Avec vue sur la rue

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Un appartement provisoirement désert, dont la fenêtre de la chambre donne sur la rue et sur la banque en face ; c’est ce décor que choisit un couple de truands amateurs pour surveiller les allers et venues des convoyeurs. Ce serait la planque idéale si les huit autres personnages ne déboulaient pas à chaque instant. Du coup, le placard à balai, la penderie et le dessous du lit seront sollicités. Cette comédie en trois actes, riche en rebondissements, en méprises de toute sorte et en personnages pittoresques, fera la joie des spectateurs de tous âges.

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ACTE I

Scène 1

 

La scène est dans la pénombre. La porte d’entrée donnant sur le palier s’ouvre lentement. Paraît la tête de Régis qui s’assure qu’il n’y a personne. Il entre, suivi de Justine pas très à l’aise. Tous deux sont munis d’une torche électrique.

Régis - Personne ! (Il inspecte toutes les pièces et revient au salon, pendant que Justine reste figée devant la porte d’entrée. Il allume la lumière.) Alors, Juju, rassurée ?

Justine - Oui et non ! Et puis ne m’appelle pas toujours Juju, c’est chiant !

Régis - O.K., Titine !

Justine - Titine non plus ! Essaye de m’appeler Justine pour une fois !

Régis - Je vais t’appeler « chérie », ça sera plus simple !

Justine - Tu es sûr que personne ne va rappliquer ?

Régis - Le mec qui crèche ici s’est fait bouler par une bagnole hier, en rentrant chez lui, là-bas, dans la rue.

Justine - Oui, mais il a peut-être une nana… ou des mômes qui vont se pointer dans cinq minutes ?

Régis - Tu n’as pas confiance ? Tu penses bien que j’ai pris des tuyaux. Ce type, c’est un célibataire !

Justine - Qu’est-ce que tu veux ? Moi, je suis une anxieuse.

Régis - Laisse faire le pro. Ce mec, c’est un gars qui écrit des bouquins, des romans. Même que l’an dernier, il a failli gagner le concours.

Justine - Le concours ? Le concours de quoi ?

Régis - Ben… le concours des bouquins, quoi !

Justine - Il s’appelle comment ?

Régis - Attends… Castelnau ! Oui, c’est ça : Florent Castelnau !

Justine - Florent Castelnau ? Tu ne pouvais pas le dire plus tôt ? J’adore ses bouquins !

Régis - Tu le connais ?

Justine - Pas personnellement, bien sûr, mais j’aurais tellement aimé qu’il me dédicace son dernier roman…

Régis - Eh bien, ne te plains pas, au lieu d’avoir son autographe, t’as son appart.

Justine - Justement, c’est ce qui ne me plaît pas. Je ne voudrais pas lui faire de la peine.

Régis - Parce qu’il a participé à un concours ?

Justine - Mais non, pas un concours… le Goncourt !

Régis - En tout cas, maintenant qu’on est là, on y reste ! Déjà que ce n’est pas facile de se faufiler sans se faire voir de la concierge !

Justine - C’est qu’elle n’a pas l’air commode la vieille !

Régis - Pendant « Questions pour un champion », elle est scotchée devant sa téloche ! Après un tremblement de terre, même sous les gravats, elle regarderait encore son Julien Lepers !

Justine - Et ça va durer longtemps cette planque ?

Régis - Il faudra bien au moins trois ou quatre jours pour repérer les habitudes de la banque.

Justine - Quatre jours ?

Régis - Viens voir dans la chambre, la fenêtre donne pile en face. (Ils vont dans la chambre.) Regarde !

Justine - Je le sens pas ce coup !

Régis - Laisse faire. Dès qu’on a les renseignements, on s’casse ! Et dans quatre jours, avec Lulu, on braque les convoyeurs.

Justine - Depuis que tu connais ce Lulu, tu n’es plus toi-même. Tu penses tout comme lui, tu fais tout comme lui…

Régis (tendre) - C’est que je veux te trouver un joli petit nid douillet pour qu’on y roucoule tous les deux. C’est pas avec mon chômage que…

Justine - En fait de nid, pauvres tourtereaux, on risque de trouver une cage !

Régis - Ah ! ce que tu peux être pessimiste ! Tiens, aide-moi à déballer cette merveille. (Il installe une longue-vue qu’il oriente devant la fenêtre.) Regarde-moi ce bijou ! (Il la règle.) Viens voir, on distingue même les boutons sur la gueule du jeune stagiaire à la caisse.

Justine - Et il va falloir passer quatre jours l’œil collé à cet engin ?

Régis (rassurant) - Mais non ! Ils transfèrent le fric le soir, vers neuf heures, ou des fois le matin vers huit heures. Après ou avant l’ouverture de la boîte, quoi ! C’est juste dans ces périodes qu’il faut mater.

Justine - Dis, Régis, on pourrait encore renoncer…

Régis - Chérie, Lulu ne serait pas content ! Et puis c’est moi qui ai eu l’idée de planquer avec une longue-vue, alors…

Justine (résignée) - Evidemment, si Lulu n’est pas content…

Régis - Bon, c’est pas tout ça mais je file ! Il faut que je sorte avant la fin de « Questions pour un champion ».

Justine - Mais je vais être toute seule ?!

Régis - Ecoute, tu ne vas pas recommencer ! Tu devras surveiller, ce soir. Je serai de retour dans la nuit, vers deux ou trois heures. (Justine fait mine de le retenir. Il l’embrasse et se sauve.)

Justine - Mon dieu ! Dans quel pétrin s’est-il encore fourré ? Il n’a pas compris que même sans argent, c’est lui que j’aime. (Elle va de pièce en pièce et apprécie le confort.) C’est bien d’être un romancier à succès, on ne se refuse rien ! (Elle continue à explorer.) Moi, j’aime bien ses bouquins. Je ne comprends pas tout mais ils me font rêver !

La clé tourne dans la porte d’entrée. Après quelques hésitations, Justine se précipite dans le placard à balais. Celui-ci s’ouvre vers le public, de sorte qu’on peut voir la personne à l’intérieur quand elle entrebâille la porte, hormis les autres acteurs.

 

 

 

Scène 2

 

Entrée de Mme Pichon, la concierge ; c’est une maniaque du ménage.

Mme Pichon - Pas de veine ! Ma pauvre télé que j’ai depuis au moins… vingt ans, est tombée en panne. Du coup, je viens voir la fin de « Questions pour un champion » ici ! (Elle cherche des yeux un éventuel téléviseur. Puis, surprise.) Où est-ce qu’elle est sa télé ? Peut-être dans la chambre, il doit être comme mon beau-frère : il la regarde au lit. (Elle passe la tête par la porte de la chambre, coup d’œil circulaire.) Y’en n’a pas là non plus ! Peut-être à la cuisine ? (Elle s’arrête sur le seuil de la cuisine.) Eh ben, non, pas de télé. C’est bien ma veine ! Pour pas avoir la télé, faut pas être normal ! (Au public.) Par contre, on voit bien qu’on est chez un célibataire. Y’a là toutes les assiettes de la semaine. A chaque repas, il trouve un p’tit coin de libre. C’est bien simple, il fait le tour de la table. Et même que vu d’ici, je pourrais dire ce qu’il a mangé à chaque fois. Enfin, on ne pourra pas dire que je me suis déplacée pour rien, je vais lui faire sa vaisselle.

Elle entre dans la cuisine et on l’entend remuer les assiettes, verres, etc., tout en donnant ses impressions. Pendant ce temps, la porte du placard à balais s’entrouvre et se referme à chaque fois que Justine croît que Mme Pichon revient.

Justine (s’épongeant) - Il ne manquait plus que ça ! (Un temps.) Mais elle ne va pas bientôt s’en aller ?!

Mme Pichon revient.

Mme Pichon - C’est pas parce que M. Florent se retrouve à l’hosto qu’on va laisser sa maison en désordre. Ah ! c’est qu’il est bien gentil M. Florent !… Toujours un mot aimable… Si je me rappelle bien, c’est là qu’il range son aspirateur. (Elle essaie d’ouvrir la porte du placard à balais qui lui résiste.) Qu’est-ce que c’est que cette saleté de porte qui veut pas s’ouvrir ? Ah non, c’est coincé ! Je ne peux tout de même pas arracher la poignée… Ça doit être ce temps humide. Le bois a dû gonfler. (Elle se dirige vers la chambre.) Bon, eh bien, je vais épousseter ! (Elle tombe en arrêt sur la longue-vue.) Ben v’là autre chose ! Qu’est-ce que c’est que cet engin ? C’est-y pour regarder les étoiles ?… (Elle regarde par la longue-vue qu’elle a déréglée en la manipulant.) Tiens donc ! Je suis tombée pile sur la salle de bains de la p’tite d’en face. Ça s’rait-y son étoile par hasard ? Ah ! jeunesse ! (Elle quitte l’objet et ouvre la porte de la salle de bains.) Eh ben, c’est pas mieux qu’à la cuisine !

Elle entre dans la salle de bains. Bruits de ménage.

Justine risque une tête hors du placard.

Justine - Ah ! je le retiens Régis avec son appartement vide ! (Elle sort et se dirige avec précaution vers la chambre.) Le temps que cette brave femme s’occupe de la salle de bains, je récupère la lunette et je file ! (Elle passe la porte de la chambre et se ravise.) Finalement, je ferais mieux de la laisser là. Elle ne comprendrait pas sa disparition.

 

 

 

Scène 3

 

La porte d’entrée s’ouvre et paraît Claire.

Claire - Tiens, c’était ouvert ? (A la cantonade.) Il y a quelqu’un ? Peut-être à la cuisine… (Elle y entre.)

Pendant un court instant, Justine reste pétrifiée dans la chambre.

Justine - Ça y est, je suis coincée ! A moins que… (Elle se réfugie dans la penderie.)

Paraît Mme Pichon à la porte de la salle de bains.

Mme Pichon - Y’a quelqu’un qu’a causé ? (Silence.) Voilà que j’entends des voix comme Jeanne d’Arc !

Claire, sortant de la cuisine, se présente à la porte de la chambre.

Claire - Bonjour madame !

Mme Pichon - Bonjour ! Je me disais bien aussi qu’j’avais entendu causer.

Claire - J’étais surprise de trouver la porte ouverte. Du coup, je n’ai pas eu besoin de mes clés.

Mme Pichon (méfiante) - Et qui qu’vous êtes pour avoir les clés de M. Florent ? Il est pas marié que je sache !

Claire - Marié, lui ? Oh ! ça ne risque pas !

Mme Pichon - Parce que ici, dans cet immeuble, rien que des gens mariés ou célibataires. La propriétaire veut pas de couples illégitimes. Pas de concubins et tout le saint-frusquin. (Tête de Claire.) De toute façon, j’y veille. Ici, nous sommes une maison sérieuse ! (Elle revient au salon.)

Claire (au public) - Florent m’avait prévenu que la concierge était redoutable et je vois qu’il n’avait pas exagéré. (Elle rejoint Mme Pichon.) Je suis sa… sœur ! Voilà, je suis sa sœur. (Au public.) Tant pis pour le mensonge.

Mme Pichon - J’aime mieux ça ! (Soupçonneuse.) Mais j’y songe… Il m’a dit un jour qu’il était fils unique.

Claire (prise de court) - Euh… oui, c’est ça… il est… fils unique… (Elle cherche une réponse.) Enfin… Disons qu’il est le seul garçon de la famille. (Au public.) Ouf !

Mme Pichon (curieuse) - Et, des sœurs, il en a beaucoup ?

Claire - Euh… trois… non, quatre !

Mme Pichon - C’est trois ou quatre ? Vous devez bien le savoir !

Claire (hésitante) - Quatre !… Oui… Trois autres sœurs et moi, ça fait quatre !

Mme Pichon - J’étais venue en voisine pour lui faire un peu de ménage. Mais je n’ai pas pu sortir l’aspirateur de cette saleté de placard. Vous ne voulez pas essayer, vous ?

Claire va au placard qu’elle ouvre très facilement.

Claire - Voilà !

Mme Pichon (médusée) - Mais comment qu’vous avez fait ? Moi, j’ai tiré dessus comme une forcenée et y’avait pas moyen !

Claire - Quelque chose qui se sera coincé, certainement.

Mme Pichon - Ça doit être ça ! (Un temps.) Alors, votre frère, comment il va ?

Claire (surprise) - Mon frère ?… Mon frère ? (Réalisant.) Ah oui, mon frère ! Enfin… Florent ?

Mme Pichon - Ben oui ! Si vous n’en avez qu’un, vous ne pouvez pas vous tromper !

Claire - Il arrive !

Mme Pichon - Déjà ? Mais il s’est cassé...

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