· KARL : un des stylistes. Franchement misogyne, très théâtral dans ses mouvements, il a en outre un accent allemand prononcé.
· JEAN-PAUL : deuxième styliste. Personnage plus posé.
· ARIANE : l’assistante.
· PAMELA : « mannequin » très portée sur la pâtisserie. Assez vulgaire.
· ALISON : autre « mannequin » plutôt brute de fonderie. Assez
vulgaire aussi…
· LE PHOTOGRAPHE : décontracté. Trouve la situation cocasse.
· L’ARPETTE : pourvu qu’il soit jeune et beau et qu’il se taise…
KARL (très agité et plantant frénétiquement des aiguilles dans un mannequin sur pied. De son autre main, il agite un éventail noir) - On ne sera jamais prêts ! (Il a un accent allemand prononcé.) Et les mannequins qui n'arrivent pas ! (Un temps.) Ah, les femmes ! Cette race maudite !
JEAN-PAUL - Allons Karl, calme-toi ! Le défilé ne commence que dans une demi-heure... Et puis tu connais les mannequins : toujours à surveiller leur ligne ! Elle sont probablement en train de vomir dans un coin...
KARL (choqué) - Ne soit pas vulgaire ! Epargne-moi ces détails sordides ! (Lyrique et emphatique en moulinant de l'éventail.) Nous sommes des artistes, nous évoluons dans les sphères sublimes de la création, proches des dieux antiques, hantées par les esprits les plus nobles d'où sont par nature proscrites les fonctions organiques !
ARIANE (entrant sans formalité) - Les mannequins sont arrivées. Je les fais entrer ?
KARL (agacé) - Evidemment ! Cela fait des siècles qu'on les attend ces femelles !
JEAN-PAUL - Oui, fais-les entrer Ariane, que l'on voit s'il y a des retouches à faire.
ARIANE (hélant en direction des coulisses) - Vous pouvez entrer ! Les maîtres vous attendent !
PAMELA (entrant avec une boîte à pâtisserie à la main) - C'est bon, on arrive ! (Elle avale un gâteau.)
ALISON (arrivant à la suite) - Les maîtres ! T'as entendu Pamela ? Y's'prennent pour qui ? On n'est pas des chiennes !
JEAN-PAUL (en apercevant les mannequins) - La vache !
ALISON (se méprenant) - Non plus, non !
KARL (épouvanté) - Quelle Hô-reuuuur !
JEAN-PAUL (faisant le tour des mannequins.) - Une chose est sûre : elles ne sont pas anorexiques !
KARL (faisant le tour des mannequins avec un mélange de dégoût et de curiosité) - Quelles sont ces choses ? Elles sont siliconées de partout ou quoi ?
PAMELA - Ben quoi ? On n'a jamais vu de femme mon biquet ? (Elle mange un autre gâteau.) Et puis arrête de m'tourner autour, ça m'donne le tournis !
KARL (recule d'effroi) - Mon Dieu ! Ce sont des femmes de la rue ? (En transe avec force moulinet d'éventail.) Je n'habille que les mannequins des podiums moi, c'est ma seule vision de la femme ! A fleur de peau, à fleur des os, à fleur d'âme ! (En extase, à lui-même.) C'est beau ce que je dis là ! Je veux la femme extatique !
ALISON - Tu parles ! Il veut la femme squelettique ! Le plus pathétique c'est que les acheteuses sont des vieilles biques qui ont déjà un pied dans la tombe...
PAMELA - Remarque : ça va d'un squelette à l'autre... Finalement, vous devriez
bosser directement dans le funéraire. Y'a d'l'avenir ! (Elle ingurgite une pâtisserie.)
KARL (s'évanouit sur une chaise) - Mein Gott !
JEAN-PAUL - Allons mesdames ! Un peu de respect ! Vous êtes en train de me chambouler Karl ! Ariane ! Ranimez Karl ! (Ariane évente Karl avec l'éventail de celui-ci. Karl gémit.)
PAMELA (se penchant vers Karl et offrant ses dessous de bras) - L'aisselle ! L'aisselle ! Rien ne vaut l'aisselle ! (Karl gémit plus fort.)
ALISON (bousculant tout le monde) - C'est pas comme ça qu'y faut s'y prendre ! (Elle flanque une beigne à Karl.)
KARL (se relevant, furieux) - Aïe ! Sale brute ! La sécurité ! Où est la sécurité ?
JEAN-PAUL (prenant Karl par les épaules) - Allons, allons, Karl ! Restons zen...
ARIANE - Au fait, le photographe est arrivé, je le fais entrer ?
KARL - Wass ? Quoi ? Qu'est-ce qu'il y a Ariane, je ne sais plus où j'en suis ! Ariane, j'ai perdu le fil !
ARIANE (expliquant) - Jean-Lou Faidre, le photographe. Il est arrivé. Je lui dis d'entrer ?
KARL - Evidemment, pauvre inconsciente ! Il y a longtemps qu'il est là ? Mon Dieu, ne répondez pas, on a assez perdu de temps !
JEAN-PAUL (à part) - Ce défilé se présente mal... Je commence à être inquiet, moi, tout de même !
LE PHOTOGRAPHE - Salut tout le monde ! Tiens ? Karl, qu'est-ce qu'il t'arrive ? Tu as pris des couleurs !
KARL - C'est horrrrriiiiible ! On m'a frappé ! (Il se repoudre.)
LE PHOTOGRAPHE - Depuis le temps que ça te pendait au nez ! (Au public.) Il faut dire qu'il a vraiment la tête à ça ! (Se tournant vers Jean-Paul.) Salut Jean-Paul, toi non plus tu n'as pas l'air dans ton assiette !
JEAN-PAUL - On est un peu charrette pour le défilé. En plus nos mannequins sortent tout droit de l'agence cellulite, si tu vois ce que je veux dire...
LE PHOTOGRAPHE (apercevant les mannequins et en faisant le tour) - Ah, oui ! Je vois... Et c'est pas de la première main non plus dis-donc ! En même temps, ça accroche davantage la lumière : je vais moins me prendre la tête. Par rapport aux asperges que je m'coltine le reste du temps !
KARL - Soit gentil mon petit Jean-lou : ne lésine pas sur la lumière blanche et floute au maximum !
PAMELA - Bon, elles sont où vos nippes qu'on les essaye ? Alison et moi, on n'a pas que ça à faire !
ARIANE - Suivez-moi, nous allons essayer les robes. (Elle les entraîne derrière
des paravents.)
KARL - Nippes ! Elle a dit des nippes ! Pourquoi pas guenilles aussi, tant qu'elle y est ! J'ai besoin de bulles pour me remettre ! (Vers les coulisses.) Des bulles ! Des bulles !
L'ARPETTE plutôt beau gosse entre avec un plateau garni de coupes de Champagne et en propose sans dire un mot puis il sort. Karl est complètement hypnotisé par le jeune homme et continue à regarder vers les coulisses après la sortie de ce dernier. Pendant que Karl, Jean-Paul et le photographe boivent, il serait bien qu'ils soient assis.
LE PHOTOGRAPHE (finissant son verre) - Ca se laisse boire...
JEAN-PAUL (blasé) - Moui... Un petit Dom Pérignon...
KARL (dans ses rêves) - C'est vrai qu'il est mignon...
LE PHOTOGRAPHE (en direction des paravents) - Alors les cocottes ? Bientôt prêtes pour l'action ? Je n'ai pas que ça à faire ! Alors magnons !
KARL (même jeu) - Oui... Très très mignon !..
JEAN-PAUL (se levant) - Bon, mesdames, c'est quand vous voulez pour les retouches !
KARL (troublé) - Ah ? On peut toucher ?
JEAN-PAUL (secouant Karl) - Ho-ho ? C'est par ici que ça se passe !
KARL (désappointé) - C'était trop beau ! (Il se lève après avoir bu son verre d'un trait.)
Les mannequins surgissent mal fagotées. S'arranger pour que l'une ait carrément la tête cachée, la robe relevée, les jupons en désordre ; l'autre, un bras resté à l'intérieur, des plis partout dans la robe etc.
PAMELA - C'est affreux, chui aveugle !
ALISON - C'est mal coupé vos fringues ! Y'a double ration de plis !
JEAN-PAUL - Approchez, on va remédier ! (Il s'affaire autour des mannequins avec un mètre et un calepin ou il prend des notes.)
KARL (avec dégoût) - Je te laisse faire Jean-Paul : je ne touche pas à cette sorte de marchandise ! Ca sent trop le populaire !
JEAN-PAUL (renvoyant les mannequins vers les coulisses avec Ariane et le calepin) - Faites faire les retouches par les petites mains Ariane et revenez-nous vite : Jean-Lou s'impatiente !
KARL - Les petites mains ! Tu es optimiste ! C'est des paluches qu'ils leur faut ! Si je m'écoutais je reprendrais des bulles...
JEAN-PAUL - Pas le temps !
Les mannequins réapparaissent et ô surprise : c'est superbe ! Prévoir des velcros pour accrocher facilement des accessoires valorisants, des strass, etc. Pour la robe de Jean-Paul, il serait intéressant de faire un bustier genre cage à la façon de Gautier.
LE PHOTOGRAPHE (prenant des photos.) - Super ! Bien ! Bien ! Tournez ! Oui ! Etc.
JEAN-PAUL (tendant la main à Karl) - Tape là mon vieux ! Tu vois ? On s'en est sorti finalement ! On est prêt pour le défilé !
KARL (prenant des pauses avec son éventail, très satisfait) - Nous sommes des génies ! Des génies !
Il serait bien que tous les comédiens soient figés en une dernière pause qui les met en valeur comme sur un cliché, avec le photographe de trois quarts dos, un peu baissé.
RIDEAU