PREMIER JOUR, LE MATIN.
Marthe est couchée dans le jardin de Nora. Près d'elle sont posés son sac à dos, un petit camping gaz, divers objets. Elle est enroulée dans son duvet et sa tête repose sur sa veste roulée en boule. Elle dort. Nora sort de chez elle en jetant un poncho sur ses épaules. Elle ramasse la gamelle du chat, puis le cherche en secouant les trois croquettes qui restent dans le fond. Elle découvre Marthe endormie et, mine de rien, elle s'approche de celle-ci, l'examine.
NORA Elle n’a pas bougé ! S’approchant : Vous n’avez besoin de rien ? N'obtenant pas de réponse. Vous n’avez pas froid ?
MARTHE Réveillée en sursaut. Quoi ?
NORA Voulez-vous une couverture ?
MARTHE Non, ça va.
NORA Vous n'êtes pas frileuse, vous alors ! Moi, à votre place, je pense que serais complètement gelée ! Enfin ! Vous devez avoir l’habitude. Mais tout de même je trouve qu’il fait bien froid et si j'étais vous, je craindrais d'attraper une pneumonie ! Vous devriez faire attention. Il n’y a pas des asiles ou des endroits comme ça, pour vous accueillir quand c'est l'automne ou l'hiver ? Parce que je crois que vous ne pourrez pas rester là bien longtemps, avec les gelées qui arrivent !
MARTHE Cherchant à se rendormir. ça va, je vous dis !
Nora rentre chez elle et en ressort aussitôt, rapportant la gamelle du chat qu'elle a remplie. Elle la pose, puis extrait une bouteille de vin de sous son poncho. Elle la propose à Marthe.
NORA Prenez quand même ça, en attendant… pour vous réchauffer un peu !
Marthe regarde la bouteille, se retourne et tire sa veste sur la tête. Nora, un peu dépitée, cherche un instant son chat puis rentre, en emportant la bouteille. Elle ressort presque aussitôt et s'approche de Marthe.
Nora A mi-voix. Vous dormez ? Elle arrange le duvet qui recouvre Marthe. Voulez-vous une autre couverture ? Elle lui met le poncho en guise de couverture. Bon, ce sera toujours mieux que rien ! Appelant délibérément assez fort. Pomponnet ! Mimimimimimimi…
Elle rentre chez elle. Marthe s'agite, rejette le poncho, puis s'assied.
MARTHE Et voilà ! C'est gagné ! En marmonnant, elle relace ses chaussures. Elle est gonflée quand même ! J'aime pas qu'on me réveille ! ça me fout de mauvais poil ! Et ben ouais, c'est gagné, je suis de mauvais poil ! En plus j'ai la dalle, maintenant !
Elle enfile sa veste et sort. L'ayant entendue, Nora accourt et crie.
NORA J'ai fait du café ! Vous n’en voulez pas ? Pour vous réchauffer ! Elle aperçoit son poncho roulé en boule et se précipite pour le ramasser. Elle le renifle, le secoue et le plie, cependant que son regard est attiré par le jardin. Pas étonnant qu’elle ait cru qu’il n’y avait personne, avec toutes ces broussailles ! Il faudrait vraiment que je m’y mette… Regardant dans la direction où est partie Marthe. Ou… que je demande à quelqu’un de me défricher tout ça ! Elle soupire. Il faudrait butter les pivoines… faire sécher le reste de menthe, elle commence à avoir mauvaise mine, elle aussi… Ramasser ces tonnes de feuilles… Son regard s’abaisse sur le tas d’objets appartenant à Marthe. Elle s'approche, se penche et soulève le rabat du sac du bout d'un doigt un peu hésitant. Dire qu’on peut vivre rien qu’avec ça ! Mon Dieu ! Comment fait-t-elle ? … Elle voit l’heure à sa montre. Neuf heures !
Elle rentre précipitamment dans la maison cependant que Marthe revient marchant nonchalamment tout en dégustant un croissant. Elle examine le jardin. Nora sort presque aussitôt, ayant revêtu un manteau et portant le poncho dans un sac. Elle s'apprête à passer devant Marthe qui l'arrête en lui mettant dans la main un croissant sorti de sa poche.
MARTHE C'est pour vous.
NORA Prenant le croissant du bout des doigts en se demandant ce qu'elle va en faire. Euh… merci bien… mais… j'ai déjà pris mon petit déjeuner, vous savez… Enfin, oui… merci… pourquoi pas ? En tout cas, c’est très gentil d’avoir pensé à moi…. Très gentil, vraiment ! Je suis très touchée… Très, très… Elle continue son chemin, tenant toujours le croissant du bout des doigts, puis fait volte-face. J'ai fait du café, il est encore tout chaud ! Je vous en ai mis une pleine thermos, bien à l'abri sous le porche, dans le renfoncement de la porte de la cuisine, avec une tasse et du sucre… Je n’ai pas osé le sucrer, je ne savais pas si vous en mettiez… ni combien… Enfin, il y a des gens qui préfèrent sans sucre… Alors, comme je ne savais pas… J’espère que ça vous réchauffera, en tout cas. Excusez-moi, il faut que je me sauve, j’ai un rendez-vous à la banque… Quelques petits soucis… Comme tout le monde, pas vrai ?…
MARTHE Ouais sûrement, merci !
Nora Sortant et se retournant en montrant le croissant. à vous aussi, merci ! Merci infiniment.
MARTHE C'est rien… Elle se promène dans le jardin. Il est complètement en friche, son jardin ! C'est la zone ! Elle ferait bien de débroussailler un peu et de ratiboiser sa menthe, si elle veut qu’elle repousse… Et si elle butte pas ses pivoines, sûr qu'elles vont crever… Avec le pied, elle rassemble des feuilles mortes qu'elle butte autour des pivoines, tout en leur parlant. Vous allez avoir bien chaud, les petites, maman Marthe s'occupe de vous… Elle se recule pour admirer son œuvre, fait une petite retouche puis, satisfaite, se frotte les mains. Bon ! Ne décevons pas le café-qui-attend-dans-sa-thermos-bien-à-l'abri-sous-le-porche-dans-le-renfoncement-de-la-porte-de-la-cuisine-avec-une-tasse-et-du-sucre…
Elle gagne le porche tandis que le noir descend sur scène.
Premier JOUR, 13 HEURES.
Une boite de carottes est posée sur le camping gaz éteint. Marthe entre, constate qu’il n’y a plus de gaz et que les carottes sont froides. Elle prend la boite et commence à manger, assise sur son sac.
MARTHE C'est dégueu ! C'est vraiment dégueu ! C'est déjà dégueu quand c'est chaud, mais là… Tiens, la belle jardinière est pas encore revenue de sa banque ? Elle se penche pour voir si Nora n’arrive pas. J'aurais parié qu'elle aurait rappliqué juste après son rendez-vous… pour voir si j'aurais pas pris froid par hasard… Elle continue de manger, tout en parlant. Non, en fait, c'est couru, elle va pas revenir avant ce soir ! Après la banque, elle a dû filer ventre à terre à son boulot. Ouais, c'est ça : elle est à son boulot… comme tout le monde… Et...