La lumière baisse progressivement. Noir. Les trois coups retentissent. Le rideau du théâtre ne s’ouvre pas. Un jingle se fait entendre, style aéroport. Une voix chaude d’hôtesse de l’air passe une annonce.
Voix off - Bienvenue dans l’aéroport international de Koicy. Les passagers du vol AX 12 345 678 BDA MJT 87 RP 52 sont priés de se rendre dans le satellite d’embarquement Alfa et Oméga, à votre choix, sous le numéro 987… non, 879… je me trompe, attendez… il me semble que c’est sous la référence 789 ou… Nous vous prions de vous renseigner auprès de nos bureaux de Chicago dont voici le numéro de téléphone… 04 04 43 12 497 859 0. En tout cas… embarquement immédiat… Je répète, les passagers AX 12 millions quelque chose… sont priés de se rendre au pôle d’embarquement. Je ne le répèterai pas ! Bon voyage… si vous arrivez à trouver votre avion !
Le rideau s’ouvre. On remarque immédiatement que l’intérieur de l’avion est très sale. Des journaux, des couvertures, des sacs plastique, des magazines, des assiettes, des verres et couverts en plastique, etc., traînent. Jojo et Nénette sont en train de faire le ménage et ramassent tout pour en faire un avion propre.
De la Cour, Jojo entre en scène en balayant et en tenant en même temps un grand sac plastique à moitié plein. Elle porte des gants en caoutchouc.
Jojo - Tu te rends compte comme c’est sale !
Nénette entre à son tour côté Jardin avec grand sac plastique, un balai et des gants en caoutchouc.
Nénette - Il est toujours comme ça cet avion. Il est arrivé hier soir avec trois heures de retard. Les passagers n’étaient pas contents, ils ont tout laissé traîner… Et qui c’est qui ramasse leurs cochonneries ?
Jojo - Ben… nous… Nénette et Jojo !
Nénette - Exactement, Jojo. Regarde-moi tout ça, c’est pas jojo !
Jojo - Oui…
Nénette - C’est pas vrai ce que je dis, Jojo?
Jojo - Dans un sens, s’ils ne laissaient rien traîner, qu’est-ce qu’on ferait ? On n’aurait plus de travail !
Nénette (après quelques secondes de réflexion) - Je veux bien qu’ils laissent traîner des affaires, mais qu’elles soient propres !
Jojo - Si c’est propre, pourquoi qu’on viendrait faire le ménage ?
Nénette - Pourquoi tu réfléchis tout le temps à ce que je te dis ? Des fois, j’ai l’impression d’avoir pas raison avec toi !
Jojo - Excuse-moi Nénette… Ce que je pense…
Nénette - On se dépêche, cet avion part dans… (Consultant sa montre.)… devrait être parti… Dès qu’on a terminé, on doit prévenir le chef de cabine.
Jojo - Il ne reste plus que ça à faire, ça sera vite fait ! (Elle jette un coup d’œil aux derniers fauteuils. Jojo et Nénette se mettent à genoux pour être plus efficaces.) Regarde, Nénette, ce que je viens d’attraper !
Nénette - Une ficelle ?
Jojo - Regarde mieux.
Nénette - Un string !
Jojo - Il a dû se passer des choses…
Nénette - Ah, ben moi… j’ai le compagnon !
Nénette déplie un large slip kangourou. Elles les jettent dans leur sac plastique. Nénette se relève et balaie. Jojo continue son travail à genoux.
Jojo - Ils ont dû les retirer pendant le vol.
Nénette - Au septième ciel, tu veux dire !
Jojo - Je vois quelque chose de bizarre…
Nénette - Dans un avion, c’est pas ça qui manque.
Jojo - Non… (Jojo reste à genoux et observe minutieusement sous le siège qui sera celui de Marguerite.) C’est la première fois que j’en vois une !
Nénette (après un petit temps) - Dépêche-toi ! On va avoir des points de pénalité si on ne finit pas dans les délais.
Jojo - Je ne peux plus bouger.
Nénette - Allons bon. Encore une vertèbre de déplacée !
Jojo - Je viens de la toucher et je crois que…
Nénette - Tu viens de te toucher une vertèbre ?! Qu’est-ce que tu racontes ? Relève-toi !
Jojo - Faut plus que je bouge, je te dis !
Nénette - Je vais te faire une petite manip’… J’arrive !
Jojo - Non, Nénette… non… ne me touche surtout pas.
Nénette - C’est pas un petit os qui va me faire peur !
Jojo - C’en est une… j’en suis sûre !
Nénette - Tu vas me dire ce que tu trafiquotes sous ce siège ?
Jojo - J’ai une bombe entre les mains !
Nénette - Quoi ?!
Jojo - J’ai une bombe entre les mains !
Nénette - Une bombe ?! Oh, nom d’un chien ! T’es certaine ?
Jojo - Tu veux que je te la lance ?
Nénette - Non, non, je te crois… Je déclenche la procédure, alors ?
Jojo - En urgence !
Nénette - Minute. Je dois réfléchir dans la réflexion… Deux cas : le premier, si c’est une vraie bombe, je dois appeler du secours… Dans l’autre cas, si ce n’est pas une vraie bombe, on se prend des pénalités d’avoir déclenché la procédure… Je te préviens Jojo, ça peut entraîner de lourdes pénalités.
Jojo - Je t’en prie, Nénette, c’est une bombe ! Elle fait tic-tac !
Nénette - Tu ne confonds pas avec un réveil ?
Jojo - Je reconnais un réveil d’une bombe ! Appelle !
Nénette - Tu connais le numéro ?
Jojo (s’énervant et ne voulant pas bouger) - Non, je ne connais pas le numéro !
Nénette - Ne panique pas, je l’ai dans ma poche… (Cherchant mais ne trouvant pas.) Tiens ? J’étais certaine…
Jojo - Vite !
Nénette - Je t’en prie, il y a pas le feu ! Il me reste à regarder là… Pourtant, c’est obligatoire de l’avoir sur soi… Tu avoueras…
Jojo - J’ai mal aux bras. Je vais la lâcher !
Nénette - Ne fais pas ça, on risque de sauter, surtout si c’est une vraie bombe ! Le numéro d’urgence, tu ne l’aurais pas sur toi ?
Jojo - On l’a tous sur soi, c’est obligatoire… Dans ma poche ! Regarde dans ma poche !
Nénette - Ne t’énerve pas, la situation est suffisamment explosive… je veux dire… je dois aller le chercher dans ta poche ?
Jojo - Tu le fais exprès ? (Nénette s’allonge sur Jojo et cherche une carte où est inscrit le numéro d’urgence.) Pas de ce côté, l’autre poche… Ne me remue pas…
Nénette (de mauvaise volonté) - Je fais le maximum… Qu’est-ce que tu peux avoir comme trucs inutiles dans tes poches ! Laisse-toi faire !
Jojo - Tu me chatouilles !
Nénette - Je cherche minutieusement avec mes petits doigts…
Jojo - Je n’ai pas envie de rire.
Nénette - Attends… Je la tiens… J’ai la carte… Je l’attrape… Je n’arrive pas à la sortir de ta poche !
Jojo - Elle est tenue par une chaînette.
Nénette - C’est malin ! Déjà que ce n’est pas facile… (Elle escalade Jojo en prenant des positions amusantes et tente de lire le numéro sur la carte.) C’est écrit tout petit… Mes lunettes ! Qu’est-ce que j’ai fait de mes lunettes ? (Elle cherche ses lunettes dans ses habits et les trouve.)
Jojo - Nénette, j’ai une bombe entre les mains !
Nénette - Je sais. Jamais paniquer, c’est dans les consignes. Voilà ! Comme ça je vois mieux ! Alors… (Regardant le numéro de la carte, effarée.) Faut que j’apprenne tout ça par cœur ?!
Jojo - Je t’en prie, retiens ce numéro et appelle les secours !
Nénette (prenant un air bête) - Dans ces moments-là, je perds toutes mes capacités intellectuelles ! Laisse-moi un peu de temps. (Faisant des efforts de mémorisation en marmonnant.) 45… 46… alors 45… 46… 45 46. Tu veux bien m’aider ? Tu retiens les quatre derniers chiffres et moi les quatre premiers… Alors pour toi c’est le 07 07 et moi… le 45 et 46. Je répète : toi 07 07 et moi 45 46… T’as remarqué ?
Jojo - Quoi ?
Nénette - Je me garde le plus difficile à retenir !
Jojo (approchant son oreille de la bombe) - Nénette, une seconde minuterie vient de se mettre en marche !
Nénette - C’est une véritable horlogerie que tu tiens ! C’est pas bon signe… Tu l’as peut-être bougée à force de me presser ?
Jojo - Nénette, active-toi !
Nénette - Ne me mets pas la pression. J’ai déjà dû mal à retenir le numéro d’urgence ! 45 46… je devrais y arriver ! (Elle se dirige vers la cabine des hôtesses censée se situer côté Cour, dans les coulisses.) Je vais chercher le téléphone…
Jojo - Je vais la tuer !
Nénette (off) - Premier point : jamais de précipitation dans de pareilles circonstances. Deuxième point : avertir la personne compétente… Je suis en train de le faire… (Depuis les coulisses, elle attrape un téléphone sans fil et revient auprès de Jojo. Elle compose le numéro.) Alors moi le 4… le 5… encore le 4… et… J’ai un trou… Je ne me rappelle plus du quatrième !
Jojo - Fais un effort, on va exploser !
Nénette - Ne me stresse pas ! Je recommence : le 4, 5, 4 et…
Jojo - Le 6 !
Nénette - Tu as raison ! Ça fait 45 46. C’est quand même pas compliqué ! Il y a des fois je suis bête, je m’en veux… Tu te souviens de tes numéros ?
Jojo - 07 07. Pas compliqué non plus !
Nénette (composant les numéros) - Reste calme, Jojo… Pas de panique ! Je suis au maximum de mes capacités. Ça sonne !… C’est un disque… (Elle répète ce qu’elle entend.) Pour les urgences, veuillez patienter… pour les urgences, veuillez patienter… pour les…
Jojo - Tu m’auras tout fait !
Nénette - Je patiente dans l’urgence… Ça décroche… Allô ! Bonjour monsieur… C’est pour une urgence… Quoi ?… Vous voulez mon code technicien ?… (A Jojo.) Tu connais mon code technicien ?
Jojo - Je vais la tuer !
Nénette (pour elle) - On n’est pas dans la m… Je téléphone pour une urgence et il me demande mon code technicien ! (Au téléphone, fort.) Il a quitté ma tête, mon code !!!
Jojo - Dis que j’ai une bombe entre les mains qui ne demande qu’à exploser !
Nénette - Ne t’inquiète pas Jojo, je gère la situation. (Au téléphone.) Monsieur, je vous appelle pour une urgence urgente et dans ces cas-là il ne faut pas me demander mon code technicien. Le code, il est dans le brouillard dans ma tête. Ce que je peux vous dire c’est que je m’appelle Nénette et je travaille depuis plus de… C’est ça, Nénette Bouchard… (A Jojo.) Et en plus il me connaît ! Ça sert l’ancienneté !… (Au téléphone.) Non… C’est pas possible !… (A Jojo.) C’est Antoine Gomez, un ancien petit copain ! (Au téléphone.) Ça me fait plaisir de t’entendre. Qu’est-ce que tu deviens ?
Jojo - La bombe ! Parle-lui de la bombe ! Je t’en supplie !
Nénette - Attends… Attends Antoine, laisse-moi parler… (A Jojo.) C’est bien l’Antoine, toujours aussi bavard… (Au téléphone, de plus en plus fort.) Attends !… Attends !… La ferme ! (A Jojo.) Tu vois que je sais être énergique ! Il ne me parle plus ! Qu’est-ce que je devais te dire ?
Jojo - La bombe !
Nénette - Oui, t’as raison. (Au téléphone.) Allô ! Ecoute-moi… J’ai ma collègue qui s’impatiente… Pourquoi ? (A Jojo.) Il va être surpris mon copain. (Fort au téléphone et bien distinctement.) Tiens-toi bien : elle tient entre ses mains… une bombe !!!
Noir sur le plateau et dans la salle. Le rideau se ferme. Un jingle retentit. Une voix, style hôtesse de l’air, se fait entendre.
Voix off - En raison d’un problème technique, la compagnie « Ça P.P.V. » vous prie de l’excuser pour le retard pris lors de l’embarquement. Ce tout petit problème étant résolu, les passagers du vol AX 12 millions quelque chose… peuvent dorénavant prendre la passerelle d’embarquement 879… non, 987… je ne sais toujours pas… vous n’avez qu’à vous renseigner ! Embarquement immédiat… Nous vous souhaitons quoi qu’il en soit un agréable voyage. (L’hôtesse croit fermer son micro et s’adresse à sa collègue.) J’en ai marre de toujours les renseigner ces voyageurs, ils pourraient faire un effort ! En attendant, avec cet avion, il y a toujours des problèmes !
Le rideau s’ouvre. La lumière éclaire les sièges de l’avion. Tout est propre, prêt à accueillir les passagers. Liliana, belle hôtesse de l’air, entre côté Cour. Elle est suivie de Martine, hôtesse de l’air également, avec quelques petites rondeurs. Elles regardent si tout est O.K. dans la cabine passagers.
Liliana - Nous allons pouvoir faire entrer les passagers.
Martine - C’est incroyable cette bombe.
Liliana - Incroyable ? Tu veux dire que ça devient coutumier !
Martine - Coutumier ?
Liliana - Tu es bien une hôtesse de l’air, toujours tête en l’air ! Avec le commandant Donjuan, il se passe toujours quelque chose.
Martine - Le commandant Donjuan… Je n’ai jamais volé avec lui.
Liliana - Moi, il m’impose de voler avec lui.
Martine - Pour quelle raison ?
Liliana - En tant que commandant de ce boeing, il est heureux de m’envoyer en l’air !
Martine - Je vois le genre. Je ne me laisserai pas faire !
Liliana...