ACTE 1
Scène 1 : Marcel Coulmeaux / Josette Coulmeaux
Le matin, Marcel vient de se lever. Il entre, déjà fatigué. Il s'assoit à la table et tourne lentement la cuillère dans son café. Il semble rêvasser. Juste après, Josette entre. Très active, elle remue tout le restaurant, attrape des casseroles, essuie des assiettes, tandis que Marcel ne semble pas concerné.
Josette / (à Marcel) Va pas t'casser un bras !
Marcel / (Après un temps de réflexion, à propos du café) Il est pas un peu fort ?
Josette / T'as qu'à l'faire toi-même !
Marcel / On peut rien dire.. (Il continue sa rêverie)
Josette / Je sais pas pourquoi je reste. (Elle tient une casserole fermement dans la main et se tient derrière Marcel, comme si elle voulait l'assommer).
Marcel / (Il ne la voit pas) L'amour ça s'commande pas.
Josette / (Toujours très active) Va falloir t'y mettre !
Marcel / Faut profiter d'la vie !
Josette / Pour profiter, je profite.
Marcel / (Il tente de la serrer dans ses bras) Allez ! Vite fait sur le gaz !
Josette / J'ai pas la tête à ça..
Marcel / La tête, la tête.. Après, tu vas regretter.
Josette / On verra ça l'année prochaine ! Je te signale que l'on est dans un restaurant, et qu'il n'y aura rien dans l'assiette si tu ne te décides pas à donner un coup d'main.
Marcel / Je te fais humblement remarquer que ce restaurant était dans ma famille.
Josette / Et c'est pas avec c'que tu fous qu'il va y rester.
Marcel / Tu sais bien que je suis pas du matin.
Josette / Ça je l'sais. Ni du matin, ni du midi, ni du soir, et même pas de l'après-midi.
Marcel / C'est un restaurant célèbre.
Josette / Toi aussi, tu vas finir célèbre. Dans l'journal. Désossé, en plat du jour.
Marcel / T'es taquine ce matin. Mais moi, quand je te parle, c'est toujours avec plein de sincérité.
Josette / Si je t'envoie le moulin à légumes dans la tronche ce sera aussi avec plein de sincérité !
Marcel / Ma petite Josette.. Tous les jours je fais tout pour te comprendre.
Josette / Y'a des jours, j'ai l'impression de parler chinois.
Marcel / Et la recette ! Tu oublies la recette !
Josette / Et voilà ! La sauce à la vieille ! J'y ai droit tous les jours.
Marcel / Parfaitement. La sauce miracle !
Josette / La sauce à la grand-mère, je connais l'histoire par cœur. Mémé avait attaqué une Béchamel, en même temps qu'elle préparait des crêpes. Là d'ssus, vlà qu'elle renverse une casserole par terre vu qu'elle faisait tout en même temps : la cuisine, le ménage et les gosses. Et après, le chien qui ne bouffait rien d'habitude se jette dessus comme un napolitain sur un plat d'nouilles.
Marcel / Et comme le chien n'est pas mort, elle a noté la recette, la recette secrète que je t'ai donnée quand je t'ai épousée.
Josette / Je sais, c'est moi qui fait à bouffer.
Marcel / Cette sauce c’est une bénédiction. Avec cette sauce, on mangerait de la merde, on en redemanderait ! Avec elle, les cannibales mangeraient des épinards.
Josette / Sauf que t'es même pas foutu de faire monter une mayonnaise.
Marcel / Je te signale que je t'aide à la cuisine, je fais le menu.
Josette / J'ai toujours eu du bol..
Marcel / Tu le sais, Josette, pour moi y'a que toi.
Josette / (Mécontente) Pour moi aussi, y'a que toi.. Un homme pour la vie, et en plus, tous les jours.
Marcel / Quand on s'est mariés, grâce à moi, tu as trouvé du boulot.
Josette / Le resto et tout l'reste ! Une femme mariée, elle n'a même pas besoin de sortir de chez elle pour bosser !
Marcel / Si ça devient politique, moi j'arrête la conversation.
Josette / J'ai toujours été une poire.
Marcel / Tu te souviens. Mes parents t'avaient engagée. Ça faisait une semaine que tu bossais dans le resto de mes parents..
Josette / Je risque pas d'oublier. Tu m'as fait un mioche pendant que j'épluchais des patates.
Marcel / (Émoustillé) Des belles de Fontenay. La chair est très ferme..
Josette / (Au public) Je l'avais pas vu v'nir.
Marcel / Au début, évidemment, t'as fait ta mijaurée, mais tu t'es vite rattrapée.
Josette / Chez les parents, on ne parlait jamais de sexe ! Alors évidemment, quand on y connaît rien..
Marcel / Et puis on s'est mariés, ça a pas traîné hein ?
Josette / Forcément, ça commençait à s'voir.
Marcel / C'était l'enfant de l'amour.
Josette / Dire que si je ne t'avais pas rencontré, aujourd'hui je serai danseuse au Moulin Rouge..
Marcel / Toi dans un moulin, tu rigoles ?
Josette / Et toi, tu danses comme une enclume ! (Elle essaie de lever la jambe puis se tient le dos) Bon, je manque un peu d'entraînement. mais ça va r'venir.
Marcel / Et moi ! Tu crois que la restauration, c'était mon truc ?
Josette / C'était quoi ton truc ?
Marcel / Facteur aviateur. L'aéropostale.
Josette / L'apéro postale oui.
Marcel / Je te signale que des gens sont morts pour que d'autres reçoivent des bonnes nouvelles.
Josette / Et facteur sur un vélo, ça t'as jamais traversé la tronche ?
Marcel / Facteur à vélo, faut s'doper. Mais mon plus beau rêve, c'était toi.
Josette / Ça y'est, ça l'reprend.
Marcel / Je ferai tout pour toi.
Josette / T'as qu'à faire la vaisselle !
Scène 2 : Marcel Coulmeaux / Josette Coulmeaux / Henriette Coulmeaux
Henriette entre comme un coup de vent par la porte donnant sur la salle du restaurant. Elle est aussi active que sa mère. Elle hurle.
Henriette / Dix déjeunes au tripes ! Vingt calvas ! Douze camemberts ! Sept litres de blanc ! Douze cafés ! Et un verre d'eau du robinet !
Marcel / Y'a déjà du monde ?
Henriette / Des chasseurs ! C'est que ça démarre tôt les chasseurs ! Et si les assiettes restent vides, ils vont faire un ball-trap avec les assiettes.
Marcel / Tu t'es levée de bonne heure.
Henriette / A six heures ! Résultat, j'ai du retard. J'aurais pas dû faire la grasse matinée.
Marcel / C'est tôt pour ouvrir.
Henriette / Les clients ça se soigne. Et un bon client, ça repart jamais sans un kilo d'plus !
Marcel / Ils prennent pas d'apéritif ?
Henriette / Au p'tit déjeuner ?
Marcel / Ça s'fait.
Henriette / Je vais aller leur demander. (Henriette repart. On ne la voit pas. Elle hurle) Va y'avoir un peu d'attente ! Alors pour aider à tenir, qui veut l'apéro ?
Chœur des chasseurs / Moi ! (On peut entendre des cors de chasse et des coups d'fusil)
Henriette / (Elle revient et hurle) Et vingt kirs normands ! Vingt ! Et attention ! Deux apéros payants ! Un offert ! (Elle repart)
Scène 3 : Marcel Coulmeaux / Josette Coulmeaux
Marcel / C'est pas croyable qu'elle n'ait pas encore trouvé de chaussure à son pied.
Josette / Elle cherche pas une paire de godasses, elle veut un homme. C'est plus rare.
Marcel / Le gars qui l'a dans collimateur, il a plus de chance de voir la foudre tomber dans son lit que l'Henriette.
Josette / Et quand la Henriette passe près d'une table, celui qui se permettrait de la frôler ne serait-ce que d'un mètre..
Marcel / La tarte à la Henriette !
Josette / Spécialité de la maison. Et c'est offert !
Marcel / Parce que l'Henriette, elle n'est pas au menu.
Josette / T'as même pas besoin de commander. T'en prends une, jamais t'en r'demandes.
Marcel / C'est pas comme Jean-Michel.
Josette / Parle moins fort. Tu vas l'réveiller.
Marcel / Jean-Michel, le petit chouchou à sa maman.
Josette / C'est aussi ton fils.
Marcel / Deux ans de moins qu'Henriette, mais c'est à croire qu'il a dix ans de retard. C'est un poussin trop couvé.
Josette / Il a encore le temps.
Marcel / Encore le temps. Moi à son âge.. Tu m'aurais vu.
Josette / Justement.., je t'ai vu.. Mais trop tard..
Marcel / Tu te rends compte que monsieur n'aime pas le camembert ! En Normandie ! Le fils de la belle Normande qui n'aime pas le camembert ! La honte !
Josette / Il a le droit d'aimer autre chose.
Marcel / Les tripes aussi, il n'aime pas. La poule au blanc, pareil ! Monsieur n'aime rien que j'aime. Même le cidre, il aime pas. Alors que moi, j'ai été élevé au pied du tonneau.
Josette / Ça se voit..
Marcel / Mais attention, pas d'alcool avant l'âge de raison !
Josette / Et c'était quand l'âge de raison ?
Marcel / Je sais pas, mais à la campagne, on est intelligent de bonne heure.
Josette / Jean-Michel, lui il réfléchit.
Marcel / Ça doit être ça. Il doit être trop intelligent. Et alors, je ne parle même pas du physique. Il est pas assez gros. Et dans la restauration, on se méfie des maigrichons. Faut du gros ! Un gros ça inspire confiance.
Josette / Ça fait matelas.
Marcel / Dans les gros, y'en a plus.
Josette / Y'en a pas plus, y'en a trop.
Scène 4 : Marcel / Josette / Henriette / Client
Henriette entre en coup d'vent. Elle hurle
Henriette / Et sept pieds de cochons ! Cinq steak à ch'val ! Un rôti d'bœuf ! Et une carottes râpées ! Y'a d'autres clients !
Marcel / Y'a pas l'feu.
Josette / (Aà Marcel) Tu veux peut-être qu'ils aillent en face, manger du décongelé chez les Founiard.
Tandis qu'ils s'affairent dans la cuisine, la discussion continue
Henriette / En face, ils mangent pas, ils bouffent.
Josette / C'est vrai, qu'entre la Belle Normande et l'tripot d'en face, y'a pas photo.
Henriette / Entre un bol de tripes et un hamburgé au poulet drogué, c'est sûr.
Josette / Les poulets des Founiard, ils sont vaccinés contre tout, même la vache folle.
Marcel / Y'en a qui aiment.
Henriette / Des clients d'élevage ! Comme leurs poulets ! Nourris aux hormones. Un de ces jours, les clients des Founiard se mettront à pondre.
Josette / Faut voir où ils se fournissent. Cinquante poulets au mètre carré, c'est sûr qu'ils n'ont pas beaucoup voyagé.
Henriette / De l'emballé du pasteurisé, du pré-mâché, du prédigéré, du dégueulé, du vite fait.
Josette / Paraît que des fois, ils ont eu des morts.
Marcel / Les gens mangent comme ils baisent
Josette / Ça c'est sûr.
Henriette / Dans leur casse-dalle à deux balles, si tu trouves de la vraie viande, c'est que t'as du bol. Tellement on voit pas la différence, un de ces jours,...