Barberine

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Barberine raconte l’histoire d’un jeune homme, Ernest, qui tombe éperdument amoureux de Barberine, une jeune fille du village. Cependant, Barberine est promise à un autre homme, et leur amour semble condamné dès le départ. L’histoire explore les thèmes de l’amour contrarié, de la passion, et des conséquences de choix amoureux. Musset était un auteur majeur du mouvement romantique en France, et ses oeuvres sont souvent caractérisées par une exploration profonde des émotions, de la passion et de l’amour.

ACTE PREMIER

Une route devant une hôtellerie. — Un château gothique au fond, dans les montagnes.

Scène première

ROSEMBERG, L’HÔTELIER.
Rosemberg

Comment ! point de logis pour moi ! point d’écurie pour mes chevaux ! une grange ! une misérable grange !

L’hôtelier

J’en suis bien désolé, monsieur.

Rosemberg

À qui parles-tu, par hasard ?

L’hôtelier

Excusez-moi, mon beau jeune seigneur. Si cela ne dépendait que de ma volonté, toute ma pauvre maison serait bien à votre service ; — mais vous n’ignorez pas que cette hôtellerie est sur la route d’Albe Royale, l’auguste séjour de nos Rois, où, depuis un temps immémorial, on les couronne et on les enterre.

Rosemberg

Je le sais bien, puisque j’y vais !

L’hôtelier

Bonté du ciel ! vous allez faire la guerre ?

Rosemberg

Adresse tes questions à mes palefreniers, et songe à me donner tout d’abord la meilleure chambre de ton vilain taudis.

L’hôtelier

Hé ! monseigneur, c’est impossible ! il y a au premier quatre barons moraves, au second, une dame de la Transylvanie, et au troisième, dans une petite chambre, un comte bohémien, monseigneur, avec sa femme qui est bien jolie !

Rosemberg

Mets-les à la porte.

L’hôtelier

Ah ! mon cher seigneur, vous ne voudriez pas être la cause de la ruine d’un pauvre homme. Depuis que nous sommes en guerre avec les Turcs, si vous saviez le monde qui passe par ici !

Rosemberg

Eh ! que m’importe ces gens-là ? dis-leur que je me nomme Astolphe de Rosemberg.

L’hôtelier

Cela se peut bien, monseigneur, mais ce n’est pas une raison…

Rosemberg

Tu fais l’insolent, je suppose. Si je lève une fois ma cravache…

L’hôtelier

Ce n’est pas l’action d’un gentilhomme de maltraiter les honnêtes gens.

Rosemberg, le menaçant.

Ah ! tu raisonnes ?… Je t’apprendrai…

Scène II

Les Mêmes. Quelques valets accourent.
LE CHEVALIER ULADISLAS sort de l’hôtellerie.
Le chevalier, sur le pas de la porte.

Qu’est-ce, messieurs ? Qu’y a-t-il donc ?

L’hôtelier

Je vous prends à témoin, monsieur le chevalier. Ce jeune seigneur me cherche querelle, parce que mon hôtellerie est pleine.

Rosemberg

Je te cherche querelle, manant ! Querelle… à un homme de ton espèce ?

L’hôtelier

Un homme, monsieur, de quelque espèce qu’il soit, a toujours une espèce de dos, et si on vient lui administrer une espèce de coup de bâton…

Le chevalier, s’avançant, à l’hôtelier.

Ne te fâche pas, ne t’effraye pas ; je vais accommoder les choses.

À Rosemberg.

Seigneur, je vous salue. Vous allez à la cour du roi de Hongrie ?

L’hôtelier et les valets se retirent.
Rosemberg

Oui, chevalier, c’est mon début, et je suis fort pressé d’arriver.

Le chevalier

Et vous vous plaignez, à ce que je vois, de trouver la route encombrée.

Rosemberg

Mais oui, cela ne m’amuse pas.

Le chevalier

Il est vrai que cette petite affaire, que nous avons avec les mécréants, nous attire à la cour un fort gros flot de monde. Il est peu de gens de cœur qui ne veuillent s’en mêler, et moi-même j’y ai pris part. C’est ce qui rend nos abords difficiles.

Rosemberg

Oh ! mon Dieu ! je ne comptais pas rester longtemps dans cette masure. C’est le ton de ce drôle qui m’a irrité.

Le chevalier

S’il en est ainsi, seigneur…

Rosemberg

Rosemberg.

Le chevalier

Seigneur Rosemberg, on me nomme le chevalier Uladislas. Il ne m’appartient pas de faire mon propre éloge, mais pour peu que vous soyez instruit de ce qui se fait dans nos armées, mon nom doit vous être connu. Le vôtre ne m’est pas nouveau, j’ai vu des Rosemberg à Baden.

Rosemberg salue.

Si donc vous n’êtes ici qu’en passant…

Rosemberg

Oui, seulement pour déjeuner, et faire rafraîchir les chevaux.

Le chevalier

J’étais à table, et je mangeais un excellent poisson du lac Balaton, lorsque le bruit de votre voix est venu frapper mes oreilles. Si le voisinage de mes hommes d’armes et la compagnie d’un vieux capitaine ne sont pas choses qui vous épouvantent, je vous offre de grand cœur une place à notre repas.

Rosemberg

J’accepte votre offre avec empressement, et je le tiens à grand honneur.

Le chevalier

Veuillez donc entrer, je vous prie. Un bon plat cuit à point est comme une jolie femme ; cela n’attend pas.

Rosemberg

Je le sais bien. Peste ! à propos de jolie femme…

Ulric et Barberine entrent par une autre porte de l’auberge.

Il me semble qu’en voilà une…

Le chevalier

Vous n’avez pas mauvais goût, jeune homme.

Rosemberg

À moins d’être aveugle… La connaissez-vous ?

Le chevalier

Si je la connais ? Assurément. C’est la femme d’un gentilhomme bohémien. Venez, venez, je vous conterai cela.

Ils entrent dans la maison.

Scène III

ULRIC, BARBERINE.
Barberine

Il faut donc vous quitter ici !

Ulric

Pour peu de temps ; je reviendrai bientôt.

Barberine

Il faut donc vous laisser partir, et retourner dans ce vieux château, où je suis si seule à vous attendre !

Ulric

Je vais voir votre oncle, ma chère. Pourquoi cette tristesse aujourd’hui ?

Barberine

C’est à vous qu’il faut le demander. Vous reviendrez bientôt, dites-vous ? S’il en est ainsi, je ne suis pas triste. Mais ne l’êtes-vous pas vous-même ?

Ulric

Quand le ciel est ainsi chargé de pluie et de brouillard, je ne sais que devenir.

Barberine

Mon cher seigneur, je vous demande une grâce.

Ulric

Quel hiver ! quel hiver s’apprête ! quels chemins ! quel temps ! la nature se resserre en frissonnant, comme si tout ce qui vit allait mourir.

Barberine

Je vous prie d’abord de m’écouter, et en second lieu de me faire une grâce.

Ulric

Que veux-tu, mon âme ? pardonne-moi ; je ne sais ce que j’ai aujourd’hui.

Barberine

Ni moi non plus, je ne sais ce que tu as, et la grâce que vous me ferez, Ulric, c’est de le dire à votre femme.

Ulric

Eh ! mon Dieu ! non, je n’ai rien à te dire, aucun secret.

Barberine

Je ne suis pas une Portia ; je ne me ferai pas une piqûre d’épingle pour prouver que je suis courageuse. Mais tu n’es pas non plus un Brutus, et tu n’as pas envie de tuer notre bon roi Mathias Corvin. Écoute, il n’y aura pas pour cela de grandes paroles, ni de serments, ni même besoin de me mettre à genoux. Tu as du chagrin. Viens près de moi ; voici ma main, — c’est le vrai chemin de mon cœur, et le tien y viendra si je l’appelle.

Ulric

Comme tu me le demandes naïvement, je te répondrai de même. Ton père n’était pas riche ; le mien l’était, mais il a dissipé ses biens. Nous voilà tous deux, mariés bien jeunes, et nous possédons de grands titres, mais bien peu avec. Je me chagrine de n’avoir pas de quoi te rendre heureuse et riche, comme Dieu t’a rendue bonne et belle. Notre revenu est si médiocre ! et cependant je ne veux pas l’augmenter en laissant pâtir nos fermiers. Ils ne payeront jamais, de mon vivant, plus qu’ils ne payaient à mon père. Je pense à me mettre au service du Roi, et à aller à la cour.

Barberine

C’est en effet un bon parti à prendre. Le Roi n’a jamais mal reçu un gentilhomme de mérite ; la fortune ne se fait point attendre de lui quand on te ressemble.

Ulric

C’est vrai ; mais si je pars, il faut que je te laisse ici ; car pour quitter cette maison où nous vivons à si grand’peine, il faut être sûr de pouvoir vivre ailleurs, et je ne puis me décider à te laisser seule.

Barberine

Pourquoi ?

Ulric

Tu me demandes pourquoi ? et que fais-tu donc maintenant ? ne viens-tu pas de m’arracher un secret que j’avais résolu de cacher ? et que t’a-t-il fallu pour cela ? un sourire.

Barberine

Tu es jaloux ?

Ulric

Non, mon amour, mais vous êtes belle. Que feras-tu si je m’en vais ? tous les seigneurs des environs ne vont-ils pas rôder par les chemins ? et moi, qui m’en irai si loin courir après une ombre, ne perdrai-je pas le sommeil ? Ah ! Barberine, loin des yeux, loin du cœur.

Barberine

Écoute ; Dieu m’est témoin que je me contenterais toute ma vie de ce vieux château et du peu de terres que nous avons, s’il te plaisait d’y vivre avec moi. Je me lève, je vais à l’office, à la basse-cour, je prépare ton repas, je t’accompagne à l’église, je te lis une page, je couds une aiguillée, et je m’endors contente sur ton cœur.

Ulric

Ange que tu es !

Barberine

Je suis un ange, mais un ange femme ; c’est-à-dire que si j’avais une paire de chevaux, nous irions avec à la messe. Je ne serais pas fâchée non plus que mon bonnet fût doré, que ma jupe fût moins courte, et que cela fît enrager les voisins. Je t’assure que rien ne nous rend légères, nous autres, comme une douzaine d’aunes de velours qui nous traînent derrière les pieds.

Ulric

Eh bien donc ?

Barberine

Eh bien donc ! le roi Mathias ne peut manquer de te bien recevoir, ni toi de faire fortune à sa cour. Je te conseille d’y aller. Si je ne peux pas t’y suivre, — eh bien ! comme je t’ai tendu tout à l’heure une main pour te demander le secret de ton cœur, ainsi, Ulric, je te la tends encore, et je te jure que je te serai fidèle.

Ulric

Voici la mienne.

Barberine

Celui qui sait aimer peut seul savoir combien on l’aime. Fais seller ton cheval. Pars seul, et toutes les fois que tu douteras de ta femme, pense que ta femme est assise à ta porte, qu’elle...

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