Acte I
Près du comptoir se trouve un couple (50-60 ans). Ils attendent la personne de l’accueil. Une jeune femme passe, en peignoir de bain. Le mari la déshabille du regard, mine de rien… Une autre passe à son tour : même manège…
Mme Bourguignon - Ne te gêne pas surtout… Fais comme si je n’étais pas là !
- Bourguignon - Hein, quoi ? De quoi parles-tu ?
Mme Bourguignon - Comme si tu ne le savais pas !
- Bourguignon - Je t’assure que je ne vois pas du tout de…
Mme Bourguignon - Arrête ça tout de suite !
- Bourguignon - Je veux bien mais qu’est-ce qu’il faut que j’arrête ?
Mme Bourguignon - Et en plus tu me prends pour une idiote ! Il faudrait être aveugle pour ne pas remarquer ton manège. Il faut dire que tu es très discret !
- Bourguignon - Mais enfin, bibiche, qu’est-ce que j’ai fait ?
Mme Bourguignon - Ah non ! Je t’en prie, tu sais très bien de quoi je parle ! Il suffit qu’une fille passe pour que tu la dévores des yeux.
- Bourguignon - Moi ?!
Mme Bourguignon - Oui, toi, pas le voisin.
- Bourguignon - Je regarde les filles ? Moi !
Mme Bourguignon - Non tu ne les regardes pas, tu les déshabilles du regard avec des yeux exorbités, en t’attardant comme par hasard sur leur hémisphère nord et leur hémisphère sud !
- Bourguignon - Quoi ?!
Mme Bourguignon - Il faut te faire un dessin ? Sur leur poitrine et leur derrière, puisqu’il faut te mettre les points sur les « i ».
- Bourguignon - N’importe quoi… Tu te fais tout un cinéma, ce n’est pas mon genre.
Une des deux jeunes femmes repasse par le hall. Il tourne la tête et la suit des yeux avec avidité.
Mme Bourguignon - Tu vois ! Tu ne peux pas t’en empêcher !
- Bourguignon - Hein ? Tu m’as parlé ?
Mme Bourguignon - Voilà que tu recommences !
- Bourguignon - Tu te montes la tête…
Arrive une femme en blouse blanche qui met un terme à la dispute.
Stéphanie - Excusez-moi de vous avoir fait attendre. Madame et monsieur Bourguignon ?
Mme Bourguignon - Oui, c’est ça.
- Bourguignon - Je suis Savoyard et je m’appelle Bourguignon ! Enfin, c’est toujours de la fondue… tant qu’on ne me traite pas de vieux croûton… Ah ! ah ! ah !
Stéphanie (s’efforçant de rire un peu) - Ah oui… Ah ! ah !…
Mme Bourguignon - Ne faites pas attention, il se croit très drôle.
Stéphanie (polie) - Oh ! mais, c’est très amusant…
- Bourguignon - Tu vois ! Tu ne sais plus rire…
Mme Bourguignon - Oh si ! Mais il faut dire que moi, ça fait trente ans que j’entends ça… alors excuse-moi !
Stéphanie (toussotant) - Bien, alors je me présente : je suis Stéphanie, l’assistante du docteur Rissel. Encore une fois, j’espère n’avoir pas trop tardé à vous accueillir…
Mme Bourguignon - Oh ! mais pas du tout voyons !
- Bourguignon - Ça nous a permis d’apprécier les lieux…
Mme Bourguignon - … et aussi quelques curistes, n’est-ce pas Robert ?
Stéphanie - Rassurez-vous, je n’ai pas pour habitude de ne pas être ponctuelle mais il s’agit d’un jour spécial… Comme tout le monde ici, à votre tour d’être dans la confidence : Dolorès Montero doit arriver aujourd’hui pour un petit séjour dans notre centre.
Mme Bourguignon - Dolorès Montero !
Stéphanie - En personne ! Vous vous rendez compte ? Quel honneur pour notre établissement et pour le docteur Rissel !
Mme Bourguignon - C’est mon actrice préférée, elle a un jeu extraordinaire.
- Bourguignon - Et le reste aussi…
Regard furibond de Mme Bourguignon.
Stéphanie - Je vous demanderai de modérer votre enthousiasme. Mlle Montero a bien précisé qu’elle venait ici incognito et pour se reposer. Elle n’apprécierait pas qu’on lui saute dessus pour lui demander un autographe, enfin ce genre de chose, vous voyez ?
Mme Bourguignon - Comme je la comprends ! Ces gens ont une vie tellement mouvementée ! Elle a besoin d’une pause… Nous aussi d’ailleurs. Soyez sans crainte, en ce qui nous concerne nous ne la dérangerons pas.
- Bourguignon - On la regardera seulement… mais discrètement.
Mme Bourguignon - Pour la regarder je te fais confiance, mais pour la discrétion, c’est une autre paire de manches !
Stéphanie (examinant des fiches) - Alors, voyons… Vous êtes ici pour la cure remise en forme.
Les deux filles passent ensemble : même manège de M. Bourguignon.
- Bourguignon - Je sens que ça marche déjà…
Regard furibond et coup de coude de sa femme.
Stéphanie (le nez dans ses fiches) - Beaucoup nous le disent. Il suffit de passer la porte et on se sent plein de bonnes résolutions. Je vais vous conduire à votre chambre. Vous verrez, elle est très agréable avec sa petite terrasse qui donne sur le parc. Si vous voulez bien me suivre… Ah ! au fait, le docteur Rissel vous recevra à dix-sept heures ! Son bureau est à gauche au bout du couloir.
Mme Bourguignon - Ah bon ! Il y a une visite médicale ?
Stéphanie - Non, non, le docteur va seulement faire un bilan avec vous sur vos éventuels soucis de santé et vos objectifs à atteindre, comme par exemple si vous souhaitez perdre un peu de poids, ou simplement vous relaxer, ou vous remettre un peu au sport…
- Bourguignon - Est-ce qu’on peut avoir un entretien individuel ?
Stéphanie - Euh… oui bien sûr, si vous le souhaitez.
Mme Bourguignon - Individuel ! Pourquoi ? Tu as des choses à me cacher ?
- Bourguignon - Mais pas du tout, qu’est-ce que tu vas encore imaginer !
Mme Bourguignon - Alors là c’est trop fort ! Tu ne me l’avais jamais faite celle-là !
Stéphanie - Ne le prenez pas mal madame, de nombreux couples préfèrent que ça se passe ainsi. Chacun a besoin de cultiver son jardin secret…
- Bourguignon - Tu vois !
Mme Bourguignon - Je ne vois rien du tout. Tu es à peine capable de tondre la pelouse, je ne vois vraiment pas pourquoi tu cultiverais ton jardin, d’autant plus s’il est secret ! On y va ensemble un point c’est tout ! Non mais…
- Bourguignon - Ne te fâche pas, bibiche, c’était juste pour dire…
Mme Bourguignon - Eh bien, tais-toi !
Stéphanie (elle toussote) - Si vous voulez venir vous installer…
Mme Bourguignon (péremptoire) - On vous suit.
Les deux filles reviennent et s’installent dans les chaises longues. M. Bourguignon traîne pour pouvoir les « reluquer » à son aise.
Mme Bourguignon - Et alors, tu viens, oui ?
- Bourguignon - Tout de suite, bibiche, tout de suite…
Ils sortent.
Sophie - Alors c’est pas une bonne idée ce séjour ?
Isabelle - J’avoue que si…
Sophie - Sauna, bains de boue, Jacuzzi… C’est fou ce que ça fait du bien !
Isabelle - Oui… Si ça pouvait me vider la tête, ce serait mieux.
Sophie - Oh non ! Ne me dis pas que tu penses encore à Jérôme !
Isabelle - On n’est là que depuis quatre jours.
Sophie - Il en reste six. Tu l’oublies, point barre !
Isabelle - Si tu crois que c’est facile…
Sophie - Après ce qu’il t’a fait, un peu que c’est facile ! Non mais je rêve !
Isabelle - Il m’a tellement suppliée de lui pardonner… Il faisait peine à voir…
Sophie - C’est ça oui… Avec ses grands yeux mouillés et sa truffe humide… Un peu plus il te donnait sa papatte pour avoir son susucre !
Isabelle - Tu exagères… Il était désespéré à l’idée de me perdre.
Sophie - Bien sûr ! Tu es l’amour de sa vie, c’est pour ça que tu l’as retrouvé au lit avec une autre !
Isabelle - Tais-toi !
Sophie - Dans votre petit nid d’amour…
Isabelle - Arrête !
Sophie - Bien au chaud sous votre couette !
Isabelle - Tais-toi, je te dis !
Sophie - Excuse-moi, mais c’est ça la réalité.
Isabelle - Il m’a juré qu’il ne s’était rien passé. Quand le moment de… enfin tu vois quoi… eh bien il n’a pas pu parce qu’il s’est rendu compte que c’était moi qu’il aimait, rien que moi.
Sophie - Alors qu’avant il ne savait pas trop, alors il s’est dit : « Tiens, je vais faire un test comparatif, des fois qu’Isabelle serait pas la bonne… » Rien que de plus normal, on voit ça tous les jours ! C’est un garçon méthodique ton Jérôme !
Isabelle - Tu as raison, c’est affreux ! Je ne veux plus le revoir de ma vie entière !
Sophie - J’espère bien ! D’autant que les beaux mecs, il y en a plein les rues. Tiens, rien qu’ici, tu as vu le prof d’aquagym ?
Isabelle - Il est pas mal…
Sophie - Pas mal ! Un mélange de George Clooney et de Schwarzenegger !
Isabelle - Justement, il est un peu trop musclé à mon goût…
Un homme entre avec son sac et se dirige vers l’accueil.
Sophie - Tiens, et lui ?
Isabelle - Là, c’est carrément pas assez…
Sophie - Ce que tu es compliquée ! Si on se faisait un petit massage ?
Isabelle - Tu n’es pas au courant ? Leur kiné s’est cassé le pied hier, ils attendent son remplaçant.
Sophie - J’espère qu’il est...