Amour, pirouette et cacahuètes

Genres :
Thèmes :
Distribution :

Jamais Georgio Garousi, minable mafioso sicilien, n’aurait imaginé que Fiorella, sa fille adorée puisse tomber amoureuse d’un honnête homme. De son côté, jamais Mario Confino n’aurait imaginé troquer son héréditaire honnêteté contre des pratiques illicites que sa bonne éducation réprouve en bloc. Et comme on ne s’improvise pas mafieux, simplement au nom de l’amour, l’apprentissage du métier va être rude et les erreurs nombreuses… Certains vont l’apprendre à leurs dépens.

Il est vrai que Mario n’était pas… mais alors pas du tout… destiné à ce genre de travail…

ACTE I

 

Avant l'ouverture du rideau, on peut « envoyer » une musique truculente italienne ou, au choix, une musique pesante du genre bande musicale du film Le Parrain...

L'après-midi. C'est l'heure de la sieste bercée par le chant des cigales. Il fait très chaud et des hamacs sont installés à l'ombre. Deux personnages les occupent. L'un dort profondément en ronflant et l'autre décortique des cacahuètes et les croque bruyamment. Le dormeur est Georgio Garousi, minable mafioso sicilien, et le mangeur de cacahuètes est son fils Luigi.

Georgio, sans bouger, chapeau sur le nez. – Luigi ! Je t'ai déjà dit cent fois qu'on ne mangeait pas de cacahuètes pendant la sieste!

Luigi sursaute légèrement à l'interpellation de son père mais ne s'arrête pas pour autant.

Luigi. – J'peux pas m'en empêcher P'pa. J'crois que je suis devenu cacahuètomane.

Georgio, levant légèrement son chapeau de son nez. – Cacahuètomane ! Eh ben, il ne manquait plus que ça pour te rendre intelligent...

Luigi. – Sur internet, ils disent que c'est très sain. La cacahuète contient plein d'acides gras mono-insaturés qui exercent une action préventive sur les maladies cardiovasculaires.

Georgio, rabaissant son chapeau. – S'il n'y avait que les acides gras de la cacahuète qui étaient insaturés... mais je crains fort, mon petit gars que ton intelligence soit loin, elle aussi, d'être à saturation.

Luigi. – Justement, il paraît que c'est aussi très bon pour les neurones... la cacahuète...

Georgio. – Dans ce cas… commandes-en vite plusieurs palettes et manges-en à tous les repas.

Luigi. – C'est chouette P'pa parce qu'en plus, j'aime vachement ça... la cacahuète...

Il se remet à décortiquer bruyamment ses cacahuètes et les croquer goulûment.

Georgio, se relevant à moitié, fort. – Luigi !

Luigi. – Oui P'pa...

Georgio. – Qu'est-ce que je viens de te dire ?

Luigi. – Que je pouvais passer une grosse commande de cacah...

Georgio, le coupant. – Mais non, bougre d'andouille ! Juste après ça ?

Luigi, timidement. – Que je pouvais en manger à tous les repas ?

Georgio, en colère. – à tous les repas, oui... mais pas pendant la sieste, crétin !

Luigi. – Je préfère manger des cacahuètes plutôt que de me reposer. J'suis pas fatigué.

Georgio. – Tu n'es pas fatigué parce que tu ne fais rien de tes journées, mais moi, ton pauvre père, qui porte l'entreprise familiale à bout de bras, j'ai besoin de ma sieste quotidienne.

Luigi. – T'inquiète P'pa, je vais manger sans faire de bruit.

Il s'apprête à remettre la main dans son paquet.

Georgio, en colère. – Tu ne manges rien du tout ! Tu poses ton paquet par terre, tu t'allonges et tu dors ! C'est quand même pas compliqué à comprendre.

Luigi. – Et si je ne peux pas dormir... Qu'est-ce que je fais ?

Georgio. – Tu réfléchis... Et en silence... Si tu connais encore la signification de ces deux mots.

Luigi. – Le problème, c'est que souvent je réfléchis en parlant... Comment faut faire pour réfléchir en silence ?

Georgio, essayant de rester calme. – Tu fermes les yeux et tu cherches, dans ta tête, la façon de m'aider efficacement... ou comment augmenter le chiffre d'affaires de l'entreprise... ou bien encore comment trouver de nouveaux débouchés...

Luigi. – T'as déjà tout mis en place P'pa, y’a plus qu'à surveiller le business.

Georgio. – Oui, ben justement il faut le surveiller le business parce qu'à ma mort, tout cet empire sera à toi et à ta sœur. Et il faudra que vous soyez fort, tous les deux, pour préserver l'héritage familial, car je crains fort que le clan Simonetti ne fasse qu'une bouchée de vous deux.

Luigi. – Arrête de me fiche la trouille. Y me font peur les Simonetti avec leur tueur balafré qui a des trous de balle partout.

Georgio, rassurant. – Tant que je suis là, tu ne crains rien... petit. Ils se tiennent à distance et n'oseront jamais le coup de force avec moi. (Avec gravité.) Mais demain... Quand je ne serai plus... Ce sera à vous deux de tenir la dragée haute à cette branche de la mafia sicilienne et protéger votre douce mamma et la non moins douce mémé.

Luigi, reprenant son paquet. – Est-ce que je peux en grignoter quelques unes pour me détendre un peu ?

Georgio. – Quand les Simonetti t'enverront des pruneaux, tu comptes leur riposter avec tes cacahuètes ?

Luigi. – Non... Bien sûr... J'ai mon 6,35... Mais j'ai paumé mes munitions... (Il s'apprête à se lever.) Je vais aller les chercher.

Georgio, explosant. – Tu t'allonges et tu dors ! La sieste ça se respecte monsieur. Il faut être le pire des gougnafiers pour ne pas respecter la sieste d'un honnête homme.

Luigi. – Honnête homme, honnête homme, c'est vite dit...

Georgio. – Luigi... Douterais-tu de l'intégrité de ton géniteur ?

Luigi. – Noooon... J'ai pas dit ça... Mais c'est pas comme si tu allais pointer à l'usine tous les matins...

Georgio, hautain. – Je pointe uniquement quand je joue aux boules môssieu ! Alors, pourquoi tu voudrais que je pointe à l'usine ? Je ne vois pas le rapport.

Luigi, timidement. – Le rapport, c'est que tu vis du travail des autres et non du tien...

Georgio. – Il n'y a presque pas de boulot sur cette île et tu voudrais que moi, Georgio Garousi, un monument de bon sens et de civisme, j'aille voler l'emploi d'un frère sicilien, que je retire le pain de la bouche de ses pauvres enfants affamés et que je sois à l'origine de l'augmentation du nombre des chômeurs ? C'est ça que tu voudrais, fils indigne ?

Luigi, insistant timidement. – Tu ne leur prends peut être pas leur travail, mais tu leur prends une partie de leur argent...

Georgio, avec grandeur. – Et voilà, tu as dit les mots justes. (Détachant bien les mots.) Une partie de leur argent ! Quelques ridicules pourcentages prélevés sur leur salaire... Trois fois rien... à peine de quoi sortir ma propre famille de la misère dans laquelle elle se trouve plongée depuis la crise économique... Le Seigneur n'a-t-il pas dit de partager ses propres biens pour venir en aide aux déshérités ?

Luigi. – Aux déshérités... Excuse du peu. (Montrant autour de lui.) Une superbe maison en pleine campagne... à quelques kilomètres de Palerme... avec piscine... des vergers sur 30 hectares de terrain... T'es pas ce qu'on peut appeler un malheureux.

Georgio. – Attention ! Comment tu me parles Luigi ! Ne sois pas grossier avec ton père. J'aimerais bien savoir qui te met des idées bolcheviques pareilles en tête ?

Luigi, timidement. – C'est Don Fanfaron, le padre de Castellino. Je suis allé le voir ce matin pour récupérer notre part de la quête de dimanche dernier...

Georgio. – C'est pas parce qu'il nous donne généreusement quelques euros de sa quête que ça lui donne le droit de t'inculquer des idées subversives !

Luigi. – Il m'a dit que les temps étaient durs et qu'il avait de moins en moins d'argent à nous donner...

Georgio. – Et pourquoi il a moins d'argent le padre ?

Luigi. – Dimanche dernier, il n'y avait que 30 paroissiens à la messe... et encore, que des vieilles bigotes sans le sou...

Georgio. – Et tu l'as cru ? Les vieilles bigotes, elles ont plein d'argent caché sous leur matelas.

Luigi. – Ouais, mais vu la recette...

Georgio. – Combien il a récolté à la quête ?

Luigi. – 27 euros et 32 centimes... 10% là-dessus... ça fait 2 euros 72, ça ne paie même pas l'essence de mon scooter pour aller à Castellino...

Georgio. – Si ça se trouve, il y en avait le double mais il n'en déclare que la moitié ce voleur ! Dans les spectacles, les organisateurs font souvent ça... Mais alors si les hommes d'église s'y mettent aussi, où va-t-on ?

Luigi. – Les gens ne croient plus en rien. Tu veux que j't'dise P'pa... La religion et les bonnes manières se perdent.

Georgio. – C'est à lui de remplir son église, pas à moi. à qui la faute si sa pub est mal faite ?

Luigi. – Il m'a dit aussi que le Seigneur lui avait conseillé, en songe, de ne plus rien nous donner.

Georgio. – Ah oui ? Eh bien, tu vas lui dire au padre qu'il a intérêt à remplir son église, dimanche prochain, pour la fête de sainte Agathe de Catane et de briefer la salle pendant son sermon pour que ses paroissiens soient généreux à la quête, sinon...

Luigi, craintivement. – Sinon quoi, P'pa ?

Georgio. – Sinon, il se pourrait bien que, moi aussi, je voie, en songe, un orage s'abattre sur le clocher de son église...

Luigi, innocemment. – S'il faut attendre un orage, ça lui laisse du temps pour remplir sa cagnotte...

Georgio, blasé, regardant son fils. – Y’a des jours, je me demande si y’a pas eu un échange de bébé à la maternité...

Luigi, inquiet. – Tu crois que je ne suis pas ton fils ?

Georgio. – Hélas si ! (élevant le ton.) L'orage, c'est une image... C'est mon côté poète romantique. En réalité, on fait sauter son clocher avec un bâton de dynamite.

Luigi. – Ah d'accooooord ! Je me disais aussi... Moi aussi, j'ai cru un moment qu'on m'avait changé de père à la maternité dis donc. (Il s'apprête de nouveau à se lever.) Je saute à Castellino et je reviens.

Georgio, autoritaire, bras tendu. – Dans l'immédiat, tu sautes dans ton hamac et tu termines la sieste qu'on n'a même pas commencée. Tu t'occuperas du padre demain matin ! C'est compris ? (Luigi acquiesce d'un mouvement de tête et se rallonge sur son hamac.) Et maintenant silence, je dors !

Ils reprennent place confortablement sur leur hamac respectif. Silence. Très vite on entend les ronflements de Georgio, puis des miaulements de chat qui se font de plus en plus forts. Lentement, Georgio remonte son chapeau sur son front, dégaine son revolver de l'étui accroché à son hamac et tire dans la direction des miaulements qui se terminent dans un gargouillis bizarre.

Luigi, tombant de son hamac. – Les Simonetti nous attaquent ! Au secours !

On entend, venant du jardin, la voix en colère d'Amandina qui arrive, tenant par la queue, la dépouille d'un chat. (Trouver une peluche adéquate.) Elle est suivie de la mémé Orsina. Georgio cache vite son arme.

Amandina. – Lequel de mes deux abrutis vient de descendre ce chat ?

Luigi, affolé, regardant le chat. – Les Simonetti ont tué le chat !

Amandina, calmement. – Luigi...

Luigi, affolé. – C'est un avertissement !

Amandina, un peu moins calmement. – Luigi !

Luigi, de plus en plus affolé. – Ils vont tous nous descendre les uns après les autres... Je ne veux pas mourir déjà, je suis trop jeune...

Amandina, hurlant. – Luigi !

Luigi, sursautant. – Oui mamma...

Amandina, faussement calme. – Ce ne sont pas les Simonetti qui ont buté le chat... mais l'un de vous deux !

Luigi. – C'est pas moi, j'ai perdu mes munitions...

Mémé Orsina. – Eh ben, avec toi, au moins, on est sûr d'être bien protégé.

Amandina. – Me dis pas Georgio que c'est encore toi qui a tiré sur ce chat ? Mais qu'est-ce qu'elle t'avait fait cette pauvre bête ?  Hein, tu peux me le dire ?

Georgio. – Elle miaulait...

Mémé Orsina. – Forcément qu'elle miaulait, bougre d'âne ! Un chat, par définition, ça miaule et c'est pas pour autant qu'on doit tirer dessus.

Georgio. – Oui, mais il miaulait pendant la sieste...

Amandina. – Et alors ? C'est pas un cas de légitime défense !

Georgio. – Non, mais moi je ne vais pas l'emmerder quand il dort, ce chat. (Tendant le bras vers le chat.) C'est lui qui a commencé.

Mémé Orsina. – C'est tout ce que tu trouves à donner comme explication ?

Amandina, fermement. – écoute-moi bien Georgio Garousi, c'est le troisième chat que tu nous dégommes en moins de 15 jours. Alors je te préviens que si je trouve des souris dans la maison, je te les fais bouffer dans tes pizzas en remplacement des anchois. T'as compris ?

Mémé Orsina, dégoûtée. – Tu lui feras ses pizzas à part si ça ne te dérange pas.

Georgio, allant vers elle, tout mielleux. – Amandina, ma colombe...

Mémé Orsina. – Apparemment, ta colombe elle en a ras les plumes de tes accès de mauvaise humeur.

Amandina. – Tuer un chat parce qu'il miaule… Tu deviens grave, Georgio Garousi !

Georgio. – Pendant la sieste, ma beauté, pendant la sieste... Un chat civilisé n'aurait jamais miaulé pendant la sieste.

Amandina, lui donnant la dépouille. – Tiens, je te laisse expliquer à ta fille les causes du décès de cette pauvre bête.

Georgio, tenant la dépouille par la queue, bras tendu. –  Pourquoi le dire à Fiorella qui est si sensible ? (Mielleux à outrance.) Dis-moi, Astre de mes jours, toi qui es belle comme le soleil...

Luigi. – Comme tu sais bien causer aux femmes, P'pa…

Mémé Orsina, rêveuse. – Ton grand-père était tout pareil que lui...

Amandina. – Si moi je suis belle comme le soleil... J'en connais au moins deux qui sont cons comme la lune. Et je suis impatiente de voir la réaction de Fiorella quand elle saura que son père a tué son chat.

Georgio, regardant la dépouille, bras tendu. – Cette affreuse bête appartenait à Fiorella ?

Amandina, enfonçant le clou. – Eh oui... et c'était un cadeau en plus...

Georgio, dégoûté. – Comment peut-on offrir des cadeaux pareils. Il est moche… Il pue... Et il miaulait en plus...

Arrivée de Fiorella. Instinctivement, Georgio cache le chat dans son dos. Fiorella est une jolie jeune femme, énergique, dynamique et qui n'a pas la langue dans sa poche. Elle connaît son pouvoir sur son père et en use.

Fiorella. – Avez-vous vu Berlusconi ? Je le cherche partout.

Luigi. – T'a invité Berlusconi ici ? T'es pas un peu folle des fois !

Georgio. – Ne me dis pas que tu fricotes avec cet invétéré coureur de jupons...

Fiorella. – Je ne vous parle pas de Silvio Berlusconi, je vous parle de mon chat.

Luigi. – T'as appelé ton chat Berlusconi ? Je le crois pas ! T'es une grande malade. Pourquoi t'as fait ça ?

Mémé Orsina, en riant. – Parce qu'il saute sur toutes les souris qui passent à sa portée ?

Fiorella. – Pile poil mémé, t'as tout compris.

Elle rit avec sa grand-mère.

Amandina. – Je ne voudrais pas te décevoir ma chérie, mais je ne le sens pas trop en état de chasser quoi que ce soit actuellement… ton Berlusconi...

Fiorella, inquiète. – Pourquoi dis-tu ça, mamma ? Il est malade ?

Amandina. – Malade, malade... On ne peut pas dire ça... C'est au-delà de la maladie vois-tu. (Se déchargeant.) Mais ton père va t'expliquer. N'est-ce pas Georgio ?

Georgio, montrant le chat, pendu par la queue. – Il a fait comme un malaise y a 10 minutes... (Embarrassé.) Chat arrive parfois...

Fiorella, attrapant son chat. – Berlusconi ! Mon minou, mon chaton ! Dans quel état il est... Santa Maria, il est tout mou... (Elle le tourne de tous les côtés.) Il ne réagit plus...

Luigi. – C'est sûr qu'il va moins bien chasser maintenant...

Fiorella. – Berlusconi, réponds-moi, mon bébé. (Brusquement prise d'un doute.) Papa ?

Georgio. – Quoi donc ma petite caille ?

Fiorella, suspicieuse. – Papa, j'ai...

Il vous reste 90% de ce texte à découvrir.


Achetez un pass à partir de 5€ pour accédez à tous nos textes en ligne, en intégralité.




Retour en haut
Retour haut de page