Ciel ! Mon placard

Pendant que la Patrie en colère déplore une radioactivité pubère et un réchauffement climatique hostile, la grande et belle Dada se réjouit d’assister à l’inauguration des Nouvelles Galeries en compagnie de son mari. Seulement, un maudit télégramme bouleverse ses plans et la sépare de son époux. Habillée de cette solitude effroyable, Dada court les placards à la recherche d’un compagnon pour éponger sa soif tyrannique de mondanités.

“Ciel ! Mon placard” est un vaudeville éméché où les monstres pastel du théâtre de Boulevard des années 1970 sentent le parfum acide de nos kermesses les plus miteuses et habitent le bureau de Valéry Giscard d’Estaing.




Ciel ! Mon placard

Acte I

SCÈNE 1

Chez Monsieur et Madame. Dada et Louis sortent du placard.

Dada Mon cher Édouard, vous me prêtez des intentions que je n’ai pas !

Louis Ah ! mais Dada, vous êtes si ronde, si fluette, si courge tout à la fois ! Je vous aime ! Je vous aime et vous dévore !

Dada Me laisserez-vous en paix ? Cochon ! Si mes yeux sont à vous, mes fesses sont à mon mari. Tenez-le-vous pour dit.

Louis Dada, Dada… Ma grande, ma belle Dada…

Dada Suffit ! J’appelle notre Mireille ! (Elle sonne. Apparaît Mireille, les mains pleines de craie.) Ma pauvre amie, les hommes se perdent quand ils sortent du placard… Lavez-vous les mains et portez-moi ce rustre dehors.

Louis Dada… Dada… Mon Dada…

Mireille (À Louis.) Si Monsieur veut bien me suivre…

Louis (Au sujet de Dada, au public.) Ah ! cette femme !

Dada (Seule, elle rajuste son corsage.) Quelle tempête ! Son cœur est aussi creux qu’une coquille et il voudrait me faire croire qu’il saigne pour moi. Mais je vois clair dans son jeu. Ses yeux sentent la larve séchée que ce bon vieux Louis voudrait que je mouille.

Entre Maxime.

Maxime Ma chérie, je vous ai cherchée toute la matinée. Où étiez-vous donc ?

Dada Dans le placard, avec Édouard.

Maxime Tout de bon ! Eh bien, ma chère femme, vous êtes une coquine ou je ne m’y connais pas.

Dada Mon cher petit mari, je vous avais bien promis de ne jamais vous mentir.

Maxime Certes, mais tout de même, cela me fait toujours un effet bœuf de voir votre langue délier ce qui doit rester pudique. Mon petit cœur, votre chanteur a-t-il été polisson ?

Dada Oui, mais je n’ai pas cédé. Je suis fidèle à votre veste. Je veux bien qu’on vienne se mirer à ma fontaine, mais je refuse toujours qu’un autre que vous y goûte son eau.

Maxime Bien. Je dois vous avertir que nous partons pour Rome demain. Un certain courrier que j’ai reçu ce matin m’a alarmé au plus haut point. Ma mère est souffrante du côlon et il faut que je la baise avant qu’elle ne s’enterre sous ses draps.

Dada Vraiment, quel dommage ! Moi qui me faisais une joie de lécher les vitrines des Galeries en votre compagnie… N’est-il pas envisageable d’y envoyer votre frère ?

Maxime Vous savez bien qu’il est impotent et que son nerf claque à chaque train.

Dada Son fils ?

Maxime Il est à son étude.

Dada Pauline ?

Maxime Sous les verrous.

Dada Guy ?

Maxime Au presbytère.

Dada Luc ?

Maxime Cessez ce jeu, ma mie. Je ne peux pas laisser mère partir sans un je t’aime.

Dada Vraiment, quel dommage ! C’est pas de veine. Alors, adieu les Galeries ?

Maxime Nous les lécherons à notre retour.

Dada Ce sera déjà autre chose. Demain soir, voyez-vous, mon cher Maxime, tout le gala sera de mise. Une robe de cocktail et un petit-four en bouche, je comptais valser parmi mes amants en votre galante compagnie.

Maxime Je comprends, Dada.

Dada Vraiment, quel dommage ! Eh bien, dans ce cas, partons pour Rome. (Elle commence à faire ses valises.) Rome… Rome… Quelle tristesse ! Moi qui me faisais une joie de jouir des Galeries avant le commun des mortels…

Maxime Mais enfin, que faites-vous ?

Dada Mes malles ! Quelle drôle de question !

Maxime Ma chérie, si vous empaquetez de vos mains, notre Mireille va-t-elle rester en loge tout l’acte durant ?

Dada Où avais-je la tête ? (Elle sonne. Apparaît Mireille, les mains toutes pleines de craie.) Ne vous avais-je pas dit de vous laver les mains ? D’autant plus que j’ai besoin d’elles pour faire mes malles. (Mireille commence à faire les valises.) Mireille, c’est un drame, nous partons pour Rome demain et je ne pourrai permettre à ma robe DuBaily de prendre l’air aux Galeries.

Mireille (Commence à empaqueter.) Madame prendra son tailleur ?

Dada Bien entendu. (À son mari.) Ah ! Michel, comme je regrette notre jeunesse !

Mireille Et son chandail ? Madame souhaite emporter son chandail ?

Dada Oui, Mireille (Même jeu.) Nous étions fous alors, et nous lâchions nos projets du bout des doigts comme on perd une bague…

Mireille Le jabot ?

Dada Oui ! (Même jeu.) Et sans penser, nous nous jetions à corps perdu sur nos corps trouvés…

Mireille Gants ?

Dada Gants ! (Même jeu, se jette dans les bras de son mari.) Ah ! Michel ! Mon Michel tant aimé…

Mireille Boa ?

Dada Boa ! (Même jeu.) Votre muscle fait le tour de mes rêves…

Mireille Tiroirs ?

Dada Tiroirs ! (Même jeu.) Le tour de ma chambre…

Mireille Placard ?

Dada Placard ! (Même jeu.) Le tour de moi…

Mireille Loup ?

Dada Loup !

Maxime Mon oiseau, vous avez su garder ce charme que moi seul sais deviner…

Mireille Plume ?

Maxime Plume plume plume, caracos et frisottis ! Tout notre Mireille ! Nous prenons tout ! Rome nous appelle et sa grande gueule nous soufflera son haleine de café dès le quai de la gare.

Dada Ah ! mon petit père… Qu’est-ce que Rome à côté de l’inauguration officielle des Nouvelles Galeries ?

Maxime Un puits d’amour.

Pendant que Mireille vide le théâtre, Monsieur et Madame s’aiment dans leurs costumes.

Mireille Les rideaux, vous les avez apportés de Moscou ?

Dada (Comme sortant d’un rêve.) Mais oui, mais c’est bien sûr !

Maxime Quoi donc, Dada ?

Dada Notre Mireille !

Maxime Eh bien, « notre Mireille » ?

Dada C’est notre Mireille qui t’accompagnera !

Maxime Mais où donc ?

Dada Mais à Rome, enfin ! Quant à moi, je te remplacerai aux Galeries par Édouard !

Maxime Quelle drôle d’idée ! Et maman ?

Dada Maman ?

Maxime Qu’est-ce que je vais lui dire ?

Dada Il y a si longtemps que nous ne nous sommes pas vues ! Notre Mireille fera l’affaire, elle y verra goutte : une robe d’organdi, ma petite mèche à moi et le tour est joué !

Maxime Mais Édouard ? Tout le monde verra bien aux Galeries que ce n’est pas moi !

Dada Oh ! écoute, mon petit parapluie, tout le monde sait bien qu’Édouard est dans mon placard. Toi ou un autre, ça ne changera rien. Non, vraiment, Maxime, il faut faire comme cela : notre Mireille à Rome, ce bon vieil Édouard aux Galeries. D’ailleurs, si tu refuses, je pleure.

Maxime Ma petite chatte, ne pleure pas, je t’en prie. Nous ferons comme bon te semble.

Mireille Si j’accompagne Monsieur, je suppose que je défais les valises de Madame ?

Dada Oui, notre Mireille. Ou plutôt, dites-moi, Mireille, cela vous ferait-il plaisir de voyager avec mon trousseau ?

Mireille Si j’ai le droit de mettre vos robes et de me peigner avec vos crochets, alors oui, j’aimerais bien, j’avoue.

Dada Vous pourrez, à la seule condition de laver vos mains.

Mireille (Cache machinalement ses mains pleines de craie.) Oui, Madame.

Dada Alors, c’est dit ! Vous partez avec mon appareil !

Mireille Chic alors !

Maxime Tu es vraiment trop bonne !

Dada (Au public.) Je suis comme ça !

SCÈNE 2

Chez Louis.

Louis assis à sa table en train de prendre le thé avec son ami Franck. Entre Jacquot, le maître d’hôtel de Louis.

Jacquot Un télégramme pour Monsieur. Il arrive à l’instant, il est encore tout chaud.

Louis Merci, mon Jacquot. Posez-le là, nous verrons cela plus tard. Pour l’heure, il faut que je profite de cette aimable visite.

Jacquot sort.

Franck Oh ! Louis ! Cela fait si longtemps que nous ne nous sommes vus ! Je t’ai tant cherché après ton départ, j’ai fouillé dans les bars, ouvert chaque placard… rien, aucun Louis caché. Alors j’ai couru jusque ta mère qui m’a tout raconté.

Louis Tu sais, mon ami, la vie réserve parfois bien des gourmandises. Lorsque nous nous sommes quittés cet hiver-là, j’avais froid au cœur et jamais je ne pensais trouver une place aussi chaude que celle que j’occupe aujourd’hui.

Franck Ah ! mon bon… Comme tu m’as manqué ! Tu as dû en baver des ronds de couteau ?

Louis Si tu savais. J’ai connu la rue…

Franck Oh…

Louis Le poste de gendarme…

Franck Oh…

Louis Les sous-sols malfamés…

Franck Oh !

Louis Les punaises bariolées…

Franck Oh ?

Louis Les petites femmes astiquées…

Franck Oh ! oh !

Louis Les hommes de main…

Franck Ah !

Louis Non, vraiment, Franck, j’ai connu une époque si dure après notre séparation qu’aucune imagination ne pourrait la soutenir. Mais parlons de moi. Que me vaut ton aimable visite ?

Franck Eh bien, mon ami, je pense que malgré les apparences, tu n’es pas au bout de tes peines ! J’ai une surprise pour toi !

Louis Allons donc ! Une surprise à cette heure ?

Franck Ferme les yeux. (Louis s’exécute.) Ne triche pas ! (Franck va chercher une petite fille, Louison, cachée derrière la porte. À Louis.) Tu peux les ouvrir.

Louis Ah ! ça par exemple ! Une petite fille ? Mais qui cela peut-il bien être ?

Franck Elle s’appelle Louison, c’est une adorable poupée.

Louis Bonjour, Louison.

Louison Bonjour, papa.

Louis De quoi s’agit-il ?

Franck Lorsque tu es parti, tu ignorais que cette enfant était en chemin vers nous. J’ai longtemps hésité à te dire la vérité, mais j’avais peur des orages. Louis, voici notre fille.

Louis Franck, c’est terrible… Je n’y étais absolument pas préparé… Cache cette enfant. (Franck s’exécute.) Franck, que signifie cette mascarade ? À l’époque où nous nous fréquentions, nous nous protégions. Cette enfant est-elle apparue par l’orée du bois ?

Franck Louis, si tu savais comme moi aussi j’ai connu l’enfer après ton départ ! La grossesse, la misère, le pain qui venait à manquer… Oh ! comme la vie est dure à notre époque pour un homme qui élève seul son enfant ! J’ai tant souffert de mes deux pieds… Comprends-moi…

Louis Que veux-tu que je fasse d’elle, à présent ?

Franck Je vais mourir, Louis. Il faut que tu prennes le relais de son éducation.

Louis Comment, tu vas mourir ? Qu’est-ce que c’est que cette fantaisie ?

Franck C’est écrit, Louis. Je vais mourir tout bientôt d’une mort humiliante et atroce. Et avant de vous quitter, je voulais m’assurer que Louison trouverait refuge chez toi.

Louis Mais enfin, c’est impossible ! Et mon office ? Et ma vie de garçon ? Et mon vin ? Mes petits jouis ? Tu ne te rends pas compte comme cela m’embarrasse…

Franck Je t’en prie…

Louis Non, Franck. Je refuse. Tu n’avais qu’à l’abandonner ou la donner à manger aux prêtres, mais tu ne peux pas venir bouleverser mon présent avec un passé si encombrant ! Que vont dire les autres ?

Franck Ah… je vais mourir…

Louis Mes amis ? Jacquot ? Et Dada ? Que va penser mon Dada ?

Franck Aah…

Louis Non, Franck, c’est hors de question que je garde cette enfant. Elle doit partir.

Franck Je meurs, Louis…

Louis Peut-être chez une mère ou à l’école ? Mais pas ici ! Ma vie ne permet pas un tel sacrifice.

Franck Louis, je meurs… (Il meurt.)

Louis Franck ! Ne pars pas sans elle ! Vraiment, je te hais ! Tu n’es qu’un égoïste ! un vil ! un veule ! un pleutre ! un jean-foutre ! Ah ! bigre ! Franck ! Quel coquin ! Ah… Où est la petite, maintenant ? (Louison sort de sa cachette.) Tu es là, toi ? Regarde, ton père est mort sur le tapis. Qu’allons-nous faire, enfant ? Qu’allons-nous faire ? Mettons-le à l’aise. (Louison aide Louis à mettre le cadavre à l’aise. Louis tombe sur le télégramme que Jacquot a apporté en début de scène.) Bon sang ! J’avais complètement oublié le télégramme ! (Il l’ouvre et le lit.) Nous voilà bien ! Décidément, cette journée bat à plein régime !

Louison Quoi donc, papa ?

Louis Je dois me rendre à l’inauguration des Nouvelles Galeries ce soir, en costume d’apparat. Maintenant que j’ai une enfant sous l’aile, je ne peux plus faire la vie… Que vais-je répondre à Dada ?

Louison Allez-y, papa, à votre fête. Je m’occuperai du reste.

Louis Ah ! Louison, mon petit Louison ! Nous voilà dans de beaux draps… Ton père est mort et moi...

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