59 Contes horrifiques de Commentry la Rouge

À Commentry la Rouge, première municipalité socialiste du monde, ville aux douze puits de mine et aux cent cafés, la malédiction rôde depuis le meurtre sanglant d’Albert Crache le sorcier, il y a plus d’un siècle.
Que cela ne vous empêche pas d’y venir dîner.
Au menu, apéritif local, charcuterie bourbonnaise à déguster à vos risques et périls, soufflé à perdre la tête.
Et bûche cruelle pour le dessert, même si ce n’est pas tous les jours Noël.
Et petit digestif bien définitif évidemment.
Quatre histoires horrifico-gastronomiques entremêlées, un soupçon de Famille Addams, une pincée d’Alfred Hitchcock, vous saupoudrez des Contes de la Crypte et vous obtiendrez 59, un joyeux jeu de massacre.
Bon appétit et méfiez-vous des rillettes.




59

Sir Hitch – 1

Sir Hitch présente.

Sir Hitch

En 2010, L’UNESCO a inscrit le repas gastronomique à la française en trois temps, entrée-plat-
dessert, au patrimoine immatériel de l’humanité.

Quel trésor ce pays n’a-t-il pas enfanté ?

Outre que l’on peut se faire la remarque que
l’UNESCO n’a vraiment rien de mieux à foutre, même si, selon Brillat-Savarin, la destinée des nations dépend de la manière dont elles se nourrissent, cela me permet néanmoins de vous convier à une soirée palpitations et papilles, peur et gourmandise, contes cruels et gastronomie.

À la française !

Trois plats donc pour saliver.

Trois contes pour transpirer.

Et vos ventres puisque c’est là que tout se passe.

Mais rien ne vous gêne ?

Entrée-plat-dessert.

Entrée-plat-dessert ?

Non ?

Rien ?

Ils ont oublié l’apéritif, ces imbéciles !

Et je vous propose, en guise d’apéritif, de goûter ces…

En guise d’apéritif

Les Crache – 1

Séquence 1 : Léon

Dans le noir.

Un(e) comédien(ne) 1, enchaînant sur
« … goûter ces… ».

… 28 phalanges. 10 orteils.

Ça fait 38.

Un(e) comédien(ne) 2

38 ?

Un(e) comédien(ne) 1

Morceaux.

Un(e) comédien(ne) 2

Ah oui.

Un(e) comédien(ne) 1

Plus 2 mains (les paumes). Tu comptes ?

Un(e) comédien(ne) 2

Je compte ?

Un(e) comédien(ne) 1

38 plus 2.

Un(e) comédien(ne) 2

40.

Un(e) comédien(ne) 1

C’est ça. Plus 2 avant-bras. 2 bras. 2 pieds. 2 jambes. 2 cuisses.

Un(e) comédien(ne) 2

Ça fait 50.

Un(e) comédien(ne) 1

2 oreilles. 2 yeux. 2 testicules.

Un(e) comédien(ne) 2

Erk ! 56.

Un(e) comédien(ne) 1

Une tête. Un nez. Un torse. Une langue. Un pénis. Un scalp.

Un(e) comédien(ne) 2

62. Ça fait 62.

Un(e) comédien(ne) 1

Oui. Mais je parle de Léon Crache.

Un(e) comédien(ne) 2

Léon Crache ?

Un(e) comédien(ne) 1

Léon, le frère d’Albert Crache.

Un(e) comédien(ne) 2

Albert Crache ?

Un(e) comédien(ne) 1

Albert le sorcier !

Un(e) comédien(ne) 2

Le sorcier ?

Un(e) comédien(ne) 1

Léon Crache.

Un(e) comédien(ne) 2

Léon Crache ?

Un(e) comédien(ne) 1

Arrête de répéter tout ce que je dis !

Oui Léon Crache. Léon-moins-un-doigt.

C’est comme ça qu’on l’appelait.

Un(e) comédien(ne) 2

Mais ça remonte à plus d’un siècle ton affaire !

Un(e) comédien(ne) 1

1869.

Un(e) comédien(ne) 2

1869 ? Oulah !

Un(e) comédien(ne) 1

Léon-moins-un-doigt ! À ton avis quel doigt ?

Un(e) comédien(ne) 2

Je ne sais pas. C’est bizarre ta question.

Un(e) comédien(ne) 1

Évidemment pas le pouce.

Si ça avait été le pouce, on aurait dit « Léon-qu’un-
pouce ».

Ça fait donc 3 phalanges.

Un(e) comédien(ne) 2

3 phalanges ?

Un(e) comédien(ne) 1

Un doigt c’est 3 phalanges.

Un(e) comédien(ne) 2

Et alors ?

Un(e) comédien(ne) 1

Alors ça fait 59 !

Un(e) comédien(ne) 2

59 quoi ?

Un(e) comédien(ne) 1

Mais morceaux ! 62 moins 3 ça fait 59.

59 morceaux.

Un(e) comédien(ne) 2

59 !?

Un(e) comédien(ne) 1

Une boucherie.

Séquence 2 : Muguette

Lumière.

Deux comédiennes et un comédien sur la scène.

La répartition des répliques de cette séquence est au gré de la mise en scène.

Un(e) comédien(ne)

Dans la matinée du 3 juin 1887, la petite Muguette Crémieux, onze ans…

Un(e) comédien(ne), le (la) coupant.

Muguette. Que c’est con ce nom.

Un(e) comédien(ne), enchaînant.

… Muguette, onze ans, fut punie pour avoir brisé le globe contenant la couronne de mariage de sa grand-mère paternelle, posé sur la cheminée.

Muguette avait bien jeté le cendrier qui avait brisé l’objet sacré mais elle avait visé la tête de son petit frère Emmanuel.

Et c’est parce que celui-ci s’était baissé que l’accident était arrivé.

Elle n’était donc en rien responsable de la destruction du souvenir familial tant chéri.

Ce qu’elle s’évertua à expliquer.

C’était la faute d’Emmanuel.

Elle fut néanmoins punie.

Un(e) comédien(ne)

Scandalisée par une telle injustice, elle décida de fuir la maison et cette famille qui prétendait être la sienne et de retrouver ses vrais parents, le prince et la princesse de… elle ne savait pas encore quoi et qui se mourraient du chagrin de son absence, elle ne savait pas encore où.

Un(e) comédien(ne)

Car il était désormais évident qu’elle avait été enlevée bébé par des gitans stupéfaits de sa beauté et confiée à cette famille de notaires bourbonnais imbéciles et bornés qui engendrait des enfants aussi laids mais néanmoins dotés de bons réflexes qu’Emmanuel.

Un(e) comédien(ne)

Elle prit sa poupée.

Attacha au bout d’un ruban Anastasia, la petite chatte de la maison, elle ne voulait pas voyager seule.

Elle glissa quelques biscuits dans son tablier car nonobstant son origine aristocratique, elle était une enfant prévoyante.

Puis, échappant à la surveillance générale, elle sortit de la propriété familiale par la petite porte au fond du jardin, entrainant Anastasia derrière elle.

Un(e) comédien(ne)

Sa disparition ne fut découverte que vingt-deux minutes plus tard, mobilisant en quelques heures la plus grande partie de la population de Néris-les-Bains, ville thermale très en vogue à l’époque.

L’impératrice Eugénie elle-même…

Un(e) comédien(ne)

On s’en fout.

Un(e) comédien(ne)

Pardon.

Un(e) comédien(ne)

Six heures plus tard, Muguette, complètement perdue, errait dans la forêt limitrophe de Bizeneuille.

Elle avait mangé les biscuits et serrait toujours contre elle sa poupée.

Un(e) comédien(ne)

C’est alors que la petite chatte fit un bond, lui arrachant le ruban des mains, et fila dans le sous-bois.

Un(e) comédien(ne)

Sans même s’en rendre compte, Muguette lâcha sa poupée et s’engagea à sa suite en criant « Anastasia ! Anastasia ! »

Un(e) comédien(ne)

Plus que son amour pour Anastasia, c’est la peur de se retrouver toute seule dans la forêt qui la faisait courir.

Un(e) comédien(ne)

Au fond.

Un(e) comédien(ne)

Muguette déboucha sur une petite clairière dans un coin de laquelle une sinistre petite maison de pierre était enfoncée dans les ronces.

Muguette s’immobilisa.

D’où elle était, elle ne pouvait voir qu’un seul côté de la maison.

L’unique fenêtre visible était murée.

Le toit effondré.

La petite chatte était là.

Face à un côté de la bicoque que Muguette ne pouvait voir d’où elle était placée.

Un(e) comédien(ne)

Ce doit être la façade se dit-elle sans trop savoir pourquoi.

Un(e) comédien(ne)

Anastasia semblait surveiller quelque chose à l’intérieur de la maison.

Son dos était hérissé, sa queue verticale, ses canines sorties.

Jamais elle n’avait paru si volumineuse et agressive.

Si en danger.

Un(e) comédien(ne)

Au fond.

Un(e) comédien(ne)

Muguette appela Anastasia, mais le son se coinça dans sa gorge.

Un(e) comédien(ne)

La petite chatte fit un bond et disparut de l’autre côté de la maison.

Un(e) comédien(ne)

Anastasia ?

Un(e) comédien(ne)

Muguette avança de quelques pas.

Pour récupérer son chat il fallait passer devant la maison et quelque chose lui disait que ce n’était pas une bonne idée.

À chaque pas, l’autre côté de la maison lui apparaissait davantage.

Là aussi, l’unique fenêtre était murée.

C’était bien le mur de façade.

Démoli.

Laissant apparaître une ouverture béante.

Muguette ne pouvait voir encore ce qui à l’intérieur avait tant effrayé son chat.

Elle fit un pas.

Un(e) comédien(ne)

Puis un autre.

Un(e) comédien(ne)

Puis un autre.

Un(e) comédien(ne)

Puis un autre.

Un(e) comédien(ne)

Alors elle vit.

Un(e) comédien(ne)

Le cri qu’elle poussa résonna dans toute la forêt.

Un(e) comédien(ne)

Jules Coudert, un maçon qui participait à la recherche de la petite fille, se trouvait à cet instant à quelque trois cents mètres de là.

Il se précipita.

Marcha sur la poupée, faisant éclater la tête de porcelaine sans même s’en rendre compte et fit irruption dans la clairière.

Un(e) comédien(ne)

Il raconta plus tard que la petite fille était debout
devant la maison du sorcier.

Que son corps était serré comme du bois.

Qu’on aurait dit que ses yeux allaient lui sortir de la tête et que sa bouche était si grande ouverte qu’elle en écrasait le nez et la faisait ressembler à un poisson.

Il y avait quelque chose de pas humain dans ce visage.

Dans ce qu’il exprimait.

Et ce trou noir qui était la bouche.

Et d’où plus aucun son ne sortait.

Il prit Muguette dans ses bras.

Elle était un peu comme un bâton.

Il la souleva et la serra contre lui.

Puis il se retourna.

Un(e) comédien(ne)

Le sorcier était là.

Dans la maison.

À quelques pas de lui.

Un(e) comédien(ne)

Et là ce fut lui qui cria.

***

Un témoin longtemps plus tard

Oui.

Je me souviens que la petite fille a été retrouvée
devant la maison des Crache.

C’est Jules, Jules… je ne sais plus le nom, qui l’a retrouvée, un jeune gars qui travaillait pour le centre thermal je crois.

Elle était très choquée, la petite.

Il faut dire que cette clairière, personne n’y passait jamais parce qu’elle fout la trouille. C’est là où est mort le sorcier, c’était, attendez, il y a bien une vingtaine d’années.

Oui, vingt ans que c’est arrivé.

Dans la région, on n’en parle pas trop mais on savait tous que le sorcier était mort là.

Que son cadavre était dans la maison.

Alors dame, tout le monde évitait d’y passer.

Même si la maison était bien scellée.

Et puis le mur avant s’est effondré, vous dire quand, personne ne sait, mais c’est probablement à cause des infiltrations et du gel, les trois derniers hivers ont été rudes.

Il a fallu que la première à passer par là soit la petite.

Pas de chance.

Il faut dire que c’était impressionnant.

Parce que je l’ai vu moi.

Le sorcier.

Je participais aux recherches, moi aussi.

Et...

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