Aux amis du carrefour
Dans le café du village, les clients sont préoccupés par le projet d’autoroute qui devrait couper le village en deux. Ils s’invectivent et s’inquiètent beaucoup, mais pas forcément pour les mêmes raisons.
Dans le café du village, les clients sont préoccupés par le projet d’autoroute qui devrait couper le village en deux. Ils s’invectivent et s’inquiètent beaucoup, mais pas forcément pour les mêmes raisons.
Scène 1 / Jo / Annie / Antoine
Antoine entre dans le bar
Antoine / Y'a quelqu'un ? .. Y'a quelqu'un ? (Il va devant la porte des toilettes) Y'a quelqu'un ? (Il parle tout seul) C'est pas croyable ! .. On vient dès l'ouverture, et y'a personne à l'accueil. (Il crie) Y'a un client ! .. Si vous voulez pas bosser, faut l'dire !
On entend alors un bruit de monte-charge (ou escalier). Jo et son épouse apparaissent derrière le bar (Mimer le système de l'ascenseur, ou l'escalier ) Ils sont censés remonter de la cave. Ils sont en pleine scène de ménage.
Note : On peut aussi utiliser l'entrée privée. Dans ce cas les personnes allant à la cave, ou en venant, se cacheront derrière le bar pour entrer et sortir sans se faire voir.
Jo / Je t'avais dit qu'il fallait en commander plus !
Annie / C'est pas marqué Bonniche !
Jo / Au cas où madame ne serait pas au courant, je signale à madame, que les clients, faut les servir.
Antoine / Bonjour messieurs dames !
Jo / C'est ça, salut.
Annie / Et faut leur faire quoi, aux clients ?
Jo / Les clients, faut leur parler.
Annie / Toi, quand tu leur parles, tu dis que des conneries.
Jo / Je dis ce qui intéresse la clientèle. Parce que s'il fallait compter sur la conversation de madame, y'a longtemps qu'on aurait fait faillite.
Antoine / Fait pas chaud, aujourd'hui..
Annie / Je suis pas payée pour causer.
Jo / Le client, il veut avoir des nouvelles.
Annie / Tu parles, c'est toujours les mêmes trucs : Y va t-y pleuvoir ou y va t-y pas pleuvoir, la dernière pauvre fille qu'a eu un mioche, la dernière connerie du maire, et la "maxymatose" chez les sangliers !
Jo / On dit myxomatose. Et la myxomatose, c'est pour les lapins.
Annie / En tout cas, vu ta tête, ça m'étonnerait pas que tu l'aies attrapée.
Jo / Et toi, quant les clients te voient, c'est un encouragement à se mettre à boire !
Antoine / A la radio, ils ont dit qu'il allait peut-être pleuvoir.
Annie / Je t'emmerde !
Jo / Moi aussi.
Annie / Fausse couche !
Antoine / Euh... Je peux avoir à boire ?
Jo / Tu vois pas qu'on discute ?
Annie / Oh, le roi de l'accueil ! T'as vu comment tu parles aux clients ? (A Antoine, pas aimable) Qu'est-ce tu veux ?
Antoine / Ben.. Comme d'habitude.
Annie / D'accord ! Monsieur Antoine veut la même chose qu'hier. Comme mon mari ! Lui, c'est toujours la même chose qu'hier, la même chose qu'avant hier, et demain, ce sera la même chose que la semaine prochaine !
Jo / Tu peux lui parler gentiment ! Monsieur Antoine veut un petit remontant.
Antoine / Ah ça oui. Un petit remontant le matin, en forme jusqu'à demain !
Jo / Antoine, c'est un un client fidèle.
Annie / Pour être fidèle, il est fidèle. C'est pas comme certains..
Jo / Tout ça, parce que lorsque une cliente rentre, je lui parle. Je signale à madame que les vrais professionnels causent à tout l'monde.
Antoine / Ah ça c'est vrai. Et en plus, dans ton bar, j'ai toujours été bien servi.
Annie / Ça, ça se voit ! T'as a été bien servi.
Antoine / Je suis comme un coq en plâtre.
Annie / On dit un coq en pâte. Un coq en plâtre.. Pourquoi pas une poule en béton.
Jo / C'est pas parce qu'on sait pas causer qu'on n'a pas le droit de parler !
Annie / La ferme !
Antoine / Faut pas parler comme ça. Moi, quand vous vous disputez, ça me rend triste.
Annie / (A Antoine) Y'a quelqu'un qui t'a sonné ?
Jo / T'as aucune raison d'être jalouse.
Annie / Jalouse moi ? T'as vu ta tronche ?
Jo / (A Antoine) Elle dit pas ce qu'elle pense.
Antoine / Ma femme, moi, elle disait tout ; alors je vois pas pourquoi elle est partie.
Annie / On peut la comprendre..
Jo / Mais ici, tu peux parler. Y'en a qu'écoutent !
Antoine / Ben.. Il paraît qu'il va pleuvoir dans la journée, mais en Corse, ils disent qu'il va faire beau.
Annie / T'as qu'à aller en Corse !
Jo / (A Antoine) Excuse là, c'est une femme.
Annie / Comment ?
Jo / Euh.. T'es juste un peu énervée.
Annie / Énervée ? Je cause à monsieur Antoine, puisque monsieur Antoine est venu pour faire la causette.
Antoine / Ah non. Je viens là pour oublier.
Annie / Pour oublier quoi ?
Antoine / Ma femme.
Annie / Mais ta femme, elle s'est barrée ! Ta femme, elle t'a déjà oubliée.
Antoine / Tu crois ?
Jo / Les femmes, ça oublie vite.
Annie / Surtout les mauvais souvenirs..
Antoine / Alors, je viens boire un p'tit coup. Mais des fois, j'oublie vraiment.
Annie / Et qu'est-ce tu fais après ?
Antoine / Je bois pour me rappeler ce que j'ai oublié.
Annie / Ok. Bon ! T'as l'permis ?
Antoine / Le permis de chasse, mais ça marche pas pour les bagnoles.
Annie / Très bien. Alors, deux bières pour monsieur ; comme ça, on va gagner du temps.
Elle met les bières sur un plateau qu'Antoine emporte. Antoine va s'installer à une table et trinque
Antoine / A la santé des amoureux !
Annie / De quoi j'me mêle ?
Jo / T'as vu comment tu parles aux clients ?
Annie / Je leur parle pas, je les éduque.
Jo / Et la réputation du bar ? Ça fait presque quatre cens ans que le bar est dans la famille.
Antoine / Ça c'est vrai, ça remonte aux calendriers grecs !
Jo / Tu vois, et tu peux faire confiance à Antoine ? Parce qu'il s'y connaît en bars ! Même que Louis 14 est venu boire un coup ici !
Antoine / Avec sa sœur !
Annie / Et la reine d'Angleterre, elle est venue ?
Jo / Elle pourrait. Alors, madame est priée de se la mettre en veilleuse.
Antoine / Ma femme, quand elle mettait la veilleuse, elle m'empêchait de dormir.
Annie / En plus, tu pouvais pas trouver un autre nom ! «Aux amis du Carrefour !» C'est un nom de bar, ça ? Y'a jamais personne dans l'carrefour !
Jo / Comment que t'aurais voulu qu'on l'appelle ? «Aux amis du cimetière !» On est juste à côté.
Annie / On aurait pu choisir un prénom. Ça se fait dans les bars de donner un prénom par exemple : Chez Josette. Ou chez Lucie, on aurait pu mettre mon prénom.
Jo / C'est ça. Et quand on s'appelle Annie, ça fait quoi ?
Antoine / Annie bar !
Annie / (A Antoine) Le verre dans ta tronche, tu l'veux plein ou tu l'veux vide ?
Jo / Aux amis du Carrefour, ça en jette !
Annie / On aurait du l'appeler Jo. Comme toi. Jo Bar !
Antoine / Moi, j'ai une idée pour un nom.
Annie / Toi, tu bois tes trois bières et tu la fermes !
Antoine / (Au public, se parlant à lui-même) On peut rien dire..
Scène 2 / Jo / Annie / Antoine / Boucher
Le boucher entre. Il est du genre allumé. Il parle juste après avoir franchi le seuil.
Boucher / Repentez-vous pêcheurs ! Soûlards ! Assoiffés ! Épongés ! Ivrognes ! Bientôt la colère du Seigneur s’abattra sur vos têtes ! Bientôt, les vapeurs volatiles des boissons démoniaques vous brûleront le foie, l'intestin et le reste de la cervelle ! Réagissez avant qu'il ne soit trop tard ! Sinon, même vos enfants ne vous reconnaîtront plus. .. (Il va au bar) Tu me mets une bière !
Le boucher, Jo et Annie rient de façon assez bruyante. Jo lui sert une bière
Annie / Celui-là, il est impayable.
Boucher / C'est ce qu'on m'dit tout l'temps à la boucherie. (Il rit de ses blagues)
Annie / Tes biftecks, ils devraient être remboursés par la Sécurité Sociale.
Boucher / Dans la boucherie, les clients, faut les faire rêver. Parce que ce qui compte le plus dans la viande, c'est le vendeur.
Jo / Et en c'moment, ça marche comment, les affaires ?
Boucher / C'est moyen.
Jo / Comme nous. Les gens boivent moins. Ce qu'il nous faudrait, c'est une bonne sécheresse. Les sécheresses, ça donne soif.
Boucher / Aujourd'hui, les gens veulent bouffer des plantes. Si ça continue, va falloir que je devienne boucher végétarien. Tous les jours, ça veut des fruit et légumes. Non tout ça c'est politique, y'a les chinois derrière.
Annie / Heureusement, tu n'es pas que boucher.
Boucher / Et correspondant de presse à temps partiel ! Je suis intermittent de la boucherie. Heureusement ! Sinon, je serais mort de faim. Je vais quand même pas bouffer tous mes biftecks.
Antoine / Faut jamais mettre tous ses bœufs dans le même panier !
Boucher / Antoine ! Déjà là !
Antoine / Tous les jours, je viens me ressourcer.
Annie / C'est ça, il vient à la source
Jo...