À 500 mètres sous terre

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Fin 1981. En visitant une ancienne mine, un groupe de touristes et leur guide sont pris au piège suite à un éboulement. Personne n’est blessé, mais le temps est compté. En effet, parmi eux, un vieil homme cardiaque ne dispose que de l’équivalent de 24 heures de traitement. Les heures passent, la tension monte et l’espoir s’amenuise au fil du temps.

Au détour d’une conversation, on apprend que le vieillard a collaboré pendant l’Occupation et participé à la déportation de Juifs. Quand le guide lui révèle que sa famille a été décimée par le régime nazi, il ne fait preuve d’aucun remords. Et si tout ceci n’était qu’une mise en scène ?

Avec cette intrigue originale qui n’est pas sans rappeler “Douze hommes en colère” ou “Le Repas des fauves”, Mikaël Le Bouder nous tient en haleine du début à la fin, sans oublier de nous amuser et nous émouvoir.

 

Scène 1

Le refuge est fortement éclairé. Le guide entre à reculons dans la pièce en faisant des mouvements amples avec ses bras pour indiquer aux personnes de le suivre. Visiblement, à leur allure, il s’agit d’un groupe de touristes. Le timide a un appareil photo autour du cou, et prend tout ce qu’il peut en photo. Tous les visiteurs ont un petit sac à dos dans lequel ils ont un pique-nique.

Le guide. — Je vous en prie, approchez. Entrez tous. C’est petit, mais on va se tenir chaud. (Il compte son groupe. Visiblement, il en manque. Il repart en direction du tunnel. Sans le voir, on l’entend parler fortement.) S’il vous plaît, nous vous attendons. C’est par ici. (Un jeune couple entre, le chewing-gum à la bouche. Elle, en minishort ; lui, la tenant par la taille, serrée contre lui. À leur attitude, on comprend pourquoi ils étaient à la traîne.) Nous sommes ici dans le lieu de repos et de loisirs des mineurs. Ils y passaient tout leur temps libre, soit douze heures par jour. Il y avait donc toujours cinq mineurs dans cette pièce. Lorsqu’une équipe travaillait, la seconde se reposait par tranche de quatre heures. Quatre heures à travailler, quatre heures à se reposer, quatre heures à travailler, quatre heures à se reposer, quatre heures à travailler…

L’optimiste. — … quatre heures à se reposer.

Le guide. — Je vois que vous suivez. Ils conservaient ce rythme pendant cinq jours avant de remonter prendre quelques jours de repos.

L’intello. — Mais pourquoi ne remontaient-ils pas tous les jours ?

Le guide. — Excellente question. Eh bien, l’ascenseur par lequel vous êtes descendus n’existait pas à l’époque. Il a été installé il y a environ dix ans, précisément en novembre 1970, quasiment quarante ans jour pour jour après l’ouverture de la mine. Je vous laisse imaginer le temps qu’il fallait aux mineurs pour descendre jusqu’à cette profondeur.

L’intello. — Mais à quelle profondeur sommes-nous exactement ?

Le guide. — À 500 mètres sous terre. Au total, ce n’était pas loin d’une heure de descente dangereuse pour arriver jusque dans cette salle. Il y a eu tant d’accidents lors de ces descentes que, croyez-moi, les mineurs eux-mêmes préféraient limiter le nombre de trajets.

L’inquiet. — Qu… Quel type d’accidents ?

Le guide. — Tout est arrivé. Les plus meurtriers étaient les décrochages de nacelle. À tous les coups, c’était cinq cadavres qu’il fallait remonter. Mais il y avait aussi des éboulements provoqués par les passages fréquents.

L’inquiet. — Des… Des éboulements ?

Le guide. — Oui, ici, nous sommes dans une mine creusée dans la terre et le charbon, et donc il fallait renforcer systématiquement le plafond pour éviter qu’il ne vous tombe dessus.

L’inquiet. — Et cela s’effondrait quand même ?

Le guide. — Plus on empruntait le tunnel, plus cela fragilisait la charpente de soutien du plafond. La direction de la mine a donc décidé de limiter la fréquentation en laissant les mineurs au fond de la mine plus longtemps.

L’inquiet. — Mais cela peut s’écrouler à nouveau, alors ?

Le guide. — Je tiens à vous rassurer : nous avons des visites de sécurité tous les mois, et une maintenance tous les ans. Elle aura d’ailleurs lieu la semaine prochaine. Vous voyez, comme quoi on ne laisse plus grand-chose au has…

Bruit grave, comme de l’orage lointain. Silence.

La jeune femme. — C’était quoi ?

Le beauf. — C’est quoi ce bordel ?

L’intello. — Et ce bruit ? Vous avez entendu ?

Le jeune homme, l’optimiste et le râleur. — Oui, c’était quoi ?

L’inquiet. — Vous avez senti ?

La vieille, le courageux et le vieux. — Oui.

Le vieux. — On aurait dit de l’orage.

L’inquiet. — De l’orage, de l’orage… Moi, j’aurais plutôt dit comme un tremblement de t…

Le bruit recommence et s’amplifie pour devenir très fort. La lumière vacille. Les vacanciers sont secoués de gauche à droite puis tombent à terre un à un. Le son s’arrête. La lumière s’éteint.

Noir et silence total.

Scène 2

Ils sont tous allongés, le visage contre le sol et les mains sur la tête. Une couche de poussière les recouvre, quelques cailloux jonchent le sol. Quelques mouvements reprennent imperceptiblement dans le noir. Quelqu’un tousse. Les mouvements s’amplifient lentement.

L’inquiet. — Ho ! vous… Vous êtes là ?

Le courageux. — Oui, oui, on est toujours là, le bus n’est pas encore passé.

L’inquiet. — Ah ! ah ! Très drôle…

Le beauf. — Bon Dieu, mais c’est quoi ce bordel ? On n’y voit plus rien !

Le courageux. — Monsieur est observateur.

Le beauf. — Qui se fout de ma gueule, là ?

Le courageux. — C’est moi.

Le beauf. — Alors toi, le petit rigolo, attends que je te trouve…

Le vieux. — C’était quoi ? On aurait dit comme un tremblement de terre.

L’inquiet. — C’est justement ce que j’étais en train de vous dire avant que cela se mette à trembler.

Le timide. — Oui, j’ai senti, moi aussi, ce bruit puis ces tremblements.

Le jeune homme. — Bon sang, mais c’est pas vrai !

La jeune femme. — Un tremblement de terre ! Mon Dieu !

Le vieux. — Personne n’a de la lumière ?

La vieille. — Oh non ! On va pas rester dans le noir, en plus !

L’inquiet. — Oui, moi, je veux sortir d’ici.

Le râleur. — Oui, moi aussi, mais je suis incapable de savoir dans quelle direction partir.

L’optimiste. — Le mieux c’est de ne pas bouger, pour ne pas risquer de…

On entend quelqu’un se prendre un mur.

Le râleur. — Aïe !

L’optimiste. — … se prendre un mur.

Le courageux. — Ça va ?

Le râleur, énervé. Oui, ça va ! Mais bon sang, personne n’a de lumière ou une lampe de poche ?

Le timide déclenche le flash de son appareil photo. Cri général.

Le beauf. — Oh ! c’était quoi, ça ?

Nouveau flash. Nouveau cri général.

L’intello. — Il semble que cela soit ce monsieur avec sa chemise à fleurs qui continue de prendre des photos.

Le timide. — Euh… je suis désolé, c’est pour essayer d’y voir quelque chose.

La jeune femme. — Ben, à part nous éblouir une demi-seconde et nous laisser des papillons dans les yeux ensuite, y a pas mieux !

Le timide. — Euh… désolé, je voulais juste rendre service.

L’intello. — Oui, oui, merci. L’idée était bonne, mais on va essayer de trouver quelque chose… disons de moins flashy. Personne n’a d’all…

Le jeune homme craque une allumette. Tous les visages sont tournés vers la flamme. Jusqu’à la proposition d’allumer la lampe à pétrole, les allumettes s’éteignent régulièrement dans un petit « aïe », par lequel on comprend que le jeune homme se brûle les doigts à chaque fois.

Le courageux. — C’est pas encore ça, mais c’est un début.

Le beauf, en se dirigeant, menaçant, vers le courageux. Ah ! c’est donc toi le petit rigolo à qui je vais…

Le vieux, en s’interposant. Oh ! ça va ! Vous ne croyez pas que nous avons autre chose de mieux à faire ?

L’optimiste allume sa montre. La jeune femme et l’inquiet allument leurs mini-porte-clés ou leurs montres. Jeu général avec les différentes lumières.

Le courageux. — On se croirait en boîte de nuit.

L’inquiet. — J’ai cru voir une lampe à pétrole suspendue au mur en rentrant. Si quelqu’un pouvait éclairer par là-bas…

Le guide. — Oui, tout à fait. Je ne suis pas sûr qu’elle soit en état de marche, mais on peut toujours essayer.

Bruit de lampe qui se décroche. Le jeune homme l’allume en craquant une nouvelle allumette.

Le jeune homme. — Il était temps, c’était ma dernière allumette !

L’inquiet. — Ah ! tout de même, c’est plus agréable, on y voit un peu mieux !

Le vieux se rend alors compte que la vieille est toujours allongée et tente de la relever. Visiblement, il a un peu de mal. Le courageux vient l’aider.

Le guide. — Ça va ? Pas de blessés ?

Le courageux se dirige vers le vieux pour l’aider.

Le courageux. — Ça va, pas de mal ?

La vieille. — Je crois que ça va. Plus de peur que de mal, comme on dit.

Le courageux redresse la chaise tombée par terre et propose à la vieille de s’y asseoir.

Le courageux. — Tenez, asseyez-vous là.

Le vieux. — Merci. Je crois que je n’y serais pas arrivé tout seul.

La vieille. — Dis tout de suite que je suis trop grosse !

Le vieux. — Mais non, ma chérie, tu sais bien que c’est parce que je n’ai plus la santé d’avant !

La vieille. — Tiens, assieds-toi à côté de moi au lieu de dire des foutaises.

Le vieux obtempère sans broncher.

Scène 3

La lumière revient vacillante pour finir par revenir totalement.

Le jeune couple s’est assis sur un des matelas. L’inquiet regarde en direction du tunnel, tandis que le beauf se rapproche de lui. Le timide est assis dans un coin au fond à jardin.

Le jeune homme. — Qu’est-ce qu’il s’est passé ?

Le timide. — Oui, c’était quoi ce bruit ?

Le vieux. — Je vous disais que cela ressemblait à un tremblement de terre avant que ce monsieur nous prenne en photo.

L’inquiet. — Cela ressemblait plus à un bruit d’éboulement qu’à un bruit de tremblement de terre ou d’orage.

Le beauf. — Qu’est-ce que vous regardez ?

L’inquiet. — Eh bien, je me demandais dans quel état est le tunnel.

Le beauf. — Le mieux c’est d’aller voir, non ?

Le guide. — Je pense qu’il vaudrait mieux rester ensemble.

Le beauf. — Oh ! ça va ! On part pas loin et on revient.

Le guide. — Je crois que… (Il s’interrompt.)

Le beauf est déjà parti. Le regard de l’inquiet passe plusieurs fois du guide au tunnel, et finalement il suit le beauf dans le tunnel.

Le râleur. — Et voilà ! Y en a déjà qui pensent à sauver leurs fesses plutôt que de penser aux autres. On voit les premiers rats qui quittent le navire.

L’optimiste. — En même temps, s’ils pouvaient sauver leur peau, ce serait bon signe. Cela voudrait dire que l’on peut sauver la nôtre.

Le râleur. — En commençant à partir en direction du tunnel. Ouais, ben en même temps,...

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