir assister à cet interrogatoire, mais je me fous de ce que dit madame votre femme comme de ma première couche culotte ! Bon où en étions-nous ? … Ah oui l’avocat !
FRED - Mon avocat ? Mais pour quoi faire ?
LE COMMISSAIRE - Il est 22h10 (Regarder et donner l’heure réelle si la pièce est jouée en soirée.), monsieur Legoffe, je vous place en garde à vue. Gardien, passez les menottes, emmenez monsieur Legoffe et veillez sur lui jusqu’à ce que nous regagnions le commissariat central.
L’AGENT - Bien m’sieur l’commissaire !
(Fred menotté sort avec l’agent de police.)
FRED - Vous faites une grave erreur, je suis innocent, innocent je vous dis…
SCENE 3
Le commissaire, le lieutenant
LE COMMISSAIRE - On dirait qu’on touche au but.
LE LIEUTENANT - Peut-être. Mais il reste encore bien des points à éclaircir.
LE COMMISSAIRE - Ouais, ce foutu manuscrit…
LE LIEUTENANT - Nicole Varga l’a peut-être dissimulé dans un endroit sûr, chez une amie, dans un coffre de banque…
LE COMMISSAIRE - Non, si Nicole l’a caché, c’est ici. Rappelez-vous le SMS. Elle menaçait Fred de révéler quelque chose à la fin du spectacle et pour cela elle avait besoin d’une preuve…
LE LIEUTENANT - Et cette preuve c’est le manuscrit. Mais une preuve de quoi … C’est la clé de cette affaire. A moins que Fred Legoffe se soit emparé du manuscrit, contrairement à ce qu’il prétend. Supposons qu’il ait trouvé le manuscrit…
LE COMMISSAIRE - Il cherche à s’en débarrasser rapidement, puisqu’il n’a pas intérêt à ce que la police découvre ce document qui constitue pour lui une menace. Je suis certain qu’il est là, tout près de nous (Il tape sur la table.), dans un endroit tellement évident qu’on a oublié d’y regarder.
LE LIEUTENANT - Réfléchissons… Il veut se débarrasser du manuscrit, et aussi de son téléphone… Chef, le téléphone, le manuscrit…
LE COMMISSAIRE - Je vous suis, lieutenant, pourquoi ne pas se débarrasser des deux objets d’un seul coup !
(Le lieutenant se penche vers la poubelle et en sort le sachet d’où l’agent a tiré le portable de Fred, il regarde à l’intérieur, en sort un cahier jaune, qu’il saisit du bout des doigts pour éviter d’y mettre ses empreintes.)
LE COMMISSAIRE - Enfin le voilà ! Lieutenant il ne reste plus rien dans le sac ?
LE LIEUTENANT - Vous pensez à l’arme du crime, le couteau ?
(Il retourne le sac.)
Non rien d’autre.
LE COMMISSAIRE - Dommage, son téléphone, le manuscrit tous deux égarés et retrouvés ensemble… Bon, c’est déjà pas si mal. Voyons ce que cache ce bouquin.
(Il se penchent tous deux pour lire.)
LE LIEUTENANT - C’est bien une pièce de théâtre, écrite à la main, sans doute sa prochaine pièce comme l’a dit Fred Legoffe.
(Ils feuillètent encore, retournent le livre en le secouant pour voir si rien n’en tombe.)
LE COMMISSAIRE - Rien ! C’est incroyable. Il y a quelque chose qui nous échappe dans ce bouquin. Mais quoi ?
LE LIEUTENANT - On va trouver chef, tout comme ce foutu couteau, qui n’a pas pu sortir d’ici.
LE COMMISSAIRE - Et il reste quelques autres points à éclaircir, comme ce qu’est allé jeter Bruno Marty dans cette poubelle par exemple.
LE LIEUTENANT - Et aussi, désolé patron, mais pourquoi votre chère Cécile Duplessis a-t-elle affirmé avoir vu la victime vivante juste avant 20h30 alors que nous avons la certitude qu’elle a été tuée avant 20h20.
LE COMMISSAIRE - Au risque de vous étonner, lieutenant, nous allons éclaicir ce point tout de suite.
LE LIEUTENANT - Ah, ah.! Vous doutez de la grande actrice !
LE COMMISSAIRE - Que nenni, mais je tiens une fois pour toutes à mettre Cécile Duplessis à l’abri de vos suspicions. Et puis elle va peut-être pouvoir nous aider…
LE LIEUTENANT - Nous aider ?
LE COMMISSAIRE - Oui ! Quoi de mieux qu’une professionnelle pour examiner cette pièce ?
(Il montre le manuscrit.)
LE LIEUTENANT - Comme vous voudrez patron, je vais la chercher ?
LE COMMISSAIRE - Faites !
(En sortant, le lieutenant attrape la casquette sur la tête de son patron.)
LE COMMISSAIRE (seul) - J’espère ne pas me tromper et que Cécile n’a rien à voir là dedans !
Oh et puis non, c’est impossible.
SCENE 4
Le commissaire, Cécile, le lieutenant
Cécile rentre sur scène suivie du lieutenant.
LE COMMISSAIRE - Ah, chère Cécile, nous avons voulu vous revoir pour un petit point de détail quant à votre témoignage.
LE LIEUTENANT - Un petit point de détail ? Comme vous y allez commissaire !
CECILE - Je ne comprends pas, de quoi s’agit-il ?
LE LIEUTENANT - Il s’agit de votre gros mensonge quant à l’heure du crime.
CECILE - Un mensonge ?
LE COMMISSAIRE - Mais non, une simple inexactitude, sans doute avez-vous confondu…
CECILE - Mais si on me disait de quoi il est question ?
LE LIEUTENANT - Vous dites avoir vu Nicole Varga vivante devant sa loge un instant avant les trois coups… C’est ce que j’ai noté ici dans mon carnet. Vous confirmez ?
CECILE - Si vous avez noté c’est que je l’ai dit. Alors oui je confirme.
LE COMMISSAIRE - En réalité Cécile vous avez sans doute confondu les heures, peut-être avez-vous vu la victime plus tôt ?
LE LIEUTENANT - Et cela vaudrait mieux pour vous, madame, car Nicole Varga était déjà morte à 20h20, donc vous ne pouvez pas l’avoir vue vivante vers 20h30.
CECILE - Et vous en déduisez lieutenant ?
LE LIEUTENANT - J’en déduis chère madame que vous mentez et que par conséquent vous avez intérêt à décaler l’heure du crime et je vous demande : pourquoi ?
LE COMMISSAIRE - Pourquoi, pourquoi… Vous en avez de bonnes, lieutenant. Madame Duplessis, enfin Cécile, est une célébrité. Elle doit protéger sa vie privée du public, des médias, elle a sans doute une raison bien légitime de ne pouvoir s’expliquer.
LE LIEUTENANT - Une raison légitime, j’en vois une : en déclarant la victime vivante à 20h29 vous vous innocentez, madame : Si Nicole est vivante à 20h30 et à partir de ce moment là vous avez un alibi en béton, vous êtes en effet restée en scène jusqu’à ce que l’on découvre le corps. Mais en réalité le crime a eu lieu avant et vous le saviez en nous racontant vos salades.
CECILE - Et pourquoi l’aurais-je su ?
LE LIEUTENANT - Cette femme avait usurpé votre premier rôle non par son talent mais en couchant avec le metteur en scène. Vous ne pouviez le supporter.
CECILE - C’est exact et alors ?
LE LIEUTENANT - Et alors vous l'avez tout simplement éliminée.
CECILE - Ah non, c’est infâme !
(Cécile furieuse attrape dans la poubelle un sachet de détritus et le jette en direction du lieutenant.)
LE COMMISSAIRE - Allons, allons, on se calme !
LE LIEUTENANT - Votre violence est un aveu. Devant Nicole dans la loge vous n’avez pas hésité sous la colère à lui porter le coup fatal.
CECILE - Je veux appeler mon avocat.
LE COMMISSAIRE - Décidément ces gens là sont très demandés… Bon, on va examiner calmement les faits n’est-ce pas Cécile… et ne pas tirer des conclusions hâtives, n’est-ce pas lieutenant ?
(Tout en parlant, il ramasse le sac plastique jeté par Cécile. Le commissaire se relève stupéfait et montre sa main enduite d’un liquide rougeâtre… Les deux autres s’arrêtent de parler et le regardent. Le commissaire ouvre le sac et du bout des doigts en sort un couteau ensanglanté.)
CECILE - Alors c’est le… C’est avec ça que…
LE LIEUTENANT - Avec ça que vous avez réglé son compte à Nicole Varga.
LE COMMISSAIRE - Lieutenant, on arrête s’il vous plaît ! Cette découverte désigne cette fois définitivement le coupable et innocente définitivement Cécile ! Cécile, ma chère, je voudrais faire appel à vous pour avoir un avis professionnel.
CECILE - Si c’est vous qui le demandez, je veux bien.
LE COMMISSAIRE - C’est moi qui vous le demande comme un service rendu à la justice…
(Il prend le manuscrit et le tend à Cécile.)
CECILE - C’est quoi ?
LE COMMISSAIRE - ça, chère Cécile, c’est peut-être la clé qui explique ce crime. Apparemment ce serait la prochaine pièce de théâtre écrite par monsieur Legoffe. Mais regardez et dites-nous ce qui pourrait vous paraître anormal, inhabituel…
CECILE (elle prend le livre) - C’est bien une pièce de théâtre, avec des ratures…
(Elle lit un passage, c’est l’une de ses répliques de l’acte 1 - scène 1.)
« Tu devrais avoir honte ! Tu parles toujours des Italiens et de leur amour de la famille et voilà que tu ne supportes pas d’avoir tes trois cousines ensemble pour un petit week-end. ».
LE LIEUTENANT - Et bien ?
CECILE - C’est le texte de la pièce que nous jouons cette année.
LE COMMISSAIRE - Vous voulez dire ce soir ?
CECILE - Oui la pièce « Trois femmes et un cousin » que nous devions jouer aussi ce soir.
LE LIEUTENANT - Je n’y comprends plus rien !
LE COMMISSAIRE - Moi non plus. Fred Legoffe court après le texte de sa pièce déjà publiée, déjà jouée donc protégée et il nous raconte qu’il s’agit de sa prochaine pièce !
CECILE - Il y a plus étonnant commissaire.
LE COMMISSAIRE - ça m’étonnerait qu’il y ai plus étonnant !
LE LIEUTENANT - Dites toujours…
CECILE - Je pense comme vous que ce livret est sans doute l’original. Sinon pourquoi s’amuser à le recopier à la main et avec des ratures ?
LE LIEUTENANT - Continuez.
CECILE - Et bien l’écriture n’est pas celle de Fred Legoffe !
LE COMMISSAIRE et LE LIEUTENANT - Quoi ? Qu’est-ce que vous dites ?
CECILE - Ce n’est pas l’écriture de Fred.
LE COMMISSAIRE - Vous en êtes certaine ?
CECILE - Aucun doute, Fred annote régulièrement nos textes lors des répétitions, je connais son écriture. Rien à voir avec celle là.
LE COMMISSAIRE - Alors là on avance !
LE LIEUTENANT - Je dirais même plus on avance !
CECILE - Si j’ai bien tout compris… Fred ne serait pas l’auteur de la pièce ?
LE COMMISSAIRE - En effet, et si monsieur Legoffe a un « nègre » comme on dit il y a fort à parier qu’il l’ait déjà mis à contribution pour de précédentes pièces.
LE LIEUTENANT - Nicole Varga, jalouse et abandonnée, tombe sur ce manuscrit… Imaginez l’utilisation qu’elle peut en faire !
LE COMMISSAIRE - Et qu’elle en fait. Elle fait chanter Fred et le menace de tout révéler ce soir en public, manuscrit en main en guise de preuve !
CECILE - Vous voulez dire que Fred menacé aurait… Aurait…
LE COMMISSAIRE - Aurait tué, a tué Nicole Varga pour éviter le scandale, garder sa notoriété.
LE LIEUTENANT - Même mis en examen tout à l’heure, il ne nous a pas mis sur la piste, préférant perdre sa liberté et conserver son orgueil.
CECILE - Fred… C’est incroyable… Vous êtes sûrs ?
LE LIEUTENANT - Si ce n’est pas lui, alors qui ? Vous madame qui nous avez menti ?
LE COMMISSAIRE - Ah non, ça ne va pas recommencer ! D’ailleurs il n’y a plus rien sur cette table à se balancer à la figure…
LE LIEUTENANT - Il faudrait revoir Legoffe et obtenir l’identité de son nègre. Je suis curieuse de savoir qui en réalité a écrit cette pièce.
LE COMMISSAIRE - Et sans doute bien d’autres.
CECILE - Je crois que je vais encore vous étonner…
LE COMMISSAIRE - Venant de vous, chère Cécile, plus rien ne m’étonne, vous êtes si… Enfin si…
LE LIEUTENANT (elle ouvre son carnet et reprend les adjectifs lors du premier interrogatoire de Fred) - Douce, posée, amicale, sensible, enjouée, féminine, attentive, charmante, élégante, sincère…
CECILE - Lieutenant, vous ne m’avez pas habituée…
LE LIEUTENANT - C’est à cause de cette maudite casquette… (Elle l’enlève et la pose sur la table.) Je ne sais pourquoi, mais elle me rend nerveuse.
CECILE - La casquette ?
LE COMMISSAIRE - Ne cherchez pas à comprendre chère Cécile. Vous disiez que vous alliez encore nous étonner ?
CECILE - Oui. L’écriture de ce manuscrit, je la connais.
LE COMMISSAIRE et le LIEUTENANT - C’est l’écriture de qui ?
CECILE - Enfin je crois reconnaître l’écriture et en même temps c’est impossible que ce soit cette personne qui… Enfin je n’arrive pas à y croire.
LE COMMISSAIRE et le LIEUTENANT - Mais qui ?
CECILE - Et bien voilà : c’est l’écriture de Bruno.
LE COMMISSAIRE - Bruno ?
LE LIEUTENANT - Le régisseur de la tournée ?
CECILE - Oui, c’est son écriture caractéristique, avec des barres interminables sur les « t ».
LE COMMISSAIRE - Bruno Marty, nègre de Fred Legoffe. Mais pourquoi, comment ?
LE LIEUTENANT - Il n’y a qu’à le lui demander !
LE COMMISSAIRE - On va se gêner ! Lieutenant !
CECILE - Bon je crois que je ne suis plus coupable ?
LE LIEUTENANT - Vous ? Mais qui a jamais pu penser une horreur pareille ?
LE COMMISSAIRE - Ah ! Quel grand merci nous vous devons, chère Cécile.
CECILE - Mais voyons, je n’ai fait que mon devoir de citoyenne… Cher Antoine.
LE COMMISSAIRE - Pardon ?
CECILE - Je disais au revoir.
(Elle sort.)
LE COMMISSAIRE (au lieutenant) - Elle a bien dit « Cher Antoine » ?
LE LIEUTENANT - Elle a dit « cher Antoine » ? Ah ! Quand ?
LE COMMISSAIRE - Là tout de suite, juste avant de sortir.
LE LIEUTENANT - Ah bon ? Je n’ai pas fait attention. (En aparté en sortant.) Complètement gâteux !
LE COMMISSAIRE (pour lui-même) - Je suis sûr qu’elle a dit « cher Antoine ». Cécile Duplessis m’a appelé « Cher Antoine ».
Il se met à danser et à faire le pitre sur scène en répétant « cher Antoine ». Au passage, il prend la casquette en main.
SCENE 5
Le commissaire, Bruno, le lieutenant, l’agent
Le lieutenant revient avec Bruno. Le commissaire interrompt in-extremis ses pitreries, fait semblant de brosser la casquette qu’il finit par poser sur sa tête.
LE COMMISSAIRE - Ah, vous voilà monsieur Marty ! Bon, il est tard et tout le monde commence à être fatigué. Alors pour gagner tous du temps et aller enfin se reposer nous allons arrêter, enfin vous surtout, de prendre les policiers pour des courges !
BRUNO - Loin de moi l’idée de…
LE LIEUTENANT (à l’oreille de Bruno) - Il a mis sa casquette, c’est mauvais signe !
LE COMMISSAIRE (il s’empare du cahier jaune et le jette sur la table) - Droit au but monsieur Marty ! Qu’avez-vous à nous dire à ce sujet ?
BRUNO - Ben… ça dépend !
LE LIEUTENANT - ça dépend de quoi ?
BRUNO - Ben, si vous n’êtes au courant de rien… Moi non plus. Tandis que si vous savez déjà…
LE COMMISSAIRE - Des courges, je vous dis, il nous prend lui aussi pour des courges !
LE LIEUTENANT - Nous savons monsieur Marty. Ce manuscrit est un original et…
LE COMMISSAIRE - Et c’est vous qui l’avez écrit.
BRUNO - Bon et bien je n’ai plus rien à dire alors... (Il commence à se diriger vers la sortie.)
LE COMMISSAIRE - Te, te, te… On reste là, monsieur le nègre. Ce livre est la véritable arme du crime et c’est vous qui l’avez écrit.
BRUNO - Ce livre ? L’arme du crime ? Mais Nicole a été poignardée !
LE COMMISSAIRE - Poignardée à cause de ce livre. Donc vous êtes complice de meurtre !
BRUNO - Quoi ?
LE LIEUTENANT - Bon, il suffit de tout nous expliquer et ça va sans doute s’arranger pour vous.
BRUNO - Bon d’accord, de toute façon, maintenant vous finirez bien par tout savoir.
LE COMMISSAIRE - On vous écoute.
BRUNO - C’est vrai je suis l’auteur de cette pièce.
LE LIEUTENANT - Seulement celle-là ?
BRUNO - Non de toutes les pièces que l’on attribue à Fred. Je crois que ça en fait déjà plus de trente en comptant quelques scénarios de films. Déjà au lycée, je faisais les devoirs de français de Fred par amitié... Au début du moins.
LE COMMISSAIRE - Et c’est toujours par amitié que vous lui confiez la célébrité et la fortune qui vous reviennent ?
BRUNO - Oh non ! Fred a toujours profité de moi…Depuis plus de 15 ans il me fait chanter.
LE LIEUTENANT - Il vous oblige à lui confier vos œuvres littéraires.
BRUNO - Oui.
LE COMMISSAIRE - Et ce chantage, c’est quoi ?
BRUNO - Je suis obligé de parler non ?
LE COMMISSAIRE - Oh oui !
BRUNO - Lorsque nous étions lycéens, j’ai fait une grosse bêtise un soir à l’internat…
LE LIEUTENANT - Monsieur Marty… On vous l’a dit, il est tard…
BRUNO - J’ai mis le feu par imprudence avec une cigarette. Personne n’a jamais su que c’était moi, sauf Fred. Il y a eu des dégâts terribles et quelques blessés.
LE COMMISSAIRE - C’était une imprudence de gosse et il y a prescription aujourd’hui.
BRUNO - Prescription ! Pour la loi peut-être, mais pas dans ma tête, ni dans celle de Fred.
LE LIEUTENANT - Et ce chantage a commencé comment ?
BRUNO - J’avais publié très jeune, après le bac, une première pièce sous un pseudonyme. Le succès a été foudroyant. Fred m’a aussitôt mis le grappin dessus pour que j’en écrive d’autres à son profit.
LE LIEUTENANT - Je pense que vous allez être débarrassé de votre ami encombrant, monsieur Marty. Votre manuscrit est tombé, pour son malheur, entre les mains de Nicole Varga. Elle a voulu faire chanter à son tour votre maître chanteur.
BRUNO - Alors c’est Fred qui a tué Nicole ?
LE COMMISSAIRE - Avec les charges qui pèsent sur lui, je ne vois pas comment il va pouvoir s’en sortir.
BRUNO - Pauvre Corinne !
LE LIEUTENANT - Madame Legoffe n’est au courant de rien ?
BRUNO - Non. Je sais qu’elle a des doutes au sujet des talents de son mari, elle ne le voit que rarement écrire m’a-t-elle confié un jour. Mais de là à supposer la vérité.
LE LIEUTENANT - Cette vérité va lui arriver en pleine figure.
BRUNO - Permettez-moi de lui annoncer tout cela moi-même. Corinne est fragile avec ce que Fred fait déjà endurer à leur couple…
LE COMMISSAIRE - Parlez-lui vite, peut-être même ce soir, car j’ai peur que dès demain la presse à l’affût du scandale ne commence à soupçonner cette vérité.
BRUNO - Je m’en occupe ce soir commissaire. Bien… Je peux m’en aller ?
LE LIEUTENANT - Oui, vous pouvez.
(Il commence à sortir.)
LE COMMISSAIRE - Ah ! Encore un détail, monsieur Marty.
BRUNO (il se retourne) - Oui ?
LE COMMISSAIRE - On vous a vu allez vers cette poubelle un peu avant le début du spectacle, qu’êtes-vous allé y jeter ?
BRUNO - Ah ! C’est ça votre détail ? Un détail en effet. Je passais pour aller des coulisses à la régie et j’ai jeté un paquet de biscuits vide et un trognon de pomme. C’est mon souper, les soirs de spectacle, je n’ai jamais le temps de prendre un vrai repas.
LE COMMISSAIRE - Merci monsieur, ce sera tout.
BRUNO - Bonne nuit.
(Bruno sort.)
LE COMMISSAIRE - Et bien voilà au moins une affaire qui résolue va faire un heureux !
LE LIEUTENANT - Ouais, pauvre gars, il va pouvoir maintenant récupérer ce qui lui est dû.
LE COMMISSAIRE - Et peut-être la femme de son maître-chanteur en prime…
LE LIEUTENANT - Oh ? Vous croyez que…
LE COMMISSAIRE - Lieutenant, croyez-en un vieux singe. Ce Bruno est amoureux de madame Legoffe. Ça saute aux yeux !
LE LIEUTENANT (en riant) - Eh, eh, mais alors il a un mobile ! Il tue une actrice qui le traitait plus bas que terre, se débarrasse de Fred et récupère la femme de celui-ci. Que dis-je ! Pas un mais trois mobiles !
LE COMMISSAIRE - Trop compliqué lieutenant.
LE LIEUTENANT - Ouais, vous avez raison chef, d’ailleurs tenez (Elle récupère le trognon de pomme et le paquet de biscuits parmi les débris de la poubelle.), pièces à conviction, ce gars là est réglo.
LE COMMISSAIRE - Bon, on va aller se coucher. La journée va être dure demain, nous allons avoir la presse sur le dos dès l’aurore.
(Ils sortent et on les entend discuter en coulisses.)
LE COMMISSAIRE (à L’agent de police) - Vous pouvez rentrer chez vous, gardien. Nous récupérons monsieur Legoffe.
L’AGENT - Bien monsieur le commissaire, bonne nuit.
LE COMMISSAIRE - Bonne nuit à vous aussi.
L’AGENT - Oh, mais je vais pas dormir tout de suite. J’avais mis Colombo en enregistrement sur mon magnétoscope, je vais le regarder en rentrant !
LE COMMISSAIRE - C’est pas vrai !
L’AGENT - Oh mais si m’sieur l’commissaire. Vous savez c’que dit ma femme ? Elle dit « il faut regarder le magnétoscope pendant qu’il est chaud ».
LE COMMISSAIRE - Et bien mes hommages à votre femme, mon vieux !
Les bruits et voix s’estompent en coulisses. Le silence s’installe un moment.
SCENE 6
Corinne, Bruno
Puis on entend de nouveau du bruit, deux voix – Corinne et Bruno - qui s’approchent et parlent en coulisses.
CORINNE - ça ne peut pas attendre demain ?
BRUNO - Mais non, je dois te parler ce soir.
CORINNE - Mais pourquoi ici ? Après ce qui s’est passé ce soir… Je n’aime pas cet endroit.
(Ils entrent sur scène, se tenant par la main.)
BRUNO - A l’hôtel, on risque de retomber sur ceux de la troupe. Ici c’est tranquille.
CORINNE - Bon, je t’écoute.
(Ils se lâchent la main, elle s’assoit, il reste debout, nerveux.)
BRUNO - Les policiers ont accumulé les preuves contre Fred. Ton mari ne va pas s’en sortir, même avec un bon avocat.
CORINNE - Tu crois que je vais m’apitoyer sur lui ? Après tout ce qu’il m’a fait endurer ! Tu oublies que j’avais décidé de le quitter dès la fin de la tournée pour partir avec toi.
BRUNO - Non, ça je n’oublie sûrement pas (geste de tendresse.)
CORINNE - Et puis c’est un meurtrier, tu me vois vivre auprès d’un meurtrier ?
BRUNO - Mais oui, je te vois très bien vivre auprès d’un meurtrier.
CORINNE - Quoi ? Mais tu es fou ! Pourquoi dis-tu ça ?
BRUNO - Tu as toujours envie de partir avec moi ?
CORINNE - Mais bien sûr.
BRUNO - Alors tu vas vivre avec un meurtrier.
CORINNE (petit silence) - Tu veux dire…
BRUNO - Je veux dire, oui tu as bien compris, c’est moi qui ai tué Nicole.
CORINNE - Attends… Tu déconnes ! Et tu me dis ça comme ça !
BRUNO - Si tu as une autre façon à me suggérer…
CORINNE - Mais pourquoi t’aurais fais ça ?
BRUNO - Je n’aurais pas fait ça. Je l’ai fait c’est tout. Nicole était une vraie garce, elle a passé son temps à m’humilier depuis bientôt deux ans. Avec toi aussi, une peste ! Elle était la maîtresse de ton mari. Tu le savais et elle savait que tu savais. Au lieu de la jouer discrète, elle multipliait les sarcasmes, les allusions en public. Tu ne vas pas la regretter non ?
CORINNE - Pas de risque, mais quand-même… De là à la tuer !
BRUNO - Tu te souviens le nombre de fois où, humiliée, tu es venue te réfugier dans mes bras en me disant « je voudrais l’étrangler » « la voir morte » « elle ne mérite pas de vivre ».
CORINNE - Oui, mais c’était des mots.
BRUNO - Des mots qui cachaient ta souffrance. Nicole a payé et je me suis arrangé pour que ton mari paye aussi sa dette.
CORINNE - Tu veux dire que tu as fait en sorte qu’il soit accusé.
BRUNO - Oui et tout s’est déroulé comme je l’avais prévu.
CORINNE - Mais ce n’est pas possible, j’ai parlé avec les autres tout à l’heure, on m’a dit que Nicole avait envoyé un SMS à Fred qui avait pété les plombs au téléphone avant d’aller l’assassiner dans sa loge…
BRUNO - Ecoute-moi : J’ai emprunté en douce un instant le portable de Nicole pour envoyer un SMS à ton mari. Je savais qu’hors de lui, il irait menacer Nicole jusque dans sa loge. J’ai suivi tous ses gestes. Il a même été au delà de mes prévisions, il est passé à sa voiture pour y prendre son couteau avant d’aller dans la loge.
CORINNE - Tu vois bien que c’est lui !
BRUNO - Non, laisse-moi continuer. Il n’a pas trouvé son couteau, car je l’avais déjà subtilisé avant. De toute façon, c’est un lâche, il n’aurait pas eu le courage de s’en servir. Quand il est rentré dans la loge de Nicole, j’étais tout près. Il a bousculé Nicole et lui a pris de force le manuscrit. J’ai attendu qu’il sorte. Alors je suis entré et j’ai tué Nicole.
Quand plus tard, Fred a su qu’il y avait eu un meurtre il a tout de suite compris que le manuscrit et le portable allaient l’accuser. Comme je l’avais prévu, Il est allé s’en débarrasser. Je l’ai encore suivi et je l’ai vu jeter un sac plastique dans une poubelle, ici dans cette salle. Alors je suis allé jeter le couteau dans la même poubelle.
CORINNE - Mais quelqu’un aurait pu te voir toi aussi venir à la poubelle !
BRUNO - Quelqu’un m’a vu. La mère de Sergio, je crois. Mais, en même temps que le couteau, j’ai jeté à la poubelle les restes de mon casse-croûte… Ma présence à la poubelle était donc toute naturelle, en passant vers la régie. En tout cas, les policiers y ont cru.
CORINNE - Et je suppose qu’au milieu de tous ces préparatifs, tu as mis des gants ?
BRUNO - ça c’était la précaution élémentaire. Il n’y a sur le portable que les empreintes de Nicole et sur le couteau que les empreintes de ton mari.
CORINNE - Et ce livre dont tu parles ? Celui que mon mari a récupéré dans la loge de Nicole ? BRUNO - Justement c’est surtout de ça dont je voulais te parler.
CORINNE - Ah bon ? … Je t’écoute.
BRUNO - Ce n’est pas facile. Je ne t’ai jamais rien caché depuis que, enfin depuis…
CORINNE - … Que nous nous aimons. Rien caché… Sauf ?
BRUNO - Sauf au sujet de ce livre… Et des autres avants.
CORINNE - Continue.
BRUNO - Voilà : Fred n’a jamais écrit la moindre pièce, le moindre scénario.
CORINNE (à peine étonnée) - Ah bon ! Et qui les a écrits ?
BRUNO - Moi.
CORINNE - Toi bien sûr. Et tu t’es servi d’un de tes manuscrits. Tu l’as laissé volontairement tombé aux mains de Nicole qui s’est empressée de faire chanter Fred. La tension est montée et tu as su en profiter pour réaliser ton scénario de meurtre parfait.
BRUNO - Bon, je vois que tu as tout compris.
CORINNE - Ce manuscrit, un manuscrit jaune selon ce que j’ai entendu, c’est celui de « trois femmes et un cousin » ?
BRUNO - Oui.
CORINNE - Et ton manuscrit bleu… Il parle de quoi mon chéri ?
BRUNO - Le bleu… Comment sais-tu ?
CORINNE (elle sort un livret bleu de son sac à main) - Je sais, je sais, parce que c’est moi qui te l’ai emprunté et que je m’intéresse à tout ce que tu fais… Normal puisque je t’aime (Elle lui fait une bise.)
BRUNO - Et… Et… Tu l’as lu ?
CORINNE - Tu parles ! En une seule traite. C’est génial ! J’ai tout de suite eu envie de savoir qui avait tué : l’actrice célèbre privée de son premier rôle ? le mari metteur en scène volage ? La femme trompée ? Ou plutôt le régisseur lésé de son œuvre et tellement amoureux…
BRUNO - Alors tu savais ? Depuis quand ?
CORINNE - Je sais depuis toujours que Fred n’écrit pas les pièces. Il a déjà du mal à écrire une carte postale, alors ! J’ai surveillé et un jour, il y a presque un an, je t’ai surpris en train d’écrire. J’ai profité d’une absence pour fouiller dans tes affaires et j’ai tout compris. Quant à ce livre bleu, il était trop mal caché dans tes outils, j’ai préféré le mettre en lieu plus sûr.
BRUNO - Alors tu savais et tu as laissé faire.
CORINNE - Je savais qu’avec un tel scénario, tu allais réussir.
BRUNO - Alors tu ne m’en veux pas… Tu acceptes de vivre avec un meurtrier.
CORINNE - Mais mon chéri, tu n’es pas un meurtrier, tu es un libérateur.
BRUNO - Les libérateurs sont souvent aussi des meurtriers. Et maintenant tu peux me rendre mon manuscrit ?
CORINNE - Mais que veux-tu en faire ? Tu ne peux même pas le publier… Dommage c’est un chef-d’œuvre ! Non, je crois que je vais le garder en souvenir ou plutôt... en réserve.
BRUNO - En réserve ?
CORINNE - Oui en réserve. Comme ça, si un jour tu m’abandonnes, je ferai comme Nicole, je menacerai de rendre public le manuscrit jaune.
BRUNO - Pas jaune, bleu.
CORINNE (elle le prend par le cou et l’embrasse) - Bleu, jaune, vert, rose, rouge… Comme tu veux mon amour.
(Ils restent dans la pénombre enlacés et immobiles.)
SCENE 7 – EPILOGUE
Le présentateur, Sergio, Carla
Corinne et Bruno sont toujours immobiles en fond de scène.
LE PRESENTATEUR (en voix off) - Les deux amants vont garder leur secret. Un an plus tard, Corinne divorce et ils se marient. Bruno continue à écrire d’autres succès auprès de Corinne.
Quatre ans après leur mariage, Corinne trompe Bruno avec un comédien, une seule fois. Lui n’en saura rien, enfin peut-être pas peut-être que si…
Elle mourra 3 semaines plus tard dans un étrange accident de voiture aux causes inexpliquées .
Bruno, qui a perdu sa raison de vivre, décide alors un geste de folie : il fait publier son manuscrit bleu sous le titre « Meurtre en coulisses ». C’est un succès foudroyant…Encore plus lorsque le commissaire Antoine Delfour tombe sur le polar et, troublé par le scénario, rouvre l’enquête et arrête l’auteur.
Bruno est jugé puis condamné à 20 ans de détention. Fred, lui, est libéré.
Transformé par la prison, Fred rend régulièrement visite à Bruno. Réconciliés, les deux amis écrivent ensemble une nouvelle pièce : « Meurtre en duo ». Elle sera d’abord jouée en prison par une troupe de détenus. Puis, par les plus grandes troupes de professionnels durant 3 années, dans les plus grands théâtres parisiens et de province. La pièce fera ensuite le tour du monde, traduite dans 17 langues.
C’est alors que Bruno a une nouvelle idée encore plus géniale…
A cet instant le présentateur est interrompu par un cri terrible !
La lumière s’éteint, on s’agite en coulisses… Au bout de 20 secondes, la lumière réapparaît.
SERGIO (il se précipite affolé au milieu de la scène et annonce) - Mesdames et messieurs, nous dévons in-terrompre la fin dé cé spectacle. Oune crime horriblé vient d’être coummis !
CARLA (elle s’est levée comme une furie, bras et doigts tendus pour accuser) – Et voilà, ça dévait arriver ! Quel grande malheur ! (Tout en parlant fort, elle dérange les spectateurs de sa rangée, va monter sur scène et disparaît derrière le rideau qui se ferme tout en continuant de parler.)
Cetté fois, lé grand escogriffe dé commissaire, il va écouter Carla Bordoni ! Et mon pauvre pétite Sergio qui est au milieu de tous ces monstres ! Dépouis lé début, ié mé doute qu’il allait y avoir oune autre meurtre. Mais là ié sais ! Ié connais lé sérial killer QUI a toué !
RIDEAU FINAL