ACTE I
Une salle de bain. Une baignoire, un meuble avec un lavabo, une coiffeuse, une penderie, une commode et deux chaises.
La pièce nécessite encore quelques travaux d'aménagement.
Au lever du rideau, Amélie récupère dans le lavabo deux coupes de champagne.
Amélie - Tu m'as fait un cadeau royal ! J'avais cassé tout mon service à coupes, ça tombe bien ! Elles sont fines, elles vont pouvoir servir pour Noël, dans quelques jours.
Gaby (voix off) - Que dis-tu ?
Amélie (fort) - J'apprécie.
Gaby entre, dans un élégant tailleur. Elle tourne sur elle-même.
Gaby - Alors ? Le verdict ?
Amélie - Tu es classe ! Je vais même te dire, il t'amincit !
Gaby - Ton compliment me va droit au cœur.
Amélie essuie les coupes avec un torchon.
Amélie - Des coupes en cristal, tu m'as gâtée ! C'est trop !
Gaby - C'est du verre blanc.
Amélie - On jurerait pourtant que… Sans mes lunettes, je ne distingue pas grand-chose.
Gaby - J'avais un choix à faire, mes finances ne sont pas brillantes. Le tailleur chic ou les coupes de champagne en pur cristal. J'ai opté pour le tailleur chic et des coupes ordinaires.
Amélie - Merci tout de même.
Gaby - Je te taquine. J'ai gagné ces coupes dans un jeu radiophonique, ce n'est pas un cadeau. J'aimerais que tu m'expliques pourquoi tu les nettoies dans le lavabo de la salle de bain ?
Amélie - Il est à moitié bouché tandis que celui de la cuisine, totalement ! J'attends Martine pour un dépannage !
Gaby - Martine, ta copine bricoleuse ? La plombière ? Un drôle de personnage ! Remarque, elle tombe à pic ! On va pouvoir s'organiser pour le repas du réveillon !
Amélie - Si on se déguisait ? Ça serait super !
Gaby - Ne compte pas sur moi, je déteste !
Amélie - Tu peux faire un effort, dis !
Gaby - J'ai suffisamment été ridicule dans ma vie pour ne pas en ajouter une couche, transformée en personnage d'Halloween !
Amélie - A propos de déguisement, tu es au courant que ton fils passe à la télé ? Dans une pub, auprès d'un phoque ! Il est excellent !
Gaby - Le phoque ? D'abord, ce n'est pas un phoque mais un pingouin ! On voit Eric dix secondes ! Il n'a pas dû toucher le pactole !
Amélie - Il a un talent fou ! Je suis sûre qu'un jour, il percera !
Gaby - Il collectionne les rôles obscurs. Moi je te le dis, pour percer et être riche, à part le braquage d'une banque, je ne vois pas. Enfin…
Amélie - Tu dopes son moral, c'est bien.
Martine (voix off) - Y a quelqu'un ?
Amélie (rieuse) - Tiens ! En voilà une qui perce... avec son chalumeau ! C'est Martine ! (Fort.) Dans la salle de bain, tout au bout du couloir !
Martine entre en salopette.
Martine - Salut ma vieille !
Amélie - Bravo ! T'es pas en retard, tu progresses !
Martine - Attends, mon rendez-vous avant toi a été annulé. Le type, pas gêné, il se décommande un quart d'heure avant ! Je te jure, il y a des spécimens ! (A Gaby.) La grande sœur est là aussi ! Quelle bonne surprise !
Gaby - Une autre de taille... vous sentez le poisson !
Martine - Mon astrologue me dit souvent la même chose !
Gaby - Quel humour !
Martine - Faut bien rire !... Je viens de passer deux heures à réparer un congélateur en panne, dans une poissonnerie ! Ça laisse des traces odorantes ! (A Amélie.) Tu récupères une grande salle de bain ! (Elle tape au mur.) Ça a l'air solide ! Il date de quand l'immeuble ?
Amélie - Tu m'en demandes trop !
Martine - Alors toi, tu achètes n'importe quoi du moment que tu récupères un plancher et quatre murs ! Ah ! les nanas d'aujourd'hui, vous marchez à la confiance !
Amélie - Je vais t'expliquer les travaux dont j'ai besoin.
Martine - T'inquiète ! Je prends en charge la complète rénovation de ton intérieur. Mes ouvriers vont te le bichonner, ton appartement. Tu vas récupérer un vrai petit nid d'amour !
On tambourine à la porte.
Gaby - Un vrai petit nid d'amour bruyant !
Amélie - C'est la première fois que…
Nouveaux bruits.
Gaby - Je crois que quelqu'un s'énerve sur ta porte d'entrée !
Martine - Mon neveu ! Je l'avais complètement oublié !
Gaby - Antoine vous accompagne ?
Martine - Hier au soir, il était tellement mal dans sa peau que, pour lui changer les idées, je lui ai proposé de m'accompagner dans ma tournée.
Amélie - C'est fou ! Il n'arrive pas à se remettre d'avoir été plaqué par cette Sophie vraiment antipathique !
Martine - Attendez la meilleure ! L'Antoine s'est fait jeter, il y a trois jours, de son agence immobilière. Il était trop performant... Une vente en quatre mois ! Une seule !
Gaby - C'est bizarre, il attire toujours les déconfitures ce garçon.
Amélie - Antoine est très doué, mais on se demande encore pour quoi !
Martine - Moi, je me pose une vraie question... Une seule vente en quatre mois, une seule ! Un appartement ! Alors j'aimerais bien connaître la bobine du gros nul qui s'est fait posséder par lui ! Il doit mériter le détour !
Gaby - Une médaille !
Gaby et Martine sont hilares, Amélie plutôt vexée.
Amélie - Il n'y a pas des kilomètres à parcourir, c'est moi !
Martine - Toi ? Antoine a réussi à te convaincre, toi ? Tu étais sous hypnose ?
Amélie - Me convaincre, pas vraiment. Le temps de la visite, il ne me soulignait que les défauts des lieux… Sa conscience professionnelle qui l'obligeait à tout dire, paraît-il. Mais j'ai eu le coup de foudre ! Pour l'ensemble ! Le papier peint du salon, j'adore ! Comme ils ont accepté de baisser le prix, j'ai foncé !
Gaby - J'ai compris ! Tu as foncé dans le décor ! Enfin, ça te regarde !
Amélie - Je vais beaucoup me plaire dans ce lieu, je le sens !
Gaby - En attendant, le pauvre Antoine doit avoir le moral à zéro !
Martine - Le problème avec lui, il est toujours malheureux !
Gaby - A poireauter derrière la porte, ça ne va pas l'arranger !
Martine - Oh, putain !
Martine se précipite vers l'extérieur.
Gaby - Comme elle s'exprime parfois, je ne supporte pas !
Amélie - A ce tarif-là, ma chère sœur, il ne faut plus mettre un pied dans la rue ! La trivialité règne en maître !
Antoine apparaît. Il est grand, un air déprimé permanent. Il soupire fréquemment.
Antoine (sinistre) - 'Jour ! 'Jour à tous !
Amélie - Comment va notre Antoine ? Tu vois, j'emménage !
Antoine - Déjà le palier, très sympa ! Il manque peut-être un banc pour patienter !
Gaby - C'est la grande forme ?
Antoine - Pas vraiment ! Je vais tout doux, tout doux ! Je prends des médicaments qui m'abrutissent un peu... (Découvrant un mini faux sapin.) Oh !
Gaby - Qu'y a-t-il ?
Antoine - Le petit sapin, comme il est beau ! Je ne sais pas si vous savez, Paulette est née dans les Vosges, en pleine forêt de sapins ! Elle m'en parlait tout le temps !
Gaby - Ne vous souciez pas Antoine , un jour très lointain, Paulette retrouvera autour d'elle le bois de sapins qu'elle affectionne ! (Réalisant.) Qu'est-ce que je raconte, moi ?
Amélie - Bon ! J'ai mis une Veuve au frais pour fêter mon installation ! Martine, tu m'accompagnes en cuisine, tu vas me faire des suggestions sur les travaux à effectuer.
Martine - Du papier, un crayon et mon centimètre ! Je te suis, ma fille !
Amélie et Martine sortent.
Antoine - Cette baignoire est très jolie.
Gaby - C'est une baignoire.
Antoine - Très confortable ! Chez moi, il y a une baignoire mais vraiment étroite ! Vous croyez que je peux l'essayer ?
Gaby - Pardon ?
Antoine - J'ai envie de prendre un bain.
Gaby - Là ? Tout de suite ? En direct ?
Antoine - Vous pouvez rester ! Vous pourrez me frotter le dos, j'adore ça !
Amélie réapparaît avec une bouteille de champagne. Elle essuie deux nouvelles coupes et les rajoute aux autres sur un plateau.
Gaby - Tu comptes trinquer dans la salle de bain ?
Amélie - Où est le problème ? Tu as vu l'encombrement des autres pièces ?
Gaby - Tu reçois dans de bonnes conditions.
Amélie - Arrête d'être snob ! On vient de découvrir une fuite dans les cabinets. Toutes les deux, on éponge, on s'éclate !
Amélie sort.
Antoine - Ça va prendre du temps ! Vous aimez le champagne ? Ça fait un bien fou ! Paulette en raffolait aussi ! Avec beaucoup de cassis au fond ! (Dans un sanglot.) Elle me manque énormément, ma petite Paulette !
Gaby - Stop, Antoine ! Stop, je fatigue ! On fatigue tous ! Ne le prenez pas mal, mais cette Paulette plutôt odieuse, personne ne pouvait la supporter sauf vous ! Et puis, excusez-moi, mais votre amie Paulette, avec un nom pareil, cela aurait dû vous mettre en garde ! On ne sort pas avec une Paulette ! Ça ne mène nulle part !
Antoine - Ah bon ?
Gaby - Une personne qui s'exprime avec un cheveu, on comprend "pauvrette", "paupiette"… C'est l'horreur, non ? Vous ne trouvez pas ?
Antoine - Je ne sais pas, Paulette était végétarienne !
Gaby - Oui, bon, en tout cas, il faut absolument la sortir de votre tête ! Elle n'a plus sa place !
Antoine - C'est très dur !
Gaby - Je suis persuadée qu'il y a plein de jolies femmes autour de vous que vous ne remarquez pas. Ouvrez les yeux !
Antoine - Je ne peux pas, ils sont toujours embués !
Gaby - Achetez des essuie-glaces !
Antoine - On… On ne peut pas commencer à boire sans eux ?
Gaby - Non.
Antoine - Vraiment non ?
Gaby - Non !
Antoine - Eux ils épongent et nous on crève de soif !
Gaby (soupire puis se...