Au Nom De La Mer

Dorian, un homme d’affaires, a rendez-vous avec le grand maître de la confrérie du jeu, pour une éventuelle admission. En attendant l’arrivée du grand maître, il est reçu par Oscar, un des compagnons de la confrérie qui lui expose quelques-unes de leurs règles. Si Dorian cherche à savoir dans quelle mesure la confrérie pourrait lui permettre d’accroître son prestige, Oscar, lui, s’intéresse de près à la personnalité ombrageuse du candidat. Une partie s’engage entre les deux hommes, dont l’enjeu échappe à Dorian jusqu’au moment où tous les coups semblent permis. Un jeu qui ressemble à une mise à mort, avec une infinité de combinaisons possibles comme autant de questions sur les tortionnaires du quotidien.

ACTE 1

Oscar est dans l’ombre.

OSCAR. Ce matin du vingt-sept septembre, tu as beurré mes tartines, tu as dit je vais prendre ma douche. Je t’ai retenue pour une histoire de confiture, demain, nous en achèterons, oui, à la fraise, celle que tu aimes. Je me fichais de la confiture, je voulais ton sourire, ces quelques pas en arrière, ce baiser sur mon front, ces yeux qui disent ne t’inquiète pas, mon fils, tout ira bien… J’ai lancé une prière aux nuages qui détalaient et que rien n’aurait pu arrêter. Une mouette est venue se poser sur le rebord de la fenêtre, silencieuse, le regard inexpressif, le bec clos. Les enfants sentent le vent qui se lève, le ciel qui se couvre, la houle qui déferle et qui emporte tout. Les enfants savent, mais n’ont aucune prise sur l’inconscience des adultes.

Il disparaît.

Bruit des vagues. La mer est calme.

Pleins feux.

Entrée de Dorian : Il s’immobilise sur le seuil. Il va s’asseoir sur un canapé. S’inspecte méticuleusement : le pli du costume, la propreté des chaussures…

Oscar entre.

OSCAR. Bonjour, Dorian ! Je suis Oscar, membre de la confrérie du jeu. Désigné pour répondre à toutes les questions auxquelles je suis habilité à répondre. À votre disposition, mais n’en abusez pas !

DORIAN. Soit.

OSCAR. Ainsi soit-il !

Silence.

DORIAN. Vous êtes le bras droit du grand Maître ?

OSCAR. Ni le droit ni le gauche.

DORIAN. C’est amusant.

OSCAR. Voilà, c’est ça, je l’amuse. Je vous sers un rafraîchissement ?

DORIAN. Un café, serré.

Oscar se rend derrière le comptoir de bar.

OSCAR. Comment trouvez-vous la campagne ?

DORIAN. Très verte. Le grand Maître est arrivé ?

OSCAR. Demain, nous pique-niquerons dans le parc. Georges adore les pique-nique.

DORIAN. Je ne pourrai, hélas, être des vôtres. Je dois repartir demain matin au plus tard avant dix heures. Un rendez-vous important. Un homme qui ne souffre pas de retard.

OSCAR, (en lui tendant son café). Un gros client ?

DORIAN. Parfaitement.

OSCAR. Ne m’en dites pas plus.

DORIAN. Je n’avais pas l’intention de vous en dire plus. Juste de quoi vous expliquer les raisons de mon désistement à votre pique-nique. Je pensais repartir ce soir après le dîner, cependant la correction veut que…

OSCAR, (en s’asseyant face à lui). Ça lui est égal.

DORIAN. Pardon ?

OSCAR. Cette sorte de correction, ça lui est complètement égal, à Georges.

Silence.

DORIAN. Quel rôle jouez-vous précisément au sein de la confrérie ?

OSCAR. Il n’y a pas de hiérarchie au sein de notre confrérie. Tous les trois ans, l’un d’entre nous est désigné par les autres pour officier comme grand maître. Je suis un compagnon de Georges, au même titre que les autres.

DORIAN. Bien. Vous êtes donc dans l’immédiat mon unique interlocuteur.

OSCAR. Nous avons tiré au sort, c’est tombé sur moi.

DORIAN. Vous avez tiré la mauvaise allumette ? C’est toi qui t’y colles ! (S’esclaffant.) Ah !

OSCAR. Votre femme est bien installée ?

DORIAN. Ma femme ?

OSCAR. Vous avez été convié à venir en ce lieu avec votre femme.

DORIAN. C’est possible.

OSCAR. C’est certain.

DORIAN. Ma femme ne souhaitait pas m’accompagner.

OSCAR. Je suis enchanté d’avoir fait votre connaissance, Dorian. Jeff, un des hommes de la sécurité qui vous a reçu, va vous reconduire à votre voiture. Mais prenez le temps de finir votre café.

Silence.

DORIAN. Vous êtes habilité à répondre à mes questions ?

OSCAR. Aux questions auxquelles je suis habilité à vous répondre, en effet.

DORIAN. Bien. Je suis parrainé par le Ministre…

OSCAR. Antoine.

DORIAN. Afin de rencontrer le grand maître de votre confrérie. Antoine répond de moi en tous points.

OSCAR. Voulez-vous dire que vous êtes ici pour une simple formalité ?

DORIAN. Je suis ici pour une première prise de contact. Le grand Maître pourra compter sur mon entière discrétion, cela va de soi.

OSCAR. Ainsi soit-il !

DORIAN. Je ne doute pas que vous amusiez beaucoup le grand maître, mais j’aimerais que vous m’éclairiez sur votre fonctionnement. Antoine m’a assuré que votre confrérie pourrait correspondre à mes aspirations.

OSCAR. En vous parrainant, Antoine vous ouvre une porte. Pour la suite, être membre de notre confrérie ne se décide pas entre l’andouille et le dessert.

DORIAN. Ne me prenez pas pour un imbécile, s’il vous plaît !

OSCAR. Ne le prenez pas pour vous, ces messieurs-dames de la Confrérie sont tous passés par là.

DORIAN. Des femmes ?

OSCAR. Une confrérie mixte. Non que la parité soit un sujet qui nous obsède, mais il se trouve que les cerveaux féminins sont aussi productifs que les nôtres.

DORIAN. Antoine ne m’avait pas dit…

OSCAR. Antoine ne vous a rien dit. Vous êtes ici pour une éventuelle admission. Vous avez passé la porte, vous n’avez pas encore passé votre examen d’entrée.

DORIAN. Un examen ? Je suppose que le grand Maître a pris ses renseignements en ce qui me concerne : les entreprises que je dirige, les conférences que je donne dans le monde entier…

OSCAR. Georges s’intéresse moyennement à vos faits d’armes.

DORIAN. Ah ! Et à quoi Georges s’intéresse-t-il ?

OSCAR. Tout l’intéresse et en particulier des choses essentielles dont il vous fera part en particulier.

DORIAN. Bien. J’attendrai donc notre rencontre pour m’entretenir avec lui de ces choses essentielles.

OSCAR. Si le rayon laser de Georges ne détecte aucune anomalie en contradiction avec l’éthique de la confrérie et si tous les compagnons valident, vous serez rapidement adoubé comme un vrai chevalier de la table ronde.

DORIAN. Le rayon laser ?

OSCAR. Adversaire redoutable aux échecs, très grande capacité de concentration et d’introspection, opiniâtre. Il se prête volontiers au jeu, quel qu’il soit. Vous aurez bientôt tout loisir d’engager une partie avec lui.

DORIAN. J’en serai très honoré.

OSCAR. Georges appréciera.

DORIAN. Et j’apprécierai, après mon entrevue avec Georges, un délai de réflexion.

OSCAR. Vous êtes cordialement invité à participer à notre pique-nique.

DORIAN. Je ne pourrai malheureusement…

OSCAR. Avec votre femme.

DORIAN. Je n’ai pas l’habitude de mélanger affaires et vie privée, et je ne suis pas certain que ma femme sera ravie. Elle n’est pas du tout à l’aise dans le monde.

OSCAR. Le monde pour elle se résumera à moi-même et à Georges, et je ne doute pas que vous saurez la convaincre de la félicité d’un week-end campagnard improvisé. L’admission ne concerne que vous.

DORIAN. Précisément. Moi seul, et non ma femme, qui pourrait juger cette invitation de dernière minute quelque peu étrange.

OSCAR. Nous ne doutons pas de votre pouvoir de conviction.

DORIAN. Je réserve mon pouvoir de conviction à d’autres fins.

OSCAR. Nous souhaitons faire la connaissance de votre femme dans le seul but de vous connaître mieux.

DORIAN. C’est ridicule !

OSCAR. C’est précisément le terme que nous avons employé, mes compagnons et moi,...

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