PERSONNAGES
Jean-Bastien Grangin, comédien originaire de Chargey-lès-Port
Le père, Joseph Grangin, paysan
La soeur, représente les Sept soeurs de Jean-Bastien
Josy, ancienne religieuse, compagne de Joseph
Gilberte, voisine de Joseph, paysanne
Marinette, petite-fille de Gilberte et voisine de Jean-Bastien
Evandra Martinez, professeure à Vesoul
Le médecin parisien
Le médecin de campagne
Le professeur parisien
Antoine, plombier
Tous ces personnages seront interprétés par un seul comédien.
Certains ont un langage qui leur appartient.
Un langage que nous avons essayé de retranscrire par écrit.
Il serait vain de vouloir les faire parler autrement.
Quelques passages ont été volontairement dépouillés de toute ponctuation.
" Si ce texte était un texte de théâtre, c'est avec ces mots-là qu'il faudrait commencer :
Un père et un fils sont à quelques mètres l'un de l'autre dans un grand espace, vaste et vide. Cet espace pourrait être un champ de blé...
Le père et le fils ne se regardent jamais.
Seul le fils parle.
Il essaie de s'adresser à son père, mais on ne sait pas pourquoi c'est comme si le père ne pouvait pas l'entendre. Parfois leur peau se touchent, ils entrent en contact mais même dans ces moments-là ils restent absents l'un de l'autre.
Le père est privé de la possibilité de raconter sa propre vie et le fils voudrait une réponse qu'il n'obtiendra jamais."
Qui a tué mon père, Edouard Louis. (extraits)
PROLOGUE
Entrée du public.
Gilberte est dans la salle et passe la serpillière. Au lointain, on entend la télévision.
Gilberte parle au public, marmonne, commente l'émission...
Soudain, le téléphone sonne.
GILBERTE
Qui c’est qui téléphone à c’t’heure- ci
Elle monte sur le plateau
Allo oui c’est la Gilberte
Non
Aïe Aïe Aïe... Aïe Aïe Aïe... Aïe Aïe Aïe…
Qu’est-ce qui faut dire…
Elle raccroche l'air grave.
1. LE FAIRE- PART - Paris - 2024
JEAN-BASTIEN
Tout a commencé à cause de la pluie
Une pluie d'orage
Une pluie d'été où il y a tout qui explose
J'avais encore passé une sale nuit
Ça faisait trois semaines que je n'arrivais pas à dormir
Insomnies sur insomnies
Cauchemars sur cauchemars
Toujours le même rêve
Jean-Bastien raconte son rêve.
Je suis tout gamin, à Chargey - Chargey-lès-Port, en Haute-Saône, deux cents habitants
Vous ne connaissez pas ! - Donc je suis tout gamin
Je suis au volant d'une voiture
Je crois que c'est la vieille Dacia de mon père
Pas sûr
Il pleut des cordes
Je passe devant la maison de mes parents et elle est en feu
Et d'un coup, en haut, à la fenêtre de ma chambre
Je vois une dame en chemise de nuit bleue qui me fait de grands signes
Mais moi, je ne m'arrête pas
Je continue de rouler
J'accélère, j'accélère, j'accélère
Je suis bloqué
Impossible de revenir en arrière
Je regarde la route
Je ne sais plus où je suis
Je suis perdu
Et là, il y a comme une ombre
Énorme
Qui s'avance sur moi
Et je me réveille
Bref, ça faisait trois semaines que j'étais bloqué
Sous une pluie battante, Jean-Bastien ouvre une enveloppe.
Putain c'est quoi ce truc ?
Jean-Bastien appelle sa soeur.
JEAN-BASTIEN
Ouais
C'est quoi ces conneries
Ouais Salut
Ouais je l'ai dans les mains
Avec Josy en plus…
Il a pas trouvé mieux
Quand je pense que c’est à cause de moi…
Oui si tu veux grâce à moi
Très drôle
J'en sais rien
De toutes façons que je vienne ou pas qu’est-ce que ça change
J'en sais rien
On verra
Il n’a qu’à m’appeler
Bruit de Klaxon. Jean-Bastien tombe. Des phares éblouissent les spectateurs. On entend une voix au téléphone : « Jean-Bastien ? Jean-Bastien ?"
2- HÔPITAL - Paris - 2024
LE MEDECIN PARISIEN
Bon, vous vous en sortez avec une double fracture de la cheville droite.
Je vais vous prescrire des attelles, de la marque Aircast.
Mais il faudra les mettre hein ?
Je vous conseille également de porter des chaussures montantes qui vous tiennent.
Avec des lacets...
Et puis il va falloir se reposer.
Il lui tend une ordonnance
Et n'oubliez pas de regarder quand vous traversez.
3- L'APPEL À LA SOEUR - Paris - 2024
Jean-Bastien reçoit un appel.
JEAN-BASTIEN
Ça va
Double fracture
Non juste la droite
Oui comme en 2003 ouais
Tu sais pas ce que je porte au pied
Je te le donne en mille
Aircast
Les mêmes oui
Régression totale
Jean-Bastien raccroche, regarde ses attelles Aircast et se souvient.
4- DOUBLE FRACTURE - Chargey-lès-Port - 2003
LE MEDECIN DE CAMPAGNE
Double fracture de la cheville gauche.
Jeune homme, va falloir arrêter de les porter ces chaussures qui ne sont pas lacées.
S’il y a des lacets, ce n’est pas pour rien, il faut les lacer ces lacets.
Parce que les ados maintenant c’est la « mode » hein, les chaussures comme ça à peine lacées…
Qu’est-ce qui t’es arrivé ?
Tombé dans un champs ?
Oui...
Mais s'il est tombé, c’est à cause des chaussures, c’est sûr !
Ça commence par la cheville, ça monte jusqu’aux genoux, et après ça pète toutes les articulations.
Je me retrouve avec des gamins qui arrivent les genoux comme ça.
Bon, comment tu t’appelles, toi ?
D’accord.
Et t’as quel âge Jean-Bastien ?
Ben, il peut peut-être répondre tout seul le gamin.
Treize ans.
Bon ben, Jean-Bastien, je vais te prescrire une deuxième attelle, toujours de la marque Aircast hein!
Dis-donc, la cheville droite il y a deux semaines et la gauche aujourd‘hui…
Il y a plus rien à casser maintenant, t’es tranquille mon bonhomme.
T’es fin prêt pour la rentrée.
Les deux chevilles en même temps ? Comment c’est possible ?
Un été un peu difficile ?
Hum, hum,
Pour lui-même
Comment c’est possible…
5- ÉTÉ 2003 - Chargey-lès-Port
JEAN-BASTIEN
Moi je sais comment c’est possible
Parce que cet été là j’arrive plus à tenir debout
Je m’appelle Jean-Bastien
J’ai treize ans
Je suis à l’hôpital de Vesoul
Il fait chaud
Très chaud
C’est la canicule
Jean-Bastien parle à sa mère
Maman, maman tu dors ?
Tu m’entends ?
Tout le monde dit que tu es en train de partir ?
Tu pars où ?
Tu pars avec Maxime le Forestier ?
Faut que tu te réveilles, tu peux pas me laisser.
Tu veux que je vienne te chercher ?
Il regarde sa mère.
Si t’es d’accord, ouvre les yeux.
Jean-Bastien quitte la pièce en hurlant.
Elle a ouvert les yeux ! Elle a ouvert les yeux !
6- LE LIT - Chargey-lès-Port - 2003
LA SOEUR
Jean-Bastien… Jean-Bastien… Viens voir s’il te plaît.
Maman, elle est revenue à la maison. Nous...