Alors Arlette, heureuse ?

Genres :
Thèmes : · ·
Distribution :
Durée :

Gontrand de Saint-Moret rencontre Arlette au Lapin coquin. Elle est stripteaseuse, lui fils unique et héritier d’une bonne famille, et malgré leur différence sociale ils s’aiment et viennent de se marier. Si Arlette a, comme elle le dit avec gouaille, quelques heures de vol, Gontrand, lui, n’a jamais décollé du tarmac… Alors, bien sûr, il tient à sa nuit de noces et attend avec beaucoup d’impatience et un peu d’appréhension de retrouver l’intimité de la chambre conjugale…

Évidemment le sort en a décidé autrement, et la maison familiale des Saint-Moret n’aura jamais connu autant d’agitation que cette nuit-là. Entre le frère d’Arlette qui tente de fuir ses deux conquêtes – la belge et la corse – qui cherchent à l’assassiner, la mère de Gontrand qui tire au fusil dans le salon, et des policiers un peu trop zélés, mais qui ne comprennent pas grand-chose à tout ça, rien ne va se passer comme prévu.




Alors Arlette, heureuse ?

ACTE I

Nous sommes en fin d’après-midi. À l’ouverture du rideau, la scène est plongée dans le noir. La Marche nuptiale de Mendelssohn retentit et, par l’allée centrale, Gontrand de Saint Moret, fort bien vêtu, chapeau haut de forme sur la tête, arrive au bras d’Arlette, habillée en mariée. Ils passent entre les spectateurs et avancent, très dignes, jusqu’au pied de la scène. La musique s’arrête doucement à leur arrivée.

Gontrand, très solennel. – Alors Arlette, heureuuuuuuse ?

Arlette, voix gouailleuse. – C’est le plus beau jour de ma vie, Gontrand. Jamais je n’aurais imaginé me marier, un jour, en robe blanche. (Admirative.) Et la messe, ce matin, avec le piano et ses longs tuyaux, qui jouait du Bache… C’était bouleversifiant.

Gontrand, rectifiant gentiment. – Ce n’était pas un piano, ma chérie, mais des grandes orgues… qui jouaient une fugue de Jean-Sébastien Bach. (Il articule bien le mot « Bach ».)

Arlette, innocemment. – Oh ! pétard ! C’est autre chose que du David Guetta ! (À actualiser si besoin.) Un mec bien ce Jean-Sébastien et sa musique donne vraiment envie de faire des fugues. Pas vrai, mon gros loup ?

Gontrand. – C’était un mec bien, Arlette… c’était…

Arlette, laissant sa phrase en suspens. – Ah bon ! Parce qu’il est…

Gontrand. – Eh oui, Arlette, Jean-Sébastien nous a quittés. (Avec grandeur.) Ce sont toujours les meilleurs qui partent les premiers.

Arlette. – Désolée, j’savais pas. Y a longtemps qu’il est décédé ? Les journaux n’en ont pas parlé… Accident, maladie ? C’était un parent à toi ?

Gontrand. – Pas vraiment, mais sa musique m’a accompagné tout au long de ma vie et je voulais, grâce à lui, que notre mariage soit à la hauteur de notre amour.

Arlette. – Et il l’a été, mon Gontrand ! Il l’a été ! Quelle jolie noce… Et tous ces gens bien habillés… (Confuse.) J’en avais un peu honte pour ma famille.

Gontrand. – Quelle idée ont eue tes parents de se pointer en bermuda et tee-shirt Kronenbourg ? J’ai bien cru que mère allait en faire une syncope…

Arlette. – Il faut leur pardonner, ils ne connaissent pas les bonnes manières.

Gontrand, avec grandeur. – Ce n’est pas grave, amour, tout ce qui te touche est sacré pour moi.

Arlette, minaudant. – Oh ! t’es trop chou ! (Se remémorant.) Et le repas, quel festin royal ! J’en ai encore les amygdales qui frétillent de joie.

Gontrand. – N’est-ce pas ? La grande classe. Le chef de cérémonie a juste été un peu choqué lorsqu’il a vu ton père se curer les dents avec sa lame de couteau après avoir mangé le pavé de biche sauce grand veneur…

Arlette. – Je suis désolée. Papa s’était servi des cure-dents pour se nettoyer les ongles.

Gontrand, avec manière. – Est-il drôle, ton père ! Ce n’est pas grave, ma chérie. Tel Jean Valjean, j’ai sorti ma Cosette de la famille Thénardier…

Arlette, interloquée. – Qu’est-ce qu’il raconte ? Je m’appelle Dupipot. Arlette Dupipot. Bon, qu’à la rigueur tu me surnommes Cosette parce que j’ai la langue bien pendue et que je cause beaucoup, pourquoi pas. Mais je ne suis pas une Thénardier, moi. Non, non, je suis une fille Dupipot.

Gontrand. – C’est une image, Arlette chérie. Pour te dire que je voulais faire de toi une noble dame. Tu es maintenant Arlette de Saint Moret.

Arlette, estomaquée. – Arlette de Saint Moret ! Y a peut-être pas de quoi en faire tout un fromage, mais en tout cas, ça en jette. Et c’est presque aussi bien que notre ancien chef d’État qui cumulait les fonctions fromagères en étant à la fois Hollande et président. (Elle rit.)

Gontrand, rêveur, la prenant dans ses bras. – Trente ans, Arlette, que je cherchais l’âme sœur et que j’allais de cuisants échecs en amères désillusions…

Arlette, rêveuse aussi. – Et puis tu m’as vue, une nuit, au Lapin coquin…

Gontrand, grandiloquent. – C’est là que nous nous rencontrâmes incidemment…

Arlette, idem. – Je faisais mon numéro à la barre et nos yeux se sont croisés…

Gontrand, même jeu. – Nous nous regardâmes intensément…

Arlette, idem. – Tu m’as invitée à boire une coupe de champagne.

Gontrand, même jeu. – Que nous bûmes goulûment.

Arlette, idem. – Cul sec, j’me souviens.

Gontrand, toujours grandiloquent. – Nous nous plûmes instantanément… Ah ! Arlette ! Tu es devenue le soleil de mes jours…

Arlette, gloussant de plaisir. – Le soleil de tes jours… Comme tu causes bien, mon doudou !

Gontrand. – La lune de mes nuits…

Arlette, relativisant. – Là, j’ai moins de mérite parce que… la lune dans la nuit, j’étais déjà un peu une spécialiste…

Gontrand, fou amoureux. – Ah ! Arlette ! Arlette ! Arlette ! Arlette !

Arlette, même jeu. – Ah ! Gontrand ! Gontrand ! Gontrand ! Gontrand !

Gontrand, montrant la scène qui vient de s’éclairer. – Nous allons passer notre nuit de noces dans la maison de campagne de môman.

Arlette, ébahie. – Qu’elle est belle !

Gontrand. – Môman ?

Arlette. – Pas ta mère, mon poussin, la maison… Moi qui n’ai connu qu’un petit deux-pièces à Santon-le-Roussi… ça va me changer…

Gontrand, se faisant pressant. – Viens, ma belle, notre couche nuptiale nous attend.

Arlette. – Gontrand, sois gentil. Prends-moi dans tes bras pour franchir le seuil de la maison…

Gontrand, paumé. – Que je te prenne dans mes… Pour quoi faire ?

Arlette. – On dit que ça porte bonheur.

Gontrand. – Enfin, Arlette, ce sont là des croyances de prolétaires. Ne donnons pas libre cours à ces ridicules superstitions de paysans. Et pourquoi pas une soupe à l’oignon, dans un pot de chambre, au beau milieu de la nuit tant qu’on y est ?

Arlette, boudeuse. – Si je comprends bien, Gontrand, tu souhaites que notre mariage démarre sur de mauvaises bases ?

Gontrand. – Mais pas du tout… seulement voilà…

Arlette, autoritaire, le coupant. – Gontrand… Dans tes bras tout de suite ou je retourne chez mes parents !

Il essaie tant bien que mal de la soulever dans ses bras mais, très empoté, il n’y arrive pas et manque de la faire tomber par terre.

Gontrand. – Je crains, chère Arlette, de ne point y arriver…

Arlette. – Il est hors de question, Gontrand, que j’entre dans cette maison sur mes propres jambes.

Gontrand. – Et si tu montais sur mon dos ?

Arlette. – Comme sur un vulgaire canasson ?

Gontrand. – On dirait que tu serais ma belle écuyère et moi ton fidèle destrier.

Arlette, amusée. – Tu ne serais pas en train de fantasmer en ce moment ?

Gontrand, suivant son idée. – Ton puissant et fougueux destrier… (Il hennit comme un cheval et secoue sa tête.)

Arlette, coquine. – J’espère sincèrement que ta fougue et ta puissance se nichent ailleurs que dans tes bras, mon Gontrand.

Il essaie de la faire monter sur son dos mais il titube, fait des embardées et n’y parvient pas à cause de la robe.

Gontrand. – Je suis désolé. Je parais fort comme ça, mais j’ai été très malade étant petit et mes muscles en sont restés tout affaiblis.

Arlette, fataliste. – Pas grave ! J’espère juste que ça ne nous portera pas malheur. (Ils entrent dans le salon. Arlette en fait le tour, admirative. Gontrand met une musique d’ambiance, douce et langoureuse. Arlette touche à tout, ouvre les tiroirs, les placards et finit par regarder les portraits au mur, émerveillée.) Wouah ! Que c’est chouette ! (Devant le tableau d’un personnage austère.) Oh ! pétard ! La tronche ! Y devait pas rigoler toutes les cinq minutes, le mec.

Gontrand. – Aristide Baptistin Amédée de Saint Moret, mon vénérable aïeul…

Arlette. – Pas l’air baisant le pépé… Cela dit, j’imagine pas mon grand-père en peinture sur le mur de ma piaule.

Gontrand, voulant faire de l’esprit. – Avec un tee-shirt Kronenbourg et un bob Marlboro sur la tête. (Il rit.)

Arlette. – Je te prierais, Gontrand de Saint Moret, de ne pas te moquer de mes ancêtres, s’il te plaît !

Gontrand. – Loin de moi cette idée, ma biche. C’était juste pour faire une petite plaisanterie.

Arlette. – Eh bien, c’est raté ! Joseph Louis Eugène Dupipot, je reconnais que ça fait un peu ringard à côté de vos pedigrees de chiens de race…

Gontrand, ennuyé. – Je n’ai pas voulu dire ça…

Arlette. – Si encore Dupipot s’était écrit en deux mots… Joseph Du… Pipot… ça nous aurait changé de musique…

Gontrand, se rattrapant. – Et cela t’aurait fait une particule.

Arlette. – Une part de quoi ?

Gontrand. – Une particule… Le petit truc devant ton nom qui t’anoblit, t’aristocratise…

Arlette, terre à terre. – De toute façon, je m’en fous. Comme tableau, sur mes murs, je fais des cadres avec les couvertures des calendriers du facteur.

Gontrand, l’encourageant. – Mais c’est très bien, ma chérie. Il y a de très jolis paysages ou de magnifiques photos de Doisneau, en noir et blanc, sur le calendrier des postes.

Arlette. – Ouais, mais moi, je choisis toujours celui où y a la corbeille en osier avec les petits chatons dedans. Tu sais, les petits chatons qui font les cons, comme tous les ans d’ailleurs, avec la même pelote de laine. Je les trouve touchants…

Gontrand. – Toi aussi tu es touchante, ma chérie. Touchante de sincérité, de spontanéité, de simplicité…

Arlette. – Surtout de simplicité… Je sais bien que j’ai pas inventé la roue de secours de la brouette, mais j’y peux rien, j’suis comme ça.

Gontrand. – Et c’est comme ça que je t’aime. (Il la prend dans ses bras.) Il se fait tard, ma chérie… je crois que nous devrions nous coucher.

Arlette, en riant. – Depuis six mois que tu me courtises et que tu te réserves pour ta nuit de noces, je comprends que le fier destrier soit pressé de rentrer dans son box. (Comme lui, elle hennit en secouant la tête.)

Gontrand. – C’était pour te montrer la pureté de mes sentiments. Mais je compte bien me rattraper cette nuit.

Ils entrent dans la chambre à coucher. Nouvel émerveillement d’Arlette qui regarde partout. Elle tâte le lit et va en avant-scène, face au public.

Arlette, tâtant le sommier. – C’est pas un plumard acheté chez IKEA… (Elle va en avant-scène, face au public.) Et cette baie vitrée qui donne sur la ville. (Montrant les spectateurs.) Viens voir, Gontrand, toutes ces lumières qui nous observent… comme si elles voulaient nous servir de chandelles, les coquines…

Depuis leur entrée dans la chambre, Gontrand semble un peu gêné. Il s’approche dans le dos d’Arlette, lui enveloppe les épaules de ses bras et lui parle alors qu’elle regarde le public.

Gontrand, bredouillant. – Arlette… je ne suis peut-être pas l’homme idéal dont tu rêvais… mais je t’aime… vraiment… beaucoup…

Arlette, toujours devant lui, sans bouger. – Moi… je ne suis sans doute pas une femme de ton rang… mais je t’aime aussi… vraiment… beaucoup… C’est le destin qui a voulu que nous nous rencontrass… que nous nous rencontratrasse…

Gontrand, à son secours. – Que nous nous rencontrassions. (Rectifiant.) Le destin, Arlette… le destin… et le Lapin coquin…

Arlette. – Tu n’étais pas un client habituel. Qu’est-ce que tu fichais au Lapin coquin ce soir-là ?

Gontrand, gêné. – Ma quête amoureuse… (Soudain grave.) Arlette… il faut que je t’avoue quelque chose…

Arlette. – Quoi donc, mon gros chat ?

Gontrand. – Eh bien, voilà… euh… comment dire… J’ai beaucoup fréquenté les agences matrimoniales… les clubs de rencontres… les boîtes de nuit… et j’ai rencontré de nombreuses jeunes femmes… et…

Arlette, le coupant. – T’inquiète pas, Gontrand, je sais ce que c’est. Moi aussi, j’ai déjà quelques heures de vol…

Gontrand, de plus en plus gêné. – Eh ben justement… pas moi… À chaque fois qu’il devait y avoir envol, je suis toujours resté sur le tarmac.

Arlette. – Non !!!

Gontrand, baissant la tête. – Siiiii ! Je n’ai jamais réussi à conclure et à passer à l’acte.

Arlette. – À ton âge ?

Gontrand. – Ouiiii.

Arlette. – Même pas un p’tit chouia une fois le temps ?

Gontrand, honteux. – Jamais.

Arlette, incrédule. – Ce qui veut dire que t’es… (Elle ne finit pas sa phrase.)

Gontrand. – Ouiiii ! C’est ballot, hein…

Arlette, coquine. – T’inquiète, Gontrand, c’est pas une maladie. Et quand bien même ça en serait une, pas besoin d’ordonnance, je connais un remède générique efficace !

Gontrand, heureux, délivré. – Merci Arlette. (Lui prenant les mains.) Je voudrais que cette nuit ne soit qu’à nous.

Arlette. – Si t’as pas invité la moitié de la noce ici, on devrait être peinards.

Gontrand. – Je vais nous servir une coupe de champagne dans le salon. Va te préparer, j’ai fait porter toutes tes affaires dans la salle de bains de la chambre.

Arlette. – À tout de suite, mon bel étalon…

Gontrand sort de la chambre en hennissant et en sautant comme un cabri tandis qu’Arlette entre dans la salle de bains. Gontrand chante l’air de Carmen en se dirigeant vers la cuisine dans laquelle il entre. Son chant s’arrête brusquement et il ressort, à reculons, en levant les mains en l’air. Carmélita apparaît alors, braquant un revolver sur le ventre de Gontrand.

Carmélita, accent méditerranéen. – Je suis désolée de vous importuner à une heure aussi tardive, milord, mais il va falloir que vous me rendiez un petit service… (Menaçante.) et très vite si...

Il vous reste 90% de ce texte à découvrir.


Achetez un pass à partir de 5€ pour accédez à tous nos textes en ligne, en intégralité.




Retour en haut
Retour haut de page