Combustion Spontanée

Marianne, fille de petits commerçants de province, arrive dans la grande ville et se fait embaucher comme vendeuse dans une boutique… L’écho parodique de plusieurs époques va accompagner son voyage dans le temps : l’Europe d’après guerre, mai 68, jusqu’à notre ère, remplie de technologie triomphante et de crises renouvelées.
Marianne a beau déjouer tous les pièges, ils vont inéluctablement la guetter par une déshumanisation aussi féroce qu’insaisissable.

 

                      COMBUSTION SPONTANEE

 

fable sarcastique

 

d’Alan ROSSETT

 

 

 

Sélection ECLATS de Scène 2016

 

 

 

 

 

 

 

 

Marianne

Clotilde

Philippe

Didier

Mon Patron

Opgood

 

 

 

 

 

 

 

Une boutique

 

Scène 1

 

(Marianne, 26 ans : elle s’adresse aux spectateurs comme à des passants dans la rue... )

 

MARIANNE  Laissez-moi vous parler... Je vous en supplie... Je sais, vous ne me connaissez pas mais... Je m’appelle Marianne. Je viens d’un petit village, oh pas très loin d’ici... Le jour où tout a commencé, je dirais hier, moi, mais non, c’était il y a des années… des années….j’ai cherché un hôtel. Je marchais dans les rues de votre ville... grouillantes de monde...

(elle a une valise à la main)  En passant devant une boutique... j’y ai jeté un coup d’oeil...

 

(Lumière sur une boutique désuète de matériaux pour cheminées. Comptoir, table de travail, étalage de grilles, de tisonniers etc. Une vraie cheminée.

Une sortie vers la réserve. Une sortie vers un bureau marquée   LE PATRON.  M. DODOU

Une autre sortie marquée : HOMMES

 

En haut, une pendule coucou.

 

Clotilde, la trentaine largement entamée, habillée sévèrement, très maquillée, figée dans le geste de montrer à Philippe, un jeune homme de 20 ans, comment tenir correctement son balai.)

 

MARIANNE  (est entrée dans la boutique, s’adresse à Philippe)  Excusez-moi...

(Philippe la regarde, l’air idiot.)   J’ai vu l’annonce dans la vitrine. Vous cherchez toujours quelqu’un pour travailler ici ?

 

CLOTILDE   Nous cherchons une jeune demoiselle,  mademoiselle. (remarque sa valise)   Vous n’êtes pas d’ici?

 

MARIANNE  Embauchez-moi et  je serai d’ici !

 

CLOTILDE   Mmmm je n’en doute pas. Mais vous croyez-vous capable de rencontrer des clients... de faire un peu de comptabilité... de nettoyage... d’époussetage…  de faire de la manutention, hein… ?

 

MARIANNE  Quand j’avais 5 ans, Papa disait que sa meilleure assistante, c’était moi ! Il n’a jamais changé d’avis ! Mon père avait un petit magasin,...

 

CLOTILDE   Alors pourquoi, n’y êtes-vous pas hmmm ?

 

MARIANNE  Le magasin a fait faillite.

 

CLOTILDE   Ce n’est guère en votre faveur !

 

MARIANNE  Mais les temps sont durs pour les petits commerces. Tellement durs que mon père... il a eu le cœur brisé... il est mort.

 

CLOTILDE   Je suis désolée. Vraiment désolée…

 

MARIANNE            Je ne savais plus quoi faire. Ce matin, un rayon de soleil m’a réveillé ... il semblait susurrer « Prends ta vie en main, Marianne ! Tu es courageuse ! Pars pour la grande ville ! »

 

CLOTILDE   Vous avez abandonné votre mère... ?

 

MARIANNE            Au ciel il y a très longtemps.

 

CLOTILDE     Mais vous êtes orpheline ! ma pauvre enfant ! Vous n’avez personne au monde qui pourrait nous reprocher les longs horaires qui seront les vôtres ! Si nous lui donnons une chance… ?!

 

MARIANNE  Je suis embauchée !?

 

CLOTILDE     Ah non, on considère votre candidature, je voudrais dire.  Je ne suis pas, moi, en position d’engager qui que ce soit !

 

MARIANNE            Vous n’êtes pas la patronne ?

 

CLOTILDE  Quelle idée ! Cela se voit que je suis une jeune demoiselle, exactement comme vous !

 

(On entend le son d’une chasse d’eau des toilettes HOMMES)

 

MARIANNE            Et le patron... ?

 

(Didier ressort, voit Marianne.)

 

DIDIER         (excité)   Une cliente ?

 

CLOTILDE  Mieux ! une candidate pour ma petite annonce !

 

DIDIER         Mamzelle Clotilde, je vous ai déjà dit, notre chiffre d’affaire ne justifie pas une augmentation du personnel.

 

CLOTILDE   Monsieur Dodou... je croyais que tout le monde était affecté en me voyant si surmené que…que…

 

DIDIER         Mamzelle Clotilde, nous sommes tous surmené, sans pour autant avoir assez de travail pour nous occuper plus de quinze minutes par jour.

 

CLOTILDE   Mais... Mais... le Patron m’avait promis... non non ça va ça va... Je ne veux pas être cause de... (pleurnicharde)   Bon. J’enlève... ma petite annonce !

 

MARIANNE  Qui est le patron enfin ?

 

DIDIER         On pourrait dire que c’est moi.

(Il voit un homme très âgé qui est sorti du bureau pour se diriger vers les toilettes :)

Mais vous auriez tort !!  Evidemment, je ne possède pas l’autorité étincelante de...

 

PATRON      (il remarque Marianne)   Ah !... (essaie de ne pas éternuer)  Ah... Ah...

 

CLOTILDE et  DIDIER   (un rite)   Choum, Mon Patron, nous espérons que ce n’est pas grave ?

 

PATRON      (larmoyant)  Votre patron ne rajeunît pas.   (à Marianne)   Elle, en revanche, est aussi fraîche que la rose du matin !

 

CLOTILDE   Et elle cherche une position chez nous.

 

PATRON      Ah ha !  (à Marianne) Quel âge as-tu, petite ?

 

MARIANNE  J’ai 26 ans.

 

PATRON      As-tu fait des études, es-tu diplômée ?

 

MARIANNE  J’ai arrêté mes études à 17 ans. Je me suis inscrite, une fois, à un cours… par correspondance !

 

PATRON      Par correspondance, ce n’est pas grave,  la démangeaison estudiantine n’est pas contagieuse! Es-tu mariée, petite ?

 

MARIANNE  Non.

 

PATRON      Eh ben il faudra cueillir la petite rose avant que son Prince Charmant nous devance : vous commencerez demain matin.

(il disparaît dans les toilettes.)

 

DIDIER         A 7 heures pile. Je crains que vous ne soyez engagée.

 

CLOTILDE   (joyeuse, danse à la vitrine)   J’enlève ma petite annonce !

 

(Les cloches de la ville sonnent.)

 

CLOTILDE et DIDIER    (chantent)  C’est l’heure !

De la fermeture !

De rentrer chez vous !

Chez nous !

 

(Le coucou sonne l’heure)

 

CLOTILDE et DIDIER    De la fermeture !

 

(La chasse d’eau sonne)

 

CLOTILDE et DIDIER     La fermeture !

 

PATRON      (ressort des toilettes, chantant)

De la fermeture !

Tout le monde peut partir !

 

PATRON et DIDIER   (chantant)   Nous allons mettre notre chapeau !

 

(Dansant, ils vont dans le bureau)

 

CLOTILDE   (embrassant Marianne )  Nous avons gagné !

 

PATRON      (ressort)       Le Patron part !

 

CLOTILDE   (au garde à vous)   Pour aller où, Mon Patron !?

 

PATRON      Oh, juste pour faire un discours devant un tas d’autres patrons. Après on va grignoter et échanger des recettes.

 

CLOTILDE   Délicieux !, Mon Patron ! Régalez vous !

 

PATRON      (d’un coup maussade)   Comme si votre Patron avait l’habitude de se régaler ! jamais ! Nom de Dieu !  Y a t-il quelque chose qui bouge dans ce grand espace vide derrière votre front ?

 

CLOTILDE   (se recroqueville, apeurée)   ... Mais, ça c’est une question intrigante ! Si j’ose dire...-

 

DIDIER          (le Patron part tandis que Didier sort du bureau)  Je vous accompagne au coin de la rue, Mamzelle Clotilde.

 

CLOTILDE   Oh Ooooh !   (tremblotante)  Oooh très bien… si vous avez vraiment envie... Monsieur Dodou ! C’est à dire...

 

DIDIER         Philippe, ferme à clé quand t’auras terminé ce que tu fais semblant de faire. Et pas de familiarités avec la nouvelle petite mamzelle. (raide)  Ha. Ha. J’ai été jeune aussi. Ha. Ha.

(il part)

 

CLOTILDE   (ne se rend pas compte qu’il est déjà parti)  ... Jeune ?... Mais vous êtes toujours....Cher monsieur... Monsieur... ?  (court après lui)  Dodou ?...   (elle a disparu)

 

MARIANNE  (à elle-même)  Est-ce que je veux vraiment travailler ici ?

 

PHILIPPE     Comme si t’avais le choix.  (Marianne est surprise)  Toi aussi, tu m’as

pris pour un débile, hein?

 

MARIANNE Beuh oui.

 

PHILIPPE     C’est pour cela qu’ils m’ont engagé. Je joue le type né pour balayer le plancher.

 

MARIANNE  Mais pourquoi ?

 

PHILIPPE     J’avais besoin d’un boulot. Les temps sont durs. Peu probable que tu trouveras autre chose. Accepte ce boulot. Je t’en prie. Tiens-moi compagnie. Dés que t’es entrée, je me suis dit, si elle reste avec nous, cette foutue boutique deviendra plus supportable.

Qu’est-ce que t’as étudié par correspondance ?

 

MARIANNE  Comment devenir un peintre célèbre comme celui du catalogue.

 

PHILIPPE       Et ?

 

MARIANNE            Un jour, cela m’a frappée : les tableaux du catalogue sont moches ! Et personne n’a jamais entendu parler du célèbre peintre. Alors j’ai jeté le catalogue. Marianne, je me suis dit, tu sais comment regarder les gens et leur parler. Ne perds pas ça et tu ne seras pas idiote. C’est cela qui est important, non, ne pas être idiote ?

 

PHILIPPE    C’est une des choses. Je vais à l’école pour apprendre des autres. Chut : une école secrète.

 

MARIANNE  Tu étudies quoi ?

 

PHILIPPE     Comment se débarrasser du patron. L’Alternatif au Boutique-isme.

 

MARIANNE  Ce veut dire... ?

 

PHILIPPE     Juste entre nous, on continue à se braquer sur des trucs qui ne marchent pas tout à fait.

 

MARIANNE   J’en suis désolée.

 

PHILIPPE     Eh ben, les patrons sont enchantés !  (il imite Mon Patron)  ...

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