Bas les masques

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Tout démarre par un vaudeville des plus classiques muni de ses ressorts coutumiers : le mari trompé, la femme aux multiples atouts, l’amant dans le placard ainsi que le témoin gênant…
Mais une fois le rideau tombé, que se passe-t-il réellement ? Qui sont véritablement ces comédiens qui se dissimulent derrière le masque ?
Une annonce dramatique va forcer chaque acteur à se remettre en question et réaliser qu’ils n’ont certainement pas pour seul point commun leur passion théâtrale… Et si tout ceci cachait une autre réalité ?

Liste des personnages (5)

JacquesHomme • Adulte
Comédien alias Philippe, le mari
SylvieFemme • Adulte
Comédienne alias Alicia, la femme
AlexisHomme • Adulte
Comédien alias Manuel, l'amant
HugoHomme • Jeune adulte
Comédien alias Boris, le témoin
MarianneFemme • Adulte
La menteuse en scène

Décor (1)

Décor telle une scène de théâtrePour le plan de feu, se compose comme suit : côté cour, on retrouve en avant-scène une fenêtre ainsi qu'une première porte donnant sur le couloir de sortie, puis en profondeur se situe la seconde porte, celle de la salle de bain et à sa gauche un petit guéridon. Côté jardin, sont disposés sur l'avant scène un secrétaire ainsi qu'une chaise, et au fond un placard avec à sa droite un psyché. Enfin trône sur le centre de l'espace scènique un vaste lit conjugal avec au dessus, un tableau d'art moderne figuratif.

SCÈNE 1

Noir complet. Les trois coups suivis du jingle " Tea for two ". On entend des petits hurlements sourds provenant du centre de la scène. La lumière survient alors côté cour, où une porte s'ouvre laissant entrevoir la silhouette d'un homme trapus d'une cinquantaine d'années. Celui-ci se positionne sur le proscenium face public en se servant un verre de scotch, muni d'une malice dans le regard qui implique que le spectateur est supposé être son " complice ". On peut constater au centre de la scène un tableau d'art moderne figuratif d'un couple croquant une pomme, allégorie du pêché originel.

PHILIPPE - Mais oui, Chérie ! Cesse de crier comme ça, j'arrive. Tu risques de faire croire à nos voisins que nous avons toujours une vie sexuelle épanouie.

Après avoir plusieurs fois constaté l'énorme bosse du lit conjugal, suggérant l'impensable tromperie de son épouse, Philippe se rapproche à pas de loups puis soulève d'un coup sec le drapée qui vole en éclat, laissant visualiser un couple entrelacé. La femme à la chevelure totalement ébourriffée est en nuisette coquine tandis que l'homme est lui accoutré de son bleu de travail tâcheté de traces d'huile de moteur. Il ne semble pas en mener bien large dans cette situation.

PHILIPPE – Misécorde ! Sortez de mon pieu, sale petit vaurien ! Comment osez-vous ?
( Balançant le jeune mécano hors du lit du pêché, puis secouant sa dulcinée ) Et toi ? Ma chère, ma douce. Que vois-je ? Comment peux tu me faire ça à moi ? Ton mari ? C'est un comble ! C'est décidé, je divorce !

ALICIA – Hein ? Qu'est ce que ? Je..... ( peine à balbutier la jeune femme avant de rejoindre Morphée .... )

PHILIPPE - ( S'approchant du corps de son épouse et la reniflant, puis s'adressant à Boris ) Mais qu'est ce que vous lui avez donné ? De l'alcool ? Je vous avais seulement prescrit un excitant ?

BORIS ( hébêté avec un accent portugais en agitant la flasque de scotch vide ) - Bah oui ! Il fallait bien le passer avec quelque chose ! Et dans l'eau, elle aurait vu la supercherie .....

PHILIPPE – Espèce d'incapable ! Vous pouvez m'expliquer comment je m'y prends pour surprendre ma femme en plein adultère si elle est ivre comme une bourrée auvergnate ! Bougre d'andouille !!!

BORIS ( Penaud ) - Je pouvais pas savoir ! Moi juste vouloir argent que vous m'avez promis .... J'ai tout fait comme vous m'avez dit.

PHILIPPE – Sauf que cet argent, je ne l'ai pas. Il est sur un compte bloqué ! Et pour le débloquer, il faut que je divorce, et pour divorcer, il faut que je puisse trouver une raison de la quitter..... elle qui est si désespérément parfaite.... ennuyeuse.... ( Se reprenant ) Mais riche !

BORIS ( Un tantinet pervers en lorgnant le corps endormi d'Alicia ) – Vous oubliez jolie.... Elle est jolie aussi.... Surtout une fois retirée la carrosserie.... Et ses jantes.... ( caressant les jambes de la demoiselle )

PHILIPPE – Non mais c'est de ma femme dont vous parlez ! Et ses jantes....enfin ses jambes, ce 2

sont encore les miennes ! Du moins tant que l'encre sur nos papiers du divorce n'aura pas séchée. Alors ôtez vos sales pattes répugnantes.... ( Scrutant du regard son complice ) Non mais franchement, vous n'auriez pas pu vous laver les mains et changer de tenue ? Vous croyez vraiment que ma femme maniaque à souhait batifolerait dans ses draps satinés avec un homme dans votre état ? Qu'est ce qui m'a pris de vous engager ?

BORIS ( Sûr de lui ) - Je me suis pas changé car j'ai lu dans " Femme Plus " que le garagiste était un des plus grands fantasmes des femmes. J'ai pensé que ça aurait de la gueule quand vous diriez à vos avocats que votre femme avait payé son mécano en nature....

PHILIPPE – Vous dites n'importe quoi ! De plus, ma femme ne conduit pas.... Quant à votre conduite à vous, elle laisse à désirer, vous êtes viré !

À cet instant, on entend les gémissements d'Alicia qui se remet peu à peu à elle. Boris et Philippe se retournent instantanément vers elle. Un long silence traverse la pièce car Boris a une illumination et Philippe, à la lueur qui transparaît sur le visage de son acolyte, pâlit.

BORIS ( En messes basses ) – Tatata ! Si vous me mettez dehors, rien ne m'empêche d'avertir votre femme que vous vouliez la cocufier de force pour sournoisement empocher le magot. ( Rit de lui- même ) Je suis p't-être con, mais certainement pas idiot....

PHILIPPE – Espèce de ....
BORIS – Vous l'aurez voulu ...... Mme Krantz ?

PHILIPPE ( Simulant un mea-culpa ) - Ça va ! Ça va ! J'ai saisi..... Vous êtes réembauché ! Après tout, c'est encore possible.... Mais dépêchez-vous ! Ma femme va se réveiller d'une seconde à l'autre sobre comme un dromadaire, oui car voyez-vous ma femme a finalement un gros défaut, c'est qu'elle supporte très bien l'alcool.... trop même.... Alors prenez une chemise dans ma penderie, enfilez-là et qu'on en finisse.... Je veux divorcer moi ! ( Face public ) Et puis je veux mon argent !

Boris s'exécute, retire prestemment sa salopette pour laisser découvrir un ridicule sweat-shirt avec pour inscription " Avec moi, pas besoin de roue de secours ! " puis s'apprête à ouvrir l'armoire située côté jardin lorsque Alicia reprend pleinement ses esprits.

ALICIA ( Sursautant du lit et s'écriant ) – Non !
BORIS et PHILIPPE ( Simultanément ) - Elle est réveillée ....

PHILIPPE ( S'efforçant de prendre le contrôle de la situation ) - Ma parole, te voilà prête à me fournir une explication ?

ALICIA ( Qui fixe Boris du regard, réalisant son erreur et se ressaisissant ) Non .... Enfin je veux dire.... Non ! ( Changeant de ton dans l'espoir d'inverser les rôles ) Je n'arrive pas à en croire mes esgourdes ! Espèce de fumier ! J'ai tout entendu !

PHILIPPE ( Qui frise l'apoplexie ) - Que .... Quoi .... Que dis tu ?
ALICIA – Ne fais donc pas l'innocent, ça ne te va pas du tout .... Alors comme ça, tu comptais me

faire passer pour une gourgandine dans l'espoir de récupérer ma fortune ? Scélerat ! Et de surcroît tu 3

étais prêt à laisser cet ignoble individu mettre ses pattes pleines de camboui sur moi ? ( Projetant son regard en direction de Boris ) Non mais tu l'as bien regardé ? Qui diable pourrait imaginer qu'une femme de mon rang marivauderait avec cette.... roue de secours usagée ....

BORIS – C'en est trop ! Si c'est pour me faire insulter ainsi, je démissionne.... Et ne comptez pas sur moi pour vous servir de témoin de moralité.... Et puisque c'est ainsi....

Boris, piqué au vif, ouvre violemment l'armoire pour en faire sortir une chemise propre. Les yeux révulsés d'Alicia laissent deviner qu'elle est effrayée par ce que Boris vient de faire. Celui-ci reste la regarder avec insistance. Philippe lui ne voit rien, il est trop préoccupé à chercher un moyen de détourner le problème. Visualisant qu'Alicia reste indifférente, Boris rouvre l'armoire....

ALICIA – Attendez Boris, étant donné l'affront que vous venez de subir, mon mari va vous faire un chèque....

PHILIPPE – Quoi ? Pour quel motif ? Je lui permets de mettre ses sales pattes sur ma femme, à se glisser dans nos draps afin de simuler être ton amant et en plus il faudrait que je le paye pour ne pas t'avoir donné de plaisir ? Je veux bien être cocu, mais pas con-con !

Boris rouvre le placard, on entend un éternuement étouffé....
ALICIA ( Paniquée ) - Donne-lui donc cet argent, espèce de pingre. De toute façon, c'est une

avance sur notre divorce !

PHILIPPE ( Pas dupe ) - C'était quoi ce bruit ? ( Dévisageant Boris )

ALICIA ( Faussement ironique ) - Quel bruit voyons ?

Boris rouvre une nouvelle fois l'armoire .... Un second éternuement se fait entendre.

PHILIPPE – Tiens ! Ce bruit ! On dirait un " Atchoum " !

ALICIA ( Rongeant son frein ) - Ah ça, c'est, c'est ( Suppliant Boris du regard )

BORIS ( Victime d'une illumination cérébrale ) - C'est le chien du voisin !

PHILIPPE ( Clairvoyant ) – Il en a pas !

ALICIA ( À bout d'arguments ) - Oui, mais c'est le bruit qu'il ferait.... Et Boris imite justement à la perfection l'aboiement de ce chien.....

BORIS ( Hilare ) - Oh que oui.... Tenez ! ( Il se met à imiter grotesquement l'aboiement canin qui évidemment, n'a rien de comparable avec les bruits survenus précédemment )

PHILIPPE ( Démasquant la supercherie ) - Ça y est ! Tout est parfaitement limpide.... ( Regard vitreux de Boris, vif d'Alicia ) Vous êtes si complices tous les deux, c'est évident ! .... Vous êtes amants !!!

ALICIA ( Les yeux exorbités de surprise ) - Tu as perdu la raison mon pauvre Philou ! 4

PHILIPPE ( Faussement lucide ) - Ah vraiment ? Et pourquoi donc dans ce cas tenais-tu à ce que je paye ce gigolo ? Quand je pense que je lui ai moi-même demandé de se glisser dans nos draps alors qu'il ne s'en privait pas lorsque j'étais absent.... N'est-ce-pas, dépanno de bas étage ( Il redresse ses manches et s'approche dangereusement de Boris comme s'il s'apprêtait à l'affronter dans un combat ubuesque )

BORIS ( En aparté à Philippe ) - Une minute.... Je suis paumé là moi. C'est toujours pour de faux là votre pseudo rage de jalousie ? .... Car elle me paraît bien réelle....

PHILIPPE ( Voyant rouge, il prend son locuteur par le col ) - Tu vas voir si elle est feinte ma rage, vermine !

BORIS ( Décontenancé et appeuré ) - Ah non ! Non ! Tout ça, moi j'y suis pour rien.... ( Faisant un va-et-vient délibéré de la tête entre Alicia et l'armoire ) Je refuse de me battre pour une femme que je n'ai pas eu le privilège de toucher .....

ALICIA ( Piquée au vif ) - Assez ! Voulez-vous mettre fin immédiatement à cet excès de testostérone ? .... Philippe, tu sais bien qu'il n'y a que toi.... ( Lançant un regard langoureux et l'embrassant, puis mimique écœurée face public )

BORIS – Sont-ils pas mignons tous les deux..... Bon, ben c'est pas que je m'ennuie....
Le calme est enfin revenu. Philippe semble avoir mis de côté son intention de divorcer. Une

sonnerie tonitruante retentit.
PHILIPPE ( Comprenant à demi-son ) - C'est quoi ça encore ? ALICIA ( Affolée ) - .... Euh .... Tu as entendu quelque chose ? PHILIPPE – Oui... Comme une alerte me signifiant : " COCU ! "

BORIS – Si je puis me permettre.... ( Désignant la fenêtre ) Vous me croiriez si je vous affirmais que c'est le hululement d'une chouette égarée dehors..... ( Moue dubitative de l'intéressé ) Très bien, alors je ne le vous dis pas !

ALICIA – Mon chéri, je t'ai déjà certifié qu'il n'y avait rien entre moi et Boris.... Dites-lui vous ! BORIS – Oh que non ! Moi je ne dis plus rien ! Je suis peut-être maso mais pas sado !

Tension palpable dans la pièce, Philippe regarde instamment Alicia qui tremble comme une feuille, il s'approche du placard occupant les pensées de son épouse puis se ravise en s'employant à vérifier si un amant se cache sous le lit conjugal. Soulagement d'Alicia.

PHILIPPE ( Se munissant d'un balai ) – Prends garde à toi cafard si te caches là-dessous !!!

Philippe se met à quatre pattes pour chercher sa proie. Pendant ce temps, Alicia se précipite vers l'armoire où se dissimulait un éphèbe quasiment nu sous la consternation feinte de Boris, qui s'amuse à bloquer l'espace du bas du lit empêchant Philippe de faire marche arrière. Parallèlement, Alicia et Manuel s'approchent de la porte menant au couloir....

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BORIS ( Moqueur, à Philippe ) - Alors, y'a quelqu'un ?

MANUEL ( À Alicia ) - C'est fermé !

BORIS ( Triomphal, à Alicia qui le fixe ) - Ça je le sais bien.... c'est moi qui ai la clé !!!!

PHILIPPE ( À bout de nerfs, les pieds enchevêtrés dans ceux de Boris qui jubile ) - Poussez-vous de là, malotru ! Vos pieds difformes me barrent le passage.

BORIS – Faites demi-tour !
ALICIA ( À Boris, en chuchotant ) - Rendez-moi cette fichue clé sur le champ !

BORIS – Moi je veux bien.... Si vous me fournissez un acompte.... Oui car je veux bien être réglo mais pas péquenot.

ALICIA ( Hors d'elle, toujours à voix basse ) - Hors de question ! Manu, vas récupérer cette clé ! De gré ou de force !

PHILIPPE ( Ayant fait demi-tour et positionnant sa tête entre les jambes de Boris ) - Bon, c'est quoi ce bordel là, poussez-vous !

Manuel s'avance vers Boris pour récupérer la clé. À cet instant, Philippe voit les jambes de ce dernier et explose en cognant sa tête sur les bijoux de famille du malheureux Boris.

BORIS – Aie !!!
PHILIPPE – Elles sont à qui ces jambes ? ( Les tatonnant avec mépris ) Ce ne sont visiblement pas

les tiennes Alicia, tu t'es épilée hier !

ALICIA – Ah ça, c'est... c'est...

BORIS ( Se tordant de douleur ) – Mes couilles !

ALICIA – Le voisin ! C'est ... le voisin. Il est venu nous signaler notre tapage nocturne.

PHILIPPE – Alors c'est donc vous Monsieur Peron ? Ce sont vos jambes de grabatère que je distingue nues et saillantes ?

MANUEL ( En catimini à Alicia ) - Je lui répond quoi là ?

Tandis que Philippe s'apprête à sortir, Boris subit un malaise des suites du mauvais coup qu'il a pris, laissant à Manuel le temps de se faufiler par la fenêtre, et ce avant que Philippe ne pousse sans ambages le corps de Boris de son chemin.

PHILIPPE ( Fou de rage ) - Où est-il ? Où il est passé le vieux Peron que je lui fasse sa fête....

Philippe se met à fouiller la chambre, y compris les endroits insolites tel l'intérieur de la cuvette des WC, sous l'indignation d'Alicia. Pendant ce temps, Boris revient à lui et aperçoit les mains de Manuel agrippées à la rambarde de la fenêtre, le regarde et, sous les yeux d'Alicia, s'amuse à lui

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faire croire qu'il va fermer celle-ci sur ses doigts. Tandis qu'Alicia supplie Philippe surtout pour couvrir se qui se trame à l'opposé, Boris aide Manuel à rentrer, lequel se planque dans la salle de bain attenante.

BORIS ( À Philippe ) - Il fait drôlement frisquet ici tout à coup, vous ne trouvez pas .... PHILIPPE – Vous, vous n'avez plus rien à faire dans ma chambre.... ( Réalisant ) Une petite

minute...
ALICIA ( À Boris ) - Sale petit .... ( À Philippe , vaincue ) .... Mon chéri.... Attends.... Je vais tout

t'expliquer.... Je suis désolée.... ( Pleurniche exagérément ) Pitié.... Laisse-le vivre.... PHILIPPE ( Ton dramatique ) - Trop tard ! Il a chu ! Il s'est écrasé comme une loque le vieux

débris ! Dans l'état où il est, il ne risque plus de te faire grimper au rideau....
ALICIA – Oh non ! ( Elle se précipite vers la fenêtre et réalise qu'il n'y a personne ) Mais ....

PHILIPPE – Ne sois pas ridicule. Nos maisons sont mitoyennes, et nos fenêtres communicantes.... Malgré son arthrite, il a dû escalader la balustrade et rentrer chez lui, ce vieux schnock !

Sur ces paroles empreintes de capitulation, Philippe quitte la scène.... la chambre s'étant " miraculeusement " ouverte. Alicia, elle, hésite puis accourt vers la fenêtre.

ALICIA – Psst ! Psst ! Ho Hé ! Monsieur Péron ? Vous m'entendez ?
Voix off MR PERON – C'est pas bientôt fini votre vacarme ma p'tite dame ?
ALICIA – Vous n'auriez pas un homme nu chez vous par hasard ?
Voix off MR PERON – Non mais ça va pas vous ?! ( On entend râler puis une fenêtre se fermer )

ALICIA ( Se ressaisit et prend son téléphone ) - Allô Aude ! Ouais vu l'heure c'est moi ! ..... Écoute Manu et moi c'est fini..... Oh une longue histoire, je ne suis pas certaine d'avoir tout saisi en fait.... En gros, il s'est volatilisé par la fenêtre alors que mon mari était sur le point de le choper... Quel tocard celui-là ! Pas fichu de me prendre en flagrant délit d'adultère... et pourtant je ne chôme pas lui laisser des indices, tu peux me croire... Quand même, ne pas trouver un amant caché dans le placard, faut le faire ! Bref..... Tout ça pour dire qu'il va falloir que je chasse un autre oiseau pour que Phil me quitte et que je puisse enfin récupérer la moitié de sa fortune.... Mais oui ! C'est écrit sur le codicille de son père.... Bon je te laisse !....... Ok, tchao !

Toute la conversation téléphonique se passe sous les oreilles indiscrètes de Manuel, la tête dans l'entrebâillement de la porte de la salle de bain, ainsi que de celles de Boris, caché dans le même placard. Alicia sifflote en enfilant une robe moulante à souhait, s'asperge de parfum puis quitte la scène.

BORIS ( Estomaqué ) – Alors là ! Je ne l'avais pas vu venir !

MANUEL – La salope ! Elle qui prétendait m'aimer ..... Je n'étais qu'un pion.... En plus, elle n'a pas un rond !

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BORIS – Pas plus que lui ! L'histoire du codicille c'est du flan, il m'a affirmé tout à l'heure que l'argent provenait d'elle.... Moi je dis qu'on s'est fait entubés et en beauté !

MANUEL ( Dépité ) - Alors on a fait tout ça pour rien....

BORIS ( Subitement tendre ) - Eh ça va, tu m'as moi mon Manou, c'est l'essentiel ! ( Il l'embrasse goulûment ) .... Et puis on en trouvera d'autres des pigeons.... C'est vrai quoi, on s'est peut-être fait pigeonnés, mais pas déplumés !

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SCÈNE 2

Des tonnerres d'applaudissements retentissent à l'égard des comédiens, munis d'étincelles dans le regard attestant l'importance qu'ils apportent au retour du public. La metteuse en scène, vêtue d'un haut sobre noir contrastant avec les tenues colorées des comédiens, fait son entrée et se lance dans un sommaire discours comme le veut la tradition. À noter qu'à chaque tirade prononcée par le personnage d'Alexis, les autres protagonistes doivent rester statiques.

MARIANNE – Merci à vous, cher public qui êtes venu assister à cette représentation de " Relations extra-vénales ", comédie signée François Gévin, et jouée par la Cie des " Cintrés du Balcon ". Nous sommes ravis d'avoir été si chaleureusement accueillis par notre commune de St Pont-Lazzi.
Un grand merci à Bertrand qui nous suit depuis des années à la technique, et qui n'a jamais aucun trou de mémoire , ainsi qu'à mes prodigieux comédiens qui me procurent toujours autant de plaisir à les mettre en scène..... ( Elle les regarde fébrilement, visiblement émue, puis se tourne face public ) .... Merci.... ( Avant de quitter précipitamment la scène )

Le rideau tombe sur les comédiens, pantois face à la sortie de Marianne. Musique. Puis on entend les comédiens parler en s'affairant à ranger le décor.

SYLVIE - Ouf ! Le public s'en va ..... C'est terminé pour ce soir ! J'espère que c'était la dernière, je n'en peux plus de cette pièce !

JACQUES – Tu pourrais éviter de déballer tes commentaires à chaud, alors que la salle n'est pas encore vide..... ( Faisant passer sa tête au travers du rideau ) Remarque, il y aura du spectacle, plus vrai que nature ! (ricanement)

SYLVIE – Alors ? Ils sont partis ?
JACQUES – Chut ! ..... J'en vois encore un qui n'a pas l'air de vouloir bouger....

SYLVIE – Peut-être bien qu'il est mort.... d'ennui.... Non mais je n'y peux rien, ce texte me sort par les yeux !

Réouverture du rideau sur la tête de Jacques, qui sursaute.

JACQUES - N'empêche, on s'en est plutôt bien sortis....

SYLVIE - Parle pour toi, le public paraissait en pleine somnolence, ça a cassé tous mes effets. Et puis franchement, le rire gras de ton amie Chantal à chaque fois que tu apparaissais, c'était à la limite du supportable ! Surtout que tes apparitions étaient loin d'être réussies.

JACQUES - Tu insinues que mon jeu était médiocre ?
SYLVIE - Franchement, tu ne peux pas dire que ton amour pour moi paraissait plausible. On sentait

que tu n'osais pas regarder ta partenaire dans les yeux. Ça sonnait faux.

JACQUES ( Lui tournant autour en mode " séducteur " ) – J'avais sans doute peur que tu penses que ce n'est pas du théâtre et que tu tombes follement amoureuse de moi.

SYLVIE – Bas les pattes ! Garde tes techniques de Dom Juan pour des femmes susceptibles de 9

succomber à tes singeries. ( Éclair de lucidité ) Comme Marianne par exemple, je sens que tu as un petit faible pour elle....

JACQUES ( Rit jaune mais fait bonne figure ) – Ah ah ! Tu es en forme aujourd'hui ..... D'ailleurs, puisqu'on parle du loup, elle nous a fait une sortie bien théâtrale la " Miss'en scène ". Pour le coup, la vedette, elle nous l'a clairement volée !

ALEXIS ( Assis depuis le début de leur rixe verbale ) – C'est vrai qu'on aurait dit une étoile filante en plein envol pour le firmament.

JACQUES – Ou bien elle était simplement victime d'une envie pressante....

SYLVIE – C'est probablement par honte.... par notre faute.... notre prestation était déplorable.... ( Se tourne aussitôt vers Jacques ) Non mais Jacques, c'est insupportable de constater que tu te plantes toujours aux mêmes répliques !!!

JACQUES – Au moins, je garde une certaine constance....
SYLVIE – Là est tout le problème.... On se demande pourquoi je m'évertue à te le dire

inlassablement.... puisque tu reproduiras la même erreur la prochaine fois ! JACQUES ( Rassurant ) - Le principal est que le public ait été conquis et qu'il ait ri.

SYLVIE – Ah ça c'est certain..... Il s'est esclaffé lorsque tu t'es empêtré dans ta réplique.... Elle n'avait plus aucun sens !

ALEXIS – Tout spectateur apprécie de constater que le comédien n'est pas infaillible, qu'il demeure humain.

HUGO ( Moqueur ) - Ah oui ! Que c'était hilarant ! ( Il se remet dans la posture exacte du personnage de Philippe à cet instant et s'écrie ) : " Mais qu'est ce que vous faites dessous ? C'est pour les dessous ? Dessous de qui.... ma femme ? Alicia, tu es dessous ?

Jacques et Hugo rient communément de bon cœur. Sylvie les fustige du regard. Hugo prend congé.

SYLVIE – Ravie de constater que ça vous amuse de vous ridiculiser ..... Suis-je la seule à prendre notre travail au sérieux ? ( Long silence gêné ) Non mais franchement, Jacques, certes ce soir, tu as amusé la galerie, mais pas grâce à tes prouesses scéniques..... Et même si notre pièce a pour but de faire rire, c'est dommage de le faire à nos dépens, non ?

JACQUES : Évidemment !... Mais bon, faut pas se prendre trop au sérieux non plus.... Et puis on n'est pas des pros !

SYLVIE : Soit, mais je pense que chacun de nous a un minimum d'efforts à fournir pour que ça fonctionne.... ( nouveau silence ) Je pense qu'il serait judicieux qu'on se réunisse tous les cinq et qu'on évoque sérieusement les failles de notre travail.

JACQUES ( Joyeusement lucide ) : Bah on est réunis là, allons-y !
SYLVIE : Tu plaisantes ? Tu sais pertinemment que d'ici quelques minutes, Alex va nous fausser

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compagnie.... Et ainsi éviter de ranger le décor avec nous ! ( Avisant son partenaire fuyant ) ALEXIS ( Piqué au vif ) : Qu'est ce que tu insinues ?

SYLVIE : Ça n'est pas évident ? Tu t'enfuis toujours une fois la représentation achevée.... Comme par hasard quand il faut se lancer dans l'envers du décor...

JACQUES : Écoute, laisse-le donc ! On a aussi le droit d'avoir une vie privée ! Ce n'est pas parce que toi ta vie sociale se résume au théâtre qu'il doit en être de même pour les autres !

SYLVIE ( Montant dans les tours ) Bah voyons ! Tu vois c'est ton laxisme permanent qui nous empêche de progresser .... Mais comme d'habitude, il n'y a que moi pour l'ouvrir et par conséquent je prends tout sur le dos !

JACQUES ( Radoucit ses propos ) - Mais non, tu es juste là pour nous remettre sur le droit chemin.... ( la prend affectueusement par les épaules ) Et puis si tu ne râlais pas, c'est là qu'il faudrait commencer à s'inquiéter.

Sylvie arbore un léger sourire de complaisance mais bouillonne intérieurement. Hugo fait alors son apparition, ayant intégralement retiré la panoplie de son personnage dans les loges.

JACQUES – Ah ! Voilà notre Bobo le mécano ! Dis, c'est que tu vas t'y connaître maintenant....

HUGO ( Amusé ) - Surtout en jeu de mot pourri !

SYLVIE : Ah tu tombes bien toi ! Écoute, ça ne va pas du tout ! Ton idée de porter un tee-shirt sur scène dans l'acte 3 tombe à plat.... Il serait beaucoup plus logique que tu apparaisses seulement en sous-vêtement..... Quant à ton accent, c'est une catastrophe ! Au début tu l'as, mais à la fin il ne fait plus portugais du tout..... On dirait du chinois !

JACQUES ( Explosé de rire ) : Ah oui ! C'était trop bon ! Ce garagiste portugais qui en perd peu à peu son latin... enfin ses origines quoi !

SYLVIE : Qu'est ce que tu peux être puéril ! Arrête de tout prendre à la dérision comme ça ! Quant à toi, Hugo, il faut impérativement que tu sois torse nu la prochaine fois.... pour rester crédible.

HUGO ( Hoche fébrilement la tête ) : Oui.... Enfin.... Je demanderai à Marianne ce qu'elle en pense d'abord.

JACQUES : Il a sans doute peur que toutes les spectatrices lui tombent dessus en sortant, n'est ce pas ? ( Clin d'œil malicieux ) ... Mais au contraire, profite !

SYLVIE : Désolée, mais moi je suis on ne peut plus sérieuse. Faire du théâtre implique un total lâcher-prise de soi, et aussi parfois quelques désagréments.... dans l'intérêt du rôle.

Réapparaît alors Marianne, visiblement contrariée.

MARIANNE : C'est pas bientôt fini cet étalage de broutilles inutiles ?.... Nous ferions mieux de vider rapidement la scène, les techniciens ne vont pas nous attendre indéfiniment. Nous échangerons plus tard nos avis sur votre prestation et puis..... ( Gênée ) J'ai une information dont je

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dois vous faire part....

SYLVIE ( À Alexis ) : Cela peut-il signifier que tu resteras avec nous pour le repas collégial cette fois ?

MARIANNE : Sylvie, cesse de vouloir jouer les matriarches ! Et pour info, j'autorise pleinement Hugo à rester couvert sur scène. Chacun doit demeurer libre.

SYLVIE ( Agacée ) : Évidemment.... J'ai toujours tort ! De toute façon, je t'avoue ne pas partager ta vision de la mise en scène.... Selon moi, tu devrais te montrer plus intransigeante. Or, tu fais toujours passer les desideratas de chacun avec l'intérêt du spectacle....

JACQUES ( Un brin coléreux ) : Dis-donc ! Tu exagères ! Si tu n'es pas satisfaite et qu'on n'est pas assez bien pour toi, tu peux toujours trouver une autre troupe qui t'acceptera malgré tous tes défauts, et Dieu sait s'il sont nombreux !

MARIANNE : Stop ! Écoute Sylvie, on apprécie tous ton sens du perfectionnisme et ton engagement vis-à-vis de la troupe, mais le jour où tu seras à ma place, tu comprendras qu'il faut savoir faire des concessions pour garder une certaine cohésion. ( Murmure à Jacques ) Quant à toi, tâche d'être indulgent avec elle, tu sais qu'elle n'a pas une vie facile.... Je compte sur toi.

JACQUES ( Faussement bougon ) : Ok ! Ok ! Je capitule.... Mais tu admettras volontiers que parfois, c'est une vraie tête à claques !

SYLVIE ( Vexée ) - Je te signale que je ne suis pas sourde ! Contrairement à mon personnage.... Dis Marianne, c'est quand que tu me confieras un rôle de femme plus.... femme.... enfin une femme qui ne minaude pas devant tout mâle dominant.... On éviterait ainsi les poncifs du boulevard !

JACQUES – Qu'est ce que tu lui reproches, à cette pièce ? Elle est très drôle. Et puis, selon moi, le pire, c'est de jouer un texte...

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