Chacun pour soi (et un petit peu pour les autres)

90 monologues : autant hauts en couleurs et en contradictions, pétris de certitudes absurdes ou révoltantes, englués dans des situations parfois touchantes. Christophe Averlan s’amuse avec justesse des travers de notre société dans un recueil de textes à lire pour soi ou à jouer pour les autres, sur scène ou devant une caméra.

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Haute voltige

 

J’ai toujours voulu être célèbre. Etre admirée, sollicitée, filmée, maquillée, coiffée, applaudie. Toujours voulu avoir des hordes de fans qui me reconnaissent dans la rue, qui me poursuivent, m’espionnent, qui parlent de moi, qui fouillent dans mes poubelles. Avoir des paparazzis qui volent mon intimité, cherchent à me photographier à la plage, au restaurant ou à l’enterrement de mon père. Avoir serviteur, cuisinier, coach, médecin, nutritionniste. J’ai toujours voulu ça et maintenant que j’ai ce que je veux, je prends des bains de Champagne dans des hôtels de luxe, j’ai une vie indécente, puante, répugnante, et c’est ce que j’aime. Je prends de la coke régulièrement, je me promène en jet, me fais servir des toasts au caviar au petit déjeuner, côtoie toutes les plus hautes personnalités du monde politique, du show-biz et du cinéma. Quand j’arrive quelque part, on me déroule le tapis rouge, on gonfle le torse, les seins, on se pavane, on veut me serrer la main, me baiser la main, me baiser les pieds, on me lèche le cul, on veut mes relations, mon carnet d’adresses, on complimente mes nouvelles robes, mes bijoux, ma coiffure, ma beauté. Je me suis fait refaire le visage tellement de fois que je ressemble à quelqu’un d’autre mais je m’en fous parce que mon identité passe par les hommes qui ont fait mon succès. Etre une femme de chanteur ou de politicien, ça vous rend célèbre très vite. A condition de choisir les winners, bien sûr. Ça me plaît. Je suis un peu une prostituée. Mais une prostituée de haute voltige. Et maintenant, pour être encore un peu plus adulée, je m’investis dans des causes humanitaires. Et le tour est joué. Mon nom restera dans l’Histoire, avec un grand « H », que ça vous plaise ou non.

 

 

 

 

 

 

Bête étrange

 

Non, c’est sûr, l’Afrique, c’est beau. Mais je ne serais pas très à l’aise là-bas… Il fait trop chaud. Et puis, bon, on a beau dire, ils ne sont pas pareils que nous quand même. Ah non ! On n’a pas grand-chose en commun. Tenez, qu’est-ce que quelqu’un comme moi, qui vit tout de même au quotidien avec énormément d’appareils de haute technologie, qu’est-ce que quelqu’un comme moi aurait à échanger avec un enfant d’Ethiopie qui ne sait même pas ce que c’est une télévision ? Franchement… Qu’est-ce qu’on va pouvoir se dire ? On va parler de quoi ? Et puis, il n’est jamais rentré… je sais pas moi… dans un McDo, ce pauvre gosse ! Bon, j’y vais pas souvent non plus, d’accord. Mais avec un petit Américain, je pourrais en parler plus facilement. Pas avec un Ethiopien. Et avec sa mère ? Je ne connais aucune recette à base de riz. Enfin, si, le risotto. Mais je ne vais pas apprendre à une femme éthiopienne à faire un risotto. Ce serait ridicule. Vraiment, je ne me sentirais pas bien là-bas. J’aurais l’impression d’être… je sais pas… une bête étrange pour eux.

 

 

 

Déclaration d’amour

 

Je t’ai trompée, Julie. Pas qu’une fois. Ça fait trois ans que je te trompe. Avec plein de femmes différentes. Je les baise dans tous les sens. Je me les prends en brochette, en sandwich, en cocktail. J’ai fait le « Kamasutra » dans toutes les langues. Voilà. Je m’ennuie au lit avec toi. C’est pour ça que je t’ai trompée, la première fois. Je suis tombé sur une nympho, enfin, non, j’ai cru que c’était une nympho… Elle m’a fait vivre les 24 heures du Mans en une nuit. Un bolide inimaginable. Incroyable. J’en suis resté soufflé. Me suis dit, c’est pas possible ce que c’est un bon coup cette fille ! Et après, j’ai trouvé que c’était pas juste, je veux dire pour toi. De te mettre en concurrence avec une nympho comme elle. Surtout que faut être clair, j’aurais pas voulu passer une journée entière avec elle. Alors, j’ai essayé avec une autre nana. C’était encore mieux. Pas de bol. Elle, elle était pas aussi hystérique que l’autre. Elle prenait du temps pour chaque chose… D’une douceur, d’une tendresse inouïe… Alors, là encore, me suis dit bon celle-là, c’est pas une nympho, c’est juste un bon coup… Alors, je t’ai trompée avec une troisième, histoire de ne pas te comparer à un bon coup puis une quatrième, une cinquième… tous les jours, ou quasiment, depuis trois ans. Et ça fait trois ans que je cherche une nana avec qui je pourrais m’ennuyer autant qu’avec toi, et j’ai pas trouvé. Depuis trois ans, je m’ennuie au lit avec toi et je m’éclate dans le lit des autres… Enfin, dans le lit, quelquefois c’est dans un ascenseur, dans une voiture, aux chiottes, dans une remise ou dans un local d’archives. Je suis désolé, Julie. Sincèrement. Parce que j’aurais dû te quitter plutôt que de te tromper comme ça. Mais je t’aime, en fait. Je t’assure, c’est avec toi que j’ai envie d’être tous les jours.

 

 

 

 

Pot avec réservoir

 

Je déteste les animaux de compagnie. Les chats, les chiens, les oiseaux, les rats… Ça pue, ça chie partout, ça fait du bruit, faut s’en occuper tout le temps. Et puis la pression que ça vous met ! Si vous leur donnez pas à bouffer, ils crèvent. On a leur vie entre nos mains. Comme si on avait que ça à faire ! C’est comme les plantes. Vous leur donnez pas à boire, ça crève. Elles ont pas assez de lumière, elles crèvent. Enfin, les plantes, on peut au moins les mettre dans un pot avec réservoir. Mais, vous avez déjà essayé de mettre un chat dans un pot de fleurs avec réservoir, vous ? Bah essayez ! Ça marche pas ! Non, franchement, c’est débile d’avoir un chat chez soi. A quoi ça sert un chat ? Vous pouvez me le dire ? Dans la nature sauvage, à des époques barbares, pourquoi pas. On pouvait au moins se les faire en brochette. Mais maintenant, vous avez la SPA qui vous tombe dessus pour maltraitance. Et quand un chat vous griffe ou vous crève un œil, vous avez même pas le droit de porter plainte ! Vous êtes d’accord que c’est pas juste, non ?

 

 

 

Les Caraïbes

 

Faut qu’on arrête. Je vais pas tenir. Tu vas me faire crever, vraiment. J’ai besoin de profiter un peu, de respirer le grand air, de dormir aussi, tranquillement. Une vraie bonne nuit de repos. Faire des siestes. J’ai pas l’habitude, moi, de faire l’amour comme ça. J’ai compté. Cette semaine, on a fait l’amour tous les soirs de dix-huit heures à quatre heures du matin environ. Soit dix heures par jour. Avec à peine deux pauses d’une heure. Sur cinq jours, ça fait quarante-cinq heures ! Quarante-cinq heures de baise ! Je sais pas si tu te rends compte ! Quarante-cinq heures ! Quarante-cinq heures par semaine, sans pause,  tiens, c’est même pas légal ! T’es pas un homme, t’es une machine ; je suis pas une femme, je suis une poupée gonflable. Je ne suis pas que ça, merde à la fin ! Je veux avoir une vie de femme debout ! Tu comprends ? Je sais qu’au début d’une relation amoureuse, tout est possible, qu’on a toujours envie l’un de l’autre, que c’est beau, et tout et tout… Que c’est toujours les six premiers mois qui sont les plus intenses, et qu’il faut en profiter sans compter. Mais là, non ! Je tiendrai pas six mois ! C’est trop long ! Ça fait déjà un mois ! En plus, il ne nous reste qu’une semaine de vacances ! On a un hôtel au bord de la mer… j’ai même pas vu la mer ! On peut, je sais pas moi, aller se faire un repas aux chandelles, une visite, une balade, vivre un peu des ambiances de vacances ! Sortir ensemble. Et sans avoir besoin de faire l’amour dans le taxi comme on l’a fait en revenant de l’aéroport. Bon j’avoue, c’était excitant. Mais quand même ! On aurait pu attendre qu’il ait fermé le coffre ! Je sais pas moi. On n’est pas des bêtes. On devrait pouvoir se retenir. Et puis, j’en peux plus de me faire livrer des repas gastronomiques par le room service ! J’ai envie d’avoir le temps de m’habiller ! Ne serait-ce qu’un maillot de bain et m’enduire le corps de crème solaire. Merde, je vais dire quoi à mes copines quand elles vont me demander comment c’était les Caraïbes ? Non, ne t’approche pas ! Non… s’il te plaît. Ne t’approche pas, je suis sérieuse, et ne me fais pas tes yeux, comme ça… Bon… O.K., mais après on va à la plage, d’accord ?

 

 

 

Gloria Gaynor

 

Moi, mon idole, c’est Julien Lepers. Il est toujours de bonne humeur, décontracté, rigolo. J’ai l’impression de le connaître un peu. J’ai été une fan de la première heure. Depuis 1988, vous imaginez ? Le 7 novembre. Tous les 7 novembre, j’ouvre une bouteille de Champagne. Et je trinque toute seule en répondant aux questions. Ah oui, toute seule. Hors de question que quelqu’un vienne m’embêter un jour pareil ! J’ai même participé à ses émissions. Si, si. J’ai été Championne de France 1998. Oui, je sais, vous ne vous en souvenez pas. C’était la même année que la Coupe du monde, alors forcément, c’est passé inaperçu. Mais j’ai autant de mérite qu’eux ! J’avais travaillé pendant des jours et des nuits. Tout révisé, tout lu, tout appris par cœur, j’avais fait des petites fiches, j’avais enregistré les réponses et je me les repassais en boucle pendant que je dormais. J’étais au taquet ! Je répondais avant tout le monde. Je les ai battus à plate couture ! Une vraie championne, quoi. Et après, je chantais toute seule l’hymne national de l’époque : « At first I was afraid, I was petrified tatati tatitata tatati tatata… » Gloria Gaynor, c’était moi.

 

 

Viagra

 

Faudrait que tu me dises ce que tu attends de moi en fait. Je ne sais plus quoi faire. Je ne sais pas si je dois te supplier, t’ignorer, pleurer, te rappeler. Dis-moi. Parle. Ou ne dis rien mais fais quelque chose. Quitte-moi, frappe-moi, mais l’indifférence, comme ça, j’en peux plus. On en est arrivé à se mettre des petits mots sur le frigo pour se parler. Quand tu rentres, tu me dis l’essentiel de ce que je dois savoir, de ce qu’on doit se dire dans un couple, tu ne me dis jamais le superflu. Plus de gestes attendrissants, pas un bisou avant de se coucher. En plus, tu ne me regardes plus. Je vois bien que tu ne me vois plus. J’ai changé la couleur de mon rouge à lèvres, de mon vernis à ongles, de mes cheveux ! J’ai acheté une nouvelle robe, le parfum que tu m’as offert pour nos un an. Et pas une remarque, pas un « Tiens, t’as changé de coupe de cheveux ? » J’ai perdu quatre kilos, je me crève toutes les semaines à l’aquagym ! Mêmes mes copines elles le remarquent !… Et puis, c’est pas ça le plus important. Non, tout ça n’est pas bien grave, en fait… finalement. Non, c’est vraiment pas ça le problème pour être complètement honnête… Non, je veux dire… Baise-moi ! Baise-moi, merde, à la fin ! Prends-moi sur l’escalier, dans la salle de bains, sur la machine à laver. Je ne veux même plus de la tendresse, pas de romantisme, plus de dîners aux chandelles, je m’en fous de tout ça ! M’en fous qu’on ne se parle plus en fait. Pour ce que tu avais à dire ! C’est pas pour ton QI que je t’ai épousé. Ça ne m’a jamais gênée que tu ne comprennes rien à la bourse, ni aux problèmes géopolitiques actuels, ou à l’édito des « Inroks » ! J’en peux plus… Je t’en prie… J’t’en supplie. J’implore, je me mets à genoux. Fais de moi ta chienne, ton esclave sexuelle, ta chose. Maltraite-moi, fais-moi mal, fais-moi du bien, caresse-moi ou démonte-moi… Mais, fais quelque chose, bordel ! Ou alors, c’est simple, c’est moi qui t’attache. Et là, pas de quartier. Je te viole, et à renfort de Viagra si je t’excite plus ! Ça ne me posera aucun problème. Je t’aurai prévenu !… Bon, allez, rappelle-moi quand t’auras eu ce message. Ah ! et rapporte du pain, s’il te plaît ! J’ai oublié d’en acheter.

 

Responsable

 

Tu te rends compte ? Il suffit d’un seul d’entre nous pour que, qui sait, dans deux ou trois générations, peut-être, un homme rencontre une femme et lui fasse un enfant qui deviendra un monstre ou un génie. C’est fou, non, quand on pense à ça ? Tu crois que les grands-parents...

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