Confiture et pâté de blaireau

Un couple de parisiens ainsi qu’une femme étrange découvrent la vie à la campagne profonde et celle de leurs hôtes qui sont pour le moins surprenants. Mais sont-ils venus là pour se reposer ou pour une autre raison que les propriétaires connaissent bien ? Et arriveront-ils à leur fins ?

ACTE 1

Auparavant, on entend des chants d'oiseaux, puis le cri du coq.

Scène 1 : Alphonse, Lucienne

Lucienne entre

Lucienne / Mais qu'est-ce qu'ils foutent ! Ils devraient déjà être là. On va quand même pas les attendre pendant cent sept ans. .. (Elle crie) Alphonse ?

Alphonse entre, une bouteille de bière à la main.

Alphonse / Qu'est-ce qu'y s'passe ?

Lucienne / Y s'passe qu'y sont pas là.

Alphonse / Forcément, c'est des parisiens, et les parisiens, dès qu'ça met un pied dans la campagne, ça s'perd tout d'suite. T'as qu'à regarder dans les jumelles.

Lucienne / Où qu'c'est qu'elles sont ?

Alphonse / Sur la table ! Ah celle-là, elle verrait pas un éléphant à deux mètres.

Lucienne / (Faisant allusion à son mari) En tout cas, les abrutis, je les repère à cent kilomètres.

Alphonse / T'as quand même épousé le mieux du coin.


Lucienne / Y'avait rien d'autre.

Alphonse / Y'en a plein qu'aimeraient être à ta place.


Lucienne / Oh mais si y'a qu'ça, qu'elles viennent ! J'leur laisse ma place !

Alphonse / T'en fais pas, la Lucienne, j'te garderai jusqu'à la mort.

Lucienne / J’ai toujours eu du bol.. (Elle prend les jumelles et regarde)

Alphonse / Ils vont bien finir par arriver.

Lucienne / Faudrait mieux, parce que j'aimerais bien aller m'coucher.


Alphonse / Hé ! La Lucienne ! Moi aussi..


Lucienne / Ouais, et ben tu peux t'la mettre derrière l'oreille. ... Oh là-bas, sur le pont.., on dirait qu'ça bouge.

Alphonse / Fais voir ! (Il prend les jumelles) Ah oui ! Y'a un costaud, avec une .. Oh ben dis-donc, celle-là, ; y’a rien à j’ter. J’en ferais bien mon quatre heures.

Lucienne / (Elle lui prend les jumelles et regarde) Ton quatre heures ! Avec les dents qui t'restent, c'est tout juste si tu peux avaler d'la purée.

Alphonse / On a bien l'droit d’regarder.

Lucienne / Quand elle te verra, on aura du bol s'ils repartent pas aussitôt.

Alphonse / Ils ont l'air au bout du rouleau.

Lucienne / Forcément, ils sont chargés comme des bourriques. Et en plus, ils ont des bidons.

Alphonse / Tu sais bien qu'ils ont toujours des bidons.

Lucienne / C'est encore à cause de cette histoire de fontaine de Jouvence. Les gens croient n'importe quoi.

Alphonse / En tout cas, ça nous amène du monde.

Lucienne / (En regardant à travers les jumelles) Oh la la ! Le bonhomme, faudra le prendre en photo. On le mettra dans l'album.

Scène 2 : Alphonse, Lucienne, Jessie, Gabriel

Gabriel et Jessie arrivent. (Ils passent par la salle) Ils sont épuisés. Ils portent chacun deux énormes valises, plus chacun un sac à dos, et deux jerrycans. Jessie en tenue de ville, marche difficilement avec ses hauts-talons. Gabriel se prend un pour un aventurier. Pendant ce temps, Alphonse et Lucienne préparent la table ou font un peu de ménage.

Jessie / Ca doit être là.

Gabriel / J'espère, parc'que j'en ai ma claque.


Jessie / Ca a l'air complètement perdu.

Gabriel / C'est normal, on est dans la France profonde.

Jessy / Tiens, y'a deux français profonds qui nous regardent.

Gabriel / Dis-donc, j'en ai vus, des péquenots, mais à c'point là, c'est rare. Faudra les prendre en photo.


Jessy / C'est sûr, ils valent le détour.

Gabriel / Et en plus, ils doivent avoir comme un dialecte. Et j'ai pas trouvé de dictionnaire. Enfin, du moment qu'ils nous aident à trouver la source, c'est tout ce qu'on leur demande.

Jessy / Une fontaine pour rajeunir. T'es sûr qu'elle existe ?

Gabriel / Oh ! Tu sais à qui tu causes ?

Jessy / Justement..

Gabriel / Et quand on l'aura trouvée, on leur rachète leur cabane pour une bouchée d'pain. Ensuite on rase tout, et après : Casino ! Piscine, ! Terrain de golf ! Hippodrome, et cure thermale ! J'ai déjà le nom : Center Campagne ! Ca en jette, non ?

Jessy / Et tu comptes faire ça avec quel argent ?


Gabriel / Oh ! C'est qui, là ? C'est Gaby ! Et avec Gaby, .. fini les soucis ! Le pognon, ça s'trouve ! Suffit d'inspirer confiance.

Jessy / (Pas convaincue) C'est ça... Inspirer confiance..

Gabriel / (Il approchent) Souris. Faut toujours être gentil avec les péquenots.

Ils pénètrent sur la scène et s’adressent à Lucienne et Alphonse.

Jessie / Oh-la la, la tronche ! .. (Enjoué) Bonjour !

Gabriel / C'est bien ici chez monsieur et madame Grumo ?

Lucienne / Ah ça, pour sûr. Vous pouvez pas vous tromper. Les Grumo, c'est nous.

Alphonse / Madame Ponche ?


Jessie / Jessie. Et mon mari, Gabriel.


Gabriel / Gaby pour les amis.

Ils se disent bonjour

Alphonse / (A Jessie) On se fait la bise ?

Jessie / Non. (Jessie lui tend la main.)

Alphonse / Moi c'est Alphonse, et ça, c’est ma femme. La Lucienne. Ça va faire soixante ans qu'on est ensemble.

Gabriel / Soixante ans ! Mais vous faîtes tellement jeunes.


Alphonse / Ca doit être l'air de la campagne. La campagne ça vous rajeunit tous jours.

Jessie / Vous vous êtes connus comment ?

Alphonse / Par ma grand-mère. On avait la même.

Lucienne / On est cousins.

Alphonse / Chez nous, ça s'passe en famille !

Lucienne / Vous avez fait bon voyage ?

Gabriel / On est parti de Paris à 12 heures pile. 700 kilomètres, six heures ! Trente deux minutes pour manger. Et avec le quatre-quatre, jamais en dessous d'cent, sinon, il broute.

Jessie / Oui.. Il a un quatre-quatre..

Gabriel / Et attention ! Commande à distance ! J'appuie sur un bouton, elle part toute seule. A cinq cents mètres, j'ouvre la portière.

Jessie / Sans les mains !

Alphonse / C'est incroyable.

Gabriel / C'est en arrivant par chez vous que ça s'est compliqué. Y'avait plus d'route.


Lucienne / Ah oui. .. Y'a eu une route. Mais y'en a plus.

Alphonse / Et d'ici qu'ils en refassent une, il passera de l'eau sous l'pont.

Gabriel / Au fait ! A propos du pont. J'ai laissé le quatre-quatre avant.


Alphonse / Vous avez bien fait. Une fois, y'en a un qu'a essayé d'passer en bagnole. Il est tombé dans la flotte.

Lucienne / Il est pas resté.

Alphonse / Il avait payé d'avance, mais quand même...

Gabriel / On ne risque pas de me voler mon quatre-quatre ?

Alphonse / Pensez-vous ! Ici, c'est rare qu'on vole des bagnoles.

Lucienne / Ici, ils savent pas conduire, et à part nous, y'a que d'la nature.

Alphonse / Et une sacrée nature ! Des fois, y'a des gens qui viennent et qui veulent tout voir, mais y'a trop à regarder.

Lucienne / Et surtout, faut connaître !

Alphonse / Nous, on leur dit de pas s'éloigner, mais ils en font qu'à leur tête.

Lucienne / Tous les ans, on en perd.

Alphonse / Mais on n'a encore jamais eu d'morts.


Lucienne / Ce s'rait pas bon pour le commerce.

Alphonse / Au fait ! Que j’vous prévienne ; autour de la maison, y’a des pièges.

Lucienne / Faut bien regarder.

Alphonse / Des pièges à ours.

Jessie / Y'a des ours ?

Alphonse / Quand on en voit, faut pas essayer d’les caresser. En général, ils passent.

Lucienne / Mais asseyez-vous ! Vous allez bien boire quelque chose.

Tous s'assoient autour de la table.

Alphonse / Vous allez voir, ça va vous requinquer en moins d'deux.


Gabriel / C'est quoi ?

Lucienne / Une liqueur familiale. C'est ma mère qui m'a donné la recette.

Alphonse / Juste avant d'mourir. Et après, paf !

Lucienne / Sur son lit d'mort. C'est une tradition chez nous.

Alphonse / Et quand ma femme y passera, ce s'ra pareil.

Lucienne / Sauf que moi j'la donnerai à quelqu'un d'autre, vu qu'on n'a pas d'enfants. J'ai pas pu.

Alphonse / Les femmes, c'est comme les poules, c'est pas toujours des pondeuses.

Lucienne / A moins que ça vienne du coq.

Alphonse / Euh.. Vous avez des enfants ?

Jessie / On y pense.


Alphonse / Ca c'est bien. Et j'vais vous dire ; ici, vous allez penser qu’à ça. Parce que la nature, ça vous.. Ca ! Hein Lucienne !

Lucienne / Tu vois pas que t'embêtes ces messieurs dames avec tes histoires.

Alphonse / (Il sert la liqueur) Et bien alors, santé ! Eh ! Sentez-moi ça !

Gabriel / Ca sent quoi ?

Alphonse / La nature. Ça donne pas envie, la nature ?

Jessie / Ca donne envie de dormir.

Alphonse / Ah mais vous...

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