Cadre exceptionnel

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Sylvain Brunet est un jeune cadre trentenaire et toujours célibataire. Il vit chez ses parents où il a convié Dominique, une femme qu’il a rencontrée sur Internet mais qu’il na encore jamais vue. Malheureusement pour lui, il na pas choisi la meilleure date! Le même jour, son père doit rencontrer un acheteur (lui aussi prénommé Dominique!) pour un cadre de vélo. Mme Brunet, quant à elle, a invité Mme Dumontier, femme austère et « vieille France » ainsi que son fils Édouard, polytechnicien coincé au possible. Un rapprochement entre les deux familles serait en effet le bienvenu, notamment entre Édouard et Juliana, la sœur plutôt délurée de Thomas, mais celle-ci ne l’entend évidemment pas de cette oreille! S’il n’y avait que cela! Ce serait oublier que se présente malencontreusement Aurélie, agent immobilier avec qui Juliana avait rendez-vous (mais seulement le lendemain!) en vue de louer en été et à prix d’or la maison de ses parents (à leur insu, naturellement), compte tenu de son cadre exceptionnel! Autant dire que les quiproquos vont s’enchaîner sans répit et pour le plus grand plaisir des spectateurs !

“Cadre exceptionnel” est une comédie virevoltante, aux dialogues pétillants, qui ravira tous les publics.

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ACTE I

SCÈNE 1

Juliana

 

Juliana est assise sur le canapé. Elle feuillette un journal de petites annonces.

Juliana - Alors, voyons voir qu’on rigole un peu… « Jeune homme soixante-dix ans… » Ça me paraît louche, ça… « Cherche relation durable… Pas sérieux s’abstenir… » Moi, je m’abstiens… Et là… « Homme, la cinquantaine, bien sous tous rapports… » (Sarcastique.) Ouais, j’imagine les rapports !… Et ici… « Cœur à donner… » À donner, mais sûrement pas à prendre ! (Son portable sonne.) Allô ! Manon ?… Non, non, tu ne me déranges pas : je révisais… Ouais, ça va… Et toi ?… Pas trop… Ah ? Matthéo vient de t’envoyer un mail ? Pour te dire qu’il te laissait tomber ?… Charmant… Tu sais, fallait s’y attendre… Et puis, crois-moi : au fond, il n’en valait vraiment pas la peine ! C’est bien pour ça que je te l’ai largué, d’ailleurs ! Allons, c’est pas grave : un de perdu, dix de retrouvés !… Ouais, un seul te suffirait… J’veux bien te croire : pour toi, ce serait déjà bien… Écoute : le prochain mec que je jette, je te le refile, comme d’habitude, promis !… Quand on peut se dépanner entre copines… Au fait, moi aussi j’ai reçu un mail… Devine de qui ?… Non, pas de Lucas ! Je ne vois pas pourquoi il me contacterait, cet idiot, vu qu’il est toujours avec sa cruche… Ni Sacha non plus… Ah ? Lui, n’est plus avec sa gourde, ce nigaud ? Première nouvelle… Intéressant dis donc… Faudra que je me penche sur son cas… Non, c’était une agence immobilière… (Juliana va s’assurer qu’il n’y a personne aux alentours.) Oui, pour la maison de mes parents… Tu vois, j’avais raison : ça démarre fort !… Vu le cadre exceptionnel de la villa, avec les gorges du Verdon en contrebas, la piscine et tout, je ne me faisais pas de souci !… Une affaire, c’est comme une fille : quand elle est bonne, il y a la queue… Et je m’y connais en la matière !… Alors figure-toi que cette agence a vu mon annonce sur Internet et elle doit envoyer quelqu’un samedi 15 pour visiter les lieux… Non, non, tu penses bien : y’aura personne ici, à part moi. Mes chers parents et mon nigaud de frère seront partis en week-end chez une lointaine cousine… Qui n’habite pas tout près d’ailleurs… Moi, j’avais dit que je restais potasser : ça tombe bien !… Mais t’en parles vraiment à personne, hein ? Si mes parents apprenaient que je vais me faire du fric dans leur dos en louant leur baraque pendant qu’ils sont en vacances, j’t’explique pas la catastrophe !… À propos de catastrophe, tu sais que Chloé n’est plus avec Loïc ? Là aussi, fallait s’en douter : t’as vu à quoi il ressemble !… Comment ? Sandy a largué Geoffray ?… Raconte…

Juliana gagne la terrasse, son portable collé à l’oreille.

 

 

 

 

 

SCÈNE 2

Thomas, puis Juliana

 

Thomas descend les escaliers. Il porte une tenue décontractée. Il s’assoit et feuillette à son tour le journal qu’a laissé Juliana sur la table basse.

Thomas - Tiens… Cultivons-nous un peu, ça ne fera pas de mal… Alors… « Vends barrique trois cents litres… » Non, on a déjà la femme de ménage deux fois par semaine, ça devrait suffire en capacité… « Débarrasse vieilleries encombrantes… » Dommage que la belle-mère soit entrée en maison de repos, ça aurait fait l’affaire !… Ah ! ça, c’est intéressant… « Cherche vélo d’occasion femme… » Ouais, intéressant… (Il prend le téléphone et compose un numéro.) Allô ! Oui, j’appelle pour l’annonce numéro soixante-neuf… Alors comme ça vous cherchez un vélo d’occasion ?… Oui, j’en ai un, forcément, puisque je vous téléphone… (À lui-même.) L’imbécile !… (Au téléphone.) C’est pour offrir à votre tante… Si vous voulez ! (À lui-même.) J’m’en fiche ! (Au téléphone.) Oui, oui, c’est un vélo femme… En fait, c’est celui de la mienne… Autant vous dire qu’il n’a pratiquement pas roulé ; le sport, ça n’a jamais été son truc… Vous vous en fichez ? Ah… En tout cas, il a beau être des années 70, il est resté en excellent état, ce qui n’est pas le cas de ma femme… Bon, faut quand même que je vous dise qu’il n’y a plus les pneus… Oui, on les avait récupérés… Voilà, c’est ça : il n’y a que le cadre, mais c’est un beau cadre, pratiquement neuf… Oh ! il y a bien un tout petit peu de jeu avec une pédale, mais ce n’est rien… La couleur ? Rose… Oui, c’est original… Le prix ? Oh ! j’sais pas trop : le mien sera le vôtre… Ou le contraire… Surtout, ça me débarrasserait, depuis le temps qu’il m’encombre !… Vous êtes intéressé ? Très bien… L’adresse ?… M. et Mme Brunet, 8, rue des Tulipiers… Non, des Tulipiers, pas des cyprès… Quoi que les cyprès, c’est joli aussi !… Ah ! pardon ! Vous disiez que c’était près… Près de chez vous… Tant mieux… En fin d’après-midi ? Si vous voulez… Ce sera votre sœur ou vous qui passerez ? L’un ou l’autre, ça m’est égal ! Parfait ! (Il raccroche.) Eh ben voilà !… Bon, pour l’instant, pas à un mot à Martine !

Retour de Juliana. Elle s’avance sans bruit dans le dos de Thomas et lui met les mains sur les yeux.

Juliana (joueuse) - Qui c’est ?

Thomas - À la voix, une jeune fille charmante.

Juliana - Gagné ! Bonjour papa !

Thomas (se retournant) - Bonjour ma Juju préférée.

Juliana - Papa ! Arrête de m’appeler comme ça ! Ça m’agace !

Thomas - C’est bien pour ça que je le fais.

Juliana - Tu sais que je n’ai jamais aimé les diminutifs.

Thomas - En revanche, si je ne me trompe, ce sont tes tifs qui diminuent, non ?

Juliana - Toi, tu auras toujours le mot pour rire.

Thomas (haussant les épaules) - On ne se refait pas, surtout à mon âge…

Juliana - Il y a des jours où je me demande si tu n’as pas déteint sur Sylvain.

Thomas - Bon sang ne saurait mentir !

Juliana - À part qu’avec lui, l’humour est un peu moins fin… Mais pour revenir à ma nouvelle coupe, tu as raison : j’avais envie d’éclaircir tout ça… Le court me va bien, non ?

Thomas (le regard sur sa jupe) - Et même le très court, à ce que je vois.

Juliana - Ça te plaît ?

Thomas - Si ça te plaît à toi, c’est déjà beaucoup, difficile comme tu es.

Juliana - Ça plaît aussi aux garçons, c’est l’essentiel.

Thomas - Ah ça ! Je suis sûr que ça doit en affoler plus d’un !… Ah ! de mon temps !

Juliana - Je sais : les jeunes filles étaient moins hardies ! Mais que veux-tu…

Thomas - Que tu m’accompagnes sur la terrasse, tout simplement. Je voudrais te montrer les laurelles que j’ai achetées.

Juliana - Si tu veux.

Thomas - Tu verras, elles sont épanouies, comme toi.

Juliana - Merci papa.

Thomas - Et puis, toi qui es si hardie, les laurelles, ça devrait t’intéresser, non ?

Juliana (ne comprenant pas l’allusion) - Je…

Thomas - Laurel et Hardy, ça ne te dit rien ?

Juliana - Bah non… S’ils étaient en fac, j’aurais repéré ce couple depuis longtemps, mais là… Et puis, tu sais, moi, à part Head and Shoulders…

Thomas (soupirant) - Ah ! triste culture !

Juliana - Papa, je voulais te demander…

Thomas - Quoi donc ?

Juliana - Cet été, en juillet, vous allez toujours chez mamie Jeanne ?

Thomas - Oui, pourquoi ?

Juliana - Pour rien… Mais ça m’arrange bien… (Se rattrapant.) Enfin, je veux dire que ça l’arrange bien, mamie, de ne pas se retrouver seule.

Thomas - Et tu ne veux toujours pas venir avec nous ?

Juliana - Non, merci

Thomas - Ça lui aurait fait plaisir.

Juliana - Je sais mais…

Thomas - Ton frère, lui, il nous accompagne bien !

Juliana - Justement : ce n’est pas une référence ! Et entre nous, le Jura et moi, ça a toujours fait deux.

Thomas - Tu as tort. Le Jura, c’est magnifique… Avec le soleil sur ses montagnes, c’est… surprenant.

Juliana - Ça, la rareté surprend toujours.

Thomas - Bon, je crois que c’est inutile de chercher à te convaincre.

Juliana - Peine perdue en effet… Papa, il faut voir le côté positif des choses : en restant ici, j’en profiterai pour réviser à fond mes partiels de septembre.

Thomas - Un tel courage m’étonne de ta part !

Juliana - Oh ! j’ai pas trop le choix : maman m’a enjoint d’obtenir ma maîtrise !

Thomas - C’est pour ton bien.

Juliana (peu convaincue) - Ouais.

Thomas (réfléchissant) - Je t’avouerai aussi que ça la rassure de savoir que la maison sera occupée pendant notre absence.

Juliana (allusive) - Pour être occupée, elle le sera !

Thomas - Et en août, tu vas toujours en Auvergne ?

Juliana (gênée) - Euh… oui.

Thomas - Chez ta copine Manon, c’est bien ça ?

Juliana - Officiellement.

Thomas - Et… officieusement ?

Juliana - Bah, papa, je… je voulais te dire…

Thomas - Oui ?

Juliana - Voilà… La copine, ce serait plutôt un copain, et l’Auvergne, à ma connaissance, ça ne touche pas la Méditerranée… Non, je suis invitée chez un ami à Nice…

Thomas - Oh ! oh ! Et je le connais cet ami ?

Juliana - Non, je ne crois pas… Moi non plus d’ailleurs, enfin pas trop…

Thomas - Après tout, tu auras bien mérité de te détendre après un mois de révisions acharnées.

Juliana - Mais pas un mot à maman, hein ?

Thomas - Tu ne comptes pas le lui dire ?

Juliana (évasive) - Si, enfin, non… Je verrai.

Thomas - Tu as raison : la connaissant, elle risquerait de très mal le prendre.

Juliana - Hélas !

Thomas - Même si, après tout, les deux programmes sont quasiment identiques.

Juliana - Ouais, quasi… Comme entre des sardines en boîte et du saumon de Norvège.

Thomas - Tu as de ces comparaisons !

Juliana - Ouais, mais c’est un peu ça.

Thomas - Bon, c’est promis, je ne dirai rien à ta mère.

Juliana (l’embrassant) - Papa, je t’adore !

Thomas - Je sais, je sais… Ah ! si seulement ta mère me le disait plus souvent !

Thomas et Juliana sortent sur la terrasse.

 

 

SCÈNE 3

Martine, puis Thomas et Juliana

 

Martine descend les escaliers. Le téléphone sonne. Elle décroche.

Martine - Allô !… Oui, elle-même… (Avec emphase.) Ah ! bonjour chère madame ! Quel plaisir et quelle joie de vous entendre !… Ça va très bien, merci… Vous aussi ? Parfait… Oui, oui, c’est cela, dix-huit heures… Ce sera un grand honneur de vous revoir… Et mon époux sera enchanté de faire enfin votre connaissance. Depuis le temps que je lui parle de vous… Mme Dumontier par-ci, Mme Dumontier par-là… (Retour discret de Thomas.) C’est simple : il n’y en a plus que pour vous ! J’en serais presque jalouse… C’est cela, à tout à l’heure… (Après avoir raccroché.) Eh bien, voilà une affaire qui ne traîne pas ! (Découvrant et ramassant une paire de chaussettes.) Ah ! si seulement il n’y avait pas dans cette maison d’autres affaires qui traînaient !

Thomas - Ah ! ça, ça doit être à moi !

Martine - D’après le fumet, je confirme.

Thomas - Une véritable Miss Marple ! Tu es très forte dis donc.

Martine - Pas autant que l’odeur de tes chaussettes…

Thomas - Hum… Je ne voudrais pas être trop indiscret, mais c’était qui au téléphone ?

Martine - Je te rassure, c’était une femme.

Thomas - Tiens donc !

Martine - Mme Dumontier, Rose Dumontier.

Thomas - Ah ? Ravi.

Martine - Tu n’as tout de même pas oublié que Rose Dumontier venait cet après-midi ?

Thomas - Si, complètement !

Martine (levant les bras au ciel) - C’est pas possible !

Thomas (amusé) - Mais non, je te fais marcher ! Toi qui es assise toute la journée, un peu de marche, ça fait du bien, non ?

Martine - Très drôle !

Thomas - Tu me sembles bien énervée… C’est cette visite qui te perturbe ?

Martine - Non, enfin si, sans doute. Tu sais l’importance que j’y attache.

Thomas - Comme quoi, Bécaud avait raison. (Chantonnant.) « L’important, c’est la rose ! »

Martine (sèche) - Thomas, garde tes allusions douteuses pour d’autres, tu veux !

Thomas - Le problème, c’est que je n’ai que toi pour les faire.

Martine (soufflant) - Malheureusement.

Thomas - Et puis, on peut bien se détendre, non ?

Martine - Alors, profites-en pendant qu’il en est temps ! Parce que, en présence de Mme Dumontier, il ne faudra pas y compter !

Thomas - Ah ?

Martine - Rose Dumontier n’a pas la réputation d’être une femme rigolote, loin de là.

Thomas - Tu la connais bien ?

Martine - Pas trop, mais ça va venir… Je t’ai raconté que nous nous étions rencontrées lors d’un cocktail, chez Philippe Berthier.

Thomas - Non… Chez Philippe Berthier ? Effectivement, là, il faut s’attendre au pire.

Martine - C’est à cette occasion que j’ai appris que la FESS, c’était elle.

Thomas - Pardon ?

Martine - La FESS, Fondation pour l’Entraide et le Secours aux Sinistrés.

Thomas - Oui, eh bien ?

Martine - Rose Dumontier en est la présidente.

Thomas - Ah ?

Martine - Ça, je te l’avais dit mais évidemment, comme d’habitude, ça t’est sorti de l’esprit.

Thomas (amusé) - La FESS ! Ils auraient pu réfléchir avant de l’appeler comme ça… Franchement, ça fait cul-cul comme nom, tu ne trouves pas ?

Martine - Sache pour ta gouverne que j’ai l’intention de faire un don substantiel à cette fondation.

Thomas - Ah bon ?

Martine - Et qui sait, d’en devenir membre active.

Thomas (moqueur) - Toi ? Pourtant, la FESS et toi, ça a toujours fait deux.

Martine - C’est d’un goût ! Figure-toi qu’en me rapprochant de Rose Dumontier et de sa Fédération, je caresse d’autres espoirs.

Thomas - Pauvres espoirs !

Martine - Rose Dumontier a non seulement du mérite…

Thomas - Ah ça ! Rien que pour accepter une invitation de Philippe Berthier, chapeau !

Martine (sur sa lancée) - Elle a surtout une grande qualité.

Thomas - Si elle n’en a qu’une.

Martine - Une qualité unique : son mari.

Thomas - Vous avez donc un point commun.

Martine - Hubert Dumontier… Une nouvelle fois, ça ne te dit rien, naturellement ?

Thomas - Ça devrait ?

Martine - Oui, parce que l’équipementier automobile, la SA Dumontier, c’est lui.

Thomas - Tant mieux pour lui !

Martine - Et pour nous par la même occasion.

Thomas - Je ne vois pas en quoi…

Martine - Réfléchis une minute !

Thomas - Ce n’est pas trop long pour moi ?

Martine - Là, tu tombes dans le mauvais goût…

Thomas (du tac au tac) - Je ne voulais pas t’y laisser seule.

Martine - En apprenant qui était M. Dumontier, moi, j’ai sauté sur l’occasion.

Thomas - Tant que tu n’as pas sauté sur le bonhomme…

Martine - Ça ne risque pas, vu sa tronche.

Thomas - Tu l’as déjà rencontré ?

Martine - Non, mais vu celle de sa femme, j’imagine facilement.

Thomas - Tout ça ne m’explique toujours pas…

Martine - Ce que j’ai à gagner à connaître les Dumontier ? J’y viens… Voilà : j’ai appris de sources bien informées que la SA Dumontier allait bientôt passer un gros marché publicitaire.

Thomas - Tiens donc !

Martine - Et je te rappelle, au cas où tu l’aies oublié, que je dirige une agence publicitaire… Et aussi que les affaires ne sont pas mirobolantes en ce moment… Alors le marché Dumontier, il faut que je le décroche.

Thomas - Coûte que coûte.

Martine - Oui ! Tu comprends maintenant en quoi cette visite est importante pour nous !

Thomas - Pour toi, assurément.

Martine - Pour moi, pour l’agence… Et même pour Juliana !

Thomas - Qu’est-ce que Juliana vient faire là-dedans ?

Martine - Je ne t’ai pas dit que les Dumontier avaient un fils ?

Thomas - Ils pourraient avoir six chèvres que ça me serait égal.

Martine - Et que ce fils n’était pas marié ?

Thomas - S’il ressemble à ses parents, c’est compréhensible.

Martine - C’est pas faux… En tout cas, je pense qu’il y a un coup à jouer pour Juliana.

Thomas - Un coup ! Tu as de ces mots !

Martine - C’est une piste à explorer ! Et puis, si on peut avoir la mère dans la poche et le fils par la même occasion, on ne va pas s’en priver !

Thomas (cynique) - Tu aurais tort, en effet.

Martine - C’est pour cela que j’ai aussi invité Édouard Dumontier, afin que Juliana et lui fassent plus ample connaissance.

Thomas - Je ne suis pas sûr que Juliana y tienne particulièrement.

Martine - Mais je ne lui demande pas son avis ! D’ailleurs, je lui en ai déjà parlé. Et elle m’a promis de se montrer, comment dire… coopérative, voilà !

Thomas - Repasse une deuxième couche, ça vaudra mieux.

Martine - Quel dommage que les Dumontier n’aient pas une fille ! Pour Sylvain, c’était parfait !

Thomas - Le fait que Sylvain soit seul n’est pas une catastrophe que je sache !… Il a le temps…

Martine - Je te rappelle qu’il va bientôt avoir trente ans !

Thomas - Déjà ? Ça ne nous rajeunit pas.

Martine - Non, surtout toi d’ailleurs.

Thomas - Je te rappelle qu’on vieillit au même rythme, même si tu accuses plus le coup que moi.

Martine - Ah ?… Toujours est-il qu’à son âge, j’estime qu’il est grand temps qu’il fréquente.

Thomas - Après tout, ce n’est pas de sa faute si ses études l’ont accaparé !

Martine - Malheureusement, elles n’avaient de féminin que le nom, ses chères études !

Thomas - Grâce à elles, il a pu décrocher un poste de cadre supérieur, ce n’est pas rien !

Martine - D’accord, mais ça ne fait pas tout ! Crois-moi : à force de traîner, on ne sait pas sur quoi on peut tomber… Et rappelle-toi le proverbe : « Celui qui va au marché trop tard ne ramène que les cageots. »

Thomas - Pas forcément.

Martine - Tu as un exemple ?

Thomas - Oui, toi.

Martine - Moi ?

Thomas - Quand tu m’as rencontré, tu n’étais pas de la première jeunesse que je sache.

Martine - Mais j’avais du vécu, moi.

Thomas - Tiens donc ?

Martine - Tu sais que je n’ai jamais aimé m’étendre sur le sujet.

Thomas - Resterait à savoir qui était le sujet en question… (Bas.) Le pauvre, je le plains ! (Haut.) Mais pour revenir à Sylvain, il est difficile, c’est tout.

Martine - Ça, je confirme ! Tiens, rappelle-toi Sylvie Delcourt… J’aurais juré qu’entre elle et lui, ça devait coller.

Thomas - C’est vrai que dans le genre pot de glu, il n’y avait pas mieux !

Martine - C’était pourtant entre eux deux une vieille histoire.

Thomas - Ou plutôt une histoire de vieille ! Elle avait cinquante-deux ans !

Martine - Et Sylvie Hauterive ?

Thomas - Ah ? Bon pied bon œil ?

Martine - Comment ça ?

Thomas - Souviens-toi qu’elle boitait et qu’elle avait un œil qui espionnait l’autre en permanence.

Martine - Et alors ?… Passons, mais Sophie Mouton, elle, elle était idéale.

Thomas - Idéale, sauf que quand tu as dit qu’elle mesurait un mètre soixante-dix, tu n’avais pas précisé que c’était en largeur ! Franchement, permets-moi de m’interroger sur tes choix pour ton fils.

Martine - Il faut persévérer… (Coupant court.) En attendant, je compte sur vous tous, et toi en particulier, pour accueillir les Dumontier comme il se doit.

Thomas - Oh ! mais on sait se tenir !

Martine - C’est ce qui m’inquiète !

Thomas (faussement précieux) - Et pour quelle heure sont-ils annoncés ?

Martine - Dix-huit heures précises.

Thomas - Bon.

Martine - Et surtout, pas de faute de goût s’il te plaît ! Distinction et amabilité de rigueur !

Thomas (amusé) - Au fait, j’espère qu’elle est bien carrossée, Mme Dumontier…

Martine - Pardon ?

Thomas - Bah oui ! Pour un équipementier automobile, ce serait le comble !

Martine (soufflant) - Il y a des jours !

Retour de Juliana.

Juliana - Bonjour maman.

Thomas - Je vous laisse en famille… Juliana, ta mère a des choses passionnantes à te dire !

Juliana - Ah ?

Thomas gagne le jardin.

Martine - Tu n’as pas oublié que nous attendions une visite cet après-midi ?

Juliana - Non, non…

Martine - Parfait. Je te rappelle que Mme Dumontier sera accompagnée de son fils, Édouard.

Juliana - Oui, oui.

Martine - Il doit avoir ton âge ou presque.

Juliana (fausse) - Chouette !

Martine - Un garçon très bien à ce que j’ai compris.

Juliana - Oh ! sûrement !

Martine - Qui a fait de brillantes études, lui… Je suis persuadée que tu gagneras beaucoup à discuter avec lui…

Juliana - Toi aussi, non ?

Martine - C’est vrai qu’un rapprochement entre nos deux familles pourrait nous être bénéfique, je ne te le cache pas…

Juliana - Bon, je ferai de mon mieux…

Martine - J’y compte bien ! Et tu me feras le plaisir de passer une tenue plus… enfin moins…

Juliana - Oui maman. (Martine grimpe les escaliers. Juliana s’apprête à sortir sur la terrasse. Son portable sonne.) Allô ! Philippe ?… Oui… Attends, je vais sur la terrasse, je serai plus tranquille.

Juliana va sur la terrasse.

 

 

 

 

SCÈNE 4

Sylvain, puis Juliana

 

Sylvain sort de la bibliothèque.

Sylvain (comme s’il répétait une scène) - Bon, maman, j’ai à te parler… Je… J’ai rencontré quelqu’un… Oui, quelqu’un… Je… Non, tu ne la connais pas… Moi non plus d’ailleurs… Enfin, si, un peu… Comment elle s’appelle ? Non mais ! Je t’en pose des questions, moi ? Comment elle est ? Bah…

Retour de Juliana, son portable en main.

Juliana (en écho) - Minable !

Sylvain - Hum…

Juliana (énervée) - Pauvre cloche !

Sylvain - C’est à moi que tu parles ?

Juliana - Toi, je t’ai pas sonné.

Sylvain - Holà ! Doucement !

Juliana - Ça, c’est trop fort !

Sylvain - T’en fais une tête !

Juliana - Occupe-toi de la tienne, y’a assez de boulot comme ça !

Sylvain - Charmant !

Juliana (se reprenant quelque peu) - Pardon… mais c’est ce coup de téléphone qui m’a mise sur les nerfs.

Sylvain - Ah ?

Juliana - C’était Phil…

Sylvain - Phil ?

Juliana - Bah oui ! Philippe !

Sylvain - Lequel ?

Juliana - Parce que j’en ai connu plusieurs ?… (Réfléchissant.) Remarque, oui, tu as raison. (Elle compte sur ses doigts.)

Sylvain - J’avoue que j’ai toujours eu du mal à suivre toutes tes fréquentations…

Juliana - C’est sûr que c’est plus facile pour moi de suivre les tiennes…

Sylvain - Ouais…

Juliana - Philippe… Celui qui est en licence de droit avec moi…

Sylvain - Celui qui est aussi large que haut ?

Juliana - Il est comme il est !

Sylvain - Tu ne vas pas me dire que tu fréquentes ce type ?

Juliana - Ça t’étonne ?

Sylvain - Ça fait tache dans ta collection.

Juliana - Y’a eu pire… Enfin, rarement, les soirs où j’avais trop bu.

Sylvain - Franchement, je ne vois pas ce que tu lui trouves.

Juliana (franche) - Moi, rien.

Sylvain - Ah ?

Juliana - Sauf que ses parents ont une villa à Nice, avec piscine et tennis.

Sylvain - Là, je comprends mieux qu’il t’intéresse.

Juliana - Moi, pour un séjour sur la Côte, je suis prête à tous les sacrifices.

Sylvain - Oh ! sûrement !

Juliana - On devait passer le mois d’août dans cette villa…

Sylvain - Je croyais que tu allais chez Manon en août ?

Juliana - Non mais tu m’as bien regardée ?

Sylvain - Pas plus que d’habitude.

Juliana - Tu devrais… Le Puy ? Et pourquoi pas Clermont-Ferrand tant que tu y es ? ! Y’a des limites à la décence !

Sylvain - Moi, je sais pas trop, je ne connais ni l’une ni l’autre, alors…

Juliana - T’es pas plus calé en géographie qu’en filles.

Sylvain - Ça peut changer.

Juliana (cynique) - En géographie, peut-être, avec un bon atlas…

Sylvain - Sympa…

Juliana - Et dire que tout se goupillait bien jusqu’à ce que ce crétin me téléphone pour me dire que c’était annulé… Et tu sais pourquoi ?

Sylvain - Bah non.

Juliana - Soi-disant parce qu’il est consigné tout l’été chez lui pour préparer les examens qu’il doit repasser en septembre.

Sylvain - Ça, c’est terrible.

Juliana - C’est une catastrophe, oui !

Sylvain - Ouais, devoir rester enfermé à bosser, c’est dur.

Juliana - Mais je m’en fous ! Il avait qu’à pas les louper ses exams, l’abruti !

Sylvain - Tu n’as pas de leçon à lui donner que je sache.

Juliana - N’en rajoute pas, s’il te plaît !… Non, le plus dur dans cette affaire, c’est pour moi !

Sylvain - Moi, je le plains surtout lui, le pauvre !

Juliana - Pauvre con, oui ! Et mes semaines sur la Côte, tu les oublies ?

Sylvain - Ouais, elles tombent à l’eau.

Juliana - Tu sais que tu es drôle, toi ?

Sylvain - Je fais ce que je peux.

Juliana - C’est là le problème… Et dire que je venais de m’acheter un nouveau maillot… (Ayant enlevé son tee-shirt, sous lequel elle a un maillot de bain.) Qu’est-ce que tu en penses ?

Sylvain (pas sur la même longueur d’ondes) - Bah, c’est pas grave, tu le rentabiliseras une autre fois.

Juliana - Non, je veux dire : qu’est-ce que tu penses de mon maillot ?

Sylvain - Bah, pas mal…

Juliana - Cinquante euros foutus en l’air !

Sylvain - Allons, te connaissant, tu vas bien trouver quelqu’un d’autre pour t’emmener en vacances !

Juliana - Oh ! ce n’est pas les gars qui manquent !

Sylvain - Tu vois !

Juliana - Sauf que ça ne me va pas.

Sylvain - Évidemment.

Juliana - Tiens, par exemple, Grégoire.

Sylvain - Celui qui rend folles toutes les filles du campus ?

Juliana - Ouais… Bon, il a du charme, je te l’accorde… Il assure au lit aussi, c’est vrai… Mais le problème, c’est que sa maison de campagne est à Vesoul… À Vesoul ! Y’aurait même pas besoin de préciser que c’est une maison de campagne… Vesoul ! Faut pas pousser !

Sylvain - Si ça se trouve, c’est très bien Vesoul.

Juliana - Et je ne te parle pas de Sergio ; lui, il a un pied-à-terre en Bretagne.

Sylvain - Ouais, c’est pas forcément le pied.

Juliana - Comme tu dis ! Je veux bien prendre mon pied avec lui, mais au soleil !… Y’aurait bien Jonathan qui a un studio au Cap d’Agde… Bon, si vraiment je ne trouve rien, comme gars ou comme endroit… Mais c’est pas ça qui va épater les copines !… Non, il faut vraiment que je cherche mieux et que je trouve rapidos !

Sylvain - Je te fais confiance.

Juliana - Non, décidément, cet appel de Phil, ça m’a coupé les jambes… C’est dommage, jolies comme elles sont…

Sylvain (amusé) - On peut dire que c’est un sale coup de Phil… Coup de Phil…

Juliana - Bon, t’en as d’autres aussi marrantes en stock ?

Sylvain - Je reconnais que celle-là était téléphonée… Téléphonée…

Juliana - Y’a des fois où je ferais mille fois mieux d’être sourde que d’entendre de telles conneries !

Sylvain - On a déjà papa qui entend mal…

Juliana - Je te laisse avec tes blagues à deux euros… Pour une fois que t’es accompagné !

Juliana grimpe les escaliers.

Sylvain - Hum… Mais ça risque de changer… Et sous peu ! Bon, reprenons… Alors maman, écoute bien…

 

 

SCÈNE 5

Sylvain, Martine

 

Retour de Martine.

Sylvain - Ah ! bonjour maman !

Martine - Bonjour… Dis donc, je viens de croiser ta sœur dans les escaliers… Elle n’avait pas l’air très réjoui…

Sylvain - Oh ! ça lui passera !

Martine - J’espère, au moins d’ici dix-huit heures.

Sylvain - Tu sais, souvent femme varie…

Martine - Tu es un expert en la matière ?

Sylvain - Bah non, pas trop… Dis maman, je peux te dire un mot ?

Martine (regardant à travers la baie) - J’ai l’impression qu’il va y avoir de l’orage…

Sylvain - Je…

Martine (toujours dans ses pensées) - Pourtant, ils n’avaient rien annoncé à la météo, non ?

Sylvain - Maman, tu m’écoutes ?

Martine - Pas encore, mais je t’entends.

Sylvain - Maman ! C’est sérieux…

Martine - Ah ? Tu as perdu au billard ?

Sylvain (fort cette fois-ci) - Maman !

Martine - Pardon… Vas-y !

Sylvain - Je… Voilà, j’ai… j’ai rencontré quelqu’un…

Martine - Tiens, moi aussi. Figure-toi que dans la rue, hier matin, je…

Sylvain - Maman ! Je te parle de quelqu’un avec qui, enfin…

Martine (réalisant enfin) - Non ?!

Sylvain - Si…

Martine - Ah ! bah ça, si je m’attendais…

Sylvain - Moi non plus d’ailleurs, je ne m’y attendais plus tellement.

Martine - On en parlait, justement, ton père et moi, il y a quelques minutes.

Sylvain - Ah ?

Martine - Oui, tu sais que ton père se désespère de te voir toujours seul… Bon, faut le comprendre, pour lui aussi ça a été difficile de fréquenter… J’avais donc raison d’être optimiste pour toi.

Sylvain - Oui… Enfin…

Martine - Et sans être trop indiscrète…

Sylvain - Ce n’est pas ton genre.

Martine - Ah ?

Sylvain - Tu aimerais en savoir plus, n’est-ce pas ?

Martine - Oh non !

Sylvain - Non ?

Martine - Enfin si, à l’occasion.

Sylvain - Je me disais aussi…

Martine - Oh ! le minimum, hein ?

Sylvain - Dominique.

Martine - Eh bien ?

Sylvain - Dominique, c’est son prénom.

Martine - Ah ?… Ça sonne pas trop mal.

Sylvain - Oui.

Martine - Et vous vous êtes rencontrés où ?

Sylvain - Bah… sur Internet.

Martine - Aïe !

Sylvain - Par l’intermédiaire d’une agence qui m’a semblé très sérieuse.

Martine - Ah…

Sylvain - Tu sais, on n’est pas les premiers.

Martine - Sans doute mais…

Sylvain - On a pas mal chatté ensemble.

Martine - Chatté ?

Sylvain - Ouais, « tchatcher » si tu préfères.

Martine - Oui, j’aime mieux… Papoter, ça m’a toujours plu.

Sylvain - Je reconnais que ça a vite accroché entre nous…

Martine - Ah…

Sylvain - Dominique s’est beaucoup intéressée à moi, à ce que je faisais… Et ça a eu l’air de vraiment lui plaire quand je lui ai dit que j’étais cadre.

Martine - Tiens donc !… Et de son côté ?

Sylvain - En fait, je ne sais pas trop de choses.

Martine - C’est dommage.

Sylvain - Ce sera la surprise presque totale !

Martine - Si je comprends bien, vous ne vous êtes pas encore vus ?

Sylvain - Non.

Martine - Et tu ne sais même pas…

Sylvain - … à quoi Dominique ressemble ? Non, et d’ailleurs, ce n’est pas le plus important, non ?

Martine - Quand même un peu…

Sylvain - Mais rassure-toi, ça ne va pas tarder.

Martine - Ah ?

Sylvain - Oui, on doit se rencontrer cet après-midi.

Martine - Cet après-midi ?

Sylvain - Oui, ici…

Martine - Parfait ! (Réalisant.) Co… comment ? Ici ?

Sylvain - Bah… Dominique a insisté pour que ce soit chez moi ; enfin, quand je dis chez moi, Dominique sait que c’est chez mes parents… Oui, visiblement, ça l’arrangeait…

Martine - À se demander pourquoi.

Sylvain - J’ai pensé que ça ne dérangerait pas trop, surtout que quand on a fixé ensemble le rendez-vous, vous ne deviez pas être à la maison aujourd’hui.

Martine - Sauf que depuis il y a eu du changement.

Sylvain - Oui… Bon, moi, j’ai pas osé proposer une nouvelle date, tu comprends ?… Mais après tout, vous pouvez être là, ce n’est pas gênant.

Martine - Je te rappelle que nous avons des invités : les Dumontier.

Sylvain - Je sais, mais je ne vois pas en quoi ça change quelque chose.

Martine - Non, bien sûr… Et finalement, faut voir le bon côté : ça me permettra de rencontrer… comment déjà ?

Sylvain - Dominique.

Martine - Voilà, Dominique… Et de me faire une opinion sur cette personne.

Sylvain - Maman, c’est moi qui suis concerné, pas toi.

Martine - Non ?

Sylvain - Non. Je préfère que tu restes en dehors de tout ça.

Martine - Bon, bon… Je n’insiste pas alors ?

Sylvain - Inutile.

Martine - C’est d’accord, je n’interviendrai pas, promis !

Sylvain - Merci.

Martine (rectifiant) - Enfin, j’essaierai.

Sylvain - Et si Dominique ne te plaît pas, tant pis ! C’est comme ça et pas autrement !

Martine - Tu sais, je n’ai pas de préjugés, moi.

Sylvain - Vraiment ?

Martine - Oui, enfin très peu ; le minimum, quoi.

Sylvain - Rassure-toi, maman, je ne vais pas m’engager à la légère.

Martine - Espérons-le !

Sylvain - Et si ça ne marche pas entre Dominique et moi, ce n’est pas si grave… J’en trouverai d’autres sur Internet.

Martine - Je ne sais pas s’il faut s’en réjouir.

Sylvain - Tu ne t’imagines pas le nombre de sites de rencontres qu’il y a.

Martine - Ça, on doit y trouver de tout… De tout et de rien.

Sylvain - Autres temps, autres mœurs, maman…

Martine - Hélas !

Sylvain - Au fait, toi, jeune, tu ne t’étais pas inscrite dans une agence matrimoniale ?

Martine (un peu confuse) - Je… Qui t’a raconté ça ?

Sylvain - Papa.

Martine - Ah ?… Quoi qu’il en soit, c’était sérieux…

Sylvain - Peut-être que moi aussi ça le sera !

Martine - Souhaitons-le ! Même si je reste très, mais alors très sceptique.

Sylvain - Tu as tort.

Martine - Après tout, nous verrons bien.

Sylvain - Je verrai bien.

Martine - Oui, tu verras bien.

Sylvain - Pour revenir à Dominique, je n’en ai encore parlé qu’à toi.

Martine - Je te remercie.

Sylvain - Pas un mot à papa, d’accord ?

Martine - C’est préférable : adroit comme il est, il pourrait tout gâcher.

Sylvain - Ni à Juliana, hein ?

Martine - Oui, ça vaudra mieux, là aussi.

Sylvain - Et si par hasard c’était toi qui accueillais Dominique…

Martine - Je m’en occuperai comme il se doit.

Sylvain - Justement, n’en fais pas trop !

Martine - Pas de souci : je ne me mêlerai de rien, ou de très peu…

Sylvain - Et surtout, pas de jugement hâtif !

Martine - Tu me connais.

Sylvain - Hélas !

Sylvain grimpe les escaliers.

Martine (au public) - Je ne sais pas vous mais moi, j’ai comme l’impression qu’on n’est pas au bout de nos surprises ! Du courage, Martine, du courage ! Il t’en faudra !

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

ACTE II

SCÈNE 1

Martine, Thomas

 

Martine tourne en rond dans la pièce. On la sent excitée. Elle a revêtu une robe de soirée.

Thomas descend les escaliers. Il est en smoking.

Thomas (paradant) - Alors ? Qu’est-ce que tu en dis ?

Martine (consultant sa montre) - Qu’ils ne vont pas tarder.

Thomas - Je te parlais de mon smoking.

Martine (encore ailleurs) - Ah ?

Thomas - Ça vous change un homme, hein ?

Martine - Je reconnais qu’il te va bien… On devrait avoir des invités plus souvent !

Thomas - Ta robe te va très bien elle aussi.

Martine - Merci.

Thomas - Non, y’a pas à dire : l’emballage, ça permet souvent de rattraper le contenu !

Martine - Tu parles pour toi, évidemment.

Thomas - Évidemment.

On sonne.

Martine - Bon, ce sont eux !

Thomas - Quelle ponctualité !

Martine - Tu es prêt ?

Thomas - Moi, toujours ! (La prenant par les épaules.) Rassure-toi, tout va bien se passer… Enfin, faut espérer !

Martine - L’espoir fait vivre !

 

 

SCÈNE 2

Les mêmes, Rose et Édouard

 

Martine va ouvrir.

Entrée de Mme Dumontier et de son fils Édouard. Tous deux portent des lunettes épaisses. Mme Dumontier a une tenue très stricte et Édouard est en costume.

Martine (avec emphase) - Ah ! madame Dumontier ! Quel plaisir de vous revoir, ma chère Rose !

Rose (sur la réserve) - Bonjour madame Brunet.

Martine (présentant Thomas) - Mon époux, Thomas.

Rose - Ravie.

Thomas - Mes hommages, madame… Si vous saviez comme Martine était impatiente de vous retrouver… À se demander pourquoi !

Martine - Hum…

Thomas - Alors, si j’ai bien compris, la FESS, c’est votre passion ?

Rose - Euh… oui.

Martine (changeant de sujet) - Quel dommage qu’Hubert n’ait pas pu venir avec vous.

Rose - Vous parlez de mon mari je suppose ?

Martine - Euh… oui.

Rose - M. Dumontier avait beaucoup de travail ; vous savez ce que c’est !

Thomas - Le travail ? Non, pas trop.

Martine - Il viendra une autre fois.

Thomas (gauche, une fois de plus) - On vous a déjà vous, c’est mieux que rien !

Martine - Hum… (S’approchant d’Édouard, resté en retrait.) Mais et là, nous allions oublier ce si charmant jeune homme !

Thomas - Où ça ?

Rose (présentant Édouard) - Notre fils.

Édouard - Madame, monsieur…

Martine - Tout le portrait de sa mère !

Thomas - Au niveau des lunettes, c’est indéniable !

Martine - Même finesse des traits !

Thomas - Tu trouves ?… (Martine le tape du coude.) Ah oui ! C’est fou ! Inouï ! Inimaginable !

Martine (à Thomas) - N’en fais pas trop quand même !

Thomas - Ah ?

Martine - Moi, j’en connais une qui va être ravie de faire sa connaissance !

Thomas - Ah bon ? Qui ça ?

Martine - Juliana, voyons !

Thomas - Mais oui !

Édouard (tout excité) - Moi aussi.

Martine - Depuis le temps qu’elle entend parler de lui !

Thomas - Ah ça ! Charles par-ci, Charles par-là !

Rose (rectifiant) - Édouard, pas Charles.

Thomas (confus) - Ah ? Je… J’aurais cru… Mais Édouard, ça vous va bien aussi !

Édouard - Charles, c’est mon deuxième prénom.

Thomas - Je me disais…

Rose (sèche) - Édouard ! N’étalez pas ainsi votre vie privée !

Martine - Je suis persuadée que nos deux enfants vont merveilleusement s’entendre.

Thomas (sceptique) - Ah ?

Édouard - Moi, je veux bien !

Martine - Ils ont tout pour, en tout cas.

Thomas - Moi, je ne trouve pas trop… (Martine lui donne à nouveau un coup de coude.) Enfin si, à bien y réfléchir…

Rose - Il est bon pour Édouard de rencontrer des jeunes de son âge ; jeunes de qualité cela va sans dire.

Martine - Cela va sans dire.

Rose - Ce qui n’est pas monnaie courante de nos jours !

Martine - Ah ça !

Rose - Nous vivons une telle dépravation des mœurs !

Martine - À qui le dites-vous !

Rose - Entre nous, il faut vous avouer qu’Édouard n’a pas trop l’habitude de fréquenter les filles…

Édouard (faiblement) - Maman !

Rose - Ses études ne lui en ont guère laissé le temps… Mais mon mari et moi sommes assez fiers de ses résultats, en toute modestie naturellement.

Martine - Naturellement…

Rose - Nous avons toujours attaché une grande importance à l’éducation de nos enfants.

Martine - Nous pareil !… Si je comprends bien, vous avez d’autres enfants qu’Édouard ?

Rose - Oui, nous avons une fille. Pour vous dire la vérité, elle n’a fait qu’HEC.

Thomas - Aïe !

Martine - C’est déjà pas mal !

Rose - Et elle a voulu se lancer dans l’immobilier… Nous l’avons laissé faire…

Thomas - Il vaut mieux se lancer dans l’immobilier que de rester dans l’immobilisme.

Rose - Tiens ! Je ne connaissais pas cette expression.

Thomas - C’est que… je viens de l’inventer.

Martine - Va donc chercher Juliana, ça vaudra mieux !

Thomas - Inutile ! La voilà !

Édouard (observant Juliana qui descend les escaliers) - Ouh là là !

 

 

SCÈNE 3

Les mêmes, Juliana

 

Juliana a revêtu une tenue de jeune fille « rangée ».

Martine - Juliana, tu ne devineras jamais qui est arrivé !

Juliana - Bah si ! (À Rose.) Madame…

Rose - Mademoiselle… (À Martine et Thomas.) Votre fille est ravissante.

Édouard (sous le charme) - Ah ! ça oui ! Ouh là là !

Thomas - Elle a beaucoup pris de son père.

Martine - Hum… Et si nous passions au salon ?

Rose - Soit.

Martine - Oui, un petit cocktail de bienvenue nous y attend… Il y a aussi de quoi grignoter… Du fait maison !

Rose - Il ne fallait pas vous déranger.

Martine - Thomas m’a aidée, je l’avoue… Il adore cuisiner.

Thomas - J’ai fait une quiche… J’ai pensé que ça vous irait bien.

Martine - Euh oui… Les enfants, vous n’avez qu’à rester seuls un moment… Comme ça, vous pourrez faire plus ample connaissance et bavarder tranquillement… Qu’est-ce que vous en pensez ?

Juliana (comédienne) - Avec joie maman !

Édouard - Oh ! ça oui !

Martine - Vous devriez avoir des tas de choses à vous raconter.

Juliana - Certainement, maman.

Thomas - Ou à vous montrer !

Édouard - Ouh là là !

Thomas - Bon, on vous laisse alors… Soyez sages !

Juliana (faussement prude) - Oh ! papa !

Martine, Rose et Thomas gagnent le salon.

 

 

SCÈNE 4

Édouard, Juliana

 

Juliana (qui s’est assise sur le canapé) - Alors comme ça, vous avez fait de brillantes études ?

Édouard - Je… Si vous le dites.

Juliana (forçant son intérêt) - Ce sont mes parents qui me le disent… Vous êtes allé à Polytechnique, c’est ça ?

Édouard - Oui…

Juliana - Bah moi, c’est le côté poli qui me manque parfois, parce que côté technique, j’assure pas mal, si vous voyez ce que je veux dire.

Édouard (la déshabillant du regard) - Oh ! je vois !

Juliana - J’espère bien, avec l’épaisseur de vos verres !

Édouard - Ah ? Euh… oui… Sans mes lunettes, je n’y verrais goutte.

Juliana - C’est cela oui… En tout cas, votre diplôme, ça doit en jeter, non ?

Édouard - Plaît-il ?

Juliana - À vos souhaits !… Oui, Polytechnique, ça vous a pas aidé à emballer les filles ?

Édouard - Bah non…

Juliana - Ouais, en vous voyant, je m’en doutais…

Édouard - Euh… et vous ?

Juliana - Oui ?

Édouard - Dans quelle branche étudiez-vous ?

Juliana - Je suis en fac de droit.

Édouard - C’est très bien ça.

Juliana - Oui, comme on dit : le droit mène à tout, à condition d’en sortir.

Édouard - C’est joliment dit.

Juliana - Oh ! ce n’est pas de moi !

Édouard - Ça ne fait rien, c’est joli quand même… (La dévisageant du regard.) Très joli !

Juliana - Je suis en maîtrise.

Édouard - Je… (Bas, à lui-même.) Ouh là là ! C’est moi qu’il faut que je maîtrise…

Juliana - Pardon ?

Édouard - Non, rien, je soliloquais.

Juliana - Si vous le dites.

Édouard - Juliana, je risque d’être un tantinet gauche avec vous… Remarquez, vous qui êtes en droit, cela fera un juste milieu…

Juliana - Oui, oui…

Édouard - Je… Je voulais vous dire… Enfin…

Juliana (éludant) - Oui, oui, une autre fois.

Édouard - Ah ?

Juliana - Il fait chaud, non ?

Édouard - Je ressens une certaine moiteur, je l’avoue.

Juliana - Si nous allions piquer une tête ?

Édouard - Pardon ?

Juliana - Oui, nous baigner.

Édouard - Je… Vous croyez ?

Juliana - J’en suis même sûre : la piscine est là pour ça !

Édouard (gêné) - C’est que…

Juliana - Qu’est-ce qu’il y a ?

Édouard - Je ne voudrais pas abuser de vous.

Juliana (cinglante) - Ça ne risque pas.

Édouard - Ah ?… C’est gênant quand même.

Juliana - Pourquoi ?

Édouard - Bah… Je n’avais point prévu de maillot et…

Juliana (avec évidence) - Si ce n’est que cela, je vais vous en prêter un.

Édouard (bêtement) - Vous ?… Nous n’avons pas la même morphologie, voyons !… La vôtre est d’ailleurs tout à votre avantage et…

Juliana (coupant court) - Je vais aller vous chercher un maillot « homme ».

Édouard - Je ne sais pas si…

Juliana - Moi, je sais… Un maillot une pièce, naturellement.

Édouard (un peu niais) - Oh ! Juliana, vous m’amusez !

Juliana - C’est déjà ça ! Bon ! Bougez pas !

Édouard - Ah ! ça non ! (Juliana grimpe les escaliers. En sueur, il s’éponge le front.) Bon sang ! Mais qu’est-ce qui m’arrive, moi ?… C’est bien la première fois qu’une fille s’intéresse à moi ! Mais Édouard, doucement ! Reste calme !

Retour de Juliana, un maillot de bain en main.

Juliana - Voilà !

Édouard - Voilà, voilà !

Juliana - Je n’ai pas été trop longue ?

Édouard - Oh non ! Pour vous, j’attendrais des heures.

Juliana - Bon, je vais enlever ma robe.

Édouard - Enlever votre… Ouh là là !

Juliana - Rassurez-vous, j’ai mon maillot de bain dessous.

Édouard (bas) - Ah ! dommage !

Juliana (en maillot, tournant sur elle-même) - Il me va ?

Édouard - Diantre oui !

Juliana - J’avais peur qu’il me serre trop au niveau des fesses, vous voyez ?

Édouard - Je… Très bien !

Juliana - Je trouve qu’il épouse bien mon corps, vous ne trouvez pas ?

Édouard - Pour épouser, il épouse !

Juliana - Bon, il n’y a plus qu’à vous changer.

Édouard - Ah ?

Juliana - Bah oui, vous n’allez pas vous baigner tout nu !

Édouard - Ah non ? Ah ! bah non, bien sûr ! Mais je me change ici ?

Juliana - Sûrement pas ! (Désignant la baie.) Il y a une cabine au bord de la piscine.

Édouard - Ah…

Juliana - Allez-y, je vous rejoins !

Édouard - Avec grand plaisir !

Édouard gagne la terrasse.

Juliana (prend son portable) - Allô ! Manon ? Ouais, c’est moi à nouveau… Il m’en arrive une bonne… Je t’avais dit qu’aujourd’hui mes parents avaient des invités ?… Oui, c’est ça… Et dans le lot, il y a le fils… Ma mère m’a chargée de m’en occuper…Tu parles d’un cadeau ! Faut voir le gazier ! Genre grand nigaud avec des lunettes à triple foyer, y’a pas mieux ! Avec les boutons qu’il a, il aurait pu ouvrir une mercerie !… Et puis il cause comme au Moyen Âge !… Même toi tu n’en voudrais pas, c’est dire ! Mais je me demande si je ne lui ai pas tapé dans l’œil !… Là, il est dans la piscine et je vais le rejoindre… Non, non, je me tiens sur mes gardes ; j’ai le goût du sacrifice, mais y’a des limites !… Ouais, à plus !

Juliana va rejoindre Édouard.

 

 

SCÈNE 5

Sylvain, Aurélie

 

Sylvain descend les escaliers.

Sylvain (consultant sa montre) - Bon, dix-huit heures vingt-quatre. (On sonne.) Pile à l’heure ! Allez, Sylvain, du cran ! (Il va ouvrir.) Bonjour.

Une jeune femme très élégante fait son apparition. Elle a un attaché-case en main.

Aurélie - Bonjour… Je suis bien au 8, rue des Tulipiers ?

Sylvain (déjà sous le charme) - Oui, oui…

Aurélie - Permettez-moi de me présenter…

Sylvain - Oh ! inutile !

Aurélie - Ah bon ?… Vous savez donc que je suis envoyée par l’agence ?

Sylvain (un peu perdu) - Par l’agence ?… Oui, oui, bien sûr.

Aurélie - Bien. Figurez-vous que j’ai eu un doute sur le jour du rendez-vous.

Sylvain - Ah ?

Aurélie - Oui, ce matin, en regardant mon agenda, j’ai constaté que le samedi 15 n’existait pas puisque le 15, c’est aujourd’hui… J’ai pensé que le rendez-vous était bien le vendredi et comme j’étais dans les parages, je me suis permis de passer…

Sylvain - Très bien, très bien.

Aurélie - J’avais donc raison, c’est bien aujourd’hui ?

Sylvain - Oui, oui.

Aurélie - Parfait.

Sylvain (la déshabillant de la tête aux pieds) - Ah ça ! Parfaite ! Euh… parfait !

Aurélie (promenant son regard) - Donc, c’est ici que ça se passe.

Sylvain - Oui.

Aurélie - À peine arrivée, vous savez ce que je me suis dit ?

Sylvain - Non, mais j’ai hâte de le savoir.

Aurélie - Eh bien, je me suis dit : voilà un cadre qui promet.

Sylvain (évidemment pas sur la même longueur d’ondes) - J’espère être à la hauteur.

Aurélie - Et qu’est-ce qu’il doit être agréable !

Sylvain - J’essaie.

Aurélie - En tout cas, j’apprécie.

Sylvain - Je suis sûr que nous allons nous apprécier mutuellement.

Aurélie - Euh… oui.

Sylvain - Mais déshabillez-vous donc !

Aurélie (surprise) - Pardon ?

Sylvain - Enfin, passez-moi votre veste.

Aurélie - Si vous y tenez.

Sylvain - On verra après pour le reste, non ?

Aurélie (lui donnant sa veste) - Je…

Sylvain - Et laissez-moi vous regarder… Vous êtes exactement comme je vous avais imaginée… Si, si !

Aurélie - Ah ?

Sylvain - Et même mieux, si c’est possible !

Aurélie (qu’on sent un peu gênée) - Hum…

Sylvain - Franchement, Internet, ça a du bon !

Aurélie - C’est sûr que sans ça, je ne serais pas là !

Sylvain (ébloui) - Ah ! je suis enchanté que nous nous voyions enfin et que je mette un visage… et un corps aussi !

Aurélie - Bien.

Sylvain - Et je voulais vous demander…

Aurélie - Oui ?

Sylvain - Vous me promettez d’être sincère ?

Aurélie - Oui.

Sylvain - Voilà : comment m’avez-vous trouvé ?

Aurélie - Facile.

Sylvain - Pardon ?

Aurélie - Oui, j’avais un bon plan de la ville.

Sylvain - Non, je voulais dire : comment vous me trouvez, physiquement ?

Aurélie - Comment ?

Sylvain - Oui, je corresponds à ce que vous pensiez ?

Aurélie - Je… Nous nous égarons, me semble-t-il.

Sylvain - Ah ? Moi, je veux bien m’égarer dans vos yeux.

Aurélie (toujours sérieuse) - Parlons de votre maison, si vous le voulez bien.

Sylvain - Moi, je veux bien ce que vous voulez.

Aurélie - Elle me semble très grande, non ?

Sylvain - Ça oui… Là aussi, on peut s’y égarer, mais c’est moins intéressant… Sauf si on y joue à cache-cache… Ça vous dirait de jouer à cache-cache avec moi ?

Aurélie - Mais…

Sylvain - Si vous ne me trouvez pas, je suis dans la cave !

Aurélie (cherchant à couper court) - Écoutez, ça me dirait surtout de mieux la connaître !

Sylvain - Ah ?

Aurélie - Et si vous en êtes d’accord, j’aimerais bien commencer tout de suite la visite.

Sylvain - La visite ?

Aurélie (avec évidence) - Oui, la visite des lieux.

Sylvain - Ah ? Si vous voulez…

Aurélie - Vous comprenez, il faut que je me fasse une idée plus précise du cadre.

Sylvain - J’y suis : « dis-moi où tu vis, je te dirai qui tu es ».

Aurélie - Euh… oui.

Sylvain - Alors vous, vous êtes une futée !

Aurélie - Bien. Si nous démarrions ?

Sylvain (enthousiaste) - Démarrons ! Démarrons !

Aurélie - Bon. Par quoi débutons-nous ?

Sylvain - Par ce que vous voulez.

Aurélie - Le haut ou le bas ?

Sylvain (le regard sur Aurélie) - Les deux promettent !

Aurélie - Attaquons donc par le haut !

Sylvain (les yeux plongés sur la poitrine d’Aurélie) - Tout un programme !

Aurélie - J’ai hâte de le découvrir !

Sylvain - Et moi donc !

Aurélie - Quelles pièces pouvons-nous visiter ?

Sylvain - Les… pièces ?

Aurélie - Oui, qu’est-ce qu’il y a à l’étage ?

Sylvain - Bah… les chambres.

Aurélie - C’est important les chambres.

Sylvain - Ah ça ! Pour tout ce qu’on peut y faire…

Aurélie - Je vous suis.

Sylvain - Vous ne voulez pas passer devant ?

Aurélie - Non merci… Je… Grimpez, je vous rejoins… Un coup de téléphone à donner et je suis à vous !

Sylvain (subjugué) - Vous êtes à moi ? Oh ! alors vous !

Sylvain grimpe les escaliers.

Aurélie (son portable à l’oreille) - Allô !… C’est Aurélie… Oui, oui, j’ai trouvé… Un peu difficile et isolée mais bon… Non, c’est un homme… Le mari sans doute, ou le fils, peu importe d’ailleurs… Ça, le cadre me semble exceptionnel… On n’aura pas de problème pour louer cette villa à prix d’or… Bon, le type est bizarre… Je me demande des fois où il veut en venir… J’ai comme l’impression qu’il me drague… Non, non, ne vous inquiétez pas, tout va bien se passer… Ce qui compte, c’est de signer le contrat avant les autres, non ? Et une opportunité pareille, ce n’est pas tous les jours que ça se présente !

Aurélie range son portable et grimpe à son tour les escaliers.

 

 

SCÈNE 6

Thomas puis Dominique 1 et Martine

 

Retour de Thomas.

Thomas (réfléchissant) - Qu’est-ce que Martine m’a envoyé chercher au juste ?… Ah oui ! Le tire-bouchon ! (Il se dirige vers la cuisine. On sonne.) Je me demande qui ça peut être… (Réfléchissant.) À moins que… (Il va ouvrir.) Bonjour madame.

Dominique 1 - Non, mademoiselle.

Dominique 1 est entrée. Elle est assez court-vêtue.

Thomas (l’observant attentivement) - Oui, ça me paraît plausible… (À lui-même.) Moi, j’ai bien fait d’ouvrir !… Alors, laissez-moi réfléchir… Oui, ça m’arrive de temps en temps… Vous ne seriez pas là pour le cadre par hasard ?

Dominique 1 - Pour le cadre ? Oui, oui, on peut dire ça…

Thomas - Je m’en doutais !… Remarquez, c’était facile : on n’attendait personne d’autre aujourd’hui.

Dominique 1 - Ah ?

Thomas - Oui, à part les Dumontier, ce qui, soit dit en passant, n’est pas une mince affaire, surtout Mme Dumontier si vous voyez ce que je veux dire.

Dominique 1 - Pas trop, non.

Thomas - Évidemment… Vous ne devez pas connaître les Dumontier, vous ?

Dominique 1 - Je ne crois pas.

Thomas - Entre nous, vous ne perdez pas grand-chose… Donc, vous êtes bien là pour le cadre ?

Dominique 1 - Bah oui… (Un peu confuse.) Je suis là un tout petit peu plus tard que prévu mais il y avait pas mal de circulation.

Thomas - Ça n’a aucune importance.

Dominique 1 - Je suppose que vous êtes monsieur Brunet… père ?

Thomas - Oui, on va dire ça… Même si on est tous le fils de quelqu’un, non ?

Dominique 1 - Euh… oui.

Thomas - Et c’est pour votre tante ?

Dominique 1 - Pardon ?

Thomas - Oui, le cadre, c’est pour votre tante ?

Dominique 1 (un peu perdue) - C’est-à-dire que… Non, je suis là pour moi.

Thomas - Ah ? Je croyais… Enfin, peu importe ! Si votre tante veut s’en servir, ça vous regarde !

Dominique 1 - Oh ! mais il n’en est pas question !

Thomas - De toute façon, il a été conçu pour les dames !

Dominique 1 - Heureusement !

Thomas - Sportives ou non, il peut s’adapter à toutes.

Dominique 1 - Ah ?

Thomas - Et en vous regardant bien, je pense qu’il va vous aller…

Dominique 1 - J’espère.

Thomas - Même s’il risque d’être un peu grand…

Dominique 1 - La taille, ça ne compte pas tellement, vous savez.

Thomas - Tout de même !

Dominique 1 - D’autant que je mets toujours des talons hauts.

Thomas (observant les chaussures de Dominique 1) - Ça, pour être hauts !… D’après moi, c’est pas ce qu’il y a de plus pratique !… Enfin, vous verrez bien ; c’est vous qui serez dessus après tout, non ?

Dominique 1 - Euh… oui.

Thomas - L’avantage, c’est qu’il n’a pratiquement jamais servi.

Dominique 1 - C’est ce que j’avais cru comprendre.

Thomas - D’après moi, une ou deux fois, tout au plus.

Dominique 1 - C’est peu en effet.

Thomas - Et à chaque fois, ça n’a pas été une réussite… Mais avec vous, ça devrait rouler tout seul !

Dominique 1 - Je le souhaite.

Thomas - Oh ! il ne demandait qu’à prendre l’air et à voir du pays, mais faute de temps, ça ne s’est pas fait !

Dominique 1 - Le travail avant tout, n’est-ce pas ?

Thomas - C’est ainsi.

Dominique 1 - Être cadre n’a pas que des avantages.

Thomas - Comme vous dites.

Dominique 1 - Mais on va se rattraper.

Thomas - Je compte sur vous.

Dominique 1 - Vous pouvez.

Thomas - Vous comprenez, ce serait dommage qu’il ait passé toute sa vie sans pratiquement jamais voir de fesses, si j’ose m’exprimer ainsi…

Dominique 1 - L’expression est amusante.

Thomas - Mais réaliste !… En fin de compte, c’est une première main… Et il ne demande qu’à montrer ce dont il est capable.

Dominique 1 - Je ferai en sorte… J’ai cru comprendre que c’était un cadre dynamique.

Thomas - Aérodynamique, vous voulez dire.

Dominique 1 - Euh… oui, aussi… Et il est cadre supérieur si je ne m’abuse.

Thomas - Je pense qu’il est en effet d’une qualité nettement au-dessus de la moyenne.

Dominique 1 - Super !

Thomas - En résumé, c’est un vrai cadre de compétition.

Dominique 1 - Et il a trente ans, c’est bien ça ?

Thomas - À quelque chose près, oui, ça doit être ça… Mais vous pourrez vérifier que malgré ces années, il n’est pas rouillé du tout !

Dominique 1 - Il ne manquerait plus que ça !

Thomas - Et pas une éraflure ! En toute honnêteté, entre nous, c’est une bonne affaire…

Dominique 1 - C’est bien pour ça que je suis là… (Se reprenant.) Excusez-moi. Je voulais dire que…

Thomas - Non, non, ne vous excusez pas. Je vous comprends.

Martine (off) - Thomas !

Thomas - Là, c’est moi que vous devrez excuser : on me demande à l’état-major.

Dominique 1 - Oh ! mais vous êtes chez vous !

Thomas - Encore heureux !… Mais vous voulez certainement le voir…

Dominique 1 - Je… Oui.

Thomas - Après tout, vous n’avez pas besoin de moi pour vous faire une idée.

Dominique 1 - Je… Non.

Thomas (ouvrant la porte qui conduit au jardin) - Vous le trouverez tout au bout du parc, dans le cabanon, là-bas, vous voyez…

Dominique 1 - Oui.

Thomas - C’est là qu’il passe le plus clair de son temps.

Dominique 1 - Ah ?

Thomas - Faites-lui prendre l’air, ça lui fera le plus grand bien… Que vous soyez preneuse ou pas.

Dominique 1 - Entendu.

Thomas - Et prenez le temps de vous faire un jugement.

Dominique 1 - N’ayez crainte.

Thomas - Surtout, n’hésitez pas à le toucher.

Dominique 1 - Le toucher ?

Thomas - Oui, et à grimper dessus !

Dominique 1 - C’est que…

Thomas - Et pour les conditions, ne vous faites pas de souci !

Dominique 1 - Les conditions ?

Thomas - On devrait facilement s’arranger.

Dominique 1 (n’osant pas en demander davantage) - Bon…

Thomas - Alors, à plus tard.

Dominique 1 - D’accord…

Dominique a quitté la pièce.

Retour de Martine.

Martine - Bah alors ! Qu’est-ce que tu fais ?

Thomas - Bah… C’est-à-dire que… Rien…

Martine - C’est bien ce que je te reproche !… Et le tire-bouchon, tu l’as ?

Thomas - Bah non.

Martine - Allez, laisse-moi faire et retourne plutôt tenir compagnie à Mme Dumontier.

Thomas (soufflant) - Sacrée corvée ! Et si je lui racontais une blague ? (Martine lui fait les gros yeux.) Non ? (Cédant.) Bon, j’y vais !

Thomas regagne le salon en traînant des pieds. Martine se dirige vers la cuisine.

On sonne.

 

 

SCÈNE 7

Martine, Dominique 2

 

Martine va ouvrir la porte. Un homme est sur le pas de la porte. Il est d’allure plutôt sportive.

Martine - Monsieur…

Dominique 2 - M’dame… Je suis bien au 8, rue des Tulipiers ?

Martine - Oui… Chez M. et Mme Brunet.

Dominique 2 (entrant) - Voilà, c’est bien ça… (Lui serrant la main.) Enchanté de faire votre plein d’essence, comme dirait mon garagiste.

Martine - Euh… oui…

Dominique 2 - Vous n’avez peut-être pas saisi l’allusion ?

Martine - Pardon ?

Dominique 2 - Oui, plein d’essence, garagiste… garagiste, plein d’essence…

Martine - C’est cela, oui.

Dominique 2 - Oh ! c’est un comique, le père Vigneux… Ouais, c’est comme ça qu’il s’appelle mon garagiste… Un brave type, hein ! Consciencieux et tout… Mais un peu distrait, dans le genre toujours à côté de ses pompes, si vous voyez ce que je veux dire.

Martine - Très bien mais…

Dominique 2 - Faut dire qu’être à côté de ses pompes, c’est normal pour un garagiste, hein ?

Martine - Hum… Et vous en avez encore beaucoup comme ça en réserve ?

Dominique 2 - En réserve d’essence alors…

Martine (un peu énervée) - Dites, je pourrais savoir à qui j’ai l’honneur ?

Dominique 2 - Bien sûr que vous pouvez : Ledoux… C’est pas dur à retenir, Ledoux… Dur, Ledoux… Ledoux, dur…

Martine - Effectivement.

Dominique 2 - Ce qu’il y a de drôle, c’est que je suis originaire de Besançon… Vous connaissez Besançon ?

Martine - Vaguement.

Dominique 2 - C’est dans le Doubs… Comme mon nom, quoi : Ledoux.

Martine - Merveilleux.

Dominique 2 - Ça amuse toujours.

Martine - Oh ! sûrement !

Dominique 2 - Mais vous pouvez m’appeler par mon prénom : Dominique.

Martine - Tiens donc.

Dominique 2 - Oui, Dominique Ledoux, c’est moi.

Martine - Dominique vous dites ?

Dominique 2 - Ouais, comme la chanson : « Dominique, nique, nique… » Vous vous rappelez ?

Martine - Pas vraiment…

Dominique 2 - Ouais, c’est vrai qu’à première vue, vous et Sœur Sourire, ça fait deux.

Martine - Et pourrais-je connaître l’objet de votre visite, monsieur Ledoux ? Mon temps est précieux, figurez-vous.

Dominique 2 - Ah ?… En fait, je suis là pour le cadre.

Martine - Pour le cadre ?

Dominique 2 - Bah oui… C’est le cadre qui m’intéresse.

Martine - C’est le cadre qui vous intéresse ?

Dominique 2 - Parfaitement ! Dominique, c’est le cadre qui l’intéresse…

Martine (commençant enfin à faire le rapprochement) - Dominique ?… Le cadre ?

Dominique 2 - Ouais.

Martine - Mais alors ! Oh là là !… J’ai peur de commencer à comprendre, moi.

Dominique 2 - Il serait temps.

Martine - Mais c’est pas possible !

Dominique 2 (nature) - Bah si, puisque je suis là !

Martine - Do… Dominique, ce serait donc vous ?

Dominique 2 - Bah ouais, ça a pas changé depuis que je suis minot.

Martine - Mais… mon fils sait que vous êtes un…

Dominique 2 - Un quoi ?

Martine - Bah… un… un homme ?

Dominique 2 - Évidemment ! Y’a qu’à m’entendre, pas de doute possible !

Martine - Oh là là !

Dominique 2 - Parce que pour le cadre, faut que je voie avec votre fils ?

Martine - Oui, oui, mon fils, c’est le cadre.

Dominique 2 - Bon. Enfin, que je sois un homme ou pas, ça lui est égal ; pour vous aussi, non ?

Martine - Pas vraiment, non.

Dominique 2 - Vous savez, je suis là pour une tante.

Martine - Une tante ! Mon Dieu !

Dominique 2 - Donc, faut que je rencontre votre fiston.

Martine - Bah…

Dominique 2 - Voir si on peut faire affaire ensemble.

Martine - Faire affaire ensemble ?

Dominique 2 - Ouais… Bon, moi, j’ai un principe : ne pas bousculer les gens et toujours leur donner le temps de se retourner.

Martine - Se retourner !

Dominique 2 - C’est sûr qu’avant de conclure, il faudrait que je l’essaie.

Martine - Que vous l’essayiez ?

Dominique 2 - Votre cadre.

Martine - Mon Dieu !

Dominique 2 - Le mieux, c’est toujours de monter dessus !

Martine - Hein ?

Dominique 2 - Ouais, c’est comme ça qu’on se rend compte si on est faits l’un pour l’autre, non ?

Martine (de plus en plus décontenancée) - Je…

Dominique 2 - L’idéal, c’est même d’adopter différentes positions.

Martine - Différentes positions ?

Dominique 2 - Ouais, en danseuse par exemple, vous voyez ?

Martine - Non, j’avoue que…

Dominique 2 - Ah ? C’est pourtant une des positions les plus connues… En fait, faut tout tester, quoi !

Martine - Arrêtez vos allusions, je vous en prie !

Dominique 2 - Bon, c’est vrai qu’avec une femme, on aurait un autre point de vue, c’est sûr, mais on fera sans, hein ?

Martine - Oh là là !

Dominique 2 - Dites, ça n’a pas l’air d’aller ?

Martine - Si, si !

Dominique 2 - Pourtant…

Martine - Ça va merveilleusement ! Le bonheur suprême !

Dominique 2 - C’est pas cette histoire de pédale qui vous contrarie, j’espère ?

Martine - Une histoire de pédale, qui aurait pu penser ?

Dominique 2 - Vous savez, un peu de graisse et ça passera tout seul !

Martine - Mon Dieu !

Dominique 2 - Dites donc, vous l’appelez souvent, lui ! Vous pourriez aussi appeler votre fils par la même occasion ?

Martine - Je… Vous croyez ?

Dominique 2 - Je suis quand même là pour ça, non ?

Martine - Je…

Dominique 2 - Franchement, vous êtes de plus en plus pâle. Vous êtes sûre que tout va bien ?

Martine - L’extase…

Thomas (off) - Martine ! Martine !

Martine - Mon Dieu ! Mme Dumontier ! Je l’avais oubliée celle-là ! (Se ressaisissant quelque peu.) Écoutez, je… Vous pourriez attendre quelques minutes ?

Dominique 2 - Bah…

Martine - S’il vous plaît !

Dominique 2 - Bon, mais pas trop ! J’ai hâte de voir de près la petite reine.

Martine - La petite reine ?

Dominique 2 - Ouais, j’aime bien l’appeler comme ça, pas vous ?

Martine - Non, pas moi.

Dominique 2 - C’est charmant, hein ?

Martine - Ra… Ravissant… Je… (Se dirigeant vers la bibliothèque.) Voici la bibliothèque… Vous y serez bien…

Dominique 2 (allusif) - Dites, j’espère que là, au moins y’aura des rayons, si vous voyez ce que je veux dire !

Martine - C’est cela oui. (En toute hâte, elle pousse Dominique 2 dans la bibliothèque. Après avoir refermé la porte de la bibliothèque.) Doux Jésus ! J’avais raison finalement : à trop attendre, on ne sait pas sur quoi on peut tomber !… Mais quand même, nous faire ça à nous ! Je n’aurais jamais cru ça de Sylvain ! Non, jamais !

 

 

SCÈNE 8

Martine, Thomas puis Rose

 

Retour de Thomas.

Thomas - À moi de te demander ce que tu fabriques !

Martine (dans ses pensées) - Moi ? Je batifolais, figure-toi.

Thomas - Ça va, chérie ?

Martine - Fantastique !

Thomas - Tu es sûre ?

Martine - Wonderful ! Wunderbar !

Rose (apparaissant à son tour) - Vous avez besoin d’aide ?

Martine - Ah ! madame Dumontier !… Non, non, merci, ça va aller.

Rose - Vraiment ? N’hésitez pas à me demander.

Thomas - Comme on dit : dans la vie, on n’est jamais trop aidé !

Martine - Trop aidé ! Toi, tu as vraiment le sens de l’adjectif !

Thomas - Bah quoi, qu’est-ce que j’ai encore dit ?… (Soufflant.) C’est d’un gai !

Martine - Tu l’as dit !

Thomas se dirige vers la cuisine.

Rose - Les enfants ne sont plus là ?

Martine (regardant par la baie) - Ils sont au bord de la piscine.

Rose - C’est étonnant ! Édouard n’a jamais trop aimé l’eau.

Thomas (de retour de la cuisine, brandissant un tire-bouchon) - Ça y est ! Je le tiens ! On peut retourner au salon ! Vous venez, mesdames ?

Rose - Avec plaisir.

Martine - C’est que…

Rose (prenant Martine par le bras) - Oui, il faut absolument que je vous parle des projets de notre Fondation.

Martine (cédant) - Bon, puisqu’il le faut… (Au public.) Je me demande vraiment ce qui nous attend encore !

Ils regagnent tous trois le salon, Martine jetant des coups d’œil inquiets en direction de la bibliothèque.

 

 

 

 

 

ACTE III

SCÈNE 1

Juliana, Édouard

 

Retour de Juliana, suivie d’Édouard. Tous deux sont encore en maillots de bain.

Juliana - Vous avez eu tort de ne pas vous baigner, elle est vraiment bonne.

Édouard (les yeux rivés sur Juliana) - Ah ça ! Pour être bonne, elle doit être bonne !

Juliana - Vous n’aimez pas trop ?

Édouard - Euh… quoi donc ?

Juliana - L’eau !

Édouard - C’est que, Juliana… Vous permettez que je vous appelle Juliana ?

Juliana - Bah oui, vous n’allez pas m’appeler Georgette.

Édouard (bête) - Ah ? Bah non, bien sûr ! Eh bien, Juliana, je… je vais vous faire une confidence.

Juliana - Holà !

Édouard - Voilà : je ne suis qu’un piètre nageur.

Juliana - Je l’aurais parié.

Édouard - Juliana, votre perspicacité me transporte.

Juliana - Pas trop loin j’espère.

Édouard - Et votre humour me transcende.

Juliana - Tant que ça !

Édouard - Et je ne parle pas du reste… Pourtant, il y aurait à dire et…

Juliana - Oui, oui… Mais vous n’avez jamais pris de cours de natation ?

Édouard - Si, si, des cours très longs d’ailleurs…

Juliana - Et vous avez renoncé ?

Édouard - Au bout d’une cinquantaine de séances, ce sont les maîtres nageurs qui ont dû renoncer.

Juliana - Ah ?

Édouard - Je ne devais pas être doué.

Juliana (bas) - J’ai peur que ce ne soit pas qu’en natation.

Édouard - Vous dites ?

Juliana - Moi ? Rien…

Édouard (ajoutant les gestes à la parole) - Bon, j’arrive quand même à faire quelques mouvements, comme ça, vous voyez…

Juliana - Oui, oui…

Édouard - Mais je préfère rester près du bord.

Juliana - Faites attention : on a souvent tendance à être con sur les bords.

Édouard - Je… Ah ?… Mais j’ai l’impression qu’avec vous comme professeur, je ferais des progrès étonnants.

Juliana - Oh ! sûrement…

Édouard - Et pas qu’en natation ! Je ne demande qu’à apprendre, moi !

Juliana - Hélas pour vous, je ne suis pas faite pour l’enseignement.

Édouard - Au contraire, je suis sûr que vous devez être une excellente maîtresse.

Juliana (allusive) - C’est vrai qu’on me l’a déjà dit… Enfin, pour autre chose.

Édouard - Ah ?

Juliana (détournant la conversation) - Alors, si j’ai bien compris, vous êtes en vacances ?

Édouard - Oui, je viens de finir mes études… Mais rassurez-vous, je commence à travailler en septembre… J’ai obtenu un poste de cadre dans une grande entreprise informatique…

Juliana - Vous êtes un spécialiste des souris, alors ?

Édouard - Oui, enfin, ça dépend desquelles…

Juliana - Les ordinateurs et moi, ça fait deux…

Édouard - Moi, je ne suis pas doué en natation et vous, vous ne l’êtes pas en info… C’est amusant !

Juliana - Hilarant !

Édouard - À mon tour, je pourrais être votre professeur.

Juliana - Sans façons ! Je préfère encore apprendre en autodidacte.

Édouard - Je parle sérieusement.

Juliana - C’est vrai que vous faites très sérieux.

Édouard - Je parie que vous dites ça à cause de mes lunettes.

Juliana - Même tout nu, vous ne devez pas tomber dans le comique.

Édouard - Mais pour vous faire plaisir, je peux très bien les retirer…

Juliana - Non, non, c’est bon.

Édouard - Si, si… (Enlevant et remettant ses lunettes.) Tenez : et hop ! Et hop ! Qu’est-ce que vous en dites ?

Juliana - Rien.

Édouard - L’ennui, c’est que sans elles, je n’y vois plus grand-chose.

Juliana - Moi, je vois trop où vous voulez en venir.

Édouard - C’est dommage : je vous vois floue.

Juliana - Mais je m’en flou… euh… je m’en fous !

Édouard - Ah ! ma chère Juliana ! Pour vous, je pourrais tout retirer…

Juliana - Ça ira comme ça !

Édouard - Et même ce maillot, tenez, je vais vous le rendre !

Juliana (l’arrêtant net) - Gardez-le, j’aime autant !

Édouard - Ah ?

Juliana - Le spectacle m’a suffi, alors les coulisses, merci !

Édouard se rapproche progressivement de Juliana.

Édouard (tentant maladroitement de prendre Juliana dans ses bras) - Ah ! Juliana !

Juliana (se dégageant aussitôt) - Non mais ça ne va pas !

Édouard - Juju !

Juliana - Ah ! ça non, je déteste !

Édouard - Appellez-moi Doudou !

Juliana - Vous êtes complètement fou !

Édouard - Oui, de vous !… Et vous, que pensez-vous de moi ?

Juliana (sèche) - Que vous pouvez aller vous rhabiller ! C’est clair !

Édouard (essayant d’embrasser Juliana) - Oh ! Juju, prenez-moi !

Juliana (lui envoyant une gifle assez cinglante) - Prenez plutôt ça !

Édouard (se tenant la joue) - Alors celle-ci, je ne l’ai pas vue arriver !

Juliana - Là, c’est plus clair maintenant ?

Édouard (confus) - Oui… Je… Je crois.

Juliana - Tant pis pour vous. Vous ne m’avez pas laissé le choix.

Édouard - Ah ! bah ça ! Heureusement que j’avais enlevé mes lunettes !

Juliana - La cabine est là-bas… Je ne vous raccompagne pas !

Édouard - Non, non, inutile.

Penaud, Édouard s’éloigne vers la terrasse.

Juliana - Non mais oh ! Où on va ! Faut pas exagérer ! C’est pas l’Armée du Salut ici ! Moi, je suis peut-être timbrée, mais je choisis les lettres ! Il m’a cherchée, il m’a trouvée ! Et tant pis pour ce que maman dira !

Juliana gagne la bibliothèque.

 

 

SCÈNE 2

Dominique 1 et Dominique 2

 

Dominique 2 sort de la bibliothèque.

Dominique 2 - Bon, ça commence à bien faire ! Je ne vais pas attendre des plombes pour une bécane, moi ! Faut pas pousser ! (Il finit par aller se servir un verre au bar. Retour de Dominique 1 ; elle n’a d’abord pas vu Dominique 2.) Salut, toi !

Dominique 1 (se retournant) - Domi !

Dominique 2 - Lui-même !

Dominique 1 - Ah ! bah ça !

Dominique 2 - Sacrée coïncidence, hein, Coco ?

Dominique 1 - Ouais, tu l’as dit.

Dominique 2 - Je suis bien content de te revoir… (La dévisageant.) T’as pas changé.

Dominique 1 - Ah ? Même pas grossi ?

Dominique 2 - Bah non, à première vue.

Dominique 1 - T’es gentil.

Dominique 2 - Ça fait combien… Six mois ?

Dominique 1 - À peine… J’ai quitté mon job en janvier.

Dominique 2 - Tu ne te plaisais plus trop chez Quinquin, c’est ça ?

Dominique 1 - Disons que j’en avais un peu marre des blagues bien grasses et des mains aux fesses.

Dominique 2 - Pas les miennes, hein ?

Dominique 1 - Non, toi, t’as toujours été correct.

Dominique 2 - Merci.

Dominique 1 - Et puis, y’avait pas que ça : j’avais décidé de viser plus haut.

Dominique 2 - Oh ! oh !

Dominique 1 - Oui, très haut… Ça me gavait cette vie de patachon… C’est pour ça que j’ai mis les bouts pour ouvrir ma propre boîte.

Dominique 2 - Non ?

Dominique 1 - Si !

Dominique 2 - Moi, la dernière fois que j’en ai ouvert une, de boîte, c’était des sardines à l’huile !

Dominique 1 (un peu agacée) - Je te parle sérieusement !

Dominique 2 - Pardon… Alors, c’est quoi que t’as créé ?

Dominique 1 - Une agence matrimoniale.

Dominique 2 - Tiens donc !

Dominique 1 - Sur Internet.

Dominique 2 - Remarque, je te vois bien là-dedans… Et ça marche ton affaire ?

Dominique 1 - Oh ! ça démarre tout doux…

Dominique 2 - Tu as des clients ?

Dominique 1 (allusive) - Moins qu’au bistrot, c’est sûr… Pour tout te dire, pour l’instant, la principale cliente, c’est moi.

Dominique 2 - Comment ça ?

Dominique 1 - Figure-toi que j’essaie de me caser.

Dominique 2 - Y’a du boulot en perspective.

Dominique 1 - Surtout que je suis exigeante… Mais là, je suis sur un gros coup.

Dominique 2 - Ah ?

Dominique 1 (se frottant les mains) - Je pense que j’ai amorcé un gros poisson.

Dominique 2 - Méfie-toi : le maquereau, ça ne te réussit pas !

Dominique 1 - Là, pas de danger : c’est un fils de bonne famille…

Dominique 2 - Pour toi qui est issue d’une famille de bonnes…

Dominique 1 - Trente ans, toujours célibataire et vivant encore chez ses parents, tu te rends compte !

Dominique 2 - Pas vraiment : j’en ai quarante.

Dominique 1 - Une véritable aubaine ! Et cadre supérieur, excuse du peu !

Dominique 2 (s’inclinant) - Ma chère !

Dominique 1 - Qu’est-ce que tu veux : faut se donner des ambitions dans la vie !

Dominique 2 - Et vous vous êtes déjà rencontrés ?

Dominique 1 - Bah non, pas encore…

Dominique 2 - Ah…

Dominique 1 - J’avais rendez-vous avec lui, ici, chez ses parents… Mais pour l’instant, je n’ai vu que son père… Assez sympa d’ailleurs, même s’il m’a tenu des propos vraiment étranges… À se demander si on parlait de la même chose.

Dominique 2 - Ce doit être de famille : moi, j’ai rencontré celle qui doit être la mère, ben la pioche n’était pas meilleure ; y a des fois où je me demandais de quoi elle causait.

Dominique 1 (désignant la porte qui conduit au jardin) - Le père a fini par m’envoyer dans un cabanon, là, au fond du jardin, où il y avait soi-disant le fils… et là : personne ! J’ai beau eu chercher : rien !

Dominique 2 - Ton pigeon t’aura posé un lapin !

Dominique 1 - C’est vraiment bizarre !

Dominique 2 - Ouais.

Dominique 1 - Bah et toi, au fait, qu’est-ce que tu fais là ?

Dominique 2 - J’avais fait passer une annonce dans le journal.

Dominique 1 - T’es quand même pas à la recherche d’une fille ?

Dominique 2 - Pourquoi pas ? Moi, j’ai un principe : être toujours à l’affût !

Dominique 1 (amusée) - Tu ne changeras pas !

Dominique 2 - Pour te dire la vérité, je suis à la recherche d’un vélo d’occasion pour ma tante et ils m’ont appelé ici pour me dire qu’ils en avaient un.

Dominique 1 - Et c’est le cas ?

Dominique 2 - J’attends toujours de le savoir et surtout de le voir… J’ai cru comprendre que c’était pas un vélo entier mais le cadre seulement… (Amusé.) Finalement, je suis comme toi : à la recherche d’un cadre, mais moi, c’est un cadre de vélo.

Dominique 1 - C’est marrant ce que tu dis là. Au milieu du cabanon, j’en ai vu un, cadre de vélo.

Dominique 2 (intrigué) - Ah ?

Dominique 1 - Bah oui…

Dominique 2 - Il était pas rose par hasard ?

Dominique 1 - Si… Ah ! bah toi, t’es fortiche !

Dominique 2 (réalisant) - Ça y est, j’y suis !

Dominique 1 - Où ça ?

Dominique 2 - Je comprends mieux maintenant les paroles bizarres du père.

Dominique 1 - Moi, je comprends pas grand-chose.

Dominique 2 - C’est évident : on a confondu les deux cadres !

Dominique 1 - Tu peux m’expliquer ?

Dominique 2 - Ce serait un peu compliqué.

Dominique 1 - Dis tout de suite que je suis une nouille !

Dominique 2 - Non, pas tout de suite…

Dominique 1 - En tout cas, toi, tu m’épates… Tu me diras, pour une nouille, c’est normal !

Dominique 2 - Bon. Je vais aller dans le cabanon.

Dominique 1 - Pour quoi faire ?

Dominique 2 - Pour voir le cadre, pardi ! Enfin, le mien ! J’ai assez perdu de temps comme ça !

Dominique 1 - Bah, et moi ?

Dominique 2 - J’sais pas…

Dominique 1 - Oui, mon cadre à moi ?

Dominique 2 - Si tu veux mon avis, t’as qu’à attendre un peu ici, il va sûrement rappliquer !

Dominique 1 - Tu crois ?

Dominique 2 (rassurant) - Mais oui !

Dominique 1 - J’sais même pas à quoi il ressemble !

Dominique 2 - Si tu vois un gars en costard et avec des lunettes, c’est à coup sûr ton bonhomme !

Dominique 2 se dirige vers le cabanon. Dominique 1 s’est assise langoureusement sur le canapé.

 

 

SCÈNE 3

Dominique 1, Édouard, puis Martine

 

Retour d’Édouard. Il a remis son costume et ses lunettes.

Dominique 1 - Monsieur…

Édouard (impressionné) - Madame…

Dominique 1 (rectifiant) - Oh non ! Dominique…

Édouard - Madame Dominique…

Dominique 1 (rectifiant à nouveau) - Mademoiselle Dominique.

Édouard - Oh ! pardon !

Dominique 1 - Domi, si vous voulez… Pour le nique, on verra plus tard…

Édouard - Je… Très bien, mademoiselle Domi.

Dominique 1 - Dites, vous ne seriez pas cadre, à tout hasard ?

Édouard - Si, c’est exact…

Dominique 1 (réjouie) - Bah voilà ! Il avait raison !

Édouard - Vous êtes physionomiste dites donc !

Dominique 1 - Je… Oh ! sûrement !

Édouard - Et vous, vous êtes ?

Dominique 1 - Domi.

Édouard - Ah oui ! C’est vrai ! Suis-je bête !

Dominique 1 - Oh ! ça m’étonnerait ! Vous avez une tête qui respire l’intelligence.

Édouard - Ah ?

Dominique 1 (qui a entamé un jeu de séduction auquel Édouard est loin d’être insensible) - Et moi, qu’est-ce que vous pensez de ma tête ?

Édouard - Je… Oh ! très bien !

Dominique 1 - Elle vous plaît ?

Édouard (bredouillant) - Bah… Oui… Enfin…

Dominique 1 - Et le reste ?

Édouard - Le reste ?

Dominique 1 - Le reste vous convient aussi ?

Édouard - C’est-à-dire que… Certainement, mademoiselle Domi.

Dominique 1 - Tant mieux.

Édouard (se lançant maladroitement) - Vous avez de beaux restes… Oh ! pardon !

Dominique 1 - Alors vous, en plus d’être intelligent, vous n’avez pas oublié d’être drôle.

Édouard - Vraiment ?

Dominique 1 - Un peu mon neveu !

Édouard - Je ne connaissais pas cette expression langagière cocasse.

Dominique 1 (qui n’a pas tout compris) - Cette… Oh ! bah c’est pas grave, on ne peut pas connaître tout le monde, hein !

Édouard - Pour revenir à vous…

Dominique 1 (se rapprochant d’Édouard) - Oui, venez à moi…

Édouard - Si j’osais…

Dominique 1 - Osez, voyons, osez !

Édouard - Je reprendrais à mon compte une citation de Juvénal.

Dominique 1 - Juvénal vous dites ?

Édouard - Oui, le poète satirique latin.

Dominique 1 - Tout ça pour lui tout seul ? Une de vos vieilles connaissances je suppose ?

Édouard - Oh ! mademoiselle Domi, là, vous faites de l’esprit !

Dominique 1 - Je fais mon possible.

Édouard - Eh bien, Juvénal aurait dit de vous : « Vous avez une tête bien faite dans un corps sain. »

Dominique 1 - C’est mignon, ça !… Sauf que je n’ai pas de corset !

Édouard - Ah ?

Dominique 1 - Vous ne me croyez pas ?

Édouard - Si, si !

Dominique 1 - Vous voulez vérifier ?

Édouard - Non, non.

Dominique 1 - Bon, on verra ça ensemble plus tard alors !

Édouard - Voilà…

Dominique 1 - Pour revenir à mon corps.

Édouard (en sueurs) - Hum… Oui…

Dominique 1 - Eh ben je sais pas vous mais moi, ce que je préfère chez moi, ce sont mes jambes.

Édouard - Moi aussi ! C’est ce que je préfère chez moi… (Se corrigeant aussitôt.) Enfin, chez vous !

Dominique 1 - Vous ne devinerez jamais combien elles mesurent !

Édouard - Que… Quoi donc ?

Dominique 1 (lui mettant ses jambes sur les genoux) - Mes jambes ! Alors, à votre avis ?

Édouard - Oh ! quatre-vingts centimètres…

Dominique 1 - Perdu ! Quatre-vingt-deux !

Édouard - Ah ?

Dominique 1 - Vous ne me croyez pas là non plus ?

Édouard - Si, si !

Dominique 1 - Vous n’avez pas l’air ! Enfin, quatre-vingt-deux, c’est des pieds à… enfin, vous voyez jusqu’où !

Édouard - Je… Oui, parfaitement… Ouh là là !

Dominique 1 - Mais on n’a qu’à mesurer ensemble…

Édouard - Ah bon ?

Dominique 1 - Bah oui…

Édouard - Je… Si vous voulez.

Dominique 1 - Pour sûr que je veux !

Édouard (professoral) - En théorie, le rapport des jambes avec le reste du corps devrait représenter un pourcentage de…

Dominique 1 - Passons plutôt à la pratique, c’est ce qu’il y a de mieux pour le rapport !

Édouard - C’est vrai que rien ne remplace l’expérimentation… Comme le disait d’ailleurs Pascal.

Dominique 1 - Une autre de vos amis ?

Édouard - En quelque sorte… J’ai passé de longues nuits en sa compagnie…

Dominique 1 - Et vous ne voudriez pas en passer d’autres avec moi ?

Édouard - C’est que…

Dominique 1 - Comme ça, vous verriez la différence !

Édouard - Mais…

Dominique 1 - Faut toujours faire jouer la concurrence !

Édouard - Sans doute…

Dominique 1 - Allez, assez causé. Viens, Thomas !

Édouard - Excusez-moi, mademoiselle Domi, mais je m’appelle Édouard…

Dominique 1 - Ah bon ?… Bah, après tout, ça me va aussi… Les deux font cadre… Et puis, confidence pour confidence, moi, c’est pas Dominique.

Édouard - Ah ?

Dominique 1 - Non, c’est Colette… Mais ça passait pas très bien comme nom de scène, alors…

Édouard - Nobody’s perfect !

Dominique 1 - Oh ! sûrement !

Dominique 1 a entraîné Édouard dans la salle de bains.

Retour de Martine. Elle va jeter un œil dans la bibliothèque.

Martine - Bah, c’est pas vrai ! Elle est passée où l’autre folle ? (Réfléchissant.) Bon, d’un côté, s’il a quitté la maison, tant mieux ! De toute façon, je règlerai tout ça avec Sylvain une fois que les Dumontier auront eux aussi débarrassé le plancher ! Martine, chaque chose en son temps ! Un problème à la fois !

Martine regagne le salon.

 

 

 

SCÈNE 4

Juliana, Dominique 2

 

Retour de Juliana puis de Dominique 2.

Dominique 2 - Mademoiselle…

Juliana - Monsieur…

Dominique 2 (charmeur) - Pour vous, ce sera Dominique…

Juliana (qui ne semble pas insensible) - Ah ?… Je pourrais savoir qui vous êtes et ce que vous faites là ?

Dominique 2 - Bien sûr que vous pouvez ! À vous, je veux bien tout avouer et tout montrer aussi…

Juliana - Ce sera inutile, enfin, pour le moment… Alors ?

Dominique 2 - Bah, je sors du cabanon.

Juliana - Du cabanon ?

Dominique 2 - Oui, au fond du jardin.

Juliana - Merci, je connais les lieux.

Dominique 2 - J’avais rendez-vous avec un cadre.

Juliana - Pardon ?

Dominique 2 - Attention, pas de confusion, j’ai déjà donné… Je vous explique.

Juliana - Je veux bien.

Dominique 2 - Voilà : je suis allé voir un cadre de vélo.

Juliana - Sûrement celui de maman.

Dominique 2 - Sans doute… Votre père cherche à s’en débarrasser… Du cadre, hein, pas de votre mère !

Juliana - Merci de la précision.

Dominique 2 - À votre service… J’ai cru comprendre qu’il n’avait pas beaucoup servi… Le cadre, hein, pas votre père !

Juliana - Là aussi, j’avais capté… C’est vrai que maman n’a jamais été sportive.

Dominique 2 (reluquant Juliana) - Tandis que vous, vous devez l’être, si j’en crois ce que je vois…

Juliana (plutôt flattée) - J’essaie de me tenir en forme.

Dominique 2 - Ça, pour les formes, y’a rien à redire.

Juliana - Toujours sympa à entendre… Mais vous n’êtes pas mal non plus…

Dominique 2 (jouant les modestes) - On se défend…

Juliana - Et le vélo de maman, c’est pas pour vous ?

Dominique 2 - Non, c’est pour une tante qui adore les pédales !

Juliana - Je vois le genre…

Dominique 2 - Alors, avec ma sœur, on a décidé de lui en offrir un d’occasion… Pour tout vous dire, le vélo, tout le monde adore dans la famille… Moi le premier ! Et vous, vous aimez ?

Juliana - Oui, plutôt… J’ai un vélo d’appartement dans ma chambre.

Dominique 2 - Le sport en chambre, ça peut être pas mal aussi.

Juliana (allusive) - Je confirme.

Dominique 2 - Tous les médecins vous le diront : le vélo, c’est excellent pour la ligne ! Enfin vous, vous n’avez pas de souci de ce côté-là.

Juliana - Merci.

Dominique 2 - C’est un peu le contraire du métro aux heures de pointe, quoi.

Juliana - Désolée, mais je ne vois pas le rapport.

Dominique 2 - Bah avec vous, la ligne n’est pas chargée ! Tandis que dans le métro…

Juliana - La comparaison est amusante…

Dominique 2 - J’ajouterais même que vous avez une ligne avec laquelle on aimerait bien pêcher.

Juliana - Pas mal trouvé là non plus.

Dominique 2 - Oh ! c’est pas de moi !

Juliana - Ça ne fait rien… Toujours est-il que pour garder ma ligne, je fais attention… J’ai même démarré un régime sans sel.

Dominique 2 - Un régime sans sel, ça, c’est pas trop compatible avec le vélo !

Juliana (amusée) - Alors vous, vous avez vraiment l’esprit d’à-propos.

Dominique 2 - Toujours avec les jolies filles.

Juliana - Ça viendrait de mon frère, je trouverais ça totalement nul et ringard, mais vous, ça passe bien ! Comme quoi…

Dominique 2 - Avec moi, ça passe toujours bien.

Juliana - Et vous en faites beaucoup de vélo ?

Dominique 2 - L’année dernière, sans me vanter, j’ai dû atteindre les cinq mille kilomètres.

Juliana - Je ne les ai même pas faits en voiture.

Dominique 2 - Et vous me croirez si vous voulez, mais j’ai gravi en une seule journée cinq cols dans les Pyrénées.

Juliana - Pas mal.

Dominique 2 - Faut ce qu’il faut ! Bon, cet été, ça sera un peu plus cool : j’ai la Côte d’Azur au programme.

Juliana (intéressée) - Ah bon ?

Dominique 2 - Ouais, je vais rouler sur les hauteurs, dans l’arrière-pays niçois.

Juliana (dont les yeux pétillent) - Nice ? Vous avez bien dit Nice ?

Dominique 2 - Exactement.

Juliana - Mais c’est très bien ça…

Dominique 2 - J’ai la chance d’avoir là-bas une maison secondaire, en bord de mer, à partir de laquelle je compte rayonner… Rayonner, en faisant du vélo, c’est logique, non ?

Juliana - Mais c’est intéressant ça !

Dominique 2 - C’est un beau programme en effet !

Juliana - Très intéressant.

Dominique 2 - C’est sûr qu’il y a de quoi faire.

Juliana (aguicheuse) - J’aimerais bien en savoir plus…

Dominique 2 - Si vous voulez… Alors, pour me mettre en jambes, j’ai prévu de commencer par le massif de l’Esterel…

Juliana - Oui, oui… Mais venez donc avec moi dans la bibliothèque, nous y serons à l’aise pour… discuter.

Dominique 2 - Si vous y tenez.

Juliana - J’y tiens tout particulièrement… Et vous en profiterez pour me montrer votre technique pour gravir les cols…

Dominique 2 - Ça, je veux bien en profiter !

Juliana entraîne Dominique 2 dans la bibliothèque.

 

 

SCÈNE 5

Sylvain, Aurélie

 

Sylvain et Aurélie descendent les escaliers.

Sylvain - Alors, cette visite à laquelle vous teniez tant vous a-t-elle plu ?

Aurélie - Oui, j’avoue que je suis encore sous le charme.

Sylvain - Tout comme moi.

Aurélie - Je pensais trouver un cadre intéressant, j’étais dans le vrai.

Sylvain (assez fier) - On fait ce qu’on peut.

Aurélie - Intéressant et très accueillant qui plus est.

Sylvain - Je suis là pour ça.

Aurélie - Et particulièrement attirant.

Sylvain - Ah ?

Aurélie - Vous voulez la vérité ?

Sylvain - Dites.

Aurélie - Eh bien un cadre exceptionnel comme celui-là, j’en ai rarement vu !

Sylvain - En ce qui vous concerne, la réciproque est vraie.

Aurélie - Une construction solide.

Sylvain (faisant jouer les muscles) - Merci.

Aurélie - Solide et pleine de finesse à la fois.

Sylvain - Oh ! vous me feriez rougir !

Aurélie - Moi, j’aime beaucoup les proportions harmonieuses comme celles-là.

Sylvain (le regard toujours plongé sur Aurélie) - Mais moi aussi j’aime les proportions harmonieuses !

Aurélie - Tout en rondeurs !

Sylvain - Effectivement.

Aurélie - Et je vous l’avoue : j’ai un faible pour les petits balcons.

Sylvain - Moi aussi, j’ai un penchant pour les balconnets.

Aurélie - Et quelle vue plongeante !

Sylvain (reluquant la poitrine d’Aurélie) - Ah ça !

Aurélie - Les gorges sous cet angle, c’est grandiose !

Sylvain - Divin !

Aurélie - On s’y jetterait volontiers.

Sylvain - Oh là là !

Aurélie - Non, je suis vraiment bien tombée !

Sylvain - Pareil !

Aurélie - En un mot : vraiment, le cadre me plaît !

Sylvain - Mais vous aussi vous me plaisez !

Aurélie - Et encore, je n’ai pas tout vu, n’est-ce pas ?

Sylvain - Mais je ne demande qu’à vous satisfaire !

Aurélie (sur sa lancée ; elle n’a toujours pas perçu les allusions de Sylvain) - Et je pense que nous allons conclure.

Sylvain - Conclure ?

Aurélie - Bah oui…

Sylvain (tout excité) - Conclure avec vous ! Mais je ne demande que ça, moi.

Aurélie - Et le plus tôt sera le mieux !

Sylvain - Tout de suite si vous voulez.

Aurélie - O. K. ! (Cherchant des documents dans son attaché-case ; elle tourne le dos à Sylvain.) Je ne veux pas laisser passer une opportunité pareille.

Sylvain (qui a commencé à se déshabiller) - Vous êtes une rapide, vous, dites donc.

Aurélie - C’est vrai que je n’aime pas traîner.

Sylvain - Mais ce n’est pas pour me déplaire, ça non !

Aurélie (se retournant, elle découvre Sylvain en sous-vêtements) - Mais… Mais qu’est-ce que vous faites ?

Sylvain - Bah… Je me déshabille…

Aurélie - Je vois ça…

Sylvain - J’ai pris un peu d’avance sur vous.

Aurélie - Pardon ?

Sylvain - Allez, à votre tour !

Aurélie - Comment ?

Sylvain - Vous vouliez conclure, y’a qu’à !

Aurélie - Mais… Au secours ! Au secours !

Aurélie s’enfuit en direction du jardin, poursuivie par Sylvain tout excité.

 

 

SCÈNE 6

Martine, Thomas et Rose, puis Juliana, Dominique 2,
Édouard, Dominique 1, Aurélie et Sylvain.

 

Martine, Thomas et Rose sortent du salon.

Rose - Les enfants sont-ils toujours au bord de la piscine ?

Thomas (jetant un œil à travers la baie) - Il semble que non. Oh ! ils ne doivent pas être très loin…

Rose - Il faut l’espérer !

Martine - Je parierais qu’ils sont dans la bibliothèque.

Rose - Ah ?

Martine - Oh ! en train de discuter, cela va sans dire !

Rose - C’est heureux !

Martine (tapant à la porte de la bibliothèque) - Juliana… Juliana, tu es là ?

Juliana (off) - Bah… oui.

Martine - Qu’est-ce que je vous disais… Et tu n’es pas seule, je suppose ?

Juliana (off) - Bah… non.

Martine - Vous voyez ? Allez, sortez tous les deux !

Juliana (off) - Tu… Tu le veux vraiment ?

Martine - Oui. (À elle-même, comme soulagée.) Ah ! il y aura au moins une chose qui s’est passée comme prévu !

Juliana sort, suivie de très près par Dominique 2.

Rose (estomaquée) - Mais… Mais qu’est-ce que ça signifie ?

Martine - Bah…

Thomas - Oh là là ! Ça, c’était pas au programme !

Rose (sèche) - Qui est-ce ?

Thomas - Là ?… Juliana.

Rose (sèche) - Merci du renseignement… Et à ses côtés ?

Thomas - Jamais vu !

Rose - Mais bien sûr !

Martine - C’est Dominique.

Dominique 2 - C’est bien ça…

Juliana - Vous vous connaissez ?

Dominique 2 - Si peu.

Martine (à Dominique 2) - Mais alors, vous n’en êtes pas ?

Dominique 2 - Pardon ?

Martine - Je veux dire que vous n’êtes pas avec, enfin… (Réfléchissant.) D’un côté, c’est tant mieux !

Rose (furieuse) - Vous trouvez ?

Martine - Bah oui ! Tout compte fait, j’aime autant qu’il soit avec ma fille qu’avec mon fils.

Juliana - Hein ?

Thomas - Ils ont plutôt l’air de bien s’entendre.

Juliana - Ça, c’est vrai.

Dominique 2 (en écho) - Ouais, je confirme.

Juliana - Comme vous le dites souvent, l’important avec les gens, c’est d’abord de discuter… et plus si affinités.

Dominique 2 - Et comme il y avait affinités, il y a eu plus.

Juliana - Voilà.

Dominique 2 - Voilà, voilà.

Juliana (à ses parents) - Au fait, je voulais vous dire : en août, j’ai finalement prévu de passer mes vacances à Nice, chez Dominique.

Martine (un peu abasourdie) - Ah ? Bon…

Rose (très sèche) - Ça suffit !

Martine - Pour ce soir, oui, j’en ai eu ma dose !

Rose - Où est Édouard ?

Juliana - Alors celui-là !

Édouard (sortant de la salle de bains, débraillé) - Je suis là, maman.

Rose - Ah ! mon pauvre petit !

Édouard - Oui maman.

Rose - Comme je regrette de t’avoir emmené avec moi dans cette maison !

Édouard - Faut pas maman.

Rose - Mais où étais-tu passé ?

Édouard - Oh ! ne t’inquiète pas, j’étais entre de bonnes jambes.

Rose - Co… Comment ?

Dominique 1 sort à son tour de la salle de bains.

Édouard - Maman, je te présente Domi, enfin Dominique.

Martine - Et un de plus !

Dominique 2 - Dominique ? J’ai toujours cru que c’était Coco.

Rose - Mais qu’est-ce que ça veut dire ?

Édouard - Bah… tout simplement que j’ai trouvé ici quelqu’un avec qui j’ai bien envie d’aller plus loin !

Dominique 1 (l’embrassant) - Oh ! merci Doudou !

Martine - Doudou ?

Dominique 1 - C’est pour Édouard… C’est moi qui ai trouvé ! C’est mignon, hein ?

Édouard - Oui Dodo.

Rose (sous le choc) - Ah ! bah ça !… Ah ! bah ça ! (À Martine et Thomas.) Et vous, vous connaissez cette… fille ?

Martine - Personnellement non.

Thomas - Vaguement… Je croyais qu’elle venait pour un vélo… Faut croire qu’elle s’est recyclée.

Dominique 2 - Au fait, pour le cadre, je suis preneur, moi.

Martine - Alors vous, vous n’allez pas recommencer à aller de travers !

Dominique 2 - Comment ?

Martine - Vous êtes avec ma fille, restez-y ! Et ne vous occupez plus de mon fils !

Dominique 2 - Votre fils ?

Martine - Au fait, où est-il ?

Aurélie, toujours poursuivie par Sylvain, à moitié nu, traverse la pièce à toute vitesse, en poussant des « Au secours ! »

Thomas - Quand on parle du loup, il montre sa queue !

Martine (comme soulagée) - Autant que ce soit à une femme qu’à un homme, non ?

Thomas - Qu’est-ce que tu veux dire ?

Martine - Rien, je t’expliquerai.

Thomas - Mais c’était qui, devant ?

Martine - Pas eu le temps de voir.

Rose (s’effondrant sur le canapé) - C’était ma fille !

Thomas - Eh ben dites-moi, Rose, ça, c’est le bouquet final !

 

Rideau


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