Bière et paix

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Angélique, Ambroise, Innocent et Sacha viennent de gagner le gros lot au loto. Mais Sacha est victime d’un accident de voiture qui lui laisse une amnésie partielle. Impossible de se souvenir de la cachette du ticket qu’il était seul à connaître. Il ne leur reste que quelques jours pour se manifester et toucher le chèque, et Sacha n’ose toujours pas faire part de ses problèmes de mémoire.
Sacha réussira-t-il à retrouver le ticket en évitant la curiosité gênante de la factrice aux élans romanesques ?
Et pourquoi cet homme énigmatique qui semble bien connaître Sacha réapparaît-il soudain ?




Bière et Paix

ACTE PREMIER

Rideau fermé. Un banc public en avant du rideau. On entend une célèbre chanson qui parle de bicyclette. Une factrice arrive à vélo, baskets colorées, tenue voyante. Elle gare son vélo et s’assied sur le banc.

Marguerite. – Salut la compagnie ! Voilà le courrier ! Et ce matin, il y a du lourd… en qualité mais pas en quantité ! Depuis que les gens ont la maladie du portable et de la tablette, ils ne s’écrivent plus, ils se textotent. Adieu les jolies lettres avec de belles phrases, ils s’envoient des mails ! (Prononcé « mailles ».) Eh bien, moi, je n’en écris pas des mails. Il y a aucun mail qui m’aille !… L’ordinateur, ce n’est que pour le boulot : je m’en sers pour écrire des romans. (Elle s’assied sur le banc et commence à fouiller dans son sac.) Mais avant de commencer ma distribution, un peu de vitamines ! (Montrant le rideau fermé.) J’aurais bien pris un petit café à côté, mais ce n’est pas encore ouvert. (Elle sort une flasque de son sac.) Du cognac, il n’y a que ça de vrai ! (Elle boit, hésite, puis une deuxième rasade.) Ça passe comme une lettre à la Poste, ce machin-là ! Une petite tournée avant la tournée, ça ne nuit pas… surtout le jour ! (Chantant à son flacon.) « M’asseoir sur un banc cinq minutes avec toi et regarder le liquide tant qu’il y en a… » (Une dernière lampée et elle range l’élixir dans le sac.) Heureusement, il n’y a pas d’éthylotest pour les facteurs, sinon pour moi, on appellerait ça des soufflés aux amendes !… Allons, soyons raisonnable, la route est longue ! (Elle réfléchit.) La route est longue… La route est longue ! (Elle sort un petit carnet de sa poche.) Une petite idée pour mon roman. Qui dit longue route, dit risque d’accident. Qui dit accident, dit voiture sabotée, les freins par exemple. Qui dit freins sabotés, dit tentative de meurtre. C’est ça ! Mon héros meurt !… Non, mieux ! Il est juste blessé, un coup à la tête ou un truc comme ça et il se demande qui a fait le coup… Je note ça illico sinon avec ma mémoire de poisson rouge, ça va tomber à l’eau ! Et puis écrire tout en faisant du vélo, c’est des coups à rentrer dans les décors !

À ce moment, le rideau s’ouvre sur une petite place de Paris.

Au centre, le bar avec une banne portant son nom, Le Tolstoï, ses portes vitrées et sa terrasse où se trouvent en vrac quelques tables et chaises.

Côté jardin, début de la rue de la Bière, immeuble avec une fenêtre, une porte et un éclairage public.

Côté cour, premier plan, l’amorce d’un petit square avec le banc et un éclairage public. Au deuxième plan, début de la rue de la Paix, immeuble avec porte et fenêtre.

Angélique, tenue décontractée, sort de l’immeuble côté jardin, son téléphone portable à l’oreille.

Marguerite. – Ah ! voilà la petite fleuriste ! Certains disent qu’elle a le diable au corps ; moi je la trouve mignonne. Toujours gentille avec tout le monde.

Angélique. – Écoute-moi bien, espèce d’obsédé ! Ne joue pas à ça avec moi !… Tu peux aller te faire téter les yeux par les éléphants siffleurs ! (Elle raccroche.)

Marguerite. – C’est vrai que siffler n’est pas jouer… Bonjour, Angélique !

Angélique. – Bonjour ! (Regardant vers le bar.) Et Nono qui n’a toujours pas ouvert ! Qu’est-ce qu’il fout ? Tant pis pour le café… (Elle s’assied sur le dossier du banc.) Alors, Marguerite, ce roman ?

Marguerite. – Sans m’avancer de trop, je dirais que ça avance pas mal… Mais dis-moi, tu as l’air énervée ce matin !

Angélique. – Ce n’est rien. Juste un abruti qui aimerait bien que je refasse un tour dans son pieu, mais pas question de retourner avec ce gros pervers !

Marguerite. – Pour quoi faire ? Pour chercher les fleurs du mal ?

Angélique. – En tout cas, pas pour jouer au Trivial Pursuit !

Marguerite. – Si c’est trivial, ça peut m’intéresser !

Angélique. – En plus, monsieur fait de l’humour à ras les pâquerettes.

Marguerite. – Alors là ! Déjà qu’un homme, on en a vite fait le tour, si en plus il n’a pas d’humour, il devient vite chiant !… Et quand on a la vie devant soi comme toi, on ne doit pas aller avec le premier pervers venu. En revanche, à mon âge… pourquoi pas ?

Angélique, regardant vers le bar. – Oh ! oh ! Marguerite, toujours prête à se faire effeuiller !

Marguerite. – Qu’est-ce que tu crois ? (Se remontant la poitrine.) Je suis encore canon pour mes cinquante ans ! Si je veux parfaire mon éducation sentimentale, il faut que j’attrape la chance au colback quand elle passe parce que dans la vie, les coups durs sont plus fréquents que les bons coups.

Angélique. – En parlant de bon coup, vous avez appris pour M. Sacha ?

Marguerite. – Parce que M. Sacha est un bon coup ?

Angélique. – Je ne sais pas ! (Amusée.) Faut voir !

Marguerite. – Pour un Belge, il n’est pas si mal que ça… C’est sûr, pour toi, c’est un vieux machin, mais ne le dis à personne, s’il me disait oui, le Sacha, je n’irais pas dormir sur mon vélo !

Angélique. – Il est super sympa et il n’est pas si vieux que ça, il est dans la fleur de l’âge.

Marguerite. – On reconnaît la fleuriste ! Tu veux certainement me parler de son accident de voiture ? J’étais en grève mais j’ai des informateurs.

Angélique. – Il lui est arrivé un sacré coup ! (Elle s’assied à côté de Marguerite.) À cause de son accident, il est resté deux semaines à l’hosto… Les freins auraient lâché, paraît-il.

Marguerite. – Les freins auraient lâché ? C’est amusant, ça !

Angélique. – Vous trouvez ça amusant, vous ?

Marguerite. – Oui ! Enfin non ! (Soulignant des mots dans son carnet.) Je pensais à autre chose.

Angélique. – Une vilaine bosse sur la tête. Il s’en tire bien !

Marguerite. – Une bosse à la tête ? (Soulignant de plus belle.) Super !

Angélique. – Comment ça, super ?… Vous êtes sûre que ça va, Marguerite ?

Marguerite. – Impeccable ! (Elle range son carnet.)

Angélique. – Attendez ! Il est tombé dans un fossé ! La bagnole, morte ! Et si personne n’avait téléphoné pour signaler l’accident, il serait mort lui aussi… Ç’aurait été les boules de passer l’arme à gauche juste après avoir gagné au loto et avant même d’avoir encaissé le chèque !

Marguerite. – C’est pourtant vrai que tu as gagné au loto avec Sacha, Nono et le boucher ! Six millions d’euros, c’est ça ?… Qu’est-ce que vous allez faire de tout ce pognon ?

Angélique. – Le diviser par quatre !

Marguerite. – Il va en rester quand même un peu ! Un million et demi chacun ! Moi avec ça, je garderais la tête sur les épaules et je m’achèterais un nouveau vélo !

Angélique. – Un vélo ?

Marguerite. – Oui, un vélo ! Un vélo qui me rappellerait sans cesse que j’ai gagné. Je l’appellerais mon beau vélo de rappel ! (Elle fredonne quelques mesures du Boléro de Ravel.) Mais j’y pense ! Quelqu’un a peut-être essayé de trafiquer les freins ? Parce que s’il était resté au fond du fossé, le Sacha, ça aurait fait une part de plus pour les trois autres.

Angélique. – Marguerite ! Vous charriez là !… Dans ce cas, il faudrait zigouiller sa femme aussi parce que c’est elle qui toucherait le pactole !

Marguerite. – Oui sauf que… ce n’est pas sa femme !

Angélique. – Quoi ? Pas sa femme ?

Marguerite. – Que nenni !

Angélique. – Comment vous savez ça, vous ?

Marguerite, montrant son sac. – Je suis factrice !

Angélique. – Ne me dites pas que…

Marguerite. – Non ! Pas toutes les lettres, bien sûr. Seulement les plus juteuses… Regarde ! Pour lire à travers les enveloppes, je suis équipée. (Elle sort une lampe torche de son sac.) J’ai ma torche ! C’est comme ça que j’ai su pour la femme du boulanger.

Angélique. – Ah oui ! Lumineux comme ruse !… C’est comme moi, dans mon boulot, j’en sais plus sur la vie des gens qu’ils ne l’imaginent… Tenez ! La Saint-Valentin ! Vous savez comment on l’appelle dans le métier ?

Marguerite. – Non.

Angélique. – La fête des cocus !

Marguerite. – Très drôle, en effet… Mais dis-moi, tu vas être en retard au boulot, non ?

Angélique. – En retard ? Je m’en fous complètement ! Depuis que je sais que j’ai gagné au loto, je travaille quand je veux. Et mon pitbull de patronne, elle peut toujours m’aboyer dessus !

Marguerite. – Ah ! la peste !

Angélique. – Je lui ai mis la muselière. Et si elle recommence, je l’envoie sur les roses ! Ou mieux, la pitbull, je la fais piquer ! (Elle s’en va par la rue de la Bière.) Ciao, Marguerite !

Marguerite. – Ciao, ma belle ! Il n’y a pas à dire, elle est vraiment mignonne… Bon ! C’est parti pour une folle journée !… Allez, Marguerite, en selle ! Le plus important si on veut réussir dans la vie, c’est d’avoir toujours la tête dans le guidon. Salut la compagnie ! (Elle part à vélo en prenant la rue de la Bière en chantant :) « Si tu veux faire mon bonheur, Marguerite, Marguerite / Si tu veux faire mon bonheur, Marguerite, donne-moi ton cœur. »

Sacha sort du bar, ouvre les portes et aperçoit la terrasse.

Sacha. – Nom dé Djû de nom dé Djû !… Providence ! Providence !

Providence, sortant du bar en tenue très colorée, un petit tableau à la main. – Bonjour, Sacha !

Sacha. – Oui ! Bonjour ! Regarde la terrasse !

Providence. – Oui ! Quoi, la terrasse ? Pourquoi tu te mets en rote* dès le matin ?

Sacha. – Je ne me mets pas en colère mais regarde la terrasse ! Innocent a oublié de la rentrer !

Providence. – C’est parfait ! Ça t’évitera de la ressortir !

Sacha, la prenant par le bras. – Écoute-moi. J’ai quelque chose de terrible à te dire.

Providence. – Oufti* ! D’abord, as-tu vu la factrice ?

Sacha. – Non. C’est trop tôt ! Depuis qu’elle essaie d’écrire un roman, les lettres qu’elle utilise passent avant celles qu’elle distribue.

Providence. – Tu es injuste ! C’est une femme tellement gentille… Et honnête avec ça !

Sacha, cherchant sous les chaises. – Depuis plusieurs jours, j’ai les nerfs qui bouillonnent dans la graisse de bœuf.

Providence, faisant le geste de quelqu’un recroquevillé. – Je te trouve un peu racrapoté*.

Sacha. – J’ai des raisons, figure-toi, d’être racrapoté ! Tu te rappelles qu’on a gagné au loto ?

Providence. – Oui ! Bien sûr !

Sacha. – Tu te rappelles que j’ai eu un énorme accident de voiture ?

Providence. – Oui ! Bien sûr !

Sacha. – Tu te rappelles qu’on avait caché le ticket… (Prononcé « tickette ».) de loto dans le bar en attendant d’aller chercher le chèque tous ensemble ?

Providence. – Oui ! Bien sûr !

Sacha. – Tu te rapp… Tu as mangé du perroquet au déjeuner ou quoi ?

Providence. – Oui ! Bien s… Bien sûr que non ! Je t’écoute ! Mais arrête de gesticuler, on dirait que tu as des bêtes !

Sacha. – C’est terrifiant ! Je n’en dors plus la nuit ! Je vais devenir zinzin !

Providence. – Qu’est-ce qui t’arrive ? Tu en fais des énigmes aujourd’hui !

Sacha. – Depuis que je suis sorti de l’hôpital, je n’arrive pas à mettre la main dessus.

Providence. – Sur l’hôpital ?

Sacha. – Oui ! Non !… Sur le ticket de loto ! Je ne sais plus où il est…

Providence. – Ah ! ce n’est que ça ? Tu m’as fait peur !

Sacha. – J’ai l’impression que tu n’as pas bien compris ce que je viens de te dire.

Providence. – Si ! Tu as perdu le bout de papier qui permet de gagner six millions d’euros !

Sacha. – Et c’est tout l’effet que ça te fait ?

Providence. – Allez ! Ne te laisse pas aller !… Tu vas le retrouver ce ticket !

Sacha, arpentant la terrasse de long en large. – Je le cherche partout depuis une semaine. J’ai fouillé le bar, notre appartement, rien ! J’ai fouillé tous mes vêtements, rien ! J’ai même fouillé les tiens ! (Réaction de Providence.) Impossible de me souvenir ce que j’ai fait juste avant l’accident… Amnésie post-traumatique qu’ils appellent ça.

Providence. – C’est à y perdre la tête !

Sacha. – Je t’en prie, ce n’est pas le moment de faire des subtilités. (S’arrêtant soudain.) J’y pense ! Si ça se trouve, comme tout le monde savait où était ce ticket, quelqu’un l’a subtilisé !

Providence. – Tu ne vas tout de même pas accuser les autres gagnants ! Ça ne va pas la tête ?

Sacha. – Non, justement… Je suspecte tout le monde ! Même Innocent, mon plus fidèle serveur !

Providence. – Innocent ? Ça m’étonnerait qu’Innocent soit coupable. C’est peut-être moi qui te l’ai volé ou bien notre chien qui l’a avalé !

Sacha. – Toi ? C’est impossible ! Je t’aime trop pour te suspecter !

Providence. – Justement ! C’est tellement facile de raconter des carabistouilles à un homme qui vous aime et de lui faire prendre des Messies pour des lanternes !

Sacha. – Non ! Des vessies !

Providence. – Franchement, je ne crois pas que la vessie y soit pour quelque chose là-dedans.

Sacha, reprenant ses allées et venues. – Providence, tu ne te rends pas compte dans quelle friture je me trouve actuellement. La validité de ce ticket se termine dans quatre jours. Quatre jours !… C’est-à-dire nonante-six heures ! 5 760 minutes ! Ce qui ne me laisse que 345 600 secondes pour trouver ce foutu ticket !

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