Célimène et le cardinal

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Cardinal! N’était-ce pas le destin idéal pour un arbitraire autoritaire et solitaire ?

Car voici Alceste dans la situation très inconfortable d’un homme coupé du monde, mais tenant ce monde dans sa main de fer : au dix-septième siècle, le pouvoir d’un prélat est considérable. Vingt ans après, il s’invite donc chez son ancienne amante pour trouver une jolie quadragénaire, qui, loin de la Cour qu’elle a “trahie” en épousant un bourgeois, semble parfaitement heureuse avec ses quatre enfants. Mais qu’est donc venu faire l’égal de Mazarin chez cette mère de famille sans histoire ?

Scène premièreCélimène.

 

(Au lever du rideau, Célimène, seule, est en train de prier.)

Célimène

Mon Dieu, puisqu’il revient, je m’en remets à Vous.
Faites que mes regrets, mes rêves les plus fous
Ne viennent pas troubler le surprenant retour
D’un homme qui m’aimait et que j’aimais d’amour.
Tous ceux qui l’ont revu l’ont trouvé bienheureux,
Sans haine et sans passions, comme venu des cieux.
Quand soudain, la nouvelle éclata, meurtrière :
Il avait décidé d’entrer au séminaire.
Nous fûmes tous saisis par ce coup de théâtre,
Et mon cœur, un instant, s’est arrêté de battre.
J’étais anéantie, comprenant en effet
Qu’une deuxième fois, mon amant me quittait.
(Un temps.)
J’ai beau prier le ciel de toute mon ardeur,
D’étranges sentiments envahissent mon cœur :
Je ne puis m’empêcher de demander pourquoi
Cet homme, après vingt ans, accourt auprès de moi.
(Dehors, bruits de carrosse. Elle se précipite à la fenêtre.)
Ciel ! j’entends des chevaux… Serait-ce lui, déjà ?
Grands dieux, quelle calèche admirable voilà !
Voilà plus de trois jours que j’attends cet instant,
Et je me sens soudain perdue comme une enfant…

(On frappe à la porte. Elle ouvre. Entrée d’Alceste.)

 

 

 

Scène IICélimène, Alceste.

 

Célimène

Monseigneur, quel honneur…

Alceste, ôtant son chapeau.

Eh ! bonjour, Célimène.

Célimène, s’agenouillant.

Loué soit le Seigneur qui chez moi vous amène.

Alceste

Voyons, relevez-vous, ma chère, qu’est ceci ?
Ce n’est pas le prélat, mais l’ami que voici !
Un ami qui s’invite et demande pardon
De s’imposer à vous de grossière façon.

Célimène

Vous m’aviez prévenue, Monseigneur.

Alceste

Oui, peut-être,
Mais j’aurais pu quand même attendre qu’une lettre
Me donne votre accord, avant que de venir.

Célimène

Vous recevoir chez moi est un très grand plaisir
Et croyez, Monseigneur…

Alceste

Non, pas de « Monseigneur »,
Pas plus que de « Madame » entre nous.

Célimène

Votre Honneur…

Alceste

Mais non ! Je vous supplie de m’appeler Alceste.
J’étais simple, autrefois ; souffrez que je le reste.

Célimène

Eh bien, asseyez-vous… Alceste.

Alceste

À la bonne heure !
(Ils s’assoient.)
Vous habitez, je trouve, une jolie demeure.
(Un temps.)
J’ai su votre mariage, et je m’en réjouis.
Acceptez tous mes vœux.

Célimène, amusée.

Vos vœux ? Mille mercis,
Mais il y a vingt ans que je me suis mariée…
(Un temps. Stupeur d’Alceste.)
Eh oui, j’ai quarante ans depuis l’année passée.

Alceste

Il n’est jamais trop tard pour des vœux de bonheur,
Et les miens, croyez-le, viennent du fond du cœur,
Même vingt ans après.

Célimène

Je n’en veux point douter.
(Un temps.)

Alceste

Où donc est votre époux ?

Célimène

Parti se promener,
Avec mes quatre enfants.

Alceste

Vous avez quatre enfants !

Célimène

Trois garçons, une fille, et ils sont déjà grands :
L’aîné a dix-huit ans ; le dernier, presque douze.

Alceste

Juste Ciel ! Quatre enfants pour une seule épouse…
Mes compliments.

Célimène

Merci.

Alceste

Seront-ils de retour
Avant que je m’en aille ?

Célimène

Oui, ils font juste un tour
Et seront là, je pense, avant la nuit tombée.

Alceste

J’ai malheureusement une journée chargée
Et devrai partir tôt.

Célimène

Vous pourrez revenir.

Alceste

Chère amie, là, vraiment, vous me faites plaisir.
Moi qui avais si peur en arrivant chez vous…

Célimène

Peur de quoi ?

Alceste

Je ne sais. Des sentiments très flous
Se bousculaient en moi. Mais qu’importe, à présent !
Je me sens délivré.

Célimène

On ne peut cependant,
Même quand on le veut, enterrer le passé.
Ces sentiments confus qui vous ont tourmenté
En arrivant ici venaient de là, je pense.

Alceste

Non, le passé pour moi n’a aucune importance.
J’ai su m’en libérer.

Célimène

Et puis le principal
Ma foi, c’est d’être heureux, que l’on soit cardinal,
Ministre, musicien…

Alceste

Le bonheur, chère amie,
N’est plus, depuis longtemps, mon idéal de vie.

Célimène

Mais il faut être heureux pour servir le Bon Dieu.
Ceux qui semblent porter leur croix m’ennuient un peu.

Alceste

Mais il faut la porter, quand on la veut servir,
Comme fit Jésus-Christ avant que d’y mourir.

Célimène

Que je sache, il n’a pas passé sa vie en croix !
Peut-être était-il gai, même drôle, parfois,
Avec ses douze amis.

Alceste

Drôle, Notre Seigneur ?
Quelle idée saugrenue ! J’en frissonne d’horreur…

Célimène

Je ne vois pas pourquoi, car un homme amusant,
Il faut le remarquer, est souvent bienveillant.
(Un temps.)
Qu’avez-vous ? Vous semblez irrité, tout à coup…

Alceste

Irrité ?

Célimène

Contrarié, pour le moins.

Alceste

Pas du tout.
(Un temps.)
Avez-vous, récemment, revu nos vieux amis ?

Célimène

Je vois souvent Philinte.

Alceste

Ah, je m’en réjouis.
Alors, comment va-t-il ?

Célimène

Bien.

Alceste

Et sa douce Éliante ?

Célimène

Je crois qu’elle va mieux.

Alceste

Elle était donc souffrante ?

Célimène

Elle est très courageuse et ne s’est jamais plainte,
Mais je sais bien, hélas, que notre ami Philinte
N’a pas toujours été un époux exemplaire.

Alceste

Je ne suis pas surpris, car à vouloir trop plaire,
À vouloir à tout prix aimer le monde entier,
L’homme trop conciliant ne sait plus apprécier
Ceux qui l’aiment vraiment.

Célimène

Pour ma part, il me semble
Qu’ils n’étaient simplement pas faits pour vivre ensemble.
Vous êtes sûrement de cet avis.

Alceste

Pourquoi ?

Célimène

Voyons, souvenez-vous, lorsque, lassé de moi,
Vous fîtes à Éliante une cour effrénée…

Alceste

Que me chantez-vous là ? C’est faux.

Célimène

Ah ! Désolée,
Elle m’a donc menti. Ma cousine, pourtant,
N’affabule jamais et médit rarement.

Alceste

Doutez-vous, par hasard, de ma parole ?

Célimène

Oh, non !
Mais je me désespère en voyant cette union,
Ce mariage raté dont elle eut six enfants.

Alceste

Ils ont fait six enfants ! Sont-ils donc inconscients ?
Six enfants, Dieu du ciel… et un père adultère !

Célimène

Piètre époux, il est vrai, mais un excellent père,
Je peux en témoigner.

Alceste

Bah ! un mauvais époux
Ne peut être un bon père.

Célimène

Ah, bon ? Qu’en savez-vous ?

Alceste

Laissons là ce Philinte et parlons d’autre chose ;
L’« ami du genre humain », tout à coup, m’indispose.
(Un temps.)

Célimène

Et notre Arsinoé, qu’est-elle devenue ?
Il y a bien dix ans que je ne l’ai revue.

Alceste

Elle est passée me voir, voici deux mois à peine.

Célimène

Et comment l’avez-vous trouvée ?

Alceste

Plutôt vilaine…
Votre ancienne rivale est une vieille dame.

Célimène

Pas plus vieille que vous.

Alceste

Oui, mais… c’est une femme.

Célimène

Et alors ?

Alceste

Alors… rien. Mais vous, qui, dans le temps,
La narguiez méchamment du haut de vos vingt ans,
Voilà que, maintenant, vous prenez sa défense ?

Célimène

Je ne la défends pas, je mets dans la balance
L’homme d’un certain âge et la femme au même âge :
Cela penche toujours, ou presque, à l’avantage
Du monsieur. C’est curieux…

Alceste, ironique.

C’est même révoltant !
Il faut changer cela, sans tarder, c’est urgent !
(Un temps.)
Et ce bon vieil Oronte ?

Célimène

Il est toujours le même.
Il propose toujours de vous lire un poème
Qu’il a commis la veille et dont il est très fier.
J’ai subi le dernier pas plus tard qu’avant-hier.

Alceste

Et comment était-il ?

Célimène

Son poème ? Affligeant.

Alceste

Et que lui dîtes-vous ?

Célimène

Qu’il était excellent.

Alceste

Vous avez eu raison, car si vingt ans après,
Il ne sait toujours pas que ses vers sont mauvais,
Je crois bien, maintenant, qu’il est inguérissable !

Célimène

Vous voilà devenu tout à fait raisonnable.
S’il vous revoit un jour, il sera stupéfait.

Alceste

Mais je l’ai rencontré, récemment. En effet,
Mon humeur l’a surpris, car je fus très courtois
Et ne dis pas un mot des...

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