Dernier flash infos d’Azerbalistan !

Les exigences de rentabilité des chaînes d’actualité semblent tirer inexorablement l’information vers le scoop frelaté. À l’heure des fake news et de l’« infobésité », les “journalistes” de ZFM et de CQQ NEWS Michel, Joseph, Émeline, Alexandre et les directeurs de rédaction, reporters et caméramans, se débattent furieusement pour offrir aux téléspectateurs du sensationnel puissance mille.

L’intrigue de cette comédie grinçante s’inspire d’une situation réelle et se déroule en Azerbalistan, état voyou en pleine guerre civile.

Un terrain de jeu propice à tous les débordements.

Liste des personnages (10)

Michel Homme • Adulte/Senior
Le rédacteur en chef de C.Q.Q. NEWS. De la vieille école.
ÉmelineFemme • Jeune adulte/Adulte
Présentatrice météo de C.Q.Q. NEWS, ancienne reine de beauté reconvertie.
JosephHomme • Adulte/Senior
Caméraman expérimenté de C.Q.Q. NEWS, vieux garçon, syndicaliste.
Jean-Pierre Homme • Adulte/Senior
Présentateur vedette de la chaîne C.Q.Q. NEWS.
AlexandreHomme • Jeune adulte
Rédacteur en chef de ZFM. Très jeune, tout nouveau, école de commerce.
ServaneFemme • Jeune adulte/Adulte
Grande reporter expérimentée, assez masculine.
Nico Homme • Adulte
Cameraman chez ZFM, beau gosse, tombeur, féru de technologie.
Patrick Homme • Adulte
Présentateur vedette de la chaîne ZFM.
Dr Ahmetegun Rostach Homme • Senior/Adulte
Contact local de la presse à Kaboum, capitale d'Azerbalistan. accent oriental, très raffiné.
Deux gardes du corps Homme/Femme • Adulte/Senior
(Figurants.) Sur-armés.

Note :

Durant toutes les scènes se passant dans la capitale de l’Azerbalistan, on entendra en fond sonore insensiblement crescendo la bande-son d’une ville en pleine guerre civile (explosions, tirs d’armes automatiques, coups de canons, sirènes, etc). Le volume final devra quasiment gêner les dialogues.

ACTE I

ACTE I Scène 1

Michel, Émeline et Joseph.

Le visage de Joseph apparaît sur un écran de visioconférences.

(On le voit qui regarde sa montre, pas content.)

(Apparition du visage d’Émeline.)

Émeline

:

Salut, Joseph. Tu vas bien ?

Joseph

:

Ça va, merci. J’ai appris, pour ta promotion. Tu es une étoile, maintenant. Félicitations.

Émeline

:

Oui ,ben...

(Elle est interrompue par l’arrivé de Michel.)

Michel

:

Bonjour, les enfants ! Excusez mon retard, mais je suis débordé. Bon. J’espère que vous allez bien ? Je vous ai réunis, parce que j’ai une nouvelle idée de reportage, et que je voudrais vous associer, tous les deux. Car je pense qu’en combinant ton œil Ô combien neuf, mon Émeline, avec Joseph et sa grande expérience, on pourrait avoir une paire gagnante. Je crois super en vous sur le coup où je vous envoie.

Vous avez sûrement entendu parler de l’Azerbalistan, ces temps-ci. Il se trouve que c’est actuellement le pays de tous les trafics. Y compris les trafics d’enfants. Je veux savoir combien un petit être innocent se vend dans ce pays. Nos téléspectateurs ont le droit de savoir. Alors vous allez y aller enquêter et vous faire passer pour des parents acheteurs. Je vous envoie les détails de la mission par mail, avec les coordonnées du fixer sur place.

Émeline

:

C'est quoi un fixer ?

Michel

:

C'est vrai que tu débutes, ma chérie. C'est votre contact à Kaboum, la capitale. C’est lui qui va vous faire rencontrer les gens qu'il faut. Joseph, je compte sur toi, qui est le cameraman le plus ancien de la maison, avec le plus gros salaire, pour driver Émeline.

Joseph

:

Pas de problème.

Michel

:

Attention, vous allez certainement croiser un peu la route de la mafia locale, là-bas. Alors soyez prudents, hein ! S'il vous arrivait quelque chose, à tous les deux, je ne me le pardonnerais pas.

Joseph

:

Il y a une guerre civile, dans le pays, non ??

Michel

:

Oui, hô, guerre civile, guerre civile... Tout de suite les grands mots. Quelques petits troubles sporadiques, tout au plus. Disons juste qu'à certains carrefours, l'armée n'est guerre civile ! Ha ! Ha ! Ha !

Mais avec vos cartes de presse, vous serez intouchables, mes chéris. Aucun problème.

Tu ne penses tout de même pas que je voudrais te perdre, ma moumoune !?

Émeline

:

Mais moi j'étais bien à la météo. Pourquoi faut que j'aille là-bas ?

Michel

:

Parce que tu dois é-vo-luer professionnellement, mon cœur ! Moi je vois en toi un potentiel inouï ! Crois-en ma longue expérience ! Tu vas tout casser, dans le grand reportage extrêmement lointain !

Émeline

:

J'aime pas les voyages.

Michel

:

Mais tu fais ça un an ou deux, et s'il ne t'est rien arrivé de grave, tu reviens et c'est tout ! OK mon cœur ? Fais-moi confiance.

De toutes façons, on ne se quitte pas : tous les soir à 19h locale, vous m’envoyez votre reportage de la journée, à 19h30 on se le débriefe par visio, et si c’est OK, on le diffuse dans l’édition du matin.

Réglé comme du papier à musique ! Ha ! Ha ! Ha !

Allez ! Bonne chance à tous les deux !

On va cartonner, j’en suis certain.

Je vous laisse, j’ai l’édition de midi à boucler.

ACTE I Scène 2

Émeline et Joseph.

Chambre d’hôtel sinistre de l’équipe de CQQ News à Kaboum, Azerbalistan. (Lits séparés).

(Joseph nettoie avec un soin maniaque sa caméra et ses micros sur une petite table. Émeline range sa valise, pleine de trucs hyper-sexy, dans une antique armoire.)

Joseph

:

Ça va aller ?

Émeline

:

Oui, ben j'espère qu'on va pas s'éterniser ici, hein ! La ville est sinistre. Les rues sont vides, pleines de carcasses de voitures brûlées et de trous d'obus, y a que des militaires crasseux qui circulent. Toutes les façades sont criblées de balles... Impossible de faire du shopping ou d'aller boire un pot dans un endroit sympa, le soir, dans ce trou !

Joseph

:

C'est le métier...

Émeline

:

Oui ben justement, moi, c'est PAS mon métier ! J'étais très bien, à la météo, perso.

Joseph

:

Ça durera pas trop longtemps, normalement. On rencontre les intermédiaires, on leur fait le numéro des parents qui veulent à tout prix un enfant, ils reviennent avec une proposition, on filme discrétos, et on rentre. Rassure-toi : j'ai pas non plus envie de m'éterniser sur ce reportage pourri...

Émeline

:

Pourquoi "pourri" ?

Joseph

:

Je suis pas d'accord avec ce nouveau principe des caméra cachées pour un oui ou pour un non. La charte des devoirs professionnels du journaliste français dit clairement qu’« un journaliste digne de ce nom s’interdit d’invoquer un titre ou une qualité imaginaires, et d’user de moyens déloyaux pour obtenir une information ou surprendre la bonne foi de quiconque ».

Émeline

:

Ha bon ?

Joseph

:

Avec une pincée d'argent, on pouvait parfaitement interviewer un de ces intermédiaires en ombre chinoise. Et bien entrevoir les méandres de son âme maléfique.

Émeline

:

Ben oui, mais t'as prononcé le mot tabou, hein : Argent. Faut économiser sur tout, de nos jours, on dirait...

Joseph

:

ÉCONOMISER SUR NOS REPORTAGES, C'EST ÉCONOMISER SUR LE DROIT DU PEUPLE À L'INFORMATION, DONC SUR SON DROIT À VOTER EN TOUTE CONNAISSANCE DE CAUSE, DONC, C'EST ÉCONOMISER SUR LA DÉMOCRATIE !!!

Émeline

:

Ha! Ha ! Ha ! C'est vrai que t’es syndicaliste, toi...

Joseph

:

Sans compter que techniquement, les caméras cachées, c'est délicat. Y à toujours des problèmes.

(Silence. Bruit de bombes, au loin.)

Émeline

:

Dis, Joseph... Tu t'y connais, en comédie, en théâtre, tout ça ? Comment je vais faire, pour jouer une femme qui veut un enfant ?

Joseph

:

(?) Tu n'as jamais rêvé d'en avoir ?

Émeline

:

Ben non. Je déteste ça !

Joseph

:

Sans blague ?!

Émeline

:

OUI BEN C'EST COMME ÇA !!! J'AI AUCUNE ENVIE DE TRANSMETTRE MES GÈNES AVEC MON UTÉRUS "MÂÂÂGIQUE" !!!

Joseph

:

D’accord.

Émeline

:

UN MOUTARD, C'EST BRUYANT, C'EST CAPRICIEUX, C'EST SALE, C'EST DÉSOBÉISSANT, ET ÇA COÛTE UN BRAS !

Joseph

:

Çà, c'est quand ils sont petits.

Émeline

:

ET JE N’AI AUCUNE ENVIE D'AJOUTER ENCORE QUELQUES ADOS INGRATS À CE MONDE DE DÉGÉNÉRÉS !

Joseph

:

Ça peut se défendre.

Émeline

:

J'AIMAIS DÉJÀ PAS LES ENFANTS QUAND J'ÉTAIS ENFANT MOI-MÊME, ALORS T'AS QU'À VOIR !

Joseph

:

Effectivement.

Émeline

:

MOI, JE VIENS D'UNE FAMILLE DE DIX FRÈRES ET SŒURS ! ALORS LES MORVEUX, TU M'EXCUSES, J'AI DONNÉ !

Joseph

:

Waouh ! Sujet sensible, on dirait. N'en parlons plus.

Émeline

:

Et puis, j’ai peur qu’ils soient moches...

Joseph

:

S’ils tiennent de toi, aucun risque, Émeline. Ils auront la beauté des anges du paradis.

Émeline

:

Quel poète ! C’est gentil, çà…

Joseph

:

Et puis, les enfants peuvent parfois être un soutient, au soir de ton existence...

Émeline

:

NAN ! JE MOURRAIS SEULE, DÉVORÉE PAR MES CHATS... C'est mon destin et c'est très bien comme çà.

(Un bruit de bombe beaucoup plus fort que les autres la fait sursauter.)

Joseph

:

Ne t’inquiète pas. Tu vas t’y habituer.

Émeline

:

Je crois pas !

Joseph

:

Et à la réflexion, pour le rendez-vous avec l'intermédiaire d'adoption, va effectivement peut-être falloir qu'on répète un peu...

ACTE I Scène 3

Servane, Alexandre, Nico

Leurs trois visages apparaissent sur un écran de visioconférence.

Alexandre

:

OK. Tout le monde est là ? Vous allez bien ?

Servane

:

Salut, Alexandre. Tout baigne.

Nico

:

Super bien, chef ! Le son est top, dans les graves comme dans les aigus.

Alexandre

:

Alors let’s go. Je vous remets back dans le contexte. L’executive manager de notre nouveau repreneur est d’arrivé, et il nous a communiqué sa roadmap : à partir de de maintenant, on doit se recentrer éditorialement à fond sur un public mûr et de droite. Comme ils ont du pouvoir d'achat, ils vont attirer vers nous plus d’annonceurs, et donc, faire rentrer plus de cash. Main objectif : redevenir rentables d’ici un an. How to do that ? D’abord, plein de reportages sur le luxe. Ensuite, pour les hommes : des business news à tous les étages, 24 sur 24. Mais pour les femmes... c’est plus compliqué. More complicated. Nos market research montrent qu’il leur faut des EMOTIONS. Femmes mûres égal ménopause et blues du nid vide. Les gosses se sont tirés, ça leur manque. Donc privilégier les articles déchirants sur les kids. Un sujet sur l'adoption sauvage à l'étranger de couples qui n'arrivent pas à avoir d'enfant tomberait pile in the middle du cœur de cible. L’Azerbalistan est number one, sur le créneau. C'est la place to be, depuis la guerre civile hyper sanglante qui ravage littéralement tout le pays.

Servane

:

Pigé. Donc, on va là-bas et on interviewe des parents acheteurs ?

Alexandre

:

No way. Journalisme à la papa. Already done et pas assez punchy. Faut du fort. Mission en undercover. Vous allez vous faire passer pour des intermédiaires proposant des enfants contre commission. Vous faites monter les enchères au max. Vous filmez en cachette la détresse des couples, vous montrez jusqu'où ils sont prêts à aller pour payer. Vous pushez le truc à fond !

Nico

:

Génial ! Il y a un gadget tout nouveau, qui est sorti : des lunette équipées d’une caméra intégrée HD dernier cri, tellement miniaturisée, qu’elle est totalement indétectable ! Ça le ferait grave, pour filmer.

Alexandre

:

Oui, ben on va voir. Le nouveau business plan prévoit aussi des frais de reportages divisés par deux, watch out. Send-moi toujours la doc par mail, que je voie what can be done.

Servane

:

On aura un bon contact, sur place ?

Alexandre

:

The best. Pas difficile : il n'y en a qu'un seul de répertorié, dans ce bled. C'est le même depuis des décennies. Everybody le connaît, et il connaît everybody, là-bas. Il s’appelle Ahmedegun Rostach. Il se prétend avocat.

Servane

:

OK.

Alexandre

:

By the way : vous l’appelez « Docteur », hein ? Pas «Maître». La-bas, dès qu’ils savent un peu lire et écrire, ils se font tous appeler Docteur. Ha ! Ha ! Ha !

Bon.

...Et je veux qu’on sente bien la guerre, derrière, hein, dans votre reportage ! Filez-nous du blood and guts ! Ça helpera à bien dramatiser le topo.

Servane

:

Au fait... Il a quoi, dans le ventre, le nouveau seigneur et maître de notre chaîne ? On dit qu’il nous rachète juste pour mieux nous revendre, une fois toutes les branches pas rentables dégagées à la tronçonneuse.

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