Ainsi soit-il

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Le père Fagole, prêtre sans histoire, devient soudain célèbre : il a trouvé dans son jardin un coffre rempli de pièces d’or, et tous les médias s’intéressent à lui. Il attend avec fébrilité la venue de son évêque et d’une journaliste d’un mensuel catholique intégriste. Mais quand le Diable – qui est un bon diable – s’amuse et s’en mêle, la vie n’est plus tout à fait un long fleuve tranquille, car le père va vivre une journée pour le moins mouvementée… Quiproquos, chassés-croisés et rebondissements vont se succéder à un rythme « d’enfer » dans ce vaudeville contemporain où Dieu seul saura reconnaître les siens !

 

ACTE I

 

La colonelle Hermine de Cornac est au premier plan. L’armure se trouvant au pied de l’escalier se met à bouger ; elle tente de la déplacer.

La Colonelle (à la manière d'Hallyday) - "Derrière l'armure qu'est-ce qu'il y a ? Tin tin tin tin… Toute une chaîne de pourquoi… Tin tin tin tin..." Ce que c'est lourd cette saleté !... Oh !... Je n'y arriverai pas toute seule... Ah ! on m'y reprendra à vouloir monter la vie de Jeanne d'Arc !... L'année prochaine on fera le martyre de Sainte Blandine !... Elle était à moitié nue la malheureuse, ce sera plus pratique pour les costumes... Quoique d'un autre côté, il faudra faire à bouffer aux lions... (Elle appelle.) Mon père !... Ouhou !... Mon père !... Hé ben... Les voix du Seigneur sont bouchées !... Mon père !

Le Père (off) - Vous m'avez appelé Madame la colonelle ?

La Colonelle - Ouiiii !

Le Père - J'arrive ! (Il entre ; il porte une petite radio qu'il pose sur un meuble.) Excusez-moi mais j'écoutais la radio.

La Colonelle - On parlait encore de vous ?

Le Père (faussement modeste) - Oui, une interview que j'ai donnée hier au téléphone !...

La Colonelle - Attention au péché d'orgueil !... Maintenant que vous êtes une star !

Le Père - Oh, star... N'exagérons rien !...

La Colonelle - Je ne sais pas ce qu'il vous faut ! Si ça continue, vous allez faire la Une de tous les magazines et dire la messe avec deux gardes du corps en guise d'enfants de chœur pour vous protéger des paparazzi !

Le Père (riant) - Arrêtez de vous moquer de moi !

La Colonelle - Je ne me moque pas ! Mais hé !... Un prêtre qui trouve un trésor, ça ne se passe pas tous les quatre matins non plus !

Le Père - Heureusement ! Parce que si le Bon Dieu faisait des miracles à la chaîne, ce ne serait plus du miracle !

La Colonelle - Oui ben entre nous, il pourrait bien se décarcasser plus souvent, mais enfin bon !...

Le Père - Ahhh ! Ne blasphémez pas ! Dieu nous entend !

La Colonelle - J'espère bien ! Dites, vous ne voulez pas m'aider à porter cette ferraille ?

Le Père - Mais si, bien sûr ! C'est pas parce que vous adorez chanter qu'il faut vous déplacer un disque !... (Il rit, content de lui.) Tiens, je la ressortirai celle-là !

La Colonelle (gentiment ironique) - Est-ce bien nécessaire ?... La pauvre Jeanne d'Arc !... J'espère qu'elle n'avait pas de cystite, parce qu'avoir sans arrêt envie de faire pipi avec ça sur le dos, ça vous donne le temps de rouiller les ourlets, hein !

Le Père (il rit) - Ah ! J'adore votre franc-parler !... Il ne devait pas s'ennuyer avec vous, le colonel !

La Colonelle - Lui, non !

La Colonelle - Quelle barbe de devoir déplacer tous ces accessoires !

Le Père - Ça fait un peu brocante tout de même...

La Colonelle - Et alors ?!? Il n'est jamais allé aux puces votre évêque !?

Le Père - Je ne crois pas que ce soit le genre de la maison... Quoiqu'il en soit, c'est pagailleux !

La Colonelle - Il a bien fallu qu'on nous livre ces costumes ce matin !

Le Père - Taisez-vous ! Déjà qu'à l'idée de recevoir Monseigneur Leloup j'en ai des sueurs froides et l'estomac qui me fait Roux et Combaluzier : ça monte et ça descend sans arrêt !

La Colonelle - Oh quoi !... C'est pas le Pape !

Le Père - C'est pas loin !

La Colonelle - Il ne va pas vous jeter aux lions !... Il est chrétien, tout de même !

Le Père - Non, mais... c'est un peu le grand patron quoi !... Et puis tout ce que ça représente... le violet... tout ça... Ça me fout les chocottes !

La Colonelle - Un peu de nerfs que diable !... Oh pardon... (Elle se signe.) Moi aussi des fois je mets une robe violette, et je ne vous fais pas peur !?! Alors !

Le Père - Mais vous, c'est pas pareil.

La Colonelle - Evidemment !... Je porte des robes plus courtes ! Mais dites, vous lui trouvez pour des millions en pièces d'or dans votre église qui tombe en ruines, il ne va pas vous engueuler !

Le Père - Je suis impressionné... J'ai peur de ne pas savoir quoi dire...

La Colonelle - Commencez par dire "bonjour", ça ne mange pas de pain !... Le reste suivra tout seul.

Le Père - Avec cette drôle d'idée de s'annoncer à la dernière minute, j'ai pas eu le temps de me préparer psychologiquement, moi ! D'après ce qu'on m'a dit, c'est pas vraiment un joyeux luron... Enfin je ne sais pas, il est nouveau venu, je ne l'ai jamais vu.

La Colonelle - Ah bon ?! Même pas sa photo ?

Le Père - Pourquoi pas son pin's, pendant que vous y êtes ! Hou ! J'aurais jamais dû mettre ces chaussures neuves… J'ai les pieds dans un étau… Je me fais l'effet d'une geisha ! (On sonne.)

Le Père - Ah mon Dieu, le voilà !...  Ma veste vite !...

La Colonelle - Mais attendez !... Il est à peine deux heures !... Il a dit qu'il arriverait vers 15 heures.

Le Père - Il a peut-être voulu arriver en avance... Puisqu'il aime bien les surprises ! Comment je suis ?

La Colonelle - Superbe ! C'est simple, vous seriez libre, je vous épouserais.

Elle va ouvrir.  Apparaît un jeune homme d'une trentaine d'années, blouson de cuir et jean.  Il semble nerveux et inquiet. Il s'appelle Thierry.

Thierry - Le père Fagolle. c'est bien ici ?

La Colonelle - Vous... vous n'êtes pas évêque !

Thierry - Quoi ?

La Colonelle - Qu'est-ce que vous lui voulez au père Fagolle ?

Thierry (apercevant le père) - C'est bien vous ?

Le Père - Il y a de grandes chances, oui.

Thierry - Il faut que je vous parle.

Le Père - C'est-à-dire que là, c'est plutôt le coup de feu, voyez, j'attends la visite de mon évêque, alors je n'ai pas tellement de temps pour une confession.

La Colonelle - Ça non, pas vraiment ! Revenez demain.

Thierry - Impossible !

Le Père - Ce que vous avez à confesser est si lourd que ça ?

Thierry - C'est pas vraiment une confession... Mais enfin... c'est très important... c'est une question de vie ou de mort...

Le Père - Et de qui ?

Thierry - De moi !

La Colonelle - Ah bon !... Enfin je veux dire : ça ne nous concerne pas directement !

Thierry - Vous êtes qui vous ?

La Colonelle - J'allais vous poser pratiquement la même question, dites donc, c'est drôle hein ?

Thierry - J' m'appelle Thierry.

La Colonelle - Hermine de Cornac. Veuve du colonel de Cornac.

(Elle chante.) Oui, je suis veuve d'un colonel,

Qui mourut à la gue-e-erre...

(Se reprenant.) Excusez-moi. (Elle lui tend la main pour un baise-main ; il la prend et la secoue.)

Le Père - Vous m'avez l'air sympathique, mais je suis un peu bousculé, là.

Thierry - Je vous en prie !

Le Père - Vous pensez en avoir pour longtemps ?

Thierry - Ça dépendra de vous.

Le Père - De moi ?!?

La Colonelle - Hou ! le mystère s'épaissit !

Le Père - Et le père s'impatiente !... Bon je vous écoute.

Thierry - J'aimerais vous parler seul à seul.

La Colonelle - Mon sixième sens me dit que je gêne : je disparais ! Mon intuition m'épatera toujours !... Je m'épate, je m'épate, je m'épate ! (Elle sort en chantant: "Elle est épatante cette petite femme la".)

Le Père - Ça ne vous dérange pas ici ou vous préférez le confessionnal ?

Thierry - Non, ici ça baigne !

Le Père - Si ça baigne... "In nomine patris et filii et spiritus sancti."

Thierry - Vous êtes bien le père Louis Fagolle ?

Le Père - Vous n'avez pas une autre question ?!? A moins d'être atteint de dédoublement inquiétant de personnalité, en principe, oui, le je suis. C'est si important que ça ?

Thierry - Oui.

Le Père - Vous voulez vous agenouillez ?

Thierry - Pour quoi faire ??!

Le Père - Bon, bon comme vous voudrez. Je suis tout ouïe.

Thierry - Voilà... je suis suivi. Enfin... je dis suivi... je devrais plutôt dire "poursuivi".

Le Père - Bon, alors dites-le : "poursuivi ! "... Et par qui ?

Thierry - Ange Batistini.

Le Père - Connais pas. Qui est-ce ?

Thierry - Un tueur.

Le Père - Ah ! Et qu'est-ce qu'il vous veut ?

Thierry - Me tuer !

Le Père - Oui, remarquez c'est logique dans le fond, ma question était idiote !... Et pourquoi seriez-vous son prochain client ?

Thierry - Parce que je lui dois du fric.

Le Père - C'est un peu léger comme raison. Et un peu expéditif comme méthode !... Vous lui devez beaucoup ?

Thierry - 50 000 euros.

Le Père - ... 50 000 euros ! 50 000 euros !... Ça fait… Ah ! ils sont pénibles avec ces euros ! Je venais juste de m'habituer aux nouveaux francs… cinq fois cinq : vingt-cinq… Je retiens deux… Plus de 350 000 francs anciens, enfin nouveaux des francs d'avant ? C'est ça ?

Thierry - Ben ouais !

Le Père - Evidemment c'est une somme !

Thierry - J'vous l'fais pas dire !

Le Père - Et c'est de l'argent qu'il vous a prêté ?

Thierry - Si on veut, oui...

Le Père - Mais moi je ne veux rien du tout ! Si ce n'est essayer de comprendre.

Thierry - Disons qu'il m'a fait crédit...

Le Père - Qu'est-ce que vous lui avez acheté ?

Thierry - Rien, j'ai perdu une partie de poker.

Le Père - Vous avez perdu 300 000 francs au poker ?!? Eh ben ! Moi, quand je perds à la belote, je paie l'apéritif, voyez, ça me revient moins cher en général ! ! Et vous ne voulez pas le rembourser ?

Thierry - C'est pas que je veux pas...

Le Père - Moui, je vois... Mais il n'est pas très malin votre Ange Ratatini, là...

Thierry -... Batistini...

Le Père - Oui, il n'est pas très malin.  Parce que ça l'avancera à quoi de vous zigouiller ?  C'est pas comme ça qu'il récupérera son argent.

Thierry - Pour lui, c'est une question d'honneur.

Le Père - Il a une drôle de conception de l'honneur, votre petit camarade, dites donc !

Thierry - Il ne plaisante pas avec ça... dans le "milieu", on l'appelle "L'Ange Exterminateur" ou "L'Ange de la Mort".

Le Père - Dans le milieu ? Quel milieu ?

Thierry - Ben, le milieu.

Le Père - Ah !… Vous devriez surveiller vos fréquentations, jeune homme !

La Colonelle n'y tenant plus fait une apparition.

La Colonelle - Tout va bien ?... Vous n'avez besoin de rien ?... Tartine de chocolat ?... Démonte pneu ?... Non ?...

Le Père - Non !

La Colonelle - Bon... Ah ! je ne sais plus si je vous l'avais dit, mais si vous avez besoin de moi, je suis à côté !

Le Père (riant) - C'est noté ! (Elle sort en chantant : "Besoin de rien, envie de toi".) Mais pourquoi vous êtes venu me voir ?... Je suis père, pas parrain ! !

Thierry - Je suis venu chercher de l'aide !

Le Père - Ecoutez, la seule arme que j'aie ici, c'est une vieille tapette à souris, et encore, je crois qu'elle est cassée !... Vous ne croyez pas qu'on ferait mieux d'appeler la police ?

Thierry - Pas vraiment non !

Le Père - Hum...Autrement dit,  vous n'êtes pas franchement blanc-bleu non plus...

Thierry - Ben...

Le Père - Mais je ne vous juge pas ! Dieu seul jugera... Seulement, je ne vois pas très bien en quoi je peux vous aider... Vous voulez que je lui parle s'il vient ici ?

Thierry - Ça servirait à rien.

Le Père - Alors ?

Thierry - Alors, il faut que vous me prêtiez les 50 000 euros !

Le Père - Attendez... ma pile n'est pas bien branchée, j'entends mal !!!

Thierry - Mais je vous les rendrai, hein, promis !... Dès que je pourrai, je vous les rendrai...

Le Père - En les gagnant à la pétanque sans doute ?!? Mais mon pauvre petit, vous savez quels sont les émoluments mensuels d'un obscur curé de campagne ?... Je ne suis même pas sûr que ça paierait votre blouson de cuir !... ou le modèle gilet, peut-être !... Non, tout ce que je peux vous donner, c'est un réconfort moral et l'absolution.

Thierry - Ou l'extrême-onction ! Mais il y a le trésor...

Le Père - Le trésor ?!?

Thierry - Oui, vous avez bien trouvé un trésor ?... On en a parlé partout...

Le Père - Je ne vois pas le rapport.

Thierry - Je vous ai entendu dire que vous ne saviez pas encore exactement à combien il se montait...

Le Père - C'est vrai... je laisserai à mon diocèse le soin de compter.

Thierry - Alors, si je prends une petite poignée de pièces d'or, ça se verra pas... On le dit à personne, vous, vous faites une bonne action, et moi je suis sauvé !

Le Père - Non, mais vous entendez ça, Seigneur ?!?... "Une petite poignée" ! Mais malheureux, c'est pas du riz !

Thierry - Non, c'est du blé !

Le Père - Vous ne pensez tout de même pas que le Bon Dieu m'a envoyé tout cet argent alors qu'on était sur le point de fermer ma paroisse, fautes de moyens suffisants, pour que  je les distribue au premier petit voyou venu ?!?

Thierry - Je ne suis pas le premier venu !

Le Père - Pour moi, si !... Non, écoutez mon fils...

Thierry - Comment... Vous savez ?!

Le Père - Je sais quoi encore ?!?

Thierry - Vous m'avez appelé mon fils...

Le Père - Oui, et alors ?...

Thierry - Vous savez que vous êtes mon père ?

Le Père - Mais bien sûr que je le sais ! Je l'ai su dès que vous êtes entré ici !

Thierry - Vous trouvez que je vous ressemble ?

Le Père - Mais qu'est-ce que vous racontez ??? Un prêtre dit ça à tout le monde... "mon fils" ou "ma fille"... on adapte selon les cas !!

Thierry - Alors, vous ne savez pas ?

Le Père - Mais quoi ?

Thierry - Que vous êtes mon père.

La Colonelle apparaît.

La Colonelle - Toujours besoin de rien ?... Un petit potage ?... Un banana split ? Bon, bon... je n'insiste pas... (Elle sort en chantant : "Bananana, bananana, banana split, Hum !")

Le Père - Ecoutez, d'ordinaire, je suis plutôt patient mais aujourd'hui, c'est pas dans mes moyens !... Alors, nous allons en rester là, ravi de vous avoir connu !

Thierry - Jeanne Verchère, ça...

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