Nous sommes en France, dans un petit village du Libournais, aux coteaux rayés de vignes entre deux châteaux… ou bien au cœur des climats de Bourgogne, qui font un tartan à l’heure des moissons… ou bien non loin de la Loire qui irrigue les vins d’Anjou… ou bien ailleurs…
Nous pourrions être à l’époque romaine, quand les poètes dégustaient déjà du bordeaux, mais nous sommes aujourd’hui…
L’important, c’est que dans ce petit village on doit s’arrêter au domaine qui jouxte la rue traversière, admirer l’antique bâtisse où l’herbe et des branchages ont poussé sur quelques pierres du toit et de la tourelle, rencontrer Louis et sa sœur Annette, et découvrir leur cave simple et belle comme un temple. La salle où l’on descend depuis la cour par quelques marches est sans fenêtres ; deux grosses portes, au fond, desservent les caves, et quelques tonneaux ont été roulés contre le mur, à jardin. La journée est magnifique, le soleil sucre le raisin mauve qui ressemble à du lilas, pendant que le vigneron s’affaire…
ACTE I
Scène 1
Louis. – Annette ! Mais qu’est-ce qu’elle fait ? Annette !
Annette, off. – Oui, voilà, j’arrive.
Elle entre.
Louis. – Tu étais où ?
Annette. – À la cuisine.
Louis. – Qu’est-ce que tu faisais ?
Annette. – Je cuisinais.
Louis. – Oui, d’accord, mais tu cuisinais quoi ?
Annette. – Un gratin de courgettes.
Louis. – Un gratin de courgettes ?
Annette. – Ben oui, pour tes touristes.
Louis. – Annette… Tu es ma sœur et la famille c’est sacré, alors je vais essayer de ne pas m’énerver. Les touristes vont visiter ma cave, on est d’accord ?
Annette. – Oui, Louis.
Louis. – Ils vont goûter le meilleur vin de la région, on est d’accord ?
Annette. – Oui, Louis.
Louis. – Et tu vas leur faire un gratin de courgettes !
Annette. – Eh bien quoi ?
Louis. – Je t’ai déjà dit cent fois que mon vin ne se mariait pas avec les courgettes !
Annette. – Ça se marie avec tout, les courgettes !
Louis. – Pas avec mon vin ! (Le téléphone sonne.) Je vais répondre, c’est peut-être une grosse commande. (Il sort, puis revient. Le téléphone continue à sonner.) Tu n’as pas vu le téléphone ?
Annette. – Lequel ?
Louis. – Celui qui sonne !
Annette. – Ah. Non. (Louis se précipite dans la première cave.) Louis ! (Louis revient, essoufflé. Le téléphone sonne toujours.) Ton téléphone est dans la première cave.
Louis. – J’en reviens !
Annette. – Eh bien, retournes-y !
Louis retourne dans la première cave, puis en ressort. Le téléphone continue à sonner.
Louis. – Tu es sûre que mon téléphone est dans la première cave ?
Annette. – Oui.
Louis retourne dans la première cave, puis en ressort. Le téléphone continue à sonner.
Louis. – Tu as vu mon téléphone dans la première cave ?
Annette. – Non.
Louis. – Alors pourquoi tu me dis qu’il y est ?
Annette. – Intuition féminine. (Louis se précipite dans la deuxième cave, le téléphone continue à sonner.) Pourquoi vas-tu dans la deuxième cave ?
Louis ressort de la cave. Le téléphone continue à sonner.
Louis. – Rien trouvé là non plus.
Annette. – Il fallait te fier à mon intuition.
Louis. – Le téléphone n’est pas dans la première cave !
Annette, vexée. – Ni dans la deuxième apparemment…
Le téléphone continue à sonner. Louis regarde autour de lui.
Louis. – Mais il est ici mon téléphone ! (Il décroche.) Allô ?
Il sort par les marches.
Annette. – Comment ça, mes courgettes ne se marient pas avec le vin ? Ça se marie avec tout les courgettes !
Louis revient paniqué.
Louis. – Oh non ! Oh, ce n’est pas vrai ! Mais ce n’est pas vrai !
Annette. – Quoi donc ?
Louis. – On va recevoir une inspection ! Hygiène et Sécurité !
Annette. – Hygiène et quoi ?
Louis. – Hygiène et Sécurité ! Ils viennent de m’appeler. Des malades du code du travail ! Des dingues des règlements ! Des psychopathes des normes administratives ! Des fonctionnaires, Annette !
Annette. – Des fonctionnaires ?
Louis. – Comme je te le dis !
Annette. – Quelle horreur ! Ils mangent les enfants !
Louis. – Non, tu confonds. (Paniqué.) Il faut vérifier qu’on soit en règle ! (Comme frappé par la foudre.) Le conduit de ventilation dans la première cave ! (Il part ventre à terre dans la première cave. Puis revient.) Je suis sûr qu’il n’est pas aux normes ! Je vais voir s’il n’y a pas de fuite !
Annette. – Sur le conduit de ventilation ?
Louis. – Ou à côté ! Ou ailleurs ! (Il fonce dans la seconde cave. Puis revient.) Je vais tout vérifier !
Il s’apprête à retourner dans une cave quand Annette l’interrompt.
Annette. – Et les touristes ?
Louis. – S’ils entrent, tu les fais entrer !
Il pénètre dans la première cave.
Annette. – Je leur fais toujours à manger ?
Louis, depuis l’intérieur de la cave. – Évidemment !
Annette. – De la blanquette ?
Louis, toujours depuis la cave. – Oui, voilà, c’est très bien la blanquette.
Annette. – Avec des courgettes ?
Louis, revenant à petits pas de la cave, lassé. – Annette, tu arrêtes avec tes courgettes !
Il repart dans la cave.
Annette, grommelant. – Tu parles… Qu’est-ce que je vais bien pouvoir faire avec mes courgettes ? (Elle nettoie quelques verres en fredonnant.) « Ah le petit vin blanc qu’on boit sous les tonnelles… » (Elle se sert un peu de vin, grimace.) C’est vrai qu’il n’irait pas avec mes courgettes.
Scène 2
Marie-Françoise entre.
Marie-Françoise. – Mille pardons, y a-t-il quelqu’un ? (Apercevant Annette.) Ah, madame ! Bien le bonjour ! Laissez-moi me présenter : je m’appelle Marie-Françoise. J’aurais dû être accompagnée de mon époux mais il n’a pas pu venir car en effet…
Annette. – Moi c’est Annette. Vous venez pour la visite ?
Marie-Françoise. – Absolument. Voyez-vous, mon époux et moi-même adorons les petits vins de région.
Annette. – Vous aimez aussi les courgettes ?
Marie-Françoise. – J’en raffole.
Annette. – J’en étais sûre.
Marie-Françoise. – Mon époux était fou des courgettes, mais suite à de petits problèmes de santé, ses nouveaux médicaments lui interdisent d’en ingérer. Les médicaments, aujourd’hui… Mon époux est très méfiant envers les excipients.
Annette. – Exci… Ah, mari jaloux !
Marie-Françoise. – Jaloux ? Jamais, c’est un épicurien.
Annette, s’emportant. – Ma philosophie, madame, c’est que Français, Chinois, Épicurien ou Zoulou, les hommes sont tous pareils, tous des jolis cœurs ronchons. Inutile de traverser les océans pour épouser un Épicurien, un Sarthois ç’aurait été la même chanson. Alors bien sûr, l’accent, l’exotisme, mais bon… L’accent…
Marie-Françoise, amusée. – Oh oh ! Pour un malentendu…
Annette. – Voilà : si ça vous excite de rien comprendre, un type qui zozote aurait fait l’affaire.
Marie-Françoise. – Vous vous éloignez…
Annette. – Séloigner d’accord, mais pas d’excès : un Corse est suffisant. Le ferry-boat coûte moins cher que l’Orient-Express ou le trans-a-tlan-tique, quand même !
Marie-Françoise, perdue. – Votre esprit est trop piquant pour moi.
Annette. – Les tropiques, c’est surfait ! L’aventure, la jungle, les moustiques. Les moustiques, si ça vous manque, draguez dans le Marais poitevin. Le reste, c’est pet de nouille !
Marie-Françoise. – Feu mon père aurait dit : flatuosité.
Annette. – Feu le mien : pétard aux herbes. Un homme policé mon père. Un potier. Il faisait des vases.
Marie-Françoise. – Quel mal nous l’a ravi ?
Annette. – La goutte. Bon, comme vous êtes la première arrivée, je vous fais visiter la cave. Mon frère prendra le relais et moi j’irai réchauffer ma blanquette.
Marie-Françoise. – De la blanquette !
Annette. – Mais sans courgettes.
Marie-Françoise. – Oh, je le regrette !
Elles sortent en pénétrant dans la première cave.
Scène 3
Roger, Martine et Mamy entrent.
Roger. – Hé ! Il y a quelqu’un ici ? On voudrait bien boire un coup !
Martine. – Roger ! Un peu de tenue.
Roger. – Ben quoi Martine, ce n’est pas vrai ? (À Mamy.) Hein, belle-maman, on aimerait bien boire un coup ?
Mamy. – De quoi ?
Roger, plus fort. – Je dis qu’on...